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Le Drone du ColibriCe matin tôt, un peu plus haut que moi, j'ai croisé un colibri, il avait l'air un peu perdu dans la ville. Mais ni lui ni moi ne savons lire nos intentions respectives. Mardi 13.10.2015, Oaxaca |
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Chronique de mon séjour au Mexique, du 30 septembre au 28 octobre 2015 (initialement sous forme de blog envoyé au jour le jour par courriel à quelques interlocuteurs). |
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Méthodologie
L’important ne se voyant qu’avec le cœur, sinon avec ses propres yeux, sinon par l'intermédiaire d'une chronique, ce n’est, à mon avis, qu'à défaut qu’on y accède via un son, une photo ou une vidéo. J’ai donc décidé de ne pas insérer ces trois derniers medias directement dans le texte, mais de les rendre accessibles en ajoutant leurs liens à la fin de chaque journée concernée. Au lecteur de choisir : laisser murir son imaginaire ou approcher le réel d’une façon plus concrète. Une fois affichée, cliquer sur une vidéo fait en principe apparaître la barre qui permet (tout à droite) un affichage plein écran. N.B les textes entre crochets carrées ([…]) ont été ajoutés à mon retour. Olivier Sillig, Lausanne le 14 novembre 2015 |
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IntroAvec le recul et l’absence de recul, il me semble que mon blog d’Afrique du Sud (2008) était socio-centré, dans la description insérée d’un monde d’une rudesse incroyable. Que mon blog du Brésil (2012-2013) était, comme me l’a suggéré un lecteur, égocentré, l’écho de l’humeur que je relève plus haut. Celui d’aujourd’hui – c’est aussi un parti-pris choisi dès le départ –, procède par touches, en gros des cartes postales scripturales, où surgit tout de même, de temps à autre, d’abruptes notations personnelles dont émerge alors l’adolescent pas tout à fait mort en moi, borderline, au bord de la vie, cette vie qui est, par moment, si jolie… Prologue[Au printemps, j’ai dit que je viendrais sans doute au Mexique pour la sortie de Skoda là-bas (Editorial Praxis). Puis – je ne sais plus pourquoi, un peu de stress peut-être pendant le premier semestre –, j’ai dit que je ne viendrai pas. Mais on m’a dit que j’étais déjà annoncé. Quand on m’a dit ça, j’étais reposé, j’ai dit okay je viens. Cette décision je l’ai prise le 8 août. Depuis, j’ai travaillé mon espagnol, à raison d’une leçon par jour dans ma méthode (livre + cédé), apprentissage quelquefois optimiste, quelquefois désespéré. Et puis, le 30 octobre au soir (heure locale) j’ai débarqué… (15/11/15)]. Mercredi 30.09 et jeudi 1.10, CuernavacaJ'espérais exercer un peu mon espagnol dans l'avion, mais jusqu'à Madrid mon voisin était vaudois. Puis ma voisine, mexicaine, m'a tout de suite averti qu'elle était sourde. Ce n'était pas vrai, mais c'était une bonne entrée en matière, confirmée dans la suite du vol. Trajet interminable, dormi seulement deux petites heures, mais aucun problème – question problèmes, cela continue-t-il à recommencer ? Je n'ai pas immédiatement identifié mon éditeur, parce qu'il m'attendait assis à même le sol, avec une amie, Asmara, tout ébaudie que je sache que c'est aussi la capitale de l'Érythrée, et qui donne à Carlos du « Maestro » – les explications de Carlos ne m'ont pas permis de comprendre si c'était du lard ou de l'humour. Nous avons mangé de fort bons tacos dans un bar sur la route puis, finalement, je suis parti avec Carlos pour Cuernavaca où, après 1h.30 de route, nous sommes arrivés à 1h.30, soit après 24 heures de voyage. Pourtant mon sommeil est très entrecoupé ; alors que dans l'avion j'avais fort peu pissé, me reprend, grave, la maladie du pipi - gorge sèche ! La maison de Carlos, qu'il n'habite que depuis un mois, est chouette, mais intégrée à un quartier-prison dorée avec barrières, gardiens, et contrôle d'armes de mon taxi à mon retour en fin d'après-midi. La vue, au delà des murs sertis de grillages barbelés ou tessons, donne sur un panneau publicitaire de quinze mètres sur dix pour « La Fonte de la Güera », dès lors je sais comment on dit « blonde », mais cela ne se dit pas pour une bière. Cet après-midi, apparemment fidèle à mes travers, je me lance dans la traditionnelle expédition, possiblement démesurée, du premier jour, mais que j'arrive à moduler ou modérer. Descente à pied jusqu'à Cuernavaca, avec achat de carte SIM et d'adaptateur. Se laisser imprégner des charmes du Mexique, qui se révèlent peu à peu, une fois ôtée la croûte qui, comme le gruyère, recouvre le Suisse qui veille en moi. Pour l'instant mon espagnol est déplorable, il n'y a que l'italien et le portugais qui sortent, mais je continue à espérer. Notes prises plus tard, ressorti de la piscine de mon ghetto, entourée de citronniers, orangers et papayes : La façade de l'église ainsi que le portique latéral baroque sont peints en rose vif et blanc, c'est beau et audacieux. Se dessine un art religieux moins pervers que dans les colonies portugaises, plus joyeux et spontané. Je parcours aussi une très belle exposition d'une Joy Laville, une anglaise mexicanisée. Vers 18 heures, je partage la comida (repas de midi) avec Carlos et ses ouvriers cuisineurs ; on me rassure, il n'y aura pas, plus tard, de cena (repas du soir). [N.b. les Mexicains n’out pas d’heure pour manger ; si au Brésil, le soir, même à Rio, tous les bistrots étaient fermés, au Mexique ce ne sont que les petits-déjeuners genre européens qui seront difficiles à trouver.]
Vendredi 2.10, México D.F.[México, qui s’orthographie ainsi, désigne aussi bien le pays que la ville ; pour la ville, on précise D.F. (Distrito Federal).] Au premier plan, cinq, sept, ou dix mille flics [demain quelqu'un qui aura lu le journal me dira trois mille], casqués, avec leurs boucliers translucides qui amplifient dix mille soleils couchants. Au fond, quelques fumigènes, qui explosent sporadiquement comme des feux d'artifice. En arrière scène, des manifestants, apparemment peu nombreux, qu'on entend, couverts par des chants, probablement révolutionnaires, magnifiquement amplifiés par une sono très au point. Une chorégraphie grandiose ! Pourtant, malgré les familles avec enfants, les amoureux qui se photographient sur fond de phalanges compactes et bleu marine, et les marchands de maïs ambulants, peu à peu la raison me dit de m'éloigner. Rien à faire, je me retrouve sans cesse à quelques mètres, voire moins, des boucliers des cohortes policières. C'est idiot, j'aurais dû prendre un programme à l'entrée de ce ballet-bouffe ; je n'y comprends rien ! Peut-être trouverai-je demain, dans le supplément du samedi d’un quotidien de Mexico, une critique du spectacle ? Remarque : Ces flics, j'ai pu les observer à loisir, quand, déjà en phalanges mais au repos, ils attendaient. Une chose me gêne : tous ont le même visage, surtout dans le bas du visage, une épaisseur de buveur de bière certes, mais comme ces vieux dont une succession d'attaques à figé les sourires. [Peut-être fût-ce un préjugé un peu rapide : beaucoup de mexicains mâles, même civiles ont tôt cette épaisseur.] P.S. Curieux miracle du réalisme magique, juste devant mon hôtel, la rue est soudain dégagée, les barricades d'acier gris, posées vers 16 heures 30, ont disparu, j'ai pu rentrer, je suis sauvé. Mais j'ignore comment s'est terminé le spectacle ; c'est comme si à l'entracte j'avais filé à l'anglaise ! Samedi 3.10, México, Plaza GaribaldiVers midi et demi, j'ai vu quinze femmes nues comme vers au soleil. Surprise ! au lieu d'avoir au dessous du nombril un ou plusieurs plis horizontaux, comme en ont souvent les Européennes, elles en ont surtout un qui domine, double, latéral, en rideau de théâtre, du nombril au mont de Vénus. Il faudra que je revoie, ici, mes notions d'anatomie, féminine. Ces femmes étaient encadrées de cent cinquante hommes nus, mais eux avec une feuille au format A4 comme cache-sexe, feuille A4 qui expliquait le pourquoi de l'intervention, et, dessous, de surcroit, un slip – curieuse disparité entre les genres ! Tous, pendant au moins une demi-heure, se sont trémoussés, au rythme boum-boum d’une musique entrainante, sous de grandes bannières plastifiées montrant des photos des hommes politiques corrompus. Tout le monde, eux, public, automobilistes, policiers absents et moi avions l'air ravi. INVENTAIRES : sous cette rubrique figurera les instantanés du choc de mes deux premiers jours à Mexico, le premier jour, ville en état de siège faussement déserte, le second croulant sous les touristes latinos. INVENTAIRE 1 : Vendredi, Mexico, à l'est du Zócalo. Une femme. Assise très bas, elle discute très plaisamment avec un homme debout. Elle est charmante, bien coiffé bien maquillée, pas plus grassouillette que les autres Mexicaines. Mais elle est assise si bas sur le sol que je me demande si, à l'instar d'un des acteurs du film culte Freak, elle n'est pas totalement dépourvue de fondement. Mine de rien, j'entreprends le tour de la planche à roulettes que semble lui avoir bricolé Lucky-Luke. Ce tour me rassure : elle a un fondement, même rebondi. Ainsi que le moignon inférieur d'une jambe. Et un bras, le droit, fonctionnel. Elle semble respirer le bonheur. Le bonheur serait il congénital ? Ou alors n'existe-t-il que dans le regard de l'autre ? [Heureusement plus rare chez les moins de vingt ans, beaucoup d’handicaps sont sans doute liées à des luxations congénitales de la hanche, très simples à traiter si on s’y prend à temps.] INVENTAIRE 3 : Ici beaucoup de voitures sont surdimensionnées. Nos plus gros 4x4 y auraient l'air de Fiat 500. J'ai aussi vu un petit coupé Chevrolet jaune presque de la taille d'un camion. Et une BMW et une Rolls idem. Il semble que les producteurs créent des modèles spéciaux rien que pour le Mexique, il faudra que je vérifie. [Après une brève recherche (ce n’est pas un domaine qui me passionne vraiment), apparemment pas ; faut croire que certains Mexicains aiment se procurer les plus gros véhicules que proposent les constructeurs internationaux.] INVENTAIRE 2 : Une boutique présente de standards barils bleus remplis à raz bord de crème fouetté. Les étiquettes qui les surmontent permettent de comprendre qu’il ne s’agit pas de crème fouettée : « tipo Nivea», « tipo natural » et ainsi de suite. INVENTAIRE 4 : Parmi les démarcheurs ambulants, il y les vendeurs d'électrocution. On met les deux index dans deux tubes et on se fait secouer. Cela ne sert absolument à rien, si ce n'est peut-être à montrer sa virilité quand la tension augmente. INVENTAIRE 5 : Dans la rue piétonne bondée, au dessus des gens déguisés en Batman, Aliens, Chicanos cuivres, femmes nues genre Avatar, robots Mickeys ou sorciers, avec qui on peut se photographier, perché sur une terrasse basse un jeune ténor chante. Son chant couvre le brouhaha de la foule, mais il est trop haut pour pouvoir collecter de possibles offrandes. INVENTAIRE 6 : Bémol. Dans la rue Moneda chère à mon cœur, déserte ou
pas, les ouvriers qui remettent une couche d'asphalte travaillent leurs outils
à main nue. Cela me fait mal, quand on sait combien le goudron est
cancérigène ! INVENTAIRE 7 : Prévert envoyait le joueur de barbarie tuer les musiciens. Moi, qui pourtant adore cet instrument, c'est le contraire que je voudrais faire. Des soldats et des soldates en uniforme beige – ce ne sont pourtant paraît-il pas des soldats de l'Armée du Salut, mais ceux d'un syndicat de mendiants –, ont de superbes limonaires en bois dont le son suraigu rend toute sieste impossible, même fenêtre fermée dans la chambre de mon excellent hôtel Rioja. INVENTAIRE 8 : Maintenant il fait nuit, la foule s’est dispersée, les passants épars semblent glisser sur les dalles polies dans un monde de silence souligné par la présence de deux gaillards qui, à un mètre vingt de distance, sont en train d'échanger dans la langue des signes. Le plus jeune tient une bouteille de Coca, ce qui complique les choses. Je ne connais rien de plus sereinement aérien que la langue des signes ! Le Langage des signes (bistrot à Oaxaca) Le langage des signes (mon hôtel à Querétaro) Une pub mexicaine Chevrolet (Youtube)
Dimanche 4.10.15, MéxicoÀ 2'400 mètres d'altitude, je suis en chemise de 10h à 19.30. [Content l’alcool isopropylique pour certains nettoyages urgents de mes lunettes, le petit vaporisateur s’est desserti et répandu, probablement à cause de la surpression interne liée aux différences d’altitude.] À Mexico, il a 22 millions d'habitants, plus un type aux yeux bleus. Impossible de se faire passer pour un Latino. Aux USA, on distingue désormais les Blancs, les Noirs et les Latinos. Allez chercher où se trouve le vrai racisme, le même qui, en Afrique du Sud, avait inventé les Coloreds !
Lundi 5. 10, Querétaro En s’éloignant du centre, en autobus de luxe, le pittoresque s'amenuise ; du moins si pittoresque égal beau. S’il signifie humain, ou monstrueux, alors non. Ces jours, débarquant dans un pays nouveau pour moi, je me demande si, en fait, tout n'est pas qu'idéologie, en tous cas si notre perception n'est pas qu'idéologie. Idéologie, préjugé, foi ou conviction, tous fils de l'idéologie, comme des lunettes de soleil qui en cacheraient chaque fois d'autres paires, pas forcement plus claires. Je vais creuser, même si je doute trouver une réponse. Hier, le vernissage de Skoda. Il y a des choses qui jouissent d'une réputation imméritée, tel l'Opéra de Manaus, tel le Palais de Las Bellas Artes, notre écrin. Miroirs monstrueux des mégalomanies coloniales ! Ici, le marbre du palais a directement été importé de Carrare ! La télé est venue nous chercher au bar, nous a interviewés dans le noir de l'accès au gradin ; très bien, de bonnes questions que Paulina me traduisait au besoin, puis elle transmettait mes réponses. Puis séance photos dans un petit salon [– que sont devenues ces photos, deux photographes ?] Puis montée des escaliers. Au pupitre central on m’a mis au centre. Une soixantaine de spectateurs. Deux mots de notre éditeur, puis deux autres de l'attaché culturel de l'ambassade (protocolaire), puis Paulina très bien, puis un très vieux poète uruguayen, qui a parlé à partir de quelques notes, longtemps et sans doute très bien, mais son âge me rendait son élocution très hermétique. D'après sa compagne, Skoda est le plus beau roman qu'il ait lu – depuis le début de l’année ? le début du millénaire ? la nuit de ses temps ? Mon propre discours, en castillan, a été interrompu plusieurs fois par des applaudissements – peut-être pour me couvrir et masquer aussi l'incompréhension ? Puis la séance de signatures. C'est la première fois qu'il a une queue à mon stand (ici, unique stand), et presque tous mes lecteurs, surtout les femmes, ont tenu à se faire photographier à mon bras – le reste passe, le bleu des yeux demeure ? Et, en prime, on me donne du « Maestro» ! Après, ça a été un peu moins biens, les deux bars où nous sommes allés sont les deux seuls endroits où j'ai pour l’instant mal mangé. L'Écrin : le
Palais de Las Bellas Arte Mardi 6.10, QuerétaroLes saints des églises d'ici sont tout aussi sanguinolents, tout aussi tourmentés que ceux du Brésil, mais ils gardent toujours une lueur bon enfant, un peu de sensualité heureuse, même quand ils sont à moitié la proie des flammes. Les Mexicains ont le culte du superflu. J'ai parcouru un magasin de tissus ; Nina aurait pu se faire cent mille robes de reine des glaces. Et sa mère, en souvenir d'une des apparitions qu'elle aimait faire, cent mille robes de courtisane. Sainte Rectificatif Courtisanes Mercredi 7.10, QuerétaroÇa y est, depuis hier j'ai la tourista, mais une tourista de la vessie. Je ne m'inquiète pas trop, j'ai déjà eu ça au Brésil, ça passera ! Hier soir tard, à une table d'un bistrot dans un des coins de la très sympathique place « Jardine Guerrero », Paulina et moi, à tour de rôle debout, avons travaillé les passages que ce soir nous lirons dans nos langues respectives, à nouveau au Musée des Beaux-arts, mais cette fois-ci celui de Querétaro. Jeudi 8.10, QuerétaroCette nuit, le veilleur de nuit m'a ouvert la porte, à moi ainsi qu'à un serpent, incognito à mes côtés. Ce matin, je me suis réveillé vivant, ce dont je n’étais pas tout à fait sûr : il y a des travaux pharaoniques dans mon hôtel et, depuis hier, le toit de ma chambre sert de dépôt provisoire au gravier et au ciment. J'ai repéré de petites fissures dans mon plafond. Y étaient-elles déjà avant ? Ceux d'entre nous qui connaîtront mon futur le sauront bien ! En fait la petite rue de mon hôtel est peut-être bien la plus jolie de Querétaro, avec ses maisons basses et carrées, leurs crépis dans toutes les nuances d'ocre de blanc et de rouge et ses petits bougainvillées grimpants. Rien à voir avec l'écrin, plus somptueux encore qu'à México, qui a accueilli notre lecture d'hier soir : un cloître monumental, que la nuit tombante, les cloches et l'électricité adoucirent. La photographe était si belle que je fixais ses yeux plutôt que le fond de l'objectif (« ce sont, Madame, vos yeux qui troublaient mon histoire »). Plus tard, c'est un ventilateur qui faisait tournicoter l'innombrable décoration du bar où nous avions abouti. Auparavant, deux cents cyclistes familiaux ont glissés dans la nuit de la ruelle que nous parcourions à pied. L'art est presque toujours plus beau dans la rue que dans les musées, la vie aussi ! Photographier (ce que je ne fais pas, sauf quelques « youfies») fait voir en carré. Écrire des notes de voyage, en rectangulaire, ou en différé, ou en anticipé. Et depuis internet, les notes de voyage ont quelques interlocuteurs presque immédiats, ce qui change toute la donne. Le Petit Prince dirait : l'important ne se voit qu'avec le cœur. Saints des églises : quand ils ont de vrais cheveux, là ils exagèrent tout de même un peu ! Dans mon église la plus kitch, outre ses saints et ses anges, sur un banc, endormi, un clown avec un énorme faux nez rouge et un caniche blanc à moitié dans un sac, tout droit sortis de « Sans famille» ou d'une session de Ciné-cure ? La turista vessie est passée, l'autre aussi. Ce qui est sûr c'est que le gars à la réception de l'hôtel ne comprend rien à mon espagnol, j'en suis réduit à passer à l'anglais et il conclut d'un welcome désespérant ! En outre, mon sens de l'orientation n'est plus ce qu'il était. On ne peut tout mettre sur le compte de la position du soleil, qui, sous les tropiques, suit d’autres règles. Quelquefois, dans mon cas, je me demande s’il ne vaudrait pas mieux devenir mou du gland que de l'être du cerveau ! L'autre jour Alain me maile : « Fantastique de trouver encore l'énergie d'écrire avec toutes ces activités !», il oublie qu'en huit jours, je n'ai travaillé que deux fois deux heures, plus deux de préparation et une pour projeter l'avenir. Et que, maintenant, c'est fini. En plus, j'ai récemment découvert qu'au lieu de m'enfermer dans la logique binaire et mystico-baba cool du être et de l'avoir, j'étais de troisième type, celui du faire, et ce qui en découle. À suivre. [0'08'] Le clown avec un énorme faux nez rouge de Ciné-cure [10'33''] Le film de Ciné-cure complet : "No More (X-morts)" (osilart / Youtube)
Vendredi 9.10, ZacatecasJ'ai 64 ans, mais aucune idée de comment se fabrique le linge éponge, avec son côté rêche et son côté doux. Toutes les hypothèses que j'ai échafaudées jusqu'ici ne tiennent pas debout ; à revoir complètement. [À suivi une série d’échange de courriels entre Monica et moi ; même à l’aide de Wikipédia, je ne suis toujours pas tout à fait au clair, il faut que je me saisisse de ma loupe !] Les riches sont trop cons. Les bus super luxe ([ETN], qu'on m'a recommandé) offrent – non, je veux dire imposent – des fauteuils club en moquette, sans soutien lombaire, où moi-même je suis top petit pour trouver un appui pour mes pieds. Je les ai abandonnés ! Cet après-midi, pour atteindre Zacatecas, mon bus était bondé, les fauteuils bien plus confortables. Et j'y ai enfin pu parler espagnol. Samedi 10.10, ZacatecasDès le vendredi soir, à 2'400 mètres d'altitude, sous son téléphérique, sous le brouillard et les pluies intermittentes, qui vont jusqu'à goutter dans un coin de ma chambre, Zacatecas n'est plus qu'une unique boîte de nuit, mais je n'en ai plus le goût ni l'énergie. Heureux, avec la sagesse du cowboy, d'avoir emporté mes caleçons longs et un maillot de laine ! Malgré la vie nocturne, avant 8 heures, une sorte de chemineau (orthographié ici à bon escient) passe dans les rues avec une sonnaille de lépreux, mais en tôle épaisse et bruyante, suivi à trente mètres par la benne des éboueurs. Autres heures, autre sonnerie, je ne comprends rien aux cloches mexicaines. Depuis je sais ! dans mon meilleur espagnol j'ai demandé : elles ne sonnent que le début et la fin des messes. Le facteur, lui, est équipé d'un sifflet. Du trône des mes ablutions matutinales, j'entends les quatre voisins de la chambre d'à côté, magnifiquement tondus (sauf la petite mèche qui permettra à la divinité de les saisir et de les recueillir), psalmodier Krishna. Je me suis cru à Londres, quarante-quatre ans plus tôt. Parmi les trois mille cinq cents masques du musée Coronel, il n'y en a que cinq représentant un visage féminin. Diable, pourquoi ? Au delà de mon ancienne réflexion sur la musique classique, on peut se demander si l'Art ne sert pas à nous protéger de la beauté du monde (comme les soupes Campbell's nous protègent de la nourriture). En espagnol, « dessiner » c'est quelque chose qui se dit comme « débourrer ». Il y a plein de mots qui sont les mêmes que les nôtres et d'autres pas du tout, allez savoir lesquels ! Il a aussi plein de « papelerías », des papeteries, mais elles n'ont qu'un seul modèle de stylo. Finalement j'ai trouvé un magasin de beaux-arts, je me suis acheté une plume feutre et un bloc, mais je doute fort que je les utiliserai. J'ai lu sur ma liseuse un bout de l'Usage du Monde de Nicolas Bouvier, je ne suis pas convaincu (ou peut être que, tout simplement, je n'aime pas les récits de voyage), mais les dessins m'ont épatés, or on parle beaucoup de Nicolas Bouvier et on ignore son dessinateur acolyte, Thierry Verney. Dimanche 11.10, Jerez et Central Nord des autobus de MexicoJerez est très petite ville à l'ouest de Zacatecas (57'000 hab.) Une rumeur dit que le Mexique est un monde macho. Pourtant c'est une femme qui sert la messe, tout au moins une voix de femme car on ne la situe pas, des haut-parleurs la diffusent. Peut-être depuis la sacristie. Il est aussi possible que ce soit des paroissiennes qui s'y relaient à tour de rôle. C'est le grand marché du dimanche, riche, varié, mais pas aussi pittoresque que ceux d'Afrique. J'y mange, un peu à l'aveugle, du jus de carottes, de la viande cuite enroulée dans des feuilles de maïs, de la peau de porc frite (comme des vagues, au mètre, de chips ou de ces apéros à grignoter) avec de la sauce tomate qui aurait dû être cuite ou réchauffée, on verra bien ce que diront mes intestins. Hier soir j'acheté du manioc au poulet cuit dans des feuilles de Dieu sait quoi [ce sont des « tamales »], c'était exquis. À côté du magasin de sombreros, sur une place et son soleil très mexicains, j'ai devisé avec un vieux de 81 ans. Il a évoqué le puits (chadouf, noria ?) qui, lors de son arrivée à 14 ans, à nos pieds, juste devant le couvent, alimentait les champs alors à l’entour. Tout ça je le crois, il se peut qu'il ait parlé de tout autre chose – dernièrement Gilles Favre a curieusement relevé que je n'étais jamais sûr de rien (sic). J'ai presque eu l'intuition de prendre mon sac jusqu'ici, au lieu de le laisser à la consigne de Zacatecas. C’est peu dommage car Jerez est une ville où l'on resterait volontiers vingt-quatre heures, les doigts de pied en éventail. Lundi 12.10, Terminal Autobus Central de Norte et Oaxaca (260'000 hab., à 1'100 m.)À l'heure qu'il est (5h.30 AM, Terminal Autobus Central de Norte), en transit de deux fois huit heures de trajet, entre le nord et le sud, j'ai étonnement très bien dormi dans le bus, et presqu'encore mieux sur les chaises métalliques de la gare routière de Mexico, malgré une voix métallique (celle de la serveuse de messe d'hier ?) qui énumère chaque heure, qui énumère chaque demi-heure. Avec le soleil d’hier, le paysage du retour depuis Zacatecas s'est révélé assez beau, désert tapis de vert et de cactus, par endroit comme, rongées de rhumatismes et dressées vers le ciel des mains, les doigts surmontés d'énormes verrues. Je suis tout à fait rassuré, les figuiers que j'avais imaginés dans la fin mexicaine de mes Deux Bons Bougres existent bel et bien ici, et même à foison, même si l'insipidité de leurs fruits, qu'on pèle devant vous au marché, se confirme. À mon goût, Zacatecas est bien trop branchée mode, occidentalisée. Jerez est bien mieux – il faut se méfier des guides, voire les vouer aux gémonies : mon Routard n'en parlait pas, le Lonely d'un couple de Français avec qui j'ai fait un bout de route si. Et vice-versa pour notre curieux hôtel. Ici à Oaxaca (qui se prononce Oaraca), il est 23h.25, il a un tout petit peu de vent, qui ne fait pas taire les grillons. On pourrait bientôt enfiler une toute petite laine. Cela change des caillées de Zacatecas ! Ici, les enfants, des Indiens, sont des modèles réduits, les poupons ont des airs de poupées. Et les deux toutes petites mendiantes batoillent comme des folles au lieu de jouer de leur accordéon. Mais, sur la place Zócalo d'ici, tout est plages alternées de silences et de musiques. Et soudain, imprécisable, une odeur de cordes ou de calfats, comme les bateaux de mes grands-pères. Mardi 13.10, OaxacaCe matin tôt, un peu plus haut que moi, j'ai croisé un colibri, il avait l'air un peu perdu dans la ville. Mais ni lui ni moi ne savons lire nos intentions respectives. Plus tard au marché couvert, dans sa guérite en fer forgé, j'ai repéré un écrivain public qui tapait des lettres à deux doigts sur sa machine à écrire mécanique (comme à Mexico j'avais vu une petite alignée de kiosques officines où des typographes offraient encore leurs services pour des faireparts fantaisie). Du bus en sortant de Mexico, j'ai aperçu un joli parc à fitness en plein air, coincé à un carrefour sous un échangeur d'autoroute. Sur ma droite du parcours d’hier, avec son toupet de fumée blanche, j'ai eu la surprise de découvrir une réplique du Vésuve. C’est un volcan très fameux, devenu imprévisible, interdit d'accès, et une nouvelle menace pour moi lors de mes prochains retours vers Mexico, mais j'ai oublié son nom (vous pas ?) [il s’agit du Popocatépetl, 5’4326 m !] Plus loin, dans des montagnes escarpées, le passage est devenu beau, avec cette fois une nuées de cactus à trois doigts, droits comme des « i », droits comme le serment des trois Suisses. Puis, heureuse fortune, le bus à quitté l'autoroute pour une route sinueuse et une gare routière improbable. Était-ce pour déposer un sac en plastique qu'une jeune fille a livré au chauffeur lors d'une halte subreptice – je laisse aux amateurs d'angoisses le soin d'imaginer. Entre les cactus, de vrais acacias nains, alors qu'ici en ville ils sont normaux, alors que ceux de Beira étaient superbement géants [et que ceux de la côte sud le deviendront presque]. Selon le standing, pas toujours facile à établir, les bus diffusent collectivement leurs films en vidéo, qui s'enchaînent alors sans discontinuer. Peut-être, malgré mes boules, m'insèrent-ils un espagnol automatique ? Sous générique nord-américain, ils me font découvrir un nouveau genre, peut-être né d'un malentendu, le car-movie. Pour réaliser un car-movie, il faut un bellâtre un peu ténébreux, une fille genre nunuche ou cagole (pour ne pas faire de l'ombre au bellâtre), éventuellement un colt ou deux. Installer le tout dans une voiture, mettre le tout dans un garage, hangar, ou n'importe quel lieux obscurcissable (car, par mesure de simplification, tout le film se déroulera de nuit), qui puisse faire office de studio. Engager un ou deux best-boys qui courront aléatoirement et latéralement avec différents éclairages de différentes tailles et couleurs, pour donner l'illusion du mouvement, et un troisième pour secouer la caméra. En une, deux, ou trois prises, selon le budget, tantôt sur elle, plus souvent sur lui, sinon sur les deux, le film est en boîte. Presque ! Au montage on incruste quelques arrière-plans rudimentaires en mouvement, pour les rares fois où l'on aperçoit l'extérieur des vitres, et quelques plans de coupes, urbains ou ruraux. Je ne peux préjuger du scénario, mes déficiences auditives ne faisant qu'exacerber mon sens critique. Et, cette nuit, de ces car-movies, j'ai eu la chance d'en voir deux ou trois. Un « Hercule », un peu plus sophistiqué, a détourné mon attention, juste quand le paysage et la route étaient les plus beaux. Es la vida ! Ah ! J'ai fini le trajet à pied, puis en taxis, à l'orée de la ville pour cause de manifestation survolée par un hélico précédant l'imminence des forces de police. [Ah ! Un truc dont je ne suis pas fier ! Un petit colon tintinesque, congolesque et prétentieux sommeillerait-il en moi ? Cela concerne le taxi, que j’ai pris pour finir la route. Comme le chauffeur ne conduisait pas assez prudemment à mon goût, j’ai voulu mettre ma ceinture de sécurité. Et lui, il a voulu m’aider, en délaissant sa conduite pour chercher le crochet de bouclement sous la masse de choses qu’il y avait entre lui et moi. Dans le reflexe que je dénonce, stupide, dangereux, et terriblement arrogant, je lui ai donné une petite claque sur la main ! Chose que je n’aurais jamais faite à un chauffeur de taxis de chez nous ! Pour excuses, je veux bien à la rigueur admettre que jamais un chauffeur de taxis de chez nous aurait conduit comme celui-ci !] Au Mexique, la fête, sporadique, surgit, éphémère, à tout moment. En dehors d'elle, les Mexicains me semblent aussi taciturnes, discrets et peu bavards que leurs homologues brésiliens. La sociabilité manifeste serait-elle l'apanage des Européens et des Africains ? Ou me manque-t-il une clé de lecture, clé de lecture labiale ? Les musées mexicains ont dû prendre des cours de paketaging à la Migros. Qu'ils soient modernes ou anciens, leur écrin surpasse tout leur contenu ; soleil et ombre ajoutant la touche finale (demain, le MACO local confirmera cela). Pourtant ce devait être tout autre chose quand dans les cours latérales de ce gigantesque couvent [Centro Cultural Santo Domingo] grouillaient de vie comme actuellement le marché couvert du « 20 Noviembre ». [Je rêve d’une ville où toutes les rues auraient, répartis aléatoirement, des noms de jours de l’année !] On voit qu'on s’approche de l'équateur, les feuilles mortes tombent violemment. Je repense au petit Olivier des années nonante-cinq à deux mille, celui qui dessinait partout et tout le temps. Apparemment, celui-ci n'existe plus. J'ai souvent dit que mes romans étaient des graines dont je pressentais le germe et que, leur heure venue, je laissais croître. Quelquefois je pressens d'autres graines, dessins ou peintures – minimales, sérigraphiques, xylographiques ? Une nouvelle page ? Mais je sais aussi – je repense à, et anticipe mon père – que s'appauvrit mon humus intérieur. Partout ici la couronne des chiottes à une forme de fer à cheval, ouverte sur le devant : solution hygiénique et rationnelle à l'imprévisibilité de notre viril attribut. En fait, ce sont tous les Indiens en général, majoritaires à Oaxaca, qui ont l'air de miniatures. À mes yeux asymétriques, les femmes sont plus belles que les hommes, et elles sont moins grasses que les femmes latinos (le Mexique revendique le record mondial du surpoids, mais, je ne pense pas celui de l'obésité). Et leurs vieilles sont touchantes et superbes, avec un éclat de sérénité. En Serbie, au festival de musique tzigane de Guča, j'étais amoureux fous des montagnes de ballon en mylar, je rêvais alors – je rêvais faute des moyens technologiques – de les immortaliser en des films immobiles. Ces montagnes de ballons existent aussi ici, j'ai la technologie, mais le rêve est passé [mais la nuit suivante, je les filmerai, à l’envi]. En outre ici, comme en Afrique du Sud, il y a les montagnes de barbes à papa pré-emballées sous atmosphère limitée, chose qui me semble la négation absolue de la barbe à papa, et peut-être même du principe de vie – négation menée ici à son comble par la vendeuse ambulante qui portait en prime un masque respiratoire en non-wowen accroché aux oreilles. À une échoppe du marché où j'ai soupé, j'ai un peu parlé avec une Chilienne et un étudiant en cinéma de México DF. Je suis content parce que cette fois le « molo», la sauce au chocolat sur mon poulet, ne contenait pas de cannelle. Ensuite je suis allé à la Casa del Mezcal essayer le Mezcal (alcool d'agave), mais un type m'en a offert un deuxième, que j'ai finalement bu pour ne pas l'offenser, mais en m'en fuyant pour ne pas devoir en boire un troisième, etc. Ce soir, j'étais parti avec mon appareil de photo (le vrai), mais je crois qu'il va en aller de la photographie comme du croquis, mais pour de plus honorables motifs. Et puis papa... mais ça, c’est un autre sujet ! La musique de même bistrot du Zócalo que hier est beaucoup moins bien que la veille. Typographe au Centre historique de Mexico Mercredi 14.10 Patio de la bibliothèque public d’Oaxaca.« Un deportista y su bigote» ne signifie pas : un déporté et ses bigotes, mais : un sportif et ses moustaches. Certaines des très jeunes indiennes qui font la manche, avec leur bébé dans le dos, repassent souvent à la table où je bois ma bière alors qu'elles savent que je ne leur donnerai rien. Entre moi et moi, je me permets de penser que le bleu de mes yeux y est pour quelque chose. Ouverture sur un rêve échu, exotique, peut-être mutuel ? À part ça, quelle folie de plonger si tôt dans l'âge adulte ! L'amour est enfant de bohème, et souvent un peu rude peut-être ? le plus souvent pour les femmes ! Hier soir, vers 10 heures, j'ai revu une des deux gamines et son accordéon. Elle jouotait et chantonnait. J'ai mis dix pesos dans son gobelet en plastique vert. Elle ne sait pas compter, j'ai dû plusieurs fois lui rappeler combien j'avais mis. Quand je l'ai photographiée (j’avais mon vrai appareil), elle a protesté, oui ou non, aussi quand j'ai arrêté, aussi quand je l'ai enregistrée. Je ne sais pas quel âge elle a, moins de dix ans en tous cas. Au Mexique on croise beaucoup d'églises (mon premier chauffeur de taxi se signait puis embrassait ses doigts devant chacune d'elles, j'avais un peu peur), pas mal d'enfants, beaucoup d'amoureux, mais très peu de sexe – un paysage à l'ancienne ? Sur le retour, par la vaste avenue piétonnière qui passe devant le centre culturel, 22 heures 30, un marché artisanal que je crois qu'on démonte alors qu'en réalité il s'installe. Et plus tôt, vers 18 heures, j’ai assisté à un long défilé carnavalesque. [0’29’’] La gamine accordéoniste [1’41’’] Un autre accordéoniste et son fils, en passant [1’06’’] Le défilé carnavalesque Jeudi 15.10, OaxacaAphorisme italo-suisse : Le matin a l'or en bouche, et la tête dans le cul. C'est décidé, avant d'aller à Tehuantepec et m'approcher ainsi du Pacifique, je reste un jour de plus, Oaxaca n'a pas fini de me révéler ses charmes. Dans le vestibule donnant sur le patio de la bibliothèque public où j'étais allé travailler (eh oui ! j'ai bien dit travailler) un petit groupe faisait lecture à haute voix. À l'heure de fermeture, je les ai rattrapés, je me suis présenté et je leur ai offert un exemplaire de Skoda, que j'ai dédicacé au Grupo de Lectores Ambulantes, ce qu'affichait en fait leur t-shirt. J'étais tout content. [Pour l’instant je n’ai pas eu de feedback, bien que je leur aie laissé mon adresse email.] Dieu que les religions seraient belles s'il n'y avait pas la foi ! Ici, ce soir, à la grand messe de 18 heures, une fanfare encadrait ou accompagnait le chant du peuple des fidèles. Histoire de changer un peu, j'ai mangé dans un bistrot italien, un peu tristounet, mais leurs pâtes étaient délicieuses. Sinon, à Oaxaca en tous cas, on mange mieux aux échoppes du marché du 20 Noviembre que dans les bistrots branchés. Que les riches sont donc à plaindre (au risque de leur déplaire) ! Au marché, j'ai goûté, juste goûté, à des sauterelles grillées et des vers ou des chenilles séchées, je ne suis pas encore convaincu. J'ai bu dans de demi-mini-calebasses une boisson à base d'eau, de maïs, de chocolat clair flottant à la surface et de sucre dilué, c'est pas mal du tout. Ils ont un fromage qui ressemble terriblement à de la mozzarella mais je ne sais pas comment l'essayer. Ce matin je suis allé, au delà du petit périphérique, au « mercado de abastos», que j'imaginais être le marché de l'abattage ou des abats, mais qui signifie plus probablement celui du ravitaillement. Il est bien plus foisonnant, diversifié et dépaysant, immense. Les gens n’aiment heureusement pas encore trop qu'on les photographie. Je me suis souvenu de combien m'avait bouleversé ma première expérience des marchés : les rues marchandes de Jérusalem, alors en zone arabe, c'était en 1971. Saint Éloi n’est pas tout à fait mort, mon amour des marchés et de leurs occupants demeure ! En rentrant à mon hôtel, j'ai vu un gamin qui discutait avec un pigeon mort pour savoir s’il était mort ou pas. Ailleurs dans le monde, j'ai souvent vu des xylophones en métal, ici ils ont des vibraphones en bois. Demain, je vais bouger. Vendredi 16.10, TehuantepecCe matin, mon repas de midi pris très tôt pour cause de bus (vrai pain, l’étrange mais fort bonne mozzarella, du manioc au chocolat salé bouilli dans d'immenses feuilles de palme pliées en douze, et jus de carottes (un mot impossible en espagnol, qui commence par « z » [« zanahoria », et « tomate » se dit entre autres « jitomata »])), j'en ai passé un bout à une mendiante plus très jeune que j'ai déjà croisée plusieurs fois et dont la ressemblance avec ma nièce Zoé me trouble. J'étais content, j'avais acheté trop et cela me gênait de jeter, mais je lui ai peut-être trop donné, je suis resté sur ma faim, jusqu'à dix heures plus tard. La route, une vraie route pas une autoroute, sinueuse, et qui monte et qui descend, qui traverse des villages et des paysages, devait être belle, manquait juste le soleil qui ne s’est pointé qu’à mon arrivée à Tehuantepec, moins de trois cents longs kilomètres plus bas. Tehuantepec – c'est pas joli à dire, mais c'est comme ça qu'on dit –, c'est vraiment le trou du cul du monde et je crois bien que j'en suis ravi. Enfin une vraie petite ville mexicaine (45'000 habitants), pas du tout protégée par l'Unesco, et qui n'a rien à montrer, tout à voir. Je me réjouis de m'en imprégner, cela me sera utile aussi (cf. jour suivant). Le patron de l'unique restaurant de la ville (tout à coup mon espagnol semble faire des progrès) me l'a confirmé, nous sommes au niveau de la mer, il m'a appris, nous ne sommes qu'à quinze kilomètres de l'océan Pacifique, pour moi imminence d'un baptême. Et enfin on transpire pour de vrai ! En annexe peut-être, ma première fanfare de Tehuantepec, mon micro est trop sélectif, il faut multiplier par dix, cela couvre tout. [0'34''] La fanfare de Tehuantepec, entre merles et étourneaux Samedi 17.10, TehuantepecJe démarre souvent l'écriture de nouveaux romans. Certains aboutissent, quelquefois de nombreuses années plus tard. Je viens d'en commencer un, quelques essais de débuts, et surtout une petite case qui frétille dans ma tête, une graine qui germera peut-être. Il aurait pour cadre le Mexique et pourrait, pour l'instant, s’intituler « El Continental» (la marque de pneumatiques). Pour lui, je pense avoir besoin d'un triporteur motorisé, mais existent-ils ? Là était ma question. Joie ! sur la route d'hier, mais uniquement dans une localité peu après Puebla, j'en ai aperçu plein, décapotables, ravissants [apparemment un antique « Vespa 400 », peut-être construit sous une appellation « RE »]. Et ceux d'ici, ici à Tehuantepec, avec leur pont arrière, leur tonnelle toilée et leur moteur deux temps pétaradant à la diable, ont plus l'air de pittoresques triporteurs que des taxis dont ils font office. Et ici, comme partout ailleurs au Mexique, ont aussi survécu, au diable, les portefaix. À propos de têtes, des têtes il y en a plein de petites échoppes mobiles entourées de quelques tables, éclairées d'une ampoule. Hier soir en rentrant, derrière un de leur bout de vitre, j'en ai découvert une, une de ces têtes, presque entièrement décharnée, monstrueuse, toutes dents en avant, dents nues et si longues si interminables que j'ai pensé à une tête de cheval, mais je me suis aussitôt informé, il s'agit de têtes de vache, toutes les échoppes en exposent, elles constituent le gros du menu, même si elles ont l'air de se décomposer au jour le jour en attendant qu'il ne leur reste plus que le blanc des os. En mangerai-je ? j'hésite. À quelques mètres de là, hélas trop amplifié, un vieux avec guitare chante magnifiquement ; beaucoup des gens du coin, de tous âges, sont là, au lieu d'être devant leur télé, apparemment pas encore omniprésente. Depuis quelques jours il m'en vient à me demander, une fois la condition féminine débloquée, si le Mexique ne devrait pas en rester là, ne pas foncer dans le développement frénétique des sociétés à l'occidentale. Est-ce possible ? De même, la violence, narco gangs et polices, si elle existe (on me l'a confirmé par un épisode que l'on m'a narré), ne serait-elle pas un exutoire, presque nécessaire, à un monde extrêmement paisible et courtois ? Au centre de la placette de toutes les villes du Mexique il y a un kiosque, un kiosque à musique, toujours sur un socle aménagé, pour l'instant celui d’ici sert de dortoir aux chiens. Actuellement, si je devais caractériser le Mexique, je dirais : c'est la musique. Elle surgit partout, intermittente, toujours en live, sentimentale, un peu triste, comme la plupart des vrais folklores – cette tristesse, est-ce la même bienheureuse malédiction qui frappe la production des écrivains ? Ici (comme dans tous les sud des pays de l'hémisphère Nord ?), la vie étant plus sauvage, je veux dire moins endiguée, je me sens un peu plus inquiet, j'ai tout de même toujours un petit peu peur de tomber sur quelque chose du genre tête de vache faisandée. J'arrive à un carrefour, je prends à droite, au suivant le chemin de gauche parce que plus joli, le suivant aussi par habitude, le prochain parce que j'ai soudain l'impression que c'est vraiment là que je dois aller, celui d'après complètement au hasard parce que je me sens perdu ou parce que cela m'est égal, alors que celui d'après c'est parce que vient de voir passer une fée. J'ai soixante-quatre ans ; disons que depuis soixante-quatre ans je croise quatre carrefours par jour, deux consciemment, deux inconsciemment (passer sous une échelle, éviter une voiture qui m'aurait conduit à l'hosto etc.), cela fait du genre dix routes différentes, multipliées pas les dix routes du jour suivant, soit dix à la puissance du nombre de jours que j'ai vécus jusqu'à maintenant pour que je me retrouve, moi, Olivier, assis sur le banc de la placette de Tehuantepec. Tout autre itinéraire aurait toujours autant donné un Olivier (pour autant que cet autre itinéraire lui ait gardé vie), mais un Olivier différent. J'en ai le vertige, je me sens Snoopy sur le toit de sa niche ! Et bonne nouvelle, outre les triporteurs, il y a des vautours, j'en vois qui volent la haut. Pour mon futur roman, un fait donc avéré ! Autour d'une bière et de quelques gouttes de pluie, je viens de terminer la lecture complète de Skoda en espagnol. C'est émouvant, c'est un peu comme de lire un nouveau roman. Il y a quelques bulles, je pense qu'il y en a dans toute traduction, probablement dans des phrases où la traduction justement semble couler de source. Malheur aux traducteurs dont les auteurs en langue originale peuvent parcourir leur travail ! Heureux l'Indonésien qui vient de traduire mon poème ! Après la conférencière commémorative, dans le vent étouffant son micro, à côté d'un écran gonflable – comme ceux que fait circuler mon beau-fils naturel – pour ses transparents Power Point, la fanfare philharmonique (un mot que, à se fier aux dictionnaires, n'a presque jamais de sens) de ce soir était, à mon goût, la moins bonne de toute celles que j'ai croisées ; c'est normal, je l'ai appris en cours de concert, c'est celle de la police de l'Etat. Même au Mexique, tous les miracles n'existent pas ! Triporteur RE-Vespa 400 Vespa 400 (?) Nuitamment en indonésien Dimanche 18.10, Salina CruzDepuis avant-hier, il fait plutôt gris, il est même tombé de-ci de-là quelques gouttes. Pour se diriger dans une ville, il vaut mieux s'être téléchargé le plan de la bonne ville, surtout que toutes les villes du Mexique célèbrent le 5 mai – pourquoi le 5 du mois de mai ? je l'ignore. Et partout, leur place principale s'appelle Zócalo, ce qui veut dire le socle, celui de leur kiosque à musique central sans doute. Heureusement le doute étant justement dans ma nature profonde, inclus le doute de moi-même, j'ai assez rapidement entrevu mon erreur. Auprès d'un passant, chose insolite, je me suis même assuré que j'étais bien à Salina Cruz. N'empêche, je suis hors guide, je trouve ça tout à coup fort agréable. Et les hôtels que je dégotte ne sont pas plus mal! Rares sont les villes littorales qui ont publiquement intégré leurs rivages. En outre les ports modernes sont barricadés, inaccessibles. Néanmoins, conseillé par un passant et mené par un taxi, je suis arrivé à l'océan Pacifique, je m'y suis même mouillé les orteils et j’y ai fait pipi. Et demain, ailleurs, je ferai plus ! Je viens d'apprendre ce que nous Suisses avons voté. J'hésite à rentrer ! Ah ! j'oubliais, c'est vrai, au Mexique la mort est partout, encore plus à l'approche du 2 novembre, jour de la Fête des morts. La mort est partout, même en mannequin grotesque à la devanture de nombreuses pâtisseries pour attirer le chaland. Le plus joli que j'ai vu, ce sont de tout petits squelettes dont la tête est en chocolat, et qui se vendent comme des sucettes Chupa Chups. Une des explications serait que la mort, que les morts plutôt sont les seuls qui ne peuvent plus rien nous faire, rien nous faire de mal – il faudra néanmoins que je m'informe si les fantômes existent aussi ici. Impossible de travailler, il est 18 heures 30, ces espèces d'étourneaux sont de retour ! En Suisse, surtout quand j'étais chauffeur de taxi, les Espagnols m'énervaient souvent tellement ils parlaient mal français. Les Mexicains, c'est dans leur compréhension qu'ils exagèrent. Déjà mon « cerveza », qui veut dire bière et que je travaille depuis vingt jours, elle ne le comprend pas. Enfin elle m'énumère ses bières et termine par : – Modelo, Negra ? Je confirme en répétant – répéter ça je sais faire, même avec l'accent : — Si, Modelo, negra. Elle : — Cómo ? La dame doit être au moins aussi sourde que moi ! Et sans doute guère plus aimable ! Les maisons mexicaine ont généralement un étage, rarement deux. Pour les construire on dresse des fers à béton afin de couler, en coffrage, les piliers entre lesquels on élève des murs en parpaings de ciments. On utilise des fers plus longs que le nombre d'étages prévu, au cas, rare, où on élèverait d'autres étages par la suite. Les fers demeurent alors, comme des antennes tendues vers les extraterrestres. J'ai mangé, et surtout bu, des trucs très improbables, ou dans des lieux encore plus improbables, voire sans eau, comme ce matin dans un restaurant en belvédère sur l'océan. Or pour l'instant tout passe, mon transit est même meilleur qu'en Helvétie. Touchons du bois (mais, dans mon immédiat autour de moi, tout n'est que ciment métal ou plastique) ! Ah ! une bonne nouvelle pour moi, mon cerveau n'est pas tout à fait mort ! Certaines cases en tous cas. Et d'autres cases se restaurent peu à peu. Cool ! Nb : Quand j'écris beaucoup c'est qu'il n'y a pas grand chose à faire, à faire d'autre. Lundi 19.10 Playa Cangrejo (plage du crabe),Mon hôte et son hôtel portent le nom du pseudonyme de celui-là : El Chayen. Un pélican est venu m'accueillir à mon arrivée sur la plage. Dans les années 80 déjà, les Russes ont caressé le projet fou de faire voler des avions à un mètre cinquante de la surface de l'eau afin de profiter au maximum de la double portance aile - eau [chiffres à vérifier]. Ici les pélicans le font aussi. Quelques coups d'aile, puis ils surfent à vingt centimètres de la crête des vagues. À ma grande surprise, ils pêchent en piqué. Mais de moins haut que les fous de Bassan, car ce sont des oiseaux lourds. Quelquefois, ils se plantent ! Le bec dans le fond sablonneux ! C'est du moins ma crainte tant ils plongent près de la plage. En fait, ils vont peu profond ; je les soupçonne de pêcher à l'épuisette, comme Simon cette été à Lavina – à l'épervier, ce serait un comble pour un pélican ! Les poissons sont bizarres, alors qu’ils ont toute latitude de se déplacer à leur gré dans la troisième dimension, pourquoi viennent-ils folâtrer à la surface de l’eau, où les oiseaux, rapaces, les baisent ? Ah ! cela me revient, ils viennent au couchant, se payer une lampée d'insectes. Le monde est rude, mais il est bien foutu ! Et inexorable ! Ceux qui se font le plus baiser, ce sont les poissons volants, mais je n'en ai pas vus par ici. Le sable est un brouillon éphémère. J'y lis ou je crois y lire – ma connaissance de la langue des signes est encore précaire – des empruntes d'échassiers, le long sillon lascif d'un serpent, des trous de vers, des trous de tortues ? je ne sais encore. Je suis le seul touriste. J'ai une case en dur, avec un toit de palmes. Au choix, grand lit ou hamac, ou les deux, on verra cette nuit. La plage est relativement large et déserte. Alors que je me baigne, trois grosses au galop sur deux juments accompagnées de leurs poulains passent à vingt centimètres de mes lunettes et de mon mobile. Pour preuve : le brouillon de sable, relu juste après coup. Il y a une différence entre le poisson pourri de la Migros et celui péché la veille : le mien est exquis. Pourtant il a un très léger goût de moisi qui m'intrigue. Le patron m'éclaire, celui-ci est un poisson d'eau douce, il vient des marais qui sont derrière nous. Autour de nous il y a toute une gradation d'oiseaux, entre merles et corneilles [certains ressemblent à des mainates (ces merles des Indes qui parlent)], un oiseau jaune cadmium, et une sorte de faisans bleus à couronne qui, si on ne les surveille pas, viennent gober les œufs des poules domestiques alentour. Le soleil se fait attendre, le hamac me prend dans ses filets. C'est curieux, en vacances, encore plus en voyage, mon corps fonctionne comme un bon vieux véhicule, certes un peu plus poussif, mais parfaitement huilé et fiable, sans soucis de contrôles, de vignette, d'expertise, pour autant que je respecte les règles élémentaires de tout bon conducteur, faire régulièrement le plein, évitez l'échauffement et recharger les batteries. Et, contrairement au Brésil, j’attends toujours le bon arrêt pour descendre des bus ! Mardi 20.10, Playa CangrejoLa condition de la femme, c'est pas toujours bien gai ! Après avoir grimpé une plage en pente, creusé un trou, pondu ses œufs, il faut regagner l'océan, avec tout son poids, et des nageoires qui ne sont pas vraiment faites pour pagayer dans le sable. Pauvre tortue ! Tout ça quelquefois pour se faire voler ses œufs – mais le saura-t-elle jamais ? – par des pilleurs de nids, nous en avons croisés cette nuit, ils nous on montré leur rapine, cents œufs qui ont la taille et l'apparence de yeux humains exorbités, mais qui sont gris et mou, illégaux et, paraît-il, pas très bons. À peine partis, à 22 heures, mon hôte, son fils, un de leurs amis et moi, pieds nus – même si ce n'est pas très prudent mais la marée est un tamis magnifiquement purificateur. À peine mon hôte avait-il recommandé d'éteindre nos lampes de poches, le voilà qui, léché par la pointe d'une vague, pousse un cri : il vent de marcher sur un serpent, un joli serpent noir et jaune. Outre celui-ci et les pauvres tortues pondeuses, dans la nuit complète, nous avons encore croisé plus de monde que ce que je croyais que le hameau abritait, et quelques cavaliers – une rumeur a circulé, tout au bout de la plage, il y aurait des putes (est-ce là que nous allons ?) – ainsi qu'un superbe crabe presque translucide qui dansait en ballerine, les pinces gracieusement élevées au-dessus de sa tête, dans le faisceau de ma lampe frontale. Deux heures et demie de balade (les courbes isométriques sinueuses, ici comme à Gênes, et les lumières, sont trompeuses). Avant de partir pour cette balade maritime et nocturne, nous avions devisé gaiement, mon hôte et moi. Le récit de mon intervention aux Beaux-arts de Mexico, discours qui pour lui est devenu conférence, l'a beaucoup fait rire, mais c'est tout de même la preuve que mon espagnol, ici et maintenant, progresse méchamment. À nouveau, il m'en arrive à craindre qu'une divinité bienveillante veille sur mes pas, ce qui heurte ma sensibilité républicaine et mes sentiments profondément anti-huguenots. Après une grosse heure de pérégrination à sillonner entre forêt et vagues de marée haute (si on ne trouve pas une des justes lignes où le sable résiste à nos pas, on se condamne à une épuisante marche bzjeurdesque), je suis arrivé à un village de pêcheurs (Playa Chipehua) et à un bistrot échoppe. Je voulais de l'eau, mais, de frais, la serveuse n'avait que du Fanta. En le buvant j'ai pressenti que me tombait ainsi du ciel l'apport en sucre nécessaire à rejoindre, sans crise de manque, le sommet rocheux qui domine la dune – je veux dire les dunes, puisque de l'autre côté elles sont plusieurs et leurs courbes plus douces, leur sable plus purs. Même si j'avais beau lui répéter que je n'aimais pas les chiens, une chienne m'a suivi jusqu'à mon retour au village de pêcheur. Peut-être était-ce encore un coup de la divinité, un coup en cas de pépins – il n'y pas de réseau vers la dune. Mais si la divinité donne elle aussi dans la dérive sécuritaire, ça dépasse vraiment les bornes ! Les pêcheurs d'ici ont une façon incroyablement laborieuse de remonter leurs lourdes barques en plastique sur la plage. Après s’être lancés à toute allure le plus loin possible sur le sable, ils la font pivoter à la crabe, une fois appuyée sur la proue, une fois sur la poupe et ainsi de suite. Pour cela, il leur faut au moins être six – voire sept, car je leur ai donné un symbolique coup de main. Il doit bien y avoir d'autres méthodes ? Ni leurs embarcations ni eux n'ont la munificence des pêcheurs mozambicains – jamais les rêveries de mes glandes n'oublieront le pêcheur de crevettes de Maputo ! Mais ici, les crabes diaphanes valsent sur le sable, leur progéniture se fait crabes volants, et les serpents noir et jaune tracent des lignes frontières, que chapeautent le vol des frégates et des vautours baudelairiens qui viennent glaner autour des filets [– les vautours sont baudelairiens sans le savoir, car cousins des maladroits albatros, à terre ils sont très moches, de vilains dindons, mais sublimes en vol]. La chienne a disparu à notre arrivée au village. Elle est réapparue dès que j'ai remis le pied sur le sable et m'a raccompagné jusqu'à la terrasse de sable d’El Chayen. Je me suis dit : une fois de plus et je vais me mettre à l'aimer. Mais non ! Après ma sieste je voulais me baigner et aller voir les oiseaux de la lagune douce, chose incompatible avec une chienne. Conseillé, je lui ai donné quelques coups et crié contre. Depuis elle se tient à distance, une couple de mètres, mais elle est toujours là. Dans les lagunes d'eau douce il y aurai de quoi donner un vertige de nomenclature aux Kohler : genre de foulque, genre d'avocettes, variété de hérons, cormorans, ibis, spatules [avéré] ou espèces de cigognes avoisinantes, etc. etc. etc., plus poissons et insectes. Un paradis pour les oiseaux ! Mais [– hommage à Stag –] qu'est-ce que c'est ce paradis de merde, où les plus gros mangent les plus petits, et ainsi de suite ! Ce matin j'ai enfin vu un pélican attraper un poisson pour de bon et, au repos sur l'eau, l'engloutir. Un instant alors, j'ai aperçu sa poche. Comme celles de mon petit sac à dos d'accompagnement, elle est rétractile. Le soleil, qui s'est fait voir, et les pélicans se payent ma gueule, il fait même très gris et il bruine. Ça et la chienne donne un petit coup à ma merveilleuse humeur. Le temps de demain matin risque d'orienter mes projets. Hier soir une procession de femmes et de fillettes, venues à pied du village – à quatre kilomètres à l’intérieur des terres –, sont passées dire des rosaires et mettre la Vierge Marie en pension pour vingt-quatre heures dans la chambre cuisine de mon hôtesse. Aujourd’hui elles sont de retour pour la récupérer (cette fois en voiture), ça me berce. Et la cérémonie du jour est brève. La chienne est encore là. Je déteste qu'on m'aime, et je déteste encore plus donner des coups ! Je déteste par dessus tout qu'on m'aime parce que je donne des coups, ou qu'on m'aime malgré que je donne des coups. La chienne veille devant ma porte, demain j'irai la noyer ! Mercredi 21.10 Puerto EscondidoCe matin tôt j'ai entrouvert ma porte, la chienne avait disparu. Dépité, Jacques Brel aurait dit : tu peux rentrer les armes ! Depuis, je me méfie même des poules qui picorent autour de ma case et du gros crapaud qui baguenaude par là. Plus jamais une telle relation ! Le patron, la patronne et moi avons déjeuné presque en famille. Ils ne lisent pas où très peu, mais d'avoir un écrivain chez eux cela les a beaucoup intéressés ; alors je leur ai offert un exemplaire de Skoda (exemplaire de Skoda le plus méridional) que j'ai aussi dédicacé à la charmante jeune serveuse de la plage de la dune, qui lisait des romans d'amour mais dont je ne sais ni le nom ni l'échoppe (¿peró quizás quizás quizás ?). Cette bonne nuit, en partie seulement sur le hamac (il faut réapprendre) m'a éclairci les idées et suggéré ma destination. Taxi, bus, bus et taxi (sur cent mètres) et me voilà à l'hôtel El Toucan, très joli, luxe, confort, et pas cher. Puerto Escondido, on dirait Knokke-le-Zout en hiver. L’Almoraduz de mon guide – c'est le nom d'une plante mais j'ignore laquelle [thym ou marjolaine] – a déménagé, c'est devenu un resto tout à fait gastronomique. J'y ai mangé pour environ exactement trente cinq francs. J'ai pas fait beaucoup de resto gastro, mais celui-ci est sans doute le meilleur, il plairait à Lucia et Julien. Pour bien manger, manger attentivement, il faut être seul (une chose de plus, vieux misanthrope !), pour bien observer ses voisins aussi ; pour bien observer la vie aussi (observer, pas participer à). À leur réveil, les juifs orthodoxes mâles disent une prière, ils remercient Dieu de ne pas les avoir fait naître femme. Je les comprends presque. Quelquefois quelle humiliation d'être femme, ici à Puerto Escondido [(la femme de la table d’à côté : rien de mal autre que de lui tapoter la main, comme on calme les feuilles d’une plante ornementale pourtant)] et ailleurs, là où vous êtes, encore trop souvent ! Lyriques : Voyager, c'est un peu une dérive douce et lente, porté par le souffle ténu d'un saxophone imaginaire, quelques notes d'un standard de jazz, un vieil air de blues oublié, dans le silence de la nuit, sous la plage concentrique des réverbères. Jeudi 22.10 Puerto EscondidoZut, je suis enfermé dans l'hôtel, il paraît que c'est juste pour dix minutes (un instant : les Mexicains ont un diminutif qui contient le mot heure ["horita", une petite heure mais qui désigne déjà un instant : à tout de suite !]). Si jamais l'hôtel brûle, je serai fait à la grille, celle de la porte, comme l'excellent poisson que je mangerai un peu plus tard. Et maintenant, je fais le plus que parfait touriste, presque une première dans ma vie, les doigts de pied en éventail sur une chaise longue matelassée, avec palmier et drink. Ceci après m'être fait rudoyer par les vagues : je n'avais pas vu le drapeau rouge et le rabatteur m'a simplement dit d'être prudent. Je suis son seul client, nous pouvons deviser. [Juste au-dessus des parasols, il y a de grosses noix de coco dans leur épaisse drupe verte – direct du producteur au consommateur de diverses boissons à base de coco]. Je crois que j'ai le nez pour dégoter les bons coins pour manger ! Un peu en dehors, un peu plus haut, un peu déglingué, rudimentaire, avec vue sur l’océan et avec l’excellent poisson dont je parle plus haut. La serveuse de l’endroit me demande si je suis argentin – faut croire que je progresse ! Quand je réponds : – Suiza. Elle s’écrie, mais dans sa langue bien sûr : – Ah ! Ce pays où on n'aime pas les immigrants ? Bingo ! Dans tout le pays, les urinoirs des lieux publics s'appellent HELVEX : c’est un hommage à notre hygiène, pas à notre générosité ! Fait, pour retour demain à México D.F., mon billet d'avion. À l'ancienne, dans une agence à l'ancienne. Je me demande vraiment comment fonctionne les cartes de crédit, à la confiance – ici par téléphone ? J'ai vu, dans un vague terrain vague, un superbe iguane noir et pataud. Et ce soir mangé une exquise pizza. Les mexicains excellent dans la sauce tomate. Vendredi 23.10 Puerto Escondido et Aéroport, MéxicoDepuis quelques temps je crois avoir compris pourquoi la confiture se conserve : ce n'est pas grâce au sucre, le sucre est un nutriment, c'est à cause de sa très faible teneur en eau. En fait, il en va très probablement de même pour le beurre, et encore plus pour l'huile. Les mexicains sont rarement obèses, mais très vite en surpoids. Les femmes dès leur première grossesse (qui apparemment survient tôt, mais n'allez pas penser que je m'associe aux préjugés colonialistes relayés par Wikipédia et contre lesquels j'ai ouvert une question sur leur site (je vous passerai le lien à l'occasion). Les hommes, eux, commencent à prendre du poids dès la fin de la puberté. L'aéroport à des airs d'aéroports mozambicain, il en devient joli, avec sa taille, ses grandes baies vitrées, sa verdure, et l'océan comme tout proche horizon. Les frottis hygiéniques qu'on a fait aux quatre coins de mon sac, c'était pour détecter d'éventuelles traces d'explosifs [chaque aéroport, chaque central des bus à sa méthode et ses particularités dans les contrôles de sécurité, mais, si je devais passer un très petit révolver, ou un petit cutter, je le mettrai dans mon slip – passe ou passe pas ?] Au dernier moment j'ai pensé à mon couteau suisse, mais pas à mon couteau-fourchette-cuillère pliable. À Dieu va ! Je l’ai abandonné sans même m’enquérir de savoir si le même schmilblick qu'au Brésil existe ici. Quelque « lecteurice » trouve que je ne parle pas assez de mon premier contact avec le Pacifique. Donc, comme je m'y attendais un peu, ce n'est qu'une très vaste étendue d'eau de plus, comme l'océan Indien, comme quelquefois l'Atlantique. Sur terre, la beauté des océans est dans l’autour, seul le rythme des vagues et leur façon de s'enrouler diffèrent un peu. La Playa Zicatela est un des cinq sites de surf les plus réputés au monde. Encore faut-il que les conditions soient favorables. Je suis allé voir peu après l'aube. Le vent était contraire, les embruns d'argent étincelant. Au delà des très belles images universellement connues, je me suis dit que le surf devait être un sport épuisant et ingrat, et ses orgasmes très brefs (le texte intuitif de mon clavier, lui, l'orgasme, il ne connaît pas). J'ai trouvé un article qui confirme ce que j'avais cru comprendre : les exemplaires de Skoda ont été mis sous scellés, comme les autres livres édités par Praxis. Le journal me nomme comme signataire d'un appel à la solidarité culturelle. Carlos a parlé du bâtiment qui se lézarde, une couleuvre dure à avaler, surtout pour lui ! [Depuis j’ai demandé des éclaircissements à Carlos, je n’ai pas très bien compris, mais c’est le propriétaire qui séquestre et Carlos qui en appelle à la justice.] Retour à México, quartier des Insurgentes. Enfin, recommandé par le Routard un hôtel détestable ! même pas moche, cher, vieillot et guindé, antipathique, le personnel au diapason, que j'adore détester, les rues alentour à l'unisson ! Un quartier à redécouvrir demain dimanche matin frais reposé ! Tous les autres hôtels étaient pleins ! Mais je maîtrise ! Je n'ai pas fait mon héron, qui se rejoue la fable et se retrouve le bec dans l'eau, celui-là il semble que je l'aie définitivement laissé au Brésil. J'ai dit stop à temps, je me suis jeté dans le premier bar venu, gastro, je me suis calé quelque chose, j'ai fait participer les garçons à ma recherche d'hôtels et j'ai repris. De même, une fois la chambre acquise, je suis retourné manger deux tacos et, faute de lieu acceptable pour m'envoyer une bière, je suis passé à l'Oxxo du coin et je me fais présentement bar à moi tout seul, dans ma méchante chambre. Et demain, qu'on se le dise, sera un autre jour ! Sinon le trajet a été trop facile, et le métro un régal. À chaque station, des camelots entre dans les voitures et nous font le boniment. Aveugles avec micro qui se présentent et chantent, ou avec musique sur ampli ventral rythmée au son de leur sébile. Autre, voyants, même ampli, concurrence toute déloyale à l'égard d’une faible femme qui n'a que sa voix pour faire l'article de ses colifichets. La prime à un qui, de sa vraie voix de stentor, nous fait tout un boniment pour rien qu’un paquet de cinq chiclettes. Samedi 24.10 MexicoMes « lecteurices » s'inquiètent pour l'ouragan, je n'apprends pourtant son existence que par elles. Ah ! aussi, à l'instant, par une animation météo muette, sur un écran télé dans mon dos. L'ouragan me tourne autour mais donne l'impression de m'éviter, sur la mer, sur la terre comme(s) aux cieux. À se demander si la divinité bienveillante (cf. réflexion du 20.10) veut à tout pris me convaincre de son existence. Pourtant cet ouragan, cet Olivier, il a le sentiment qu'il le regre-e-ett.e (G. Brassens) ! Cette fois c'est de 0 mètres à 2’400 que je suis passé. Sans problèmes, sauf peut être les escaliers, le temps d'augmenter mon compte globules blancs. Il se peut que le cheval sente vaguement l'écurie, le temps est gris sur México D.F. Halluciné de voir les jeunes taper leur texto avec deux pouces plutôt qu'un index, je m'y essaie. Ça, en plus du texte intuitif que cette fois j'ai toujours employé, sans savoir si c'est une perte de temps ou un gain (le mien ne connaît pas le trait d'union et il merde avec les virgules) ! Il faut vivre avec son temps ! [Le faut-il vraiment ?] Au sortir de l'hôtel, une odeur, un eucalyptus, puis à nouveau de calfat, puis d'autres, subtiles, puis soudain une agression olfactive, une boutique LUSH et ses immondes savons ; et juste après, un café Stardust (si au moins ça s'appelait comme ça !). Dans sa salopette d'Oncle Sam, le diable est partout ! Sul Paseo de la Reforma, peut-être en attente d'une manifestation, posées sur de petits chariots à roulettes, au moins deux cent cinquante sculptures en papier mâché, aux couleurs éclatantes et aux thèmes fantastiques et bon enfants. Au Musée d'art moderne, une belle exposition de Lee Miller, une photographe amie de Man Ray. Puis un écureuil, ou un chinchilla ? un écureuil. Les hôtels sont tous pleins, mais j'en ai trouvé un autre, avec l’intention de rejoindre demain le populeux centre historique. Le tourisme dans les quartiers grande ville des grandes villes n'est pas fait pour moi. Et même le tourisme ? Aphorisme en formation : La sculpture est un art mineur, il y a très peu de grands artistes dans les arts mineurs, ils en sont encore plus valeureux. Citez-moi le nom d’au moins cinq sculpteurs. Je suis d'humeur un peu maussade. Et puis, on a l'âge de ses artères, il convient de faire la moyenne de ses différents organes. À la table d'à côté, leur repas fini je crois, un père et une mère jouent sur leur mobile. La fillette avec une poupée gonflable, au moins en vrai plastique ! Ce matin, après avoir un peu fait le héron, j'ai mangé pour trois francs six sous dans un petit boui-boui local, très sympa et touchant, le menu avec soupe. Et maintenant, c'est dans un italien prétentieux, mais le soir j'ai besoin de vraie table et d'intérieur. Et quelquefois je me plante. À l'instant, un peu de baume sur mon cœur fripé du soir. Sortie d'une église toute illuminée, tout le monde sur son trente et un, voire trente-deux, sauf moi. La mariée, toute fraîche, redescend la nef, en crinoline d'un rose soutenu, avec la majesté d'une starlette, précédée par photographe et vidéo. Mais pas de trace de marié. La mariée et une dizaine de demoiselles d'honneur embarquent dans un Hummer blanc de douze mètres de long. Je m'approche du vieux photographe et lui demande s'il s'agit bien d'un mariage. Non, c'est pour les quinze ans de la demoiselle. – Et cela se passe toujours comme ça ? Le vieux photographe sarcastique pointe le Hummer : – Ainsi ? non, pas toujours. Ensuite, entre moi et moi : – Le prélat a-t-il célébré une dernière fois la fragile hostie ? Si je savais voyager, j'aurais invité le vieux photographe, qui avait fini son travail, à boire un verre, il n'aurait raconté sa vie ; mais je ne suis pas Marius, je suis Olivier. Dimanche 25.10, MéxicoPour des raisons qui m'échappent, faut dire que l’éphéméride de la zone intertropicale suit des courbes très différentes, on a reculé d'une heure cette nuit. Plus tard il me viendra à penser que c'est sans doute pour simplifier le décalage avec certains pays, lesquels ? Cette nuit, j'avais repéré une vraie boulangerie. Au moment où je lui tends mon petit pain au chocolat, la boulangère se lèche consciencieusement l'intérieur de la dernière phalange de chacun de ses deux pouces. Je sens ma mère tressauter dans sa tombe – moi aussi, un tout petit peu. La boulangère perçoit le regard subliminal de ma mère et me propose un papier que ses pouces évitent. Dans l'hygiène, beaucoup est dans l'apparence. Je n'ai jamais eu autant d'habits propres que pendant ce voyage (grâce aux buanderies), mais ma casquette ? Bon, les U.V sont bactéricides, dehors ma casquette en a eu son content, mais dedans ? (Cf. l'article culte pour moi sur l'empreinte bactériologique domestique (sv no1169)). C'est dimanche, el Paseo de la Reforma est fermé aux autos et réservé aux cyclistes. Le quartier prend du charme. Le « jugo verde» (pamplemousse, ananas, céleri, cactus désépiné, et un fruit vert inconnu) fait devant moi, passe cette fois vraiment trop trop bien, tant pis. J'avais repéré une petite place tranquille, je m'y installe à califourchon sur un banc et sors calepin et stylo pour travailler au développement de mon possible roman. Un type s’installe sur le banc adjacent et, sans tenir compte de mon travail, entame la conversation, puis me demande s’il peut rejoindre mon banc. Nous devisons en espagnol pendant deux heures. Il dit avoir 27 ans, il en a trente [ses yeux ne sont pas bleus, explique-t-il, ce sont des verres de contacts teintés en gris]. Les cartes d'identité mexicaines [dont celle que, qui sait pourquoi, il m’a tendue,] sont apparemment folles : elles donnent l'âge, et non la date de naissance. Merari a fait la fête toute la nuit, son ami dort la tête dans la cuvette des chiottes. Il espère que nous nous reverrons, mais il a perdu son mobile. Par moment, comme ici, mon espagnol est excellent, j'invente même des proverbes : mieux vaut la plume dans la main que la tête dans le cul. 18 heures 45, nouvel horaire, donc nuit. Une des deux voies de « Reforma» est fermée à la circulation, et privée d'éclairage. Y déambule une foule dense. Pourtant, pour la plupart, ce ne sont pas des vivants mais des morts-vivants. Au moins un sur trois est maquillé de blanc, orbites noires, mâchoires souriantes. Femmes, enfants, vieilles, certaines en chaise roulantes, d'autres sur d'immenses échasses, et même des mariées, vraies ou fausses. Tous se laissent photographier à loisir, les lampes des flashs les révélant soudain. Tout à coup, outre quelques gouttes de pluies, nouvelles transparences miroitantes, les boucliers de la police devant, et leurs feux et leurs sirènes derrière, pour, à sept heures pile, rétablir, bon enfant, la circulation. « Papa Guapa», « Jolie Patate», un concept, fin des années cinquante, une parfaite réussite – même si la cinquantième n'est toujours pas ma dizaine préférée. Au fond, le clou absolu du bistro, un écran plat devant lequel ils ont placé, percé d'un bel ovale, un carton ondulé soigné avec la reproduction d'un téléviseur de cette époque. Ils y passent des séries B d'alors (parmi lesquelles j'ai reconnu Barbarella (1968, Jane Fonda, la mémoire me revient, un film de Vadim)), en muet, alors que les haut-parleurs diffusent les tubes adaptés à ces temps anciens. Tout dans le bistrot est au diapason, même certains clients. Chapeau ! En prime, avec l'addition, ils offrent ce que j'ai d'abord pris pour des préservatifs, mais qui sont en fait du sucre coloré, parfumé, salé et pimenté. [À mon retour, ils font florès auprès de mes petits enfants ; c’est certainement très mal sain, mais c’est sous la houlette de leurs parents (Dragonzitos).] Lundi 26.10 México, Insurgentes y CoyoacánLisez attentivement cette phrase de mon cru, observez les apparentes redondances : « Antes de comer la papa de papá el bebé bebe à la mama de mamá ». Cela veut probablement dire : « Avant de manger la patate de papa, le bébé boit au sein de maman ». Il est temps que j'aille petit-déjeuner ! Lundi, la ville reprend un autre rythme. Si d'habitude je suis assez d'accord de haïr les dimanches, j'ai adoré celui d'hier ici, et les Mexicains de México avec. Bondé, le métro c'est un peu moins chouette, le recul manque, la compacité fige vaguement la vie. Les cadres branchés se distinguent par leur trois pièces impeccables et leur casque haut de gamme. L'un d'eux lisait sur son mobile un essai en anglais autour de Kierkegaard. Pendant mon périple j'aurais vu toute la panoplie, dans toute des tranches d'âge, des bellâtres mexicains, tout droit sortis de l'iconographie cinématographique [ou de l'hagiographie des dictatures], avec souvent une sophistication incroyable – sophistication apparemment moindre chez les femmes, à l'extérieur tout au moins. Coyoacán a bien l'apparence d'une petite ville perdue dans la métropole, le temps froid humide, presque brouillardeux, en voile le charme immédiat. Une question me turlupine depuis quelques mois déjà. Entre systèmes mafieux et société humaine et solidaire n'y aurait-il pas, non corrélation, mais concordance – peut-être féodalité plutôt que système maffieux ? Notre société perfectionniste légaliste et sectorisée perd les valeurs et les attitudes que je repère et que je regroupe ici. Clair ? Vrai ou faux ? Si j'avais une scie musicale, je massacrerais tuerais tous les joueurs d'orgue de barbarie aigrelet d'ici ! En fait Coyoacán, c'est très joli. Dans tous les quartiers historiques, il y a des bibliothèques publiques en forme de patios et de jardins où il fait bon écrire, mais c'est un peu loin de mon QG de México. Lors des cinq à six mois où j'ai habité Londres (1970-71), pour occuper mes deux fois trois quarts d'heure de métro, au début j'ai d’abord passé mon temps à dévorer les gens, puis l'Express de a à z, puis à retenir mon souffle d'une station à l'autre, d'abord entre les plus proches. Je ne me souviens plus si à la fin j'arrivais à faire touts les intervalles – c'est une dame croisée dans la rue qui vient de m'y faire repenser. Aphorisme : C'est dans les petits chœurs que se trouvent les plus belles églises. Dans le malheur, tout est bon. Panne du métro suivant annoncée. Je sors, je ne sais pas où je suis, je sais que je dois manger, parce que j'ai un peu héronné jusqu'ici. À la sortie du métro, il y a un superbe banc de nourritures, mais bondé. Je héronne encore un peu, hèle quelques taxis, reviens au banc, une place s'est libérée. Du doigt je me commande un piment farci et deux omelettes vertes, c'est parfait. Les sauces sont juste sous mon nez, les cuillères d'à côté s'y croisent, les assiettes ne sont pas lavées, qu'essuyées – mais servies sous tacos et papier –, je verrai bientôt si ça a passé ou pas. À 36 heures de mon départ, je viens de boire mon premier « pulque », bière d'agave. Quand mon éditeur m'a proposé de s'arrêter dans une « pulquería », déformé par mon latin, je croyais qu'il voulait qu'on s'arrête dans un jardin d'enfants ; à dix heures du soir je trouvais cela un peu bizarre – c'est d'autant plus idiot que le « pulcher » latin ne signifie pas enfant mais beau. Un dictionnaire en ligne vient de clarifier, par le second terme, l'alternative de mes doutes. Mardi 27.10 Teotihuacan y MéxicoPlus haut que México, plus haut que terre, je suis au sommet de la très haute pyramide, celle de soleil, bien antérieure aux Aztèques. Aujourd'hui, enfin, le parfait touriste, déjà réveillé flippé, alors que je ne l'ai jamais été jusqu'ici : à creuser! Au retour, dans le métro, bien assise, elle, alors que je suis debout, une jeune femme très bien en chair, se maquille, surtout les yeux, impassible, imperturbable, insensible aux trépidations du wagon ; en dehors de son art et de son minuscule miroir rond coupée du monde, indifférente à mon mobile qui la photographie et à l'homme au sourire amusé qui prend des notes dans un tout petit carnet. Les deux figurent dans mon album électronique. Mais l'important ne se voit qu'avec les yeux. Et avec le souvenir qui reste, ou meurt. Le souvenir. Je suis retourné – mais le peut-on ? – sur mes pas, je suis à nouveau au centre historique. Mais ce n'est pas la même lumière, le même jour, la même heure, la même fraîcheur, c'est différent, et le vieux cheval sent un peu sa litière. Redéfilent, fragmentaire, le kaléidoscope des souvenirs et des expériences que ce vieux cheval a vécu. À vécu depuis 1951, voire un peu avant, voire très – mémoires mitochondriales de l'ovule et de la coiffe du spermatozoïde qui m'ont de concert conçu ? Je sors à l'instant d'une exposition de photos commémorative des trente ans du tremblement de terre. D'être ici, rend soudain un tremblement de terre, même ancien, beaucoup plus proche. Comme en écho, de fantastiques coups de tonnerre très secs, et du vent, et de la pluie fine (une veste bien trimballée finit par servir). À quelques gouttes près, les vendeurs de pèlerines et de parapluies ouverts sont là. Une femme sort du métro avec le parapluie multicolore qu'elle vient d'acquérir, déjà elle a le bras levé, de sa main libre elle retire le plastique transparent qui le protège : zut ! elle s'est trompée, c’est un plumeau qu’elle vient d’acheter (+/-) ! Et, clou du spectacle, qui vient boucler la boucle de mon premier jour à México, défile une nouvelle manifestation, ses parapluies s’agglutinent peu à peu contre les haut-parleurs qui recrachent en saturations et postillons de pluie la harangue du leader syndical. Inévitables, les pèlerines francisées (pour les moins de vingt ans, qui ne peuvent pas tout connaître, c'est ainsi que dans le temps on désignait les policiers parisiens), à la file indienne et au pas de course, se pointent. Juste avant, j'ai parcouru une assez belle galerie, genre Passage Saint-François mais sur deux étages, qui ne vend, à part dans deux échoppes de tisanes ensorcelées, que de l'art sacré et la pacotille qui l'accompagne, on y trouve même un Wojtyła (Jean Paul II) plus grand que nature. J'ai mollement regardé si je trouvais quelque chose qui pouvait enrichir la collection des dieux lares qui chapeautent les portes de mon domicile lausannois. Parce que je sais que ce soir il y a musique, je retourne à La Hija de los Apaches (La Fille des Appaches), la « pulquería » d'hier. J'y entre à 21h.40. Bain turc de sueurs, salsas endiablées sur tout les rythmes, bondé, on danse bien, les filles mieux que les mecs. La patronne me reconnaît, on se frappe les paumes à l’africaine. 21h.45 tout s'arrête, les musiciens plient leurs instruments, les garçons replacent les chaises pour demain, les danseurs s'épongent. La fête mexicaine est un feu de joie, les Mexicains seraient-ils éjaculateurs précoces ? Des chassés croisés ne m'ont pas permis de le vérifier. En sortant je m'informe au près du gorille blanc : la musique a commencé à 6 heures. – Et après 10 heures qu'est ce qu'ils font, ils vont se coucher ? – Ils vont se coucher. Un mois de plus et je parle couramment espagnol ! Moi et le sort avons transformé une journée qui s'annonçait mal en réussite ! Mercredi 28.10 MéxicoDans les salles de bain des pays latins, le miroir flattent leur observateur. Dans les pays protestants, ils soulignent les défauts : cela évite les mauvaises rencontres dans l'ascenseur. Le cœur d’Insurgentes, c'est un immense rond-point, presque autoroutier, assassin pour le touriste qui débarque. Mais on découvre qu’il est percé et en son centre, en contrebas mais à niveau des trottoirs, il donne sur un immense espace d'échange, circulaire, aéré, à ciel ouvert, et relativement isolé du bruit. Les urbains urbanistes d'ici savent y faire ! Mon chemin longe un parc multicolore très fréquenté. Plus tard, sur un banc, dans ce même rond-point, trois malabares m'abordent, cuir piercing et dégaine de videur. Ce sont des musico, ils ont besoin d'une nouvelle guitare. Est-ce aujourd'hui qu'on va me faire ma fête ? Je refuse tout de même. Ils vont plus loin. N’empêche, à voir ce qu'ils récoltent, tout est bien dans l'allure ! Et je suis toujours au Mexique, soit trop tôt pour déjà faire le bilan ! La photographie moderne : tout en connaissant parfaitement mon ambivalence envers cet outil de capture, j'ai changé de méthode, je n'utilise presque que mon téléphone, ce qui permet des instantanés insolites ; par insolite je veux dire ce que capte mon regard curieux. Je me réjouis de voir ce que ça donnera en grand, tout n'est sans doute pas mauvais. Mais l'important ne se voit qu'avec... avec quoi, au fond ? Les meilleures frites du… des mondes que j'ai parcourus, sont en Afrique du Sud, et peut-être même au Boulingrin de Johannesburg. Quand on est riche – au Mexique tout Suisse est riche –, on peut, c'est vrai, aller partout, dans les bouges comme dans les palaces, les marchés de ravitaillement comme dans les boutiques de luxe, mais pour cela il faut une certaine force de caractère, que je crois avoir. Quoi qu'il en soit, de temps à autres, j'aime à me reposer dans le calme propret des espaces à l'occidentale [à regarder en arrière dans le temps, somme toute, je l’ai fait assez souvent : méfions-nous du prosateur, la réalité dépasse souvent ses propos !] J'en ai un petit frisson d'inquiétude introspective, en me demandant si je ne fais pas ainsi un tout petit peu mienne la remarque de Henri, notre skipper, à une étape de notre retour d'Irlande, en remarquant le côté guindé des clients aux tables environnantes du bistrot où nous étions sur le point de manger des fruits de mer : – Ça fait du bien de se retrouver entre gens de notre monde ! Cela m'excluait peut-être un peu, moi ou son gendarme de fils, jusqu'à maintenant j'en étais rassuré ! Comme Christophe, au terme de la dernière étape de notre périple sicilien en vélo, qui se retrouvait tout requinqué de respirer le parfum aurifère des lits aux cuivres anodisés. De retour au pays, il faudra, sur ma lancée, que je me documente sur le
PIB mexicain [15ème] / par hab : 66ème]], son Smig
(3000 pesos, 210 francs, je crois pour l'instant), son taux de chômage [4.75
%] [IDH : 71ème] et la métallurgie de ses sociétés précolombiennes.
[Au Mexique la métallurgie n’est arrivée qu’après l’an 800 PCN., soit plutôt
postérieure aux sites et contenus des musées que j’ai visités ; ceci
éclaire mes étonnements, n’étaient exposés presque que des objets en terre].
Pendant mon périple, j'ai vu des gens, même très jeunes, faire de très
longues journées de travail, moi qui n'ai jamais connu ça plus d'une semaine,
une ou deux fois dans ma vie – moi qui n'ai jamais participé en
criant ou pleurant au concours de plus gros travailleur, concours auquel se
livraient intelligemment papa et Viviane. J'ai toujours un train ď à côté. À un pâté à côté des rues que je fréquente, je ne découvre les rues chaudes que deux heures avant mon départ. Les Mexicains sont en avance sur nous, il semble qu'ils aient des prises qui englobent en même temps le 110 V (le 220 d'ici) et l'USB ; on ne trouve pas l'équivalent en Suisse. Il pleut, je passe récupérer mon bagage à l'hôtel et je file à l'aéroport. Je suis dans l'avion. Petits stress et panne dans le métro, ce n'était pas la meilleure heure, celle du le prolétariat pendulaire rentrant chez lui, mais cela m'a évité de poireauter ensuite. Si je veux des complications et des aventures, il va falloir me dépêcher !
20 heures 08, rentré ! [Mais, et peut-être pour la deuxième fois, si on compte mon arrivée à Cointrin au retour d’Afrique du Sud, moi qui ne me suis jamais planté au Mexique, à Genève je me plante devant le faux tapis roulant. Quand enfin je rejoins le bon, mais déserté, je vois passer un chariot avec mon sac à dos, bleu pétant. Je l’arrête et me sers. Cette distraction, un signe, signe de nostalgie d’être rentré, ou retour aux charentaises de ma sénilité mise entre parenthèses pendant quatre semaines ?] [Retour sur mon sac à dos bleu pétant (ou rouge pétant, si je tire sa housse anti-pluie) : dix kilo exactement, avec six plaques de chocolats dont deux sont bêtement revenues, oubliées, jusqu’ici. Sinon, presque rien en trop, tout utilisé, et je rentre presque plus propre et plus parfumé, un parfum trop tenace, qu’au départ, grâce aux buanderies locales.] Vendredi 30.10, Lausanne(dernier page du journal émise depuis mon téléphone portable) Le jetlag ouest-est, pour l'instant, connais pas ; couché à onze heure, réveillé à sept, sans problèmes apparents. Je sors du vernissage ď'une copine, légèrement moins contemporaine que moi. À part un jeune homme encore presque ado qui m'accueille, – il me connaît, lui de l'ombre, moi comme slameur et moi, lui de cette ombre que sa silhouette irradie –, le reste des visiteurs est encore moins contemporain que l'artiste et moi, certains mourants, d'autres morts. Est-ce de ne plus en avoir bu depuis un mois ? moi, quelquefois laconique, deux ou trois petits verres de blanc suffisent ce soir à me rendre volubile, truculent, grivois, même peut-être indélicat – mais l'oreille sensible aux tragédies humaines –, placeur. Et presque convaincu qu'il me faudra une fois parler de gris, la couleur, et de pâte, le substrat qui abrite la couleur, avec deux artistes qui mûrissent parallèlement à moi. Je reste très ancienne école. Et lent, incertain. Ce blog il me faudra, dans les jours à venir, lui ajouter une conclusion. À suivre donc encore. Dimanche 1.11 Lausanne, premières conclusionsFanfaronnade ! Pas de jetlag ? Tu parles ! Samedi matin je me réveille à 1 heure pour ne me rendormir qu’à 6 heures. Ce matin, dérogeant à mon sacro-saint principe de ne jamais me lever avant 7 heures, je suis debout à 5, et au travail à 6h30. [Et cet après-midi, ma sieste de dix minutes dure trois heures, je ne sais plus où je suis, quel jour, quelle heure.] Aparté sur l’avion (rien ne ressemble plus à un avion qu’un autre avion, un aéroport international qu’un autre aéroport international, l’avion m’ennuie terriblement !) : Pour sortir de l’avion à Madrid jeudi, j’ai traversé la première ou Business Class et plaint encore une fois ces pauvres riches ! leur niche-couchette en forme de esse aux parois paravents plastifiées ressemble à un isoloir, à un scanner, à une urne funéraire, dans la merveilleuse solitude des champs de contons ! Violences ? Comme à mon retour du Brésil, hier déjà je suis frappé par le bruit, le rythme, le stress et quelque chose qui ressemble à de l’agressivité dans nos rues lausannoises. Mais ce matin s’est dimanche, la ville est déserte. Pourtant, soudain, une explosion. Je passe le coin de la rue du Lion d’Or. Deux mecs à dix mètres l’un de l’autre s’insultent, celui qui est le plus près de moi rengaine quelque chose dans sa poche. Un peu plus loin, une des rares passantes me demande, inquiète, ce que c’était. Je réponds par ce qui me semble évident : un coup de feu. Au Mexique, à part les quatre secondes face aux loubards l’autre jour, à part mon premier jour à Mexico avec ses trois milles policiers, ses palissades et ses manifestants épars – mais ne s’agissait-il pas d’une chorégraphie ? –, aucune trace de violence en vingt-huit jours de périple, aucun sentiment de menace, aucune crainte de vols pickpockets ou escroqueries. Qui dicte l’histoire, qui l’écrit, qui l’interprète, et qui la raconte ? Il y a trois ans, au Brésil, à postériori je crois que j’étais parti de mauvaise humeur (effet retard du décès, programmé et presque festif, de ma tante Miquette ?). J’avais très bien supporté la traversée en cargo, mais moins la suite. Cette fois je suis parti de bonne humeur, et je le suis resté – est-ce la sérénité qui montre le bout de son nez ? Les rares moments où je sentais poindre un peu de découragement, je suis parti papillonner dans l’écriture romanesque. Je ne me suis jamais paumé, je ne suis jamais descendu trop tôt des bus, des trains ou des avions. Je ne suis jamais allé au bout de mes forces, jamais trop loin dans des périples insensés, je maîtrise, mon temps, mon âme et mon corps, un corps qui suit fort bien. Je crois que je serais bientôt apte à voyager tout seul comme un grand – mais bientôt trop grand, trop vieux. En outre il semble que 28 jours est un laps de temps qui me convient bien. Et puis… Quand j'étais petit, papa me demandait ce que je faisais dans la
vie et je lui répondais : je m'ennuie ! Il déclarait alors :
C'est parce tu manques de vie intérieur ! Dès dix ans, j'ai changé, je
ne me suis plus jamais ennuyé, l'angoisse me tenant lieu de moteur – ceci
jusqu’à quarante ans, quand la mort de l’angoisse s’est mise à m’angoisser.
Je sais que si je suis un mauvais amant, c'est parce que j'ai trop de vie
intérieure. Pour la même raison sans doute, je suis aussi un mauvais voyageur
– enfin, c’est tout relatif ! Je commence à comprendre qu’en fait, je
suis un peu à coté de la vie, sans doute depuis toujours – des choses qu’on a
essayé de me faire comprendre en son temps, mais que je n’avais pas
comprises. Maintenant que je le sais, je peux l’accepter. C’est une position
comme une autre, tout à fait acceptable, peut-être même pas plus
inconfortable qu’une autre. Une position qui me permet d’observerez la vie
sous un autre angle, peut-être de pouvoir bien la raconter. Ici sous forme
d’un récit factuel, qui approche une réalité circonscrite. Plus souvent par
des fictions qui font la vie plus belle, plus intense que la vie, pour moi
dans l’action d’écrire, pour mes indénombrables lecteurs dans celle de lire. Bis: Avec le recul et l’absence de recul, il me semble que mon blog d’Afrique
du Sud (2008) était socio-centré, dans la description insérée d’un monde
d’une rudesse incroyable. Que mon blog du Brésil (2012-2013) était, comme me
l’a suggéré un lecteur, égocentré, l’écho de l’humeur que je relève plus
haut. Celui d’aujourd’hui – c’est aussi un parti-pris choisi dès le départ –,
procède par touches, en gros des cartes postales scripturales, où surgit tout
de même, de temps à autre, d’abruptes notations personnelles dont émerge
alors l’adolescent pas tout à fait mort en moi, borderline, au bord de la
vie, cette vie qui est, par moment, si jolie…
Tout est affaire de décor Mes pâtes de hier soir m’ont flanqué la tourista ! (Sillig)
AnnexesMexique, données géopolitiques Mon discours au Palais de Las Bellas Artes Mexique, sélection de photographies "artistiques" (album) |
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