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Un jeune homme reprend conscience. Autour de lui gisent ses camarades d'infortune. L'histoire se passe de nos jours, dans un pays qui n'est pas nommé. À quelques mètres, une
voiture, une Skoda - elle aussi victime du raid aérien. À l'intérieur, un bébé
respire encore. Après quelques hésitations, l'homme prend l'enfant dans ses
bras et part sur la route. Notre monde et sa violence. Mais aussi, le lien qui
se crée entre un jeune homme et un enfant. La beauté de la vie contre
l'absurdité de la mort. |
[...] À peine plus loin, il y a une voiture. Elle est arrêtée. Une
portière est ouverte. Peut-être ses occupants savent-ils ? Stjepan se lève. Il
n'a mal nulle part, pas même à la tête. Il regarde encore une fois ses
camarades. Dragan, Milivoj, Ivan sont morts, tout à fait morts. Aussi Ljubo,
cela se voit maintenant, même s'il semble sourire encore. Stjepan ne veut pas
rester ici. Un instant, il songe qu'il devrait les enterrer. Les éléments lui
dictent la réponse, le paysage, le sol dur. On ne creuse pas la terre avec une
kalachnikov. Des gens, ou l'armée, ou les milices passeront et s'en occuperont.
Sinon ce sera les oiseaux. Pas les cigales, les cigales ne mangent pas la chair
humaine. Stjepan ignore ce qu'elles mangent. Les cigales, on les entend tout le
temps mais c'est rare qu'on les croise. On les côtoie sans les connaître, comme
beaucoup de gens ou de groupes de gens, même proches. Stjepan descend sur la route de terre battue. Il se dirige
vers la voiture. Ses occupants pourront peut-être lui raconter. La portière arrière, du côté des accotements, est ouverte.
Des jambes de femme en dépassent. Elles sont nues. Ces jambes de femmes nues et
blanches mettent tout à coup Stjepan en colère ; à cause de Dragan, Milivoj,
Ivan et Ljubo morts. Il a envie de demander un peu de décence. Mais il se
penche et passe la tête à l’intérieur. C'est une jeune femme. Elle est morte,
elle aussi. Elle aussi, comme Dragan, Milivoj, Ivan et Ljubo. Elle était en
train de nourrir son bébé. Stjepan est distrait par le chauffeur. La voiture n'a plus
de pare-brise ; seuls quelques morceaux de verre sont restés accrochés. C'est
une vieille voiture, la couleur noire en souligne l'âge. Le conducteur aussi
était en noir. Son chapeau peut-être aussi, mais il n'a plus de chapeau. La voiture
n'a plus de vitre, le chauffeur n'a plus de chapeau. Il n'a plus de tête non
plus. Son cou vide gargouille encore un peu. C'est certainement le même obus
qui les a tous atteints. La femme sur le siège du passager, sans doute la femme
du conducteur, a, elle, encore son chapeau, mais elle est tout aussi morte.
Stjepan se penche et lui tourne légèrement la tête ; comme de la peinture le
long d'un pot en fer-blanc émaillé, un peu de sang sèche sous ses lèvres. Ils sont tous morts, le père, la mère, et la femme la jeune
mère. C'est une jeune mère, c'est évident puisqu'elle donnait le sein ; le bébé
est toujours là, accroché au tétin. Il est immobile lui aussi, mais Stjepan
voit tout de suite qu'il n'est pas mort. Il dort, tout simplement. En se
réveillant, il cherchera sans doute à téter encore. Il pourra peut-être le
faire. Si Stjepan ne sait pas grand-chose sur le sang et la circulation
sanguine, il en sait encore moins sur le lait, la lactation et la mort. Stjepan va s'en aller. Avant cela, il contourne la voiture
jusqu'à la portière du conducteur. L'homme porte bien une chemise, mais tous
ses habits sont en train de se gorger de sang. Stjepan hausse les épaules et
s'éloigne. Pourtant, après quelques pas, il s'arrête et revient en arrière. Bien que défoncé, le coffre s'ouvre. Comme Stjepan s'y
attendait, il y a une valise – les gens fuyaient. Dedans, il y a des habits,
certains appartenant à l'homme. Stjepan trouve une chemise blanche en toile
épaisse et longue, elle a déjà bien servi, mais elle est propre et repassée,
c'est une belle chemise. Aussi un pantalon, un pantalon de paysan, à
l'ancienne, un pantalon pour le dimanche. Même une paire de chaussures. Elles
sont trop petites, Stjepan gardera ses souliers militaires. Il prend encore une
veste en laine, tricotée serré. Il ne fouille pas plus loin, il n'a besoin que
de vêtements. Ah ! Peut-être aussi les papiers du type. Ils pourront lui être
utiles. Surmontant sa gêne, il revient au mort sans visage et sans tête. Dans
le gilet, il trouve un portefeuille, avec de l'argent aussi. Stjepan ne prend
que les papiers, il n'est pas un profanateur. Il cache les restes de son
uniforme sous la voiture. Il jette un œil sur le bébé qui dort toujours, qui
rêve peut-être. Stjepan a l'impression qu'il sourit. C'est tout. Stjepan s'examine un instant dans le rétroviseur extérieur,
miraculeusement épargné, et part. Aussitôt, dans sa tête, une petite voix se met à parler : « Si le bébé s'était mis à pleurer, qu'est-ce que tu aurais
fait ? » Il accélère un peu le pas mais la voix revient à la charge : « Et si le bébé s'était mis à pleurer ? – Mais il ne pleurait pas. – D'accord, mais si ? – Mais il souriait comme un bienheureux. – Combien de temps ça peut tenir un bébé si jeune ? – Quand des soldats arriveront, ils s'en chargeront. – C'est ça ! C'est leur job pendant que tu y es ! – Non, ce n'est pas leur job. Mais comme je suis moi-même
militaire, ce n'est pas mon job non plus. » Stjepan regarde sa chemise blanche. Il n'en a jamais eu de
si belle, faut dire qu'il ne s'habillait pas le dimanche, préférant flâner en
training. Maintenant il est en chemise blanche, pas en uniforme ; il n'est plus
un militaire, il est un civil. « Et les civils, est-ce que ça s'occupe de bébés ? » La voix est insolente, la réponse est simple. Stjepan sent
que son élan est cassé, qu'il ne va plus pouvoir avancer. Alors il retourne
encore à la voiture. Il évite de regarder les jambes de la jeune mère, parce
qu'elles sont belles, que c'est du gâchis parce qu'elle est morte. Il se penche
sur l'enfant et le prend avec une délicatesse infinie, lui qui n'a jamais
touché de bébé, ou alors juste pour s'amuser lors du baptême du fils d'une
cousine. À côté, il y a un sac, heureusement avec une courroie, qui contient
des affaires de bébé. Il a été épargné, même pas une giclée de sang. C'est des
trucs qui lui seront nécessaires. C'est pas pour lui, c'est pour l'enfant. Il
le passe sur l'épaule, la veste coincée dessous. Il reprend l'enfant, toujours
maladroitement mais très doucement. L'enfant ouvre un œil. Stjepan lui dit : « Salut, toi. » Évidemment, l'enfant ne répond pas. Stjepan estime que le
bébé a trois ou quatre semaines, mais il n'y connaît absolument rien. « Et tu t'appelles comment ? » Stjepan ne sait même pas si c'est un garçon ou une fille ;
ce n'est pas le moment de regarder. Cette fois, il part. Mais il réfléchit à ce
problème : garçon ou fille. La voiture qu'ils ont abandonnée, ça lui revient
tout à coup, c'était une Skoda. Stjepan n'est pas très certain que Skoda soit
un vrai prénom, mais ça sonne comme. Et ça peut aller aussi bien pour un garçon
que pour une fille. « Salut Skoda ! » [...] |
[...] Immediately, in its head, a small voice began to speak: “If the baby was crying, that is what you would have done?”. It speeds up a little step but the voice is equivalent to the load: “And if the baby was put to cry?”. - But it was not crying. -Okay, but if? - But he was smiling as a blessed. -How long it can take a young baby? -When the soldiers arrive, they had to undertake. -This is it! It is their job while you’re there! -No, this is not their job. But as I am myself military, this is not my job. » Stjepan looks at his white shirt. He never did of beautiful, must be said that he is dressed not Sunday, preferring to hang out in training. Now it is in white shirt, not in uniform is no longer a member, it is a civilian. “And civilians, is that it takes care of babies. The voice is rude, the answer is simple. Stjepan feels that momentum is broken, that it is more able to move forward. Then he returned again to the car. They don’t look at the legs of the young mother, because they are beautiful, that it is of the mess because she died. It focuses on the child and takes with an infinite, delicacy that has never affected baby, or then just for fun at the baptism of the son of a cousin. Next, there is a bag, fortunately with a belt, which contains cases of baby. He was spared, even not a giclée of blood. This is stuff that will be needed. It is not for him, it is for the child. It passes on the shoulder, the trapped below jacket. He resumed the child still awkwardly but very slowly. The child opens an eye. Stjepan said: “Hi, you.”. Of course, the child does not respond. Stjepan considers that the baby is three or four weeks, but he knows absolutely nothing. “And you call you how?”. Stjepan does not even know if it’s a boy or a girl is not the time to look at. This time, he left. But it reflects on this problem: boy or girl. The car they were abandoned, it is all of a sudden, dune Skoda. Stjepan is not certain that Skoda is a true first name, but it sounds like. And it can go as well for a boy to a girl. “Salvation Skoda! [...] |
© textes et illustrations: CinÉthique, Olivier Sillig.
Courrier à l'auteur: E-Mail
http://www.oliviersillig.ch
V: 17.06.2012 - V0 13.05.2011