Photo couverture:  O.Sillig, Johannesburg, vue de l’Apartheid Muséum, 24 avril 2008 [080423_afr_sud_soweto]


Résidence Pro Helvetia à Johannesburg
1er février au 26 avril 2008

N.B.

Ce blog se limitant à une période déterminée et passée, sa chronologie est rétablie dans l'ordre croissant, du plus ancien au plus actuel :

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Débourrage

Voilà, mon blog est terminé, il est clos. Le fil de ses rubriques doit permettre de comprendre sa genèse et son cheminement.

J’ai décidé de partir en Afrique du Sud sans prendre d’ordinateur portable avec moi. Je suis convaincu d’avoir eu raison. Cela m’a obligé à trouver des lieux et des moyens extérieurs, cela a valorisé mes petits carnets.

Pendant la première période, celle de ma résidence à Johannesburg, j’ai régulièrement mis à jour ce blog. Après, je n’ai plus eu ni les opportunités matérielles ni le temps. Je me suis limité à mes notes manuscrites, mais avec l’idée de les mettre plustard en ligne. C’est maintenant chose faite.

Le au-jour-le-jour obstruant sur place mes capacités de synthèse, je pensais que j’allais un peu débourrer. Je n’en ai finalement rien fait. J’ai maintenu la construction de départ et ajouté mes notes manuscrites ainsi que des réflexions récentes — on ne rentre pas indemne de trois mois d’un séjour aussi riche.

E : Lausanne, le 6 juin
S : 06.06.08
V : 06.06.08
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Discours de la méthode

ADDENDA+<Cette rubrique-ci, je l’ai écrite le 26 février, soit presque un mois après avoir démarré mon blog. Je l’ai aussitôt placée dans la marge de droite, afin de la mettre en exergue. Elle y a figuré jusqu’à aujourd’hui car elle éclaire la direction que prenait mon blog. Ici, pompeusement, elle participe désormais à son introduction.>

Au départ je pensais alimenter mon blog de temps à autres, et tenir un journal de voyage personnel. Mais cela ressemble trop à ces univers à deux vitesses que je hais. Donc, sauf certains détails triviaux comme horaires de bus, mots bizarres et noms de médicaments pour la prévention du palud, j’y renonce. Étant bien entendu que toute ressemblance, dont moi, avec des personnes existantes ou ayant existé, pourrait n’être que pure coïncidence. Et que les noms sont visiblement fictifs. Le nombre de mes lecteurs, ici heureusement confidentiel, fera le reste.

ADDENDA+<

À la relecture, je relève ci et là, des notes parfois abruptes et crues. Elles me semblent du même ordre que les remarques que tout un chacun j’imagine adresse quelquefois au miroir de sa salle de bain. Peut-être aussi parce que, écrivain écrivant, je me suis quelquefois mis légèrement au bord de moi-même.

Techniquement, j’ai rétabli l’ordre chronologique — car l’ordre inverse ne se justifie que pendant la phase dynamique, quand le blog s’enrichit régulièrement et en direct. J’ai finalement décidé de désigner la plupart des protagonistes par des surnoms liés à leur fonction ou par des prénoms fictifs. Je l’ai fait surtout parce que les moteurs de recherche — dont le blog était jusqu’à présent protégé — font exploser les limites de la sphère privée. Je l’ai fait à regret parce que, un peu chosifiant, cela m’a paru quelquefois, à contrario, irrespectueux à l’égard de gens que j’ai chéris. Je n’ai pu me résoudre à changer les noms de mes filles — ni, pour d’autres raisons, le mien.

 En la fin de chaque rubrique, j’indique clairement où celle-ci a été rédigée, puis quand elle a été saisie, ainsi que la date de sa dernière version.

Les éléments soulignés renvoient à des liens auxquels on peut accéder directement dans la version électronique. Dans la version papier, ils renvoient à des notes placées tout au bout et classées alphabétiquement. >

E : Zoo Lake Bowling club, 26 février, et Lausanne, 6 juin
S : Alliance française, 26.02.2008-06.06.08
 V : 08.06.2008
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Ancien titre et présentation

Ancien titre

Olivier Sillig — Résidence Pro Helvetia à Johannesburg, 1er février au 26 avril 2008

Ancien encadré de présentation

Blog ponctuel, qui s’étendra du 1er février au 26 avril 2008, alimenté au gré des opportunités, des possibilités de connexion, et des événements à raconter. À ceux qui en ont envie, il permettra de survoler mon périple en Afrique du Sud, sans se retrouver encombré de mes courriels intempestifs.

N.b. Vu l’éventuel précarité des outils linguistiques à disposition, et la célérité du traitement, ce blog remettra peut-être en évidence ma dysorthographie chronique.

E : Lausanne, 25 janvier 2008
S : 25.01.08
V : 06.06.08
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Tomorrow in a week

Mercredi 23 janvier

Demain dans une semaine, je partirai pour un pays dont j’ignore tout — à part ses éléphants plantés dans le paysage photographique comme les pyramides au Caire. Une ville que j’imagine comme une grande ville, avec ses ghettos sécurisés — je les appréhende — et le petit bout où je suis sensé atterrir, dévoilé par « Google Earth », le logiciel qui tue l’imaginaire autant que certaines revues pornographiques. Je serai peut-être perdu, peut-être abandonné, peut-être nu, peut-être prêt à renaître, apprendre les sons, les odeurs, les images, les bruits, les mots, les gens, lire leur visage, et peut-être les dire.

E : Lausanne, Café du Cygne, jeudi 23, 22 heures 20
S : V : 25/01/2008
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Johannesburg (2 février au 16 mars 2008)

Johannesburg !

Samedi 2 février

Je suis à Johannesburg, à Melville, tout va bien.

E : Auckland Park, 3 février ?
S : Internat Café, Campus square, 03.01.2008
V : 22.05.2008
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Melville

Samedi 2 février

Ça y est, j’y suis, à la terrasse du café « Mug & Bean », sur la 4ème avenue (N.b. attention, ici par exemple, la 7ème rue coupe la 7ème avenue, selon une logique cartésienne et matricielle implacable). Il faisait 19 degrés à l’arrivée ce matin à l’aéroport, et beau, où m’attendaient ma coach et le Performer. ADDENDA+<Dans l’établissement de ma résidence, l’antenne Pro Helvetia de Cap Town m’avait donné le choix entre Cap Town, Durban ou Johannesburg. Une fois mon choix établi, l’antenne avait cherché et trouvé quelqu'un pour m’accueillir, organiser mon séjour et m’encadrer, une coach. C’est ma coach, dont l’heureux pourtour s’affinera au fil du blog. Le Perfomer est un artiste vidéaste de ses amis, qui faisait aussi partie de notre programme.>

Nous nous embarquons dans la Vaillant 1966 du Performer, qui lui est de 64. Tous les conducteurs noirs le saluent parce que c’était la voiture des chauffeurs de taxi noirs d’alors. Maintenant, il fait plus chaud et un peu lourd, j’entends sans doute un orage qui s’annonce, sont-ils soudains ici ? Je l’apprendrai peut-être à mes dépens sous peu.

Pour l’instant, ici, la vie s’annonce moderne, urbaine, vaguement américaine dans ma tête. Une ville aux allures un peu de vacances balnéaires, sans la mer mais à cause des palmiers et des fleurs alors que les oiseaux qui les peuplent s’annoncent exotiques — un ibis ? cela ce confirme, au cri très disharmonieux qui leur vaut un nom amusant. J’ai une petite maison à moi, pas trop barricadée, on y entre par le garage, sans doute une feinte.

Ce matin avec ma coach on a fait le supermarché pour mon approvisionnement — je ne suis pas certain qu’il y ait d’autres sources.

ADDENDA+<Moi qui espérais mourir sans téléphone portable, ma coach m’en a fait acheter un, elle m’a déniché le modèle le moins cher.

— Sinon tu m’engages comme secrétaire privée, mais tu me payes.

De retour en Suisse je l’abandonnerai, en conservant comme cartes de collection mes « sim » sud-africaines, mozambicaines et malgaches. >

Je ne suis pas encore très à l’aise. Le matin, pour m’expliquer les précautions de sécurité, mon landlord, mon logeur, m’a dit qu’il fallait simplement ne pas s’arrêter ni discuter avec les vendeurs ambulants; je ne crois pas, ou ne sais plus, s’il a dit noir, mai ça le sous-tendait. Le monde ici sera différent de celui de Ouaga, il faudra que j’y pose d’autres marques, avec une autre place, un autre cadre, et un encadrement, une coach.

Même lieu, même jour, un peu après (17h.15)

Une demi-heure plus tard, et tout est magnifié ! Un orage. Je m’étais enquis, on m’avait dit qu’il serait au plus tôt pour 19 heures, mais il est aussitôt arrivé, pire que celui de la Roça di Angolares à Sao Tomé en 1999. Mais, prudent, à l’abri, juste avant, dans la septième rue qui semble être un petit paradis branché, peut-être un peu trop pour moi, mais c’est à voir. Et la bière Black Label est excellente.

E : Melville, 2 février
S : Internet Café, Campus square, 03.01.2008
 V : 22.05.2008
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Melville suite

Samedi 2 et dimanche 3 février

Hier, j’ai du reprendre une deuxième bière car l’orage ne cessait pas.

Et appeler au secours. Ma coach m’a envoyé Lee, il y avait réception chez elle, en mon honneur (je crois). Bel accueil, belle ambiance, nourritures exquises. Ma coach est indienne, son entourage aussi ou d’origine européenne — ses deux derniers enfants sont de père belge. Ispahan, superbe Indien très noir, né ici et accompagné d’un gamin de deux ans, promet de m’emmener dans son étrange immeuble de réfugié, ainsi qu’à Soweto. Ma coach fait un discours pour m’introduire, plusieurs se présentent. Je dis deux mots. Je fatigue un peu à essayer de comprendre, heureusement leur parler est étonnamment clair.

Aujourd’hui, après une bonne nuit et un peu de shopping, ce matin, je me sens très perdu. Genre un piéton de proximité, perdu dans une mégapole dispersée où la voiture est reine. Le sentiment de facilement avoir fait tout faux. La nécessité, elle stimulante sans doute, je l’espère, de devoir rapidement me réinventer. Peut-être ce que ma coach appelle "me mettre au travail", c’est à dire me laisser guider sur le chemin socioculturel où elle veut m’emmener. Et je suis guidé et coincé par les orages (Johannesburg est la ville la plus foudroyée de monde). Hier un longiligne écrivain m’a annoncé une "poetry session" pour samedi. J’y irai peut-être, peut-être j’y dirai « Si rage noire » (en fait je n’y irai pas par erreur d’agenda et autre engagement).

E : Melville, 7ème street, Burz 9, 3 février
S : Internat Café, Campus square, 03.01.2008
 V : 22.05.2008
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Reflet

Jeudi 7 février

Parmi toute les nouveautés auxquelles je suis heureusement confronté, il en est une surprenante. Dans mes précédents périples, je prenais des notes personnelles, entre moi et moi, incomplètes et que je laissais mûrir. Ici, je pense à envoyer des nouvelles à mes proches. Je réfléchis aussi en terme de quoi mettre dans mon blog. Avec aussi l’idée de rendre compte de ma résidence d’artiste. Actuellement, je ne suis pas convaincu que ce soit la bonne voie. Il m’arrive de me souvenir de mon arrière arrière-grand-père qui avait fait une longue fugue en Amérique et qui envoyait des nouvelles une fois par mois, des nouvelles qui mettaient un mois pour arriver, des nouvelles auxquelles il n’avait des réponses au mieux qu’après un autre long mois... Il me faut trouver mon propre juste milieu.

E : Auckland Park, in vivo ? 7 février
S : Internet Café, Campus square, 03.01.2008
 V : 22.05.2008
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Musée de l’Apartheid

Mardi 5 février

Nous regardons avec émotion, compassion, peut-être fierté (fierté pour le genre humain ?) la récente chute de l’apartheid... Alors que partout dans le monde des modes de violence identiques se perpétuent. Et que nous entretenons.

P.S Mais les droits civiques sont un acquis réel et non négligeable ; la déclaration d’égalité aussi.

E : Sophiatown Lounge, Newtown, 5 février
S : Internat Café, Campus square, 09.01.2008
 V : 22.05.2008
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Songerie

Mardi 5 février

Je ne peux vivre si je ne peux, faute de toujours pouvoir partager, côtoyer la vie de monsieur tout le monde. Dupont, Martin, Weber chez nous. Zac, Zico, Blessy & Cie ici. Quitte, avec un peu de jugeote et de prudence, et progressivement, à transgresser les suggestions de prudence de mes hôtes, qui se sentent, entre autres, investis du devoir de me protéger — et qui peut-être sont encore habités de réminiscences d’avant, avant 1994.

E : Sophiatown Lounge, Newtown, 5 février
S : Internat Café, Campus square, 09.01.2008
 V : 22.05.2008
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Théâtre

Mercredi 6

Le Market Theatre, c’est, annoncé à l’intérieur par une enseigne en afrikaner que Myglove me traduit, un ancien marché aux légumes aménagé avec soin en différentes salles de spectacle. La nôtre est sous le toit métallique voûté. La salle est trop climatisée, Myglove me prête son châle, elle n’en a pas besoin ! Le spectacle est bon, je peux suivre presque toutes ses péripéties, même si quelques épisodes m’échappent, peut-être par relâchement de ma concentration sénile. Il y a pas mal de jeunes dans le public, la proportion de Noirs et de Blancs y est inversée par rapport à la statistique nationale. Dehors, de jour, au lieu des 77% de Noirs, dans les immédiats environs du théâtre elle monte à 98%, j’imagine. Ce marché devait être beaucoup plus beau que le Metro Market et ses longs corridors obscures. C’est une curieuse idée que de recycler des espaces qui, demeurant nécessaires, se reconstituent forcément ailleurs.

E : Melville, 7 février
S : Internat Café, Campus square, 09.01.2008
 V : 22.05.2008
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Photographie

Mardi, au Muséum Africa, j’ai vu le très grand tirage d’un cliché réalisé en 1914. Le photographe d’alors avec probablement dû exiger que les sujets photographiés restent immobiles — cela même si c’est surprenant que les chevaux aient réussi à observer la consigne. Sur ce qui est l’actuelle place Mary Fitzgerald, tous les propriétaires terriens de la région sont alignés et tiennent la pose. A l’arrière-plan, à côté de leur lourde charrette – osons maintenir l’adjectif précisément à cette place, puisqu’elles paraissent telles, quoique déchargées, les boys en train de vendre leur contenu dans les halles du marché. Au premier plan, sans doute notables parmi les notables, sur des chaises alignées, sous leur grand chapeau de chics cow-boys hollandais, des hommes sont assis. Mais, au tout premier plan, allongé sur le sol, le bras droit soutenant nonchalamment la tête, non pas nu mais décemment vêtu, avec le pied de son maître non sur lui mais tout proche, le seul Noir de la photographie. Même si on lui a astreint la place d’un animal de compagnie, il devient soudainement le sujet principal, et central, de l’image. Le repos du guerrier Zoulou entouré de tous ses blancs. Je ne sais si le photographe a été sensible au thème de la pose, je ne sais si, accrochant ce triage, les exposants ont voulu, à juste titre, souligner le retournement des choses et sa dérision, mais l’effet sur moi a été réussi et saisissant !

E : Melville, 7 février
S : Internat Café, Campus square, 09.01.2008
 V : 22.05.2008
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Brouillonage

Olivier, Olivier, Olivier ! Un grand médecin, barbu je crois, juif viennois, a dit une fois qu’il fallait faire ce que nous disaient nos petites voix — conseil que n’ai pas toujours suivi. Quand, au lieu de cocher dans l’ordre Le Caire, New Delhi, le Cap, Varsovie, j’ai coché deux fois, fautivement, Le Cap, j’aurais peut-être dû écouter cette petite voix : N’y va pas, n’y va pas ! Mais j’y suis allé, j’y suis. Mal. Comme un prisonnier, encore une fois prisonnier de moi-même, prisonnier aussi d’un monde concentrationnaire mais souriant, celui d’une certaine classe moyenne, un enfer vert et luxueux — auquel je m’adapterai peu à peu — de maisons closes, selon un protocole incroyable mais rigoureux et absurde contre lequel je m’achoppe, alarmes folles, gardiens parés de parabellum, chiens intelligents et, heureusement, espaces sans frontières pour les oiseaux incroyables. Je me sens enfermé dans une mégapole que je comprends mal. Perdu, hébergé, enculturé, et encadré par des fonctionnaires — ou des coachs bienveillants — mais poliment indifférents. Alibi culturel, comme les acteurs indifféremment interchangeables que nous sommes, au dire du Sieur Berthet pour sa télévision. Il se peut vraiment que j’aie fait fausse route, que, vraiment, je sois dans une impasse. Il faut que je voie, que je me montre patient et zen. Même si je dois passer six semaines — jusqu’au Mozambique, qui brille encore comme un phare ou un amer — dans un enfer soft où je suis confronté à mes limites, mes inhibitions et mes incapacités plus qu’à mes craintes — je demeure presque sans peurs, et sans reproches —, je peux très bien me dire que c’est une pause, une respiration, douloureuse peut-être mais peut-être nécessaire — j’ai, hélas, acquis cette sagesse raisonnée qui vient avec l’âge ! Je peux aussi déclarer forfait, dire halte là, je ne reste pas, je pars, une semaine, ou deux ou quatre, vers le nord, jusqu’à ce que je trouve un oued, une petite ville perdue qui m’offre un havre de paix.

Je me sens mal dans ce monde coincé entre Blancs et Noirs, où les blancs restent des colons blancs, d’anciens colons blancs, ou des missionnaires dont je n’ai guère que faire, et où les noirs qui nous fréquentent, sont, ou ne sont pas, des gens qui guettent, ou qui rejettent, les reliefs tombés de nos tables, ou des gens que l’on considère comme tels, ou que, erratiquement, je vois ainsi, sans réussir à relâcher cette fixation. Chose que je n’ai pas connue, ou guère, à Gorom-Gorom, mais peut-être parce que, seul Banc, je m’y royaumais (c.f. helvétisme) — merde ! Mais, ce matin, les écrivains zimbabwéens, pourquoi nous ont-ils servi, à moi et au Performer qui pérorait — avec intelligence et un sens assez vif de la provocation —, deux bouteilles individuelles d’eau minérale alors qu’ils partageaient entre eux, dans des verres en polyéthylène, des bouteilles collectives de soft drink ?

E : in vivo ? Home, samedi 9 février
S : Home, 09.02.2008
 V : 22.05.2008

 

De mémoire, ce brouillonage (c.f. néologisme), probablement saisi in vivo à l’ordinateur, est la régurgitation nuancée d’un passage écrit précédemment et que je viens de repêcher dans mon premier calepin africain — un Oxford couleur fuchsia, rectifié par mes soin de (22/05/2008) :

Lundi 4 février

Je suis dans un état complètement maniaco-dépressif que j’essaie de maîtriser en cherchant à me retrouver en me réinventant, comme j’avais anticipé devoir le faire — dehors, crécellent des grillons, outrecuidants quand le feuillage goutte encore de la pluie qui a duré. Le tout-faux semble se confirmer. Faux endroit, erreur de copie. Mégapole à l’américaine où le seul moyen de locomotion est, apparemment ou prétendument, la voiture. Maisons sottement barricadées dans un cadre de villégiature suranné d’exotisme à l’anglaise, comme ces jardins qui, à Nice, bordent leur promenade. Prudence et mises en garde qui me coincent sous tutelle, forme rampante de discrimination ? Pourtant les statistiques parleraient volontiers de violence, une violence jusqu’à présent invisible — même les stigmates du sida, que je découvrais gravés dans l’enveloppe corporelle de certains de mes voisins de quartier à Lausanne avant l’apparition des trithérapies, alors que je les appréhendais, que je les guette, je ne les vois pas. À Jo’bug les malades vont-ils aussi se perdre dans la savane pour mourir ? Mais y a-t-il une savane à Jo’burg ? Ou se perdent-ils dans cet espace marécageux, entrevu depuis l’avion, qui sépare un township d’un nouveau quartier résidentiel où les petits plots des villas deviennent plus espacés que les baraques en tôles et s’égaillent des découpes turquoise des piscines chlorées ? Et je sais que je savais que je ne suis pas un touriste, que je n’aime pas faire tout ce qui se devrait d’être fait. Je suis guidé sur des chemins que je n’aurais pas désirés, avec une série d’obligations sous-jacentes. Celles de ma coach riante et stressée avec son téléphone portable qui sonne tout le temps ou qu’elle stimule sans cesse. Les miennes. Être un artiste, faire comme tel, me montrer comme tel, paraître tel, justifier ma présence ici, aux yeux de mes hôtes, de mon mandant, de moi-même, alors que par moments je sens mon cerveau être grignoté par la sénescence compulsive, par moment en boucle sur des actions stéréotypées et répétées — hier, j’ai lavé trois fois de suite la même cuillère. Pourtant aujourd’hui, deux fois, et dans les deux sens, j’ai traversé le marché du métro, ces couloirs sombres où une population exclusivement noire et dense passe parmi les pauvres étals aux surprenants inventaires, comme le courant paisible et chamboulé d’un ruisseau flânant sur un replat, m’apportant le soudain réconfort de me retrouver au sein de l’humanité. Peut-être est-ce grâce aux phéromones sérotoniques que cette humanité charrie ?

À l’atout du bilan actuel, je mettrai ma relativement bonne compréhension de l’anglais. Et, peut-être, une dynamique qui persiste en moi, mâtinée de la sagesse du recul qu’amènent les ans et les expériences qui s’accumulent, me permettant de mieux me référencer à moi-même.

E : Lundi 4 février, 22 h.10, d’une écriture calligraphique d’arbrutiste  (c.f. néologisme, après des griffonnages en musique
S : Lausanne, 22.05.2008
 V : 22.05.2008
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Les bulles

Ah ! c’est vrai, il ne faut pas l’oublier, comme à Zurich déjà : dans les grandes villes, la vie survit dans des bulles qu’il faut savoir dénicher, comme ce dimanche matin, dans le monumental centre commercial (« mall ») de Rosebank, dans un parking à demi-couvert, je suis tombé sur un vrai marché, riche et varié, même si les clients y sont très majoritairement blancs, quand bien même on l’appelle le marché africain — comme la chaîne de restaurants dits africains, au beau look, où, dans Zoo Lake, j’ai bu un pot hier avec Jasper de l’antenne Pro Helvetia à Cap Town.

E : Auckland Park, dimanche 10 février
S : Home, 10.02.2008
 V : 22.05.2008
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Le Bowling club

Lundi 11 février, au Bowling Club de Zoo Lake

A ma gauche, la gauche de la terrasse où je viens de bien manger — les frites sont à l’ancienne, avec de vraies pommes de terres comme on en servait une fois chez ma défunte maman. Il y a le green, un green carré — lisse comme la barbe de mon neveu, un jour où il vient de se raser — il s’agit d’un des terrains de bowling. Je ne sais comment les Sud-africains y jouent. L’accès au club est aussi peu réservé que celui du Club de la voile de Morges. Personne n’y joue actuellement, mais le boulingrin arbore des panneaux avec des chiffres et un espace ardoisé, sur lequel Cécile tracerait volontiers les « z » cabalistiques qu’elle chérit aux cartes. Devant et derrière moi s’étend la terrasse en tôle de plastique ondulé vert et opaque où des Blancs, j’y reviendrai, et un Noir mangent. A ma droite... je vais voir... Ah ! Avant, j’oubliai : derrière, des gens avec un narguilé, peut-être parfumé à la fraise, et des bières ; l’un d’eux porte un tee-shirt à faire pâlir une Granny-smith. J’ai aussi oublié : devant, un jeune homme relativement mûr, 28 ou 30 ans, qui pendant tous le temps qu’il mange, parle ou se gratte le mollet, garde sa main sur l’intérieur, nu mais décent, d’une des cuisses de sa blonde copine. À droite donc — le temps d’écrire tout ça je suis allé voir l’espace —, une bâtisse en bois, placage de bois et tôle mais plutôt classe — classe comme un club de bowling d’une ancienne colonie britannique, alors que leurs soldats faisaient la guerre aux Boers, et que, sans doute, tous massacraient des populations indigènes, ou cela n’a-t-il été l’apanage que des seuls Allemands de Namibie, permettons-nous d’en douter, surtout après avoir eu vent des théories théocratiques et racistes des Hollandais —, une baraque assez chic, avec un espace plutôt vide, un espace de dedans peut-être, ou pour le service d’hiver, avec plus loin un bar, sympathique et, je viens de le demander, ouvert le jour, et ouvert loin dans la nuit. La bouffe est bonne, l’accueil aussi, l’espace serein. Il faut — le faut-il ? — lire cela ainsi ? Pour survivre. S’imaginer être à Ouchy, au pire au golf d’Épalinges — où je pense n’être jamais allé. Vu ainsi, comme notre société lausannoise où ceux qui nettoient les chiottes, les bureaux et les restaurants après fermeture ne sont pas les mêmes que ceux qui prennent l’apéro au Bleu Lézard ou au Bar-Tabac que je fréquente pourtant. Vue ainsi, la société fonctionne, inégalitaire comme elle se perpétue, et in ora mortis, alors tais-toi Olivier, tais-toi et va !

N.b. Il est 14h.30, le ciel est bleu, le soleil passe gentiment du nord à l’ouest, avec quelques nuages, dodus et compacts, jouant à se compter comme de blocheriens (c.f. UDC) moutons. Pourtant, à l’ombre, la température est exactement agréable, il y du vent, disons un vent du nord, et nous nous situons à 1500 mètres d’altitude.

N.b. Que de temps il me faut pour m’habituer au changement d’orientation cardinale, d’autant que si Nord et Sud ont bougé, Est et Ouest sont restés les mêmes !

E : Bowling Club, Zoo Lake, lundi 11 février, 13 h.50 et 14h.30
S : Alliance française, 13.02.2008
 V : 22.05.2008
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Le point

Mardi 12, Hivos, 7h. AM

Ma coach et moi faisons ouvertement et de façon constructive le point. Je lui transmets mon impression désemparée d’être un touriste, un touriste enfermé dans une colonie britannique à l’ancienne.

— Ex ! rectifie ma coach.

Néanmoins elle confirme et développe l’exactitude de mes perceptions. Elle établi un parallèle proche avec le récent apartheid. ADDENDA+<Elle en est sincèrement assez convaincue, mais elle sait aussi toujours prendre les gens dans le bons sens (c.f. rubrique : Petit traité de zen et de pensée positive).

Hélas, par pleins d’exemples précis, elle me confirme les dangers et la violence de la ville — quand bien même je voudrais encore m’identifier à la liberté de mouvement que revendique la propre mère de ma coach. Tout cela renforce ma sensation comme quoi, peut-être bien, nous nous trouvons à l’épicentre de toutes les absurdités du monde ! Et du progrès, dans le sens de progresser, c’est à dire «gresser» en avant. Next to the future !

Parmi les exemples précis qu’elle me donne, elle évoque une expérience récente qu’elle a personnellement vécue. Un soir vers 21h.30, alors qu’elle s’arrête à un feu rouge, cinq hommes déboulent tout autour de sa voiture. Ils sont sur le point de briser les vitres. Ma coach écrase l’accélérateur et lance son véhicule, sans se soucier des corps de ses agresseurs, qui giclent peut-être, ni du carrefour, ni deux feux rouges suivants. Elle continue en trombe. Elle aime ses enfants et elle veut les revoir. Arrivée chez elle, elle s’assied et reste longtemps à trembler. Notons que, ce matin, à 7 heures, dans sa Citroën Xsara, avec quatre jeunes garçons, deux à elle et deux voisins que nous menons à l’école, elle conduit comme un coureur de rallye !

Suite à mes réserves et à ma déprime exprimée, ma coach pose aussitôt les bases d’un nouveau programme, avec une nouvelle orientation. ADDENDA+<Suite à celui-ci , à la discussion franche et au point de situation, ma résidence d’artiste, ma position et mon moral prennent une nouvelle orientation, toute positive — elle aussi, ciel ! >

E : Alliance française, mercredi 13 février
S : Alliance française, 13.02.2008
 V : 22.05.2008
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Johannesburg

Trois petits pois oubliés sur la table.

Ils sont verts, comme seuls les anglais peuvent l’être.

La nappe, une toile cirée rouge, arbore la porte d’un château sertie dans un écusson blanc, une pub pour un brasseur, six fois répétée.

La nappe est rouge, les gros petits pois sont verts.

Au-delà, le green semble pastel. Personne n’y joue actuellement.

Au-dessus, au-dessus de la nappe rouge et des petits pois verts, au-dessus de la tôle en plastique ondulé plus nuancée, au-dessus du green rasé et doux, au-dessus de tout cela, du ciel bleu alterne avec des nuages.

D’abord, dans l’imminente quiétude de la sieste, ceux-ci se sont décomptés.

Ensuite, ils ont joué à saute-mouton.

Maintenant, ils se chevauchent, j’ai bien peur que bientôt ils se besognent méchamment.

Mais, pour l’instant, ils se refusent à tonner.

Sur un banc ombragé, sous un large buisson taillé en nid, deux hadidahs, ibis bavards, se plument le molleton.

Le brouhaha lointain vient des voitures.

De temps en temps, des sirènes le ponctuent.

Elles nous rappellent que, tout autour, grouille la mégapole.

E : Bowling Club, mercredi 13 février
S : Alliance française, 13.02.2008
 V : 23.05.2008, slamé par 512 le 28.05.2008
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D’or et des Lucia

Jeudi 14.2.08, Johannesburg Art Gallery, Joubert area

Une femme qui accompagne Ispahan se présente. Je lui dis que ma fille aussi s’appelle Lucia. La femme parait étonnée et s’explique, c’est un nom devenu rare parce que, dans le temps, c’était un nom courant chez les femmes pauvres, chez les domestiques des bonnes maisons. Puis c’est mon tour d’être surpris en découvrant que cette femme est italienne et qu’elle habite Rome. Je doute fort que ma fille ait jamais été au courant de cette particularité de leur nom.

Dans la rue, un groupe de policier nous demande ce que nous faisons là. Ispahan est furieux, il déteste la police. Selon lui, celle de Johannesburg ne pratique qu’abus de pouvoir et concussion. Il nous conduit dans un building qui est squatté par des réfugiés. Sur de nombreux étages, il y a des cafés, des cybercafés, des coiffeurs et des petites entreprises, dont une de confection de rideaux en tulle bigarré et ouvragé. Les immeubles ont été investis en 1994 déjà. Fort bien organisés, il n’y aurait pas de violence urbaine. Mais la City, dont les immeubles modernes s’élèvent tout près, est sur le point de réinvestir le quartier, dans un curieux mouvement de va-et-vient qui doit être extrêmement difficile à gérer et qui rend tangibles les absurdes fondements de la ville.

La ville s’est crée autour des trous d’où on extrayait l’or. Au fur et à mesure que les filons s’épuisaient, l’exploitations s’est déplacé, abandonnant sur place des terrils mous, larges et bas, terrains vagues condamnés, pollués par le mercure qui les rend inutilisables.

L’apartheid a décidé d’expédier la population laborieuse noire dans les townships, loin à la périphérie. Une population qui, chaque matin, devait revenir en ville travailler dans les mines ou chez les blancs. Le nouveau gouvernement essaie de modifier les flux, mais les habitudes et plus encore le pouvoir absurde de l’argent contribuent à la difficulté de l’entreprise.

E : S : Auckland Park, samedi 16.
V : 23.05.2008
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Blind date

Melville, jeudi 14, soir de la Saint-Valentin,

« Hello ! Shux, donno how good ya english is ? But im im going 2 the bohemian in richemond 4, a chink, pls join me 4 a drink ? and seeing that is valentines, cud b like a blind date ! u game ? »

C’est de l’anglais texto, pas facile à déchiffrer pour un novice. Mais il s’agit d’un blind date — un rendez-vous à l’aveugle —, pas tout à fait car Chiquita m’avait déjà appelé à l’heure du lunch. J’avais été un peu rude, elle avait eu mon numéro par Brad, elle était aussi peintre, moi pas, je la rappellerai ce soir. En rentrant, j’avais relevé le SMS ci-dessus. Alors pourquoi pas ?

Je n’ai pas répondu par un SMS, j’ai directement appelé. On a décidé de se retrouver vingt minutes plus tard à Melville, au Xai-Xai, cela tombait bien, je savais où c’était. J’aurais un chapeau français — c’est ainsi que je désignai ma casquette. Elle, elle venait de se teindre les cheveux en noir.

Chemin faisant, je me suis demandé quelle artiste cocaïnomane ou alcoolique en pleine cure j’allais trouver. ADDENDA+<Une réflexion inspirée par de toutes récentes expériences : une dame, d’âge moyen — dans l’acception anglo-saxonne du terme qui, aussi bien pour la classe sociale que pour l’âge, signifie plutôt moyen avancé — m’interpelle avec un fond d’agressivité latente qui me surprend. La femme qui l’accompagne me propose une tasse de thé. J’accepte et nous passons chez elles. Tout en buvant son thé et en grignotant des cookies — alors inoffensifs — avec sa carte de crédit, une des deux dames brasse et aligne une poudre blanches que toutes deux — après que j’ai décliné l’invitation à y participer — sniffent en utilisant un billet de banque roulé en chalumeau — est-ce là ce qu’on entend par blanchiment d’argent ? De par certaines fréquentations, je savais que la coke rend agressif, cette expérience confirme cela ; en outre elle éclaire la façon avec laquelle la première femme m’a abordé. >

La terrasse était comble, mais rien qui ressemblait, ou qui ait l’air de chercher un chapeau français. Idem dans la salle. Mais une femme assise au bar, à contre jour devant une lampe, qui me faisait des grands signes. Elle buvait une bouteille de 300 cc de cidre, j’ai pris la même chose, je me suis assis latéralement, face à elle. Elle avait des jambes nues qui dépassaient d’une robe en triangle, des fuseaux bronzés, fermes et pleins, la peau chaude et douce qui, par moments, m’effleurait les genoux à travers l’étoffe fine et kaki de mon pantalon. Son visage était très légèrement fatigué, ses dents très blanches et très régulières. Elle avait 34 ans, soit vingt de moins que moi, comme elle le relèvera plus tard en soupirant après m’avoir demandé mon âge — Brad lui avait dit entre 40 et 50. Tout de suite, elle a parlé avec un débit très abondant et rapide, mais je crois, comme elle me l’a dit ou laissé entendre, qu’elle ne prenait pas, elle, de cocaïne. Malgré la musique et le brouhaha, je la comprenais assez bien. Elle aussi. Sauf au moment où elle m’a raconté d’un trait un livre qu’elle avait récemment lu, exceptionnel, le récit holographique et scientifique, absolument scientifique, d’un homme qui avait vécu au 16ème siècle et qui avait probablement fini brûlé, lui aussi. Elle avait trois enfant, plutôt jeunes, qu’elle aimait beaucoup. Elle vivait seule, en gros actuellement sans travail et elle peignait, pour l’instant plutôt pour elle-même. Une fois, cela s’était révélé être le portait de sa grand-mère, la personne qu’elle avait le mieux aimé au monde. Ma question de savoir si c’était abstrait ou concret n’avait à son avis guère de sens. J’ai dis que j’avais faim. Nous sommes allé manger au Portugais en face, mais pas en terrasse parce que c’était plein. En fin de repas, le garçon passait toutes six minutes pour s’excuser de devoir s’absenter cinq minutes, ce qui ne nous dérangeait en rien. Enfin, nous sommes allés au « Deux Bohémiens ». ADDENDA+<J’ai appris, et compris bien plus tard, que l’établissement s’appelle en vérité « The Bohemian ». Le SMS disait : « 2 the Bohemian ». Toujours dyslexique, ma mémoire à court terme a rétabli son ordre propre : « The 2 Bohemians », alors que le « 2 » employé pour « to » n’est ici que du quick-language de SMS — les cell-phonistes, les locaux en tous cas, y ont un fréquent recours, sans ménagement pour mes défaillance langagières. > L’établissement se trouvait assez loin, un parcours sinueux que j’essayais de mémoriser — fait parfaitement exceptionnel dans cette Los Angeles africaine, ni elle ni moi n’avions de voiture. De même, je cherchais à bien me repérer, maintenant que je tiens le Sud et les trois autres points cardinaux.

Au Deux Bohémiens, en terrasse, on nous a demandé une entrée parce que ce soir-la un groupe se produisait. Cette fois, avant que je ne comprenne vraiment, Chiquita a payé l’entrée. Avant que la musique ne commence dans le pub, nous avons eu le temps de commander une bière pour moi et un verre de rouge pour elle. Quand le groupe a démarré, elle est partie danser comme une déchaînée tout devant. J’étais content et je l’ai rejointe. Malheureusement, la musique était beaucoup trop trop forte. J’ai déniché — une erreur à ne plus commettre — un ticket de caisse dans la poche où j’égraine mes menues monnaies : je l’ai mâché et mis au fond de mes oreilles — ce matin j’ai vaguement craint qu’un morceau n’y sois resté logé. Comme cela ne suffisait pas, je suis allé voir aux chiottes, pour finir je n’ai trouvé que le papier qui protège le sommet des pailles pour déguster les cocktails. Comme cela ne suffisait toujours pas, je me suis mis à danser avec les mains sur les oreilles, mais deux différents danseurs ont tiré gentiment sur mes bras pour tenter de m’en dissuader. ADDENDA+<Ces petits papiers connaîtront un lointain épilogue. Mi-avril, lors de mes bains dans l’océan Indien, l’eau aura tendance à s’incruster dans mon oreille gauche d’où, une ou deux fois, j’extirperai une sorte de ouate qui ne pouvait être que de la ouate de papier. Enfin, début mai — soit deux mois plus tard —, j’accompagnerai ma tante chez sa chirurgienne ORL, ma tante lui dira que j’ai du papier dans l’oreille, et la chirurgienne, difficilement, en s’escrimant plus de dix minutes avec des instruments aux noms étrange comme « alligator » m’extraira tout un manuscrit de vieux tickets de caisse déchiquetés. Après, pendant quelques heures, j’aurai froid au fond de l’oreille gauche.>

Dans l’assistance et parmi les danseurs, il y avait un jeune Noir, accompagné, très musclé et en débardeur blanc, dansant bien. Plus tard, j’ai vu qu’il portait une jolie chaînette, genre chaîne de baignoire, simplement entourée autour du poignent, ce qui lui faisait un très bel avant-bras et une très belle main. Il y avait aussi une jeune fille Noire qui somnolait à moitié dans un fauteuil tout en observant la piste de danse. Le reste de l’assistance était blanche. Assez rapidement, parce que c’était trop fort pour moi, je suis allé en terrasse où j’ai encore dansé. À ce moment a débarqué, en son costume de motard, mon Landlord (hôte) et son ex-future femme. À une de leurs amies, j’ai expliqué que j’étais là suite à une «half blind date».

— Blind date..., a-t-elle répété, l’air interloqué.

Elle m’a aussitôt recommandé les condoms. Avec une belle assurance, j’ai expliqué que c’était toujours ma façon de faire, ce qui est vrai, il faut l’admettre — puisque l’adverbe utilisé ici n’implique aucune notion de quantité. Elle, aussi écrivain mais journaliste, m’a dit qu’elle regarderait ce qu’on disait de moi sur Internet et que je pouvais faire de même sur elle. Elle m’a montré son partenaire, m’a annoncé qu’il a 25 ans de plus qu’elle, qu’il allait donc bientôt mourir et qu’elle allait à nouveau se trouver seule, ou quelque chose comme ça. Après, j’ai vu l’homme en question, toujours journaliste, avec des jambes incroyablement courtes et un genre à la Hemingway, qui ne me plaît pas trop. En arrivant, mes hôtes avaient laisser entendre qu’ils pouvaient me ramener, ce qui ne me dérangeait pas forcément parce que j’imaginais que même en coupant tout droit j’étais assez loin. Vers minuit, alors que le concert était terminé et que les gens commençaient à s’éclipser, je leur ai demandé où ils en étaient. On allait y aller. Je me suis enquis auprès de mon hôtesse pour savoir si elle était en état de conduire. Elle n’avait bu que deux bières. Et je ne sais pas si la cocaïne dérange.

Je laisse le soin à ceux qui me connaissent un peu de deviner si j’ai ramené Chiquita avec moi. Et si je l’ai regretté ou pas.

Mon oreille gauche a résonné toute la nuit d’un bruit d’ascenseur ou d’aspirateur fantôme. À peine arrivé, mes hôtes ont repris le flot shakespearien de leurs querelles. J’étais content de ma soirée.

E : samedi 16 février
S : Auckland Park, 17.02.2008
 V : 23.05.2008
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Vastes parcs, petites cages

Vendredi 15, Suikerbosrand

Hier, j’ai failli écraser un long serpent, j’ai vu des zèbres, une antilope, des Wealtertail birds dont le vol semble entravé par la queue qui n’est probablement là que pour leur permettre de faire les intéressants, à moins qu’elle ne leur serve de parachute pour atterrir en douceur au sommet des buissons du veld, encore deux très gros oiseaux non identifiés et des ciels immenses. Sur la ceinture de contournement de Josy (pour Johannesburg) j’ai aussi vu un camion benne, avec une de ces grosses bennes en acier comme celles des entreprises de démolition — le même métal que les murailles de Kazerm. Le camion était plein. Le temps que la luxueuse Audi climatisée de Myglove double le camion, je voyais dépasser, au sommet de la benne, les yeux et les mains d’un groupe compact d’ouvriers noirs qui rentraient du boulot. Ils m’ont salué amicalement. C’est curieux, chez nous, même les camions à bestiaux sont plus ajourés. Je suis un peu délicat.

Je sais maintenant où est le Sud et le Nord, où se situe Jo’burg dans le paysage, et quel paysage l’entoure ; je commence à trouver mes repères spatiaux, je me sens mieux — malgré l’illusion de sagesse que me donnent mes cheveux blancs, je reste d’une impatience négative trop grande.

E : S : Auckland Park, samedi 16 février
 V : 23.05.2008
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Weed

Samedi 16 février

Sachant que je ne fumais jamais, Myglove a décidé de me faire des cookies, des gâteaux secs que nous sommes allés confectionner chez elle et que j’ai dû consommer tandis que les deux dames fumaient. Puis Myglove nous a ramenés, d’abord ma coach, puis moi. Comme Myglove n’avait pas vraiment l’air bien, je lui ai proposé, un peu pour la forme ou pour ma conscience, une tasse de thé qu’elle a acceptée. Pendant que je faisais bouillir l’eau, je lui ai passé mon Ipod. Peu à peu son corps s’est incrusté dans le fauteuil. J’ai fini par dire que j’allais me coucher. Elle a annoncé qu’elle restait dans le fauteuil. Et qu’elle me rejoindrait peut-être plus tard. Jusque là, les cookies n’avaient pas fait d’effet, mais au lit, ils m’ont accompagnés dans un mauvais trip, mi-rêve mi-réel, où je croyais entendre Myglove, et qui me réveillait. ADDENDA+<Un mauvais trip que j’aurais de toute manière fait. En y repensant ultérieurement, je suis convaincu que tout cela faisait partie d’un plan heureusement foireux, longuement prémédité — le curieux itinéraire du retour aurait du mettre la puce à mon oreille ensablée d’ouate —, mais légitime, comme nous, Diane est chasseresse, que diable ! >

Deux heures après, elle est allée aux toilettes en me criant que je n’étais pas gentil de l’avoir laissée dormir dans le fauteuil. Presque objectivement, qu’aurais-je bien pu faire d’autre ? Moi, plutôt mieux, l’effet d’herbe et de suspens s’atténuant, je me trouvais enfin rassuré. Et le lit a tenu, même si Myglove fait deux fois mon propre volume.

Vers 6 heures du matin, elle est repartie dans sa luxueuse limousine. Tôt après, j’ai reçu un SMS qui semblait dire, entre autres, que nous avions dû former un drôle de couple. J’ai appelé pour m’excuser sans le faire. Mais depuis, aidant mon mauvais anglais d’un dictionnaire, j’ai constaté que son SMS ne disait rien de tout cela : il annonçait que la coupure d’électricité — chez elle, et amorcée la veille — durait toujours, même pas moyen de se faire une tasse de thé ! En effet, « cuppa » ne signifie pas du tout « couple », et l’usage phonétique du quick-language n’aide pas ma lecture !

Avant, entre le cinéma et l’herbe, nous avons mangé dans le quartier chinois qui fêtait son nouvel an. Un quartier d’immeubles de banlieue, aux façades blanches et récentes, ses trottoirs jonchés non, comme je l’avais d’abord cru, de pétales de roses séchées, mais des éclats rouges des pétards explosés. Les restaurants se suivent sous la pluie des feux d’artifice, celui que nous avons choisi n’était pas vraiment bon. J’imagine que nous aurions pu aussi bien nous trouver quelque part à Los Angeles, ou dans un faubourg d’une des nombreuses grandes villes du monde. Ici, les quartiers sont dispersés, çà et là, sur de très grandes étendues. Après sa foudre, Jo’burg passe pour être la ville la plus boisée de monde, comme du reste Lausanne où le décompte des arbres est aussi rigoureux que celui fait lors de manifestations populaires.

E : Orange Farm, le 19 février
S :
Auckland Park, 21.02.2008
 V : 23.05.2008
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Orange Farm, brèves

dimanche 17 à mercredi 20 février

Précision

ADDENDA+<Contrairement à ce que certains lecteurs in vivo ont cru, Orange Farm n’a rien d’une ferme. Peut-être y en a-t-il eu une, une fois. C’est un nom qui ne figure nulle part, sur aucune carte, sur un seul écriteau, un lieu à une trentaine de kilomètre de Johannesburg agglomération, mais qui en fait théoriquement toujours partie. C’est un township, d’expansion assez récente je crois, regroupant environ — j’imagine que les recensement n’y sont pas aisés — 400’000 habitants. >

Tincamp

Cette nuit, j’ai rêvé que Brother disposait d’un appareil électronique pour reproduire les choses absentes ou endormies, telles, absurdité du rêve, le coq. Or, ici comme ailleurs, les coqs chantent en pleine nuit, alors que les poules, plus sages, ne se sont mises à caqueter que vers six heures. C’était peu avant que, dans la pièce à côté séparée par un rideau, Brother, Shaudi et Lindella, qui m’a cédé son lit, ne s’éveillent. Leur maison, comme celles de leur entourage, est en tôle. Toutes ensemble, elles constituent un très vaste «tincamp», «tin» voulant dire fer blanc, un très vaste mais aéré bidonville, perdu dans le veld, à cinquante kilomètres de Jo’burg, mais autour d’une gare ferroviaire, ceci expliquant sans doute cela. Entre ma chambre et la leur, mais dans un espace continu, il y a la cuisine, la télévision se trouvant sur le parcours du rideau qui les sépare. Hier soir, nous avons vu «Anaconda», ce film semble être un leitmotiv dans tous les continents. Il est maintenant 7 heures 30, Lindella en uniforme part pour l’école. Elle a de la chance, celle-ci se trouve juste à côté.

E : Orange Farm, 18 février
Brother

Brother, un nom que longtemps je confonds avec l’italien «Prada», tient une école de musique. C’est comme ça que ma coach le connaît. Hivos, son O.N.G., l’aide. Hier, c’était dimanche. À partir de midi, Brother et Zipho ont sorti les marimbas. Peu à peu des enfants et des adolescents, entre 3 et 14 ans, ont débarqué et se sont mis à jouer, sauf quand j’ai sorti mes carnets de croquis, qui ont aussitôt crée le lien et qu’ils ont investis. Les garçons ont joué de la musique. Puis, dès que l’ombre l’a permis, les filles ont dansé. Jamais Brother n’a dit quoi que ce soit, ni n’a dû intervenir ou crier. Peut-être, quelquefois, Zipho ou lui ont-ils montré quelque chose. Ils ont essayé avec moi, mais parfaitement en vain.

Certains jouent très bien. Ceci de midi jusqu’à la nuit, sans discontinuer, sauf de temps en temps pour communiquer avec moi, Kgotze (prononcez «Runtsie»), 9 ans demain, n’a cesser de chanter ou de danser : les lapins de Duracell peuvent bien aller se rhabiller ! Je suis le seul blanc d’Orange Farm, certains enfants semblent très surpris, quelquefois d’abord effrayés ; ils adorent les poils de mes avant-bras. Nous communiquons en zoulou et en bribes d’anglais, bribes croissantes avec le degré de scolarité.

E : Orange Farm, 19 février
Décaféiné

Hier j’avais la maladie du sommeil. Ce matin seulement, j’émets la supposition qu’il peut ne s’agir que d’une vraie crise de manque : pas de café depuis plus de 24 heures (mais du thé, très sucré).

L’art de marcher

La marche de mes compagnons est si lente que je dois faire un effort d’équilibre pour ne pas tomber. Chez eux, dans leur maison, leur cabane, ils ne font rien pour améliorer le confort. Ils ont peut-être raison. L’effort pour améliorer le confort est inconfortable ; surtout, il ouvre des abîmes d’escalade et de surenchères. Je suis de plus en plus perplexe sur la finalité de l’inéluctable devenir de l’humanité.

ADDENDA+<Ce que je dis sur Orange Farm et la marche est inexact. Dans certains cas, j’ai vu Brother marcher plus vite, même là-bas. Déjà à Gorom-Gorom, dix ans plus tôt, les Africains me disaient ne pas aimer marcher, or ils marchent beaucoup. C’est souvent leur seul moyen de locomotion. S’ils l’utilisent, c’est parce qu’ils doivent aller d’un lieu à un autre. Dans ce cas, ils marchent d’un bon pas. C’est beau, et j’adore les voir passer. Et le port de charges sur la tête décuple leur magnificence.

L’Afrique du Sud est très occidentalisée dans son mode de vie. Il nous a fallu attendre la piste entre le Swaziland et Sodwana Bay pour y découvrir de ces vrais marcheurs. Par contre il y en a partout au Mozambique et à Madagascar, rendant la conduite de nuit terriblement hasardeuse, et dangereuse pour eux.

Certains Sud-Africains marchent en traînant des savates — actuellement presque toujours des nu-pieds, des tongs — d’une façon inimitable, vaguement irritante à mes oreilles. J’ai en cachette testé la technique. En tous cas elle est celle des domestiques noirs, ces cousins modernes de l’oncle Tom, encore contraint à servir les Blancs. Je crois que cette démarche est une sorte de manifeste, une protestation évidente, une revendication. Elle pourrait porter le nom d’un de nos jeux réunis, hâte-toi lentement.

Dans les années 70, pour contourner les lois racistes et éviter de se faire écraser par les polices et l’armées, les Africains ont inventé le toy-toy, une course de protestation sur place, où les pas retombent toujours sur leur pas, dans une pantomime de course et de défilé immobiles. J’en ai vu dans les archives filmées de l’Apartheid Muséum. C’est joyeux et imposant, étonnant et magnifique.

Le dernier pas revient à l’autre jour quand je me suis posé à l’angle d’une rue lausannoise pour boire une bière. Je n’étais peut-être pas dans d’excellentes dispositions d’esprit, en outre la chaise et les tables suivaient légèrement la pente, ce que j’ai trouvé curieusement désagréable. C’était aux environs de 16 heures, des gens passaient, nombreux. Ils allaient reprendre leur train, retrouver leur voiture, avoir un entretien d’embauche ou ils se pressaient pour un arriéré de rendez-vous galant, mais leur rythme, non par son allure mais dans les mouvements des bras et des jambes qui l’accompagnaient, m’a stressé. L’important ne se voit qu’avec le cœur disait l’autre. Avec l’humeur, dirais-je. >

Autrefois

Partant d’une soupe de tête de vache que sert un marchand dans une tin-échoppe au bord de la route asphaltée et qu’il voudrait que je vienne goûter cet après-midi — une soupe à l’origine interdite aux femmes —, Brother se lance dans une explication des anciennes valeurs africaines, où les femmes avaient leur place singulière, où les hommes étaient polygames, son père, pourtant pasteur, trois fois, son grand-père sept fois, alors que maintenant elles ne le tolèrent plus. Un temps où la nourriture, le travail et les frontières étaient tout autres, un temps dont Brother a la nostalgie et que sa musique perpétue.

E : Orange Farm, 20 février
Casino

Du contraste, j’en ai à l’envi ! Hier soir, avec le groupe de Brother, plus Brad et Dreak, nous nous retrouvons sur une plate-forme en bois, surplombant une pelouse impeccable, sur laquelle une réception se préparait, pour laquelle nous allons jouer. Notre scène est adossé à une sorte de vaste soucoupe volante, qui abrite un aquaparc sur le thème des corsaires, un bowling, un jardin chinois et un grand casino. L’orage qui menace et le vent créent une tension et un va-et-vient amusant. Le concert est alimentaire. Personne — « Tandem », une association d’utilisateurs d’ordinateur dont certains sont directement venus d’Autriche — ne semble écouter. Nous rentrons dans la nuit.

E : Orange Farm, 20 février
Théâtre

Du contraste, j’en ai à l’envi ! Hier vers 13 heures, 15 enfants et quelques adultes nous avons embarqué dans un taxi-bus affrété pour l’occasion, le taxi-bus de la mort avec son chauffeur assassin. À 14 heures 30, nous étions dans le Wits Theater de la University of Witwatersrand au coeur de Johannesburg, pour une répétition en vue de la prestation de dimanche, les filles dansant au premier plan, dans des bikinis traditionnel. L’ensemble sans cris ni problèmes ou tensions. À 15 heures, le tout était empaqueté, le taxi-bus était là, nous nous reverrons dimanche.

Meeting

Du contraste, j’en ai à l’envi ! A 18 heures 30, après un bref passage chez moi, je me retrouve a la Wits University du campus, mais de l’autre côté, dans un havre de paix, arborisé et au charme colonial entretenu, avec les membres de la récente association de journalistes free-lance, surtout des femmes, parmi lesquelles je pourrais facilement imaginer, dans son look anglo-saxon, ma très active soeur Corinne.

E : Orange Farm, 20 février
S :
Auckland Park, 21.02.2008
 V : 24.05.2008
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Orange Farm, brèves éparses

La rue

Maintenant chaque matin, autour de l’heure où les enfants se rendent a l’école, je m’assieds sous les petits pêchers aux fruits goûteux. Je regarde la rue. Cela ressemble aux vidéos projetées en arrière plan du Mondial sur l’Arteplage d’Yverdon, sauf que c’est en life. J’aperçois un des plus jeunes gamins de l’école de musique, il a cinq ans, je n’arrive pas à me souvenir des noms, ils sont trop différents. Avec le plus grand de ses deux petits frères, il s’infiltre dans la jardin de la maison d’en face, une maison en dur mais en chantier. Ensemble, ils escaladent un empilement de parpaings. Le propriétaire a remarqué leur présence mais ne s’en soucie pas. Quelques instants plus tard, je les retrouve dans la rue avec son sol raviné de terre battue et d’herbes folles, chacun tenant à la main un couvercle de bidon de peinture en plastique. L’aîné enseigne à son cadet comment jouer au cerceau. Le petit apprend très vite. Les enfants africains jouent au cerceau — hier, celui de cinq ans, avec un vrai pneu de voiture —, je ne connais pas de plus beau jeu que le cerceau, tous les gadgets ultérieurs de Matel peuvent bien aller se rhabiller !

Les femmes en blanc

Un groupe de cinq femmes, fort bien vêtues mais tout de blanc, passe, au pas lent et chaloupé des Africains au repos. Elles vont, abritées sous des parapluies qu’elles utilisent comme ombrelle. Je ne sais pas pourquoi elles sont tout en blanc, ni où elles vont, ni d’où elles reviennent peu après.

Ombre et peau

Je ne connais rien de plus beau que l’ombre d’un feuillage sur une peau noire, une peau qui, par contraste, devient marron. Je cherche les dessins que fait l’ombre sur ma propre peau pour essayer de saisir la différence qualitative. Peut-être, chez nous, un contraste trop grand, trop dur ? Je me souviens aussi des dessins que les canisses tissaient au café-bar de Gorom-Gorom.

Un paradis rarement dit

L’Afrique semble facilement être le paradis des enfants, faisant de leurs plus jeunes années le jardin d'Eden de leur vie. Et, comme le temps de l’enfance dure une éternité, temps dont ne gardons, adultes, qu’une vague réminiscence, la vie des Africains est peut-être surtout un long paradis. Les enfants du bidonville ne pleurent jamais. Jamais on ne les gronde mais, à partir du moment où ils sont en état de marcher et que leur mère les détache de son hamac dorsal, ils s’occupent tout seuls d’eux-mêmes, mais dans le groupe des autres enfants. Je ne sais pas quand on les nourrit. Chez certains, je surprends quelquefois l’ombre d’une tristesse — d’aucun sont orphelins, quoique le sida me reste étonnamment impalpable.

Assassins oubliés

Il est des chauffeurs de taxis-bus ici, avec quinze gamins à bord, en comparaison desquels ceux de Roumanie font figures d’enfants de choeur ! C’est une autre forme de criminalité, comme toujours moins médiatique mais soutenue par les macs de l’industrie automobile et contre laquelle il est aussi difficile de lutter parce que la police, paraît-il, reste très corrompue.

Orientations

Les tôles ondulées de la maison de Brother ont des trous. Faute de pluie pour pouvoir le vérifier de mes propres yeux, je demande à Brother s’il ne pleut pas à l’intérieur. Non, parce que les trous sont sur les sommets de la tôle, pas dans ses creux. La tôle ondulée, c’est ce qu’on fait de mieux. Sauf une fois, m’a dit Brother, où il y a eu des trombes d’eau bien plus conséquentes que celles de mon premier samedi et où les toits alentour se sont effondrés.

Domicile

Aimerais-tu habiter à Orange Farm pour toujours ? me demande l’ex-future-ex de mon landlord à mon retour. C’est une question que je me suis déjà posée.

Reflets

A vivre sans miroir, sans douche, et sans beaucoup d’intimité, on en oublie très facilement son propre corps, et ses petites minauderies, peut-être pour ne s’occuper que de celui des autres, de leur toute matérielle âme, et des relations très proches et physiques qui s’établissent.

E : Auckland Park, jeudi 21 février
S :
Auckland Park, 21.02.2008
 V : 25.05.2008
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Nouvelles brèves

Plume d’ange

Je le sais, ma vision de l’Afrique est teintée d’angélisme. Il est à l’image de mon désarroi quant au sens de notre grande marche à tous. Il est sans doute aussi une forme de cette nostalgie qui m’est interdite.

Mine plombée

Parmi les petits ressorts qui se brisent peu à peu, il y a celui des croquis. La soif, ou la fièvre, n’est plus là, et mes dessins sont ratés !

Ordinaire

En partie, mes premières impressions de Jo’burg ont été celles d’un touriste ébloui et pressé. Jo’burg est aussi une vraie ville, ordinaire, avec la vraie vie de milliers de gens, et leur trajectoire ordinaire ou extraordinaire. La ville fourmille de différents oasis où beaucoup trouvent à se nicher. Et dont les autres s’accommodent. L’albatros aussi.

Triste nuancier

Il semblerait qu’avant, les blancs pouvaient héler n’importe quel «Coloured» — Métis ou certains Noirs locaux institués comme tels — et exiger de celui-ci n’importe quel service, en tous cas usuel, lui glissant pour l’occasion quelques éventuelles cents de rand. C’est ce que, dans «Scènes de la vie d’un jeune garçon», raconte J.M. Coetzee — avec qui le critique du Magazine Littéraire n’avait pas tort de me trouver une proximité, nous nageons dans les mêmes eaux.

Le jeu de la terreur

Maintenant que les castes raciales ont été abolies, je me demande si les gens, ou une partie d’entre eux, ou l’intelligentsia que je côtoie, ne s’est pas inventé un nouveau jeu, le jeu de la terreur, évoquant sans cesse, même quand ils ne s’adressent pas particulièrement à moi, tel ou tel évènement avéré, ou tel danger possible. J’en arrive à me demander si ces dangers sont plus réels que les menaces pressenties par Miette dans nos parking souterrains ou sous les arbres de Noël qui bordent son avenue du Temple locale ?

E : Jeudi 21 avril, Campus Square
S : Alliance française, 22.02.2008
 V : 25.05.2008
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Coach

Dans un des premiers Tintin, Oliveira da Figueira arrive à vendre, en plein désert, une paire de skis, une cage à oiseaux, une cravate et un parapluie à Tintin. Ma coach pourrait aussi, je crois bien, même si des subtilités dans son débit m’échappent quand elle est en conversation avec d’autres. Mais j’ai vu, de mes yeux vus, son centre de Zymologie tout proche d’Orange Farm. Je ne l’ai vu que du dehors, une vraie bâtisse en belles briques rouges, mais qui apparemment ne ressemblait guère au Centre culturel high-tech qu’elle vantait aux convives attablés — présentation qu’elle a tout de même eu la sagesse de nuancer peu à peu.

Physiquement, ma coach ressemble à Zoé et à Corinne à qui elle ressemble moralement aussi. Mais en deux fois plus dynamique, plus entreprenante, et plus impérieuse. Là où elle passe, comme hier soir chez Allen l’écrivain, je doute que l’herbe ne repousse. Bien que soi-disant épuisée, elle prend tout en main, même ce qui apparemment ne la concerne pas. Sans rien demander, sans se soucier si c’est l’heure de le faire, elle trouve encore l’énergie de débarrasser — chose à laquelle personne n’oserait se risquer chez moi !

Sur le chemin du retour, nous parlons de son matin tôt.

Je dis :

— Le moment où tu fais ta méditation ?

Elle me répond. Sa méditation ne s’arrête pas là, elle séjourne en elle toute la journée, lui permettant d’affronter les conflits, d’assumer et de manifester au besoin sa colère contre son chef. Sa main dessine dans l’air une verticalité transcendantale, celle de l’oeil du cyclone, je suppose. Elle interrompt son geste pour saisir son portable — elle ADDENDA+<aussi > utilise son téléphone portable plus vite que son ombre, et, hélas, que l’ombre de sa pensée. ADDENDA+<Plus tard, elle m’apprendra qu’elle ne pratique pas la méditation institutionnalisée du matin. Elle redira que chez elle, tout est méditation. >

E : Alliance française, vendredi 22 avril
S : Alliance française, 22.02.2008
 V : 25.05.2008
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Moyo

Au sortir de l’Alliance française – où des contacts précis se sont établis, je donnerai jeudi une conférence à l’Université de Johannesburg -, comme mon Club de Bowling était plein comme une huître, avec même, cette fois, des joueurs sur un des greens, j’ai décidé de traverser le parc, vers le Moyo, une petite chaîne de restaurants de luxe. Je suis arrivé sous une tente suspendue. On m’a proposé une table. L’addition sera salée, trois ou quatre fois celle d’ailleurs, pas loin de 40 francs de chez nous, pour un verre de vin, un café et un buffet. Buffet certes, mais pas chiche ! quatre allers et retours pour salades, puis poissons, viandes et légumes, puis fromages et, enfin, desserts. Avec, cerise sur le gâteau des fromages, un verre de brandy sec et excellent. Il parait que la chaîne se veut africaine — une chaîne africaine en Afrique, qui paraît bien confortablement coloniale, avec un personnel tout d’amabilité familière, peinturluré sur le front et paré d’une couronne de plume. Un havre de paix que les old Britishs devaient déguster. Et dont je goûte à mon tour.

E : Moyo, vendredi 22
S : Auckland Park, 22.02.2008
 V : 26.05.2008
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Quartier indien

Fordsburg, vendredi 22

Fordsburg est un quartier indien. Dans ce quartier-ci, curieusement, les voitures n’ont plus comme unique objectif apparent l’éradication des piétons — nous, Européens dextrophiles, étant les plus vulnérables. Elles roulent au pas entre les maisons de quelques étages, urbaines, un peu délabrées, vaguement anachroniques.

Au marché ouvert, avec ses bancs de nourritures, d’épicerie, de parfums, d’encens et de gadgets en plastiques, malgré l’interférence des différentes musiques, j’ai cru entendre une feuille morte dans sa chute. ADDENDA+<Pourtant je n’avais rien consommé de spécial. >

Ensuite, nous avons fait des kilomètres dans la nuit pour accompagner le fils de ma coach chez des copains à lui, avec une musique très douce, une voix de femme chantant en sanscrit.

De retour chez moi, j’ai proposé un café à ma coach. Nous avons parlé, elle m’a interrogé sur ma sexualité, a dit des choses sur la sienne, et nous avons fait un point informel et sympathique. Outre que tout le dimanche elle fait le chauffeur pour ses enfants, elle a donc des tempos très différents. Et plusieurs visages. Elle a été odieuse avec la vendeuse de mon billet pour Maputo, alors que d’ordinaire elle est souvent très enjôleuse. Avec ses enfants, 20, 13 et 11 ans, très tendre mais peut-être un peu lourde.

E : Moyo, vendredi 22
S : Auckland Park, 25.02.2008
 V : 26.05.2008
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Tisane

Samedi soir, Myglove m’appelle. Elle est en route et me demande si elle peut passer. Je réponds que je suis en train… de travailler.

Le lendemain ADDENDA+<— honnêteté scrupuleuse et maladive ajoutée à un certains sens de la provocation, peut-être prémonitoire — > j’envoie un SMS pour lui avouer que je ne travaillais en fait pas, mais que j’étais en train de faire mes propres expériences avec l’herbe que nous a donnée notre ami écrivain, l’autre jour, en guise d’adieu sur le seuil de sa porte. Cette herbe, je l’ai diluée dans de l’huile d’olive puis dans du thé. Cela ne m’a guère fait d’effet. Je ne crois pas être fait pour les drogues, dures ou douces ADDENDA+<— à suivre — >. Le fourmillement de ma tête doit me suffire.

E : Home, vendredi 22
S : Auckland Park, 25.02.2008
 V : 26.05.2008
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AIDS

Il y a quelques années, il m’arrivait de croiser dans les rues de Lausanne de soudains squelettes ambulants, familiers ou inconnus, premières victimes locales du Sida. Avant d’arriver en Afrique du Sud, j’appréhendais de refaire de telles rencontres. J’ai été surpris que ce Sida, qui est sensé toucher vingt-cinq pour cent de la population, ne me saute pas au visage. Il n’apparaît que par détour. Quelqu’un évoque la cohue de convois funéraires en pagaille le samedi dans le grand cimetière sud de Soweto. Quelqu’un d’autre mentionne une famille dont tous les membres sont atteints. Quelqu’un parle de son père récemment disparu du HIV. Ou alors, hier, au festival de danses africaines auquel participaient le groupe des gamins de Brother — dans un autre groupe, un danseur, en pagne traditionnel, jeune et vigoureux, mais trop maigre, et qui reste tout le temps assis alors que son équipe attend debout, répète ou s’amuse.

E : Home, vendredi 22
S :
Auckland Park, 25.02.2008
 V : 26.05.2008
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About Sponge

ADDENDA+<L’existence précède l’essence. C’est autour de cette date que m’est venue le sentiment d’être l’éponge qui donne l’actuel titre de mon blog. Je laisse la rubrique ci-dessous pour des raisons historiques, peut-être aussi parce que l’existence est plus intéressante que l’essence, et qu’actuellement l’essence est très en hausse. >

Pour résumer aux gens d’ici la raison et les objectifs de ma résidence — comme écrivain de fiction cela reste un peu flou, ­j’explique que je m’imprègne, que je suis avant tout une éponge. L’éponge se gorge d’eau salée. En filtrant cette eau, elle se remplit de nutriments. L’éponge est un organisme multicellulaire très sommaire, je doute même qu’elle puisse avoir mal à son pied de fixation — voire même qu’elle ait une conscience douloureuse d’elle-même.

E : Home, lundi 26
S :
Auckland Park, 25.02.2008
 V : 26.05.2008
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Bactéries

P.S. Le dernier Sciences et Vie parle de bactéries qui, face à certaines menaces, se regroupent pour constituer un agglomérat oblong, une sorte de limace translucide, capable de se déplacer en roulant sur sa propre longueur. Dans cet agglomérat, certaines bactéries se spécialisent pour devenir des tueurs d’intrus, comme le font certains de nos globules blancs.

Peut-être faut-il repenser notre système de classification du vivant. Il se peut que notre distinction entre organismes unicellulaires et pluricellulaires n’ait pas vraiment de sens. Comme les conglomérat de ces bactéries, comme les essaims d’abeilles et les fourmilières, nous ne somme peut-être qu’un rassemblement d’organismes unicellulaires, globules blancs et rouges, spermatozoïdes et ovules, cellules de la peau et cellules nerveuses. Tout ceci sans perdre de vue qu’un groupe vaut souvent plus que la somme des éléments qui le compose.

E : Home, lundi 26
S :
Auckland Park, 25.02.2008
 V : 26.05.2008
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Rastaman

Samedi et dimanche 24 - 25 avril, Braamfontain, Yeoville et Auckland Park

Je vis avec mon temps, je suis moderne, ou je me modernise. Outre mon premier cell phone, c’est ici, en Afrique, que j’utilise un four micro-ondes pour la première fois — les doggy bags existent, ma coach me les a fait rencontrer, je me suis réchauffé d’excellents restes indiens.

Samedi, à la JAG (Johannesburg Art Gallery), j’arrive alors que la performance d’Ispahan a déjà démarré par un discours de présentation tenu par la sa collègue suédoise.

De loin, un jeune Noir, me fait un signe complexe mimant une caméra vidéo, avec une manivelle pour être plus directement explicite.

— No.

Je ne suis pas le cameraman qu’il attend.

Plus tard, je l’aide à porter du matériel à travers les rues crapuleuses. Plus tard, at lunch, nous parlons un peu.

À la fin de l’après-midi, au moment de m’éclipser d’une «conversation», sit-in institutionnel ou workshop — pendant laquelle je dessine avec un relatif bonheur l’assistance ADDENDA+<que je ne retrouverai plus après > —, je me glisse vers le jeune Noir et lui tend mon cell phone — diable ! je deviens moderne. Il y grave son numéro et son nom, se penche à mon oreille et me dit quelque chose, apparemment de l’appeler. Je suis très ému.

Plus tard, je lui envoie un SMS puis lui téléphone. Nous décidons de nous retrouver le lendemain matin, au Wits Theater où les gamins de Brother vont se produire. Après quelques tribulations modernes, nous nous retrouvons en tête à tête, d’abord à une terrasse, puis à marcher, puisque tous deux nous aimons ça.

Rastaman habite un tincamp au-delà d’Orange Farm. Ponctuellement il travaille à la JAB, au gris, pour des honoraires de misère.

Nous allons jusque chez moi. Arriver à prendre son dernier train devient incertain, il hésite, y aller ou rester, ce qui voudrait dire partager mon lit, ce sur quoi, j’ai, depuis peu, une hésitation. Finalement il va prendre un «cab» — m’apprenant dans le même temps un nouveau mot, plus anglais, pour taxi-bus. Nous décidons de nous retrouver le lendemain. Et d’aller à Yeoville.

À Yeoville où nous allons. Puis, revenus, nous nous apprêtons à prendre un autre cab pou aller chez moi. Je propose de faire d’abord quelques pas dans Newtown. Je demande à Rastaman s’il se souvient m’avoir entendu, hier, sommairement dire que les femmes ne m’intéressaient plus. Il se souvenait, il avait discrètement répondu qu’il allait bientôt être papa, d’où j’ai déduit quelques conclusions.

Il dit :

— Donc tu es gay.

Il se l’était demandé. Lui ne l’est pas.

J’explique :

— Cela ne me dérange pas de dormir avec toi, mais je vais peut-être mal dormir. J’ajoute : Si tu ne l’es pas.

Un certain flottement a suivi cette conversation. Dans le mall indien de Fordsburg que nous traversons, il m’a entraîné dans la visite d’un magasin d’articles de luxe pour nouveaux-nés. Puis il m’a raccompagné, loin, chez moi. Nous avons bu un verre ensemble. Lui d’eau, il est Rasta, moi une bière.

À sa demande, je l’ai présenté à mon landlord. Rastaman voulait savoir s’il pouvait éventuellement louer après mon départ — 3.5 mille rands alors qu’il en touche 150 par jour de travail effectif à la JAG. Mais m’a impressionné son côté direct et je l’ai apprécié. J’ai un peu envisagé que j’avais vu tout faux dans la société sud africaine et les rapports qui s’y sont établis. Quand Rastaman est parti, nous nous sommes fait deux grands shakes. Nous nous reverrons.

J’étais un peu triste et perplexe. Aussi parce que je me retrouve chaque fois, face à mes doutes et mes incertitudes. Il y aura encore à dire. C’est Rastaman, l’autre jour, qui m’a inculqué les rudiments de la langue zoulou.

E : Mardi 26, Zoo Lake Bowling club — où je dois remonter loin dans ma mémoire pour trouver une aussi bonne viande !
S : Alliance française, 26.02.2008
 V : 26.05.2008
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Le Négus

Rastaman m’explique que pour les Rastas, il n’est pas certain que Hailé sélassié soit mort. Il a simplement disparu dans les années 70, il se peut qu’il soit juste parti dans le désert.

Soudain il me semble que je l’ai personnellement croisé une ou deux fois dans mon quartier, lors de mes dix premières années d’existence — ma mère n’est plus là pour le confirmer, mais ma certitude s’affine ADDENDA+<, et ma sœur Corinne, pourtant de trois ans ma cadette, me l’a ultérieurement confirmé en commentaire spontané >. Je m’en rappelle d’autant mieux que c’était alors un des seuls noirs de Lausanne, et qu’il était déjà très vieux. Rastaman en est tout épaté.

E : Home, lundi 26
S : Auckland Park, 25.02.2008
 V : 26.05.2008
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Le parler zoulou

La langue zoulou utilise l’alphabet latin, le prononçant comme tel, à l’italienne — le zoulou a sans doute été retranscrit avant l’hégémonie anglaise, par les Allemands ou les Hollandais —. L’alphabet zoulou ne contient pas de « R », et que quelques lettres sont hautement explosives. Le « Q » se fait par un claquement de la langue contre le palais, le « X » par une explosion plus mouillée.

Le nombre se donne par un préfixe. « Indoda » c’est une femme, « Amadoda » ce sont des femmes, mais le préfixe change, je n’ai pas encore bien compris selon quels critères, peut-être de genre.

Les plus part des autres langues, sotho, tswana, swati, venda, songa, ndebele, xhosa sont, paraît-il, très proches.

E : Home, lundi 25
S : Alliance française, 26.02.2008
 V : 26.05.2008
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Relationship

Décidément les relations sont ici plus spontanées, simples et relaxes. Hier soir, peu après 20 heures, l’ex-future-ex de mon landlord, qui en avait probablement un instant assez de se quereller avec mon landlord, débarque chez moi. J’avais terminé mon repas, mais j’ai sorti de vieux fromages qu’elle a vaguement grignotés. Assez rapidement, mon landlord nous a rejoints, s’est assis à côté de son l’ex-future-ex, a vanté les différentes parties du pays, et parti chercher un livre sur les poissons de la côte Est, et, au passage, une bière de plus. Nous avons aussi parlé des cris d’oiseaux et des leurs, d’alcool et de dope. Dimanche en huit, mon landlord m’emmènera voir les Femmes en blanc, des Zionist — ZCC, église traditionnelo-africo-chrétienne —, ainsi que l’origine de l’humanité et toutes sortes de viandes grillées à déguster.

Il se peut que la ségrégation ait été, unilatéralement, inventée pour externaliser nos barrières raciales. Alors que j’imaginais que cela allait poser toutes sortes de problèmes que Rastaman, rasta des tincamps, occupe mon logement pendant mon absence mozambicaine, cela s’est réglé en trois coups de cuillère à peau, entre moi et ma coach d’abord, puis entre elle et mon landlord, comme avait été aisée leur rencontre lundi. Je projette sans doute ici la complexité guindée des relations camuso-chrétiennes euro-occidentales qui sont miennes, ainsi que mes propres à priori et émois ethniques, ciel !

E : Home, mardi 27.02.08
S :
Auckland Park, 28.02.2008
 V : 26.05.2008
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Météo

Mercredi 27

Ce matin le brouillard grignote le sommet des immeubles qui, curieusement, quand ils sont d’habitation, semblent, malgré leur hauteur, n’avoir qu’une ou deux pièces de largeur.

D’abord il bruinait par intermittence, puis un très violent orage s’est abattu, tout le monde allant s’abriter sous les tentes sommaires des marchands ou aux entrées des établissements, moi aussi — seul blanc du jour dans l’oeil de la ville basse ! Le patron du fast food où je me trouve présentement coincé, avec un certain sens du compromis puisqu’il devient plus sévère quand la pluie s’amenuise, prie inlassablement de ne pas stationner dans son entrée.

E : Feuilles volantes, Joubert Park area, in vivo, mercredi 27
S : Auckland Park, 28.02.2008
 V : 26.05.2008
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Radio FM 89.1 - Alexandra

Mercredi 27, Alexandra et Soweto

Êtes-vous accros de « Alexandra Commmunity FM 89.1», la radio du plus dense des bidonvilles, à l’est De Jo’burg, ruelles qui s’insinuent à angle droit entre des baraques en tôles de trois mètres sur trois ? Oui ? Alors, entre un poème en anglais et un autre en zoulou malawi très doux, sur le coup de midi quarante, vous aurez entendu « Si rage noire », slamé en français par votre serviteur, son auteur. Celui-ci encore une fois pris dans un guet-apens amical et imprévu, sous les auspices d’une présentatrice aussi volubile que dans «Fisher King» mais bien plus cool, qui switche du zoulou à l’anglais avec une désinvolture saisissante mais difficile à suivre.

Rebelote le soir, avec moins de bonheur et plus de difficulté, je me retrouve à dire le même texte, dans une slam session à Soweto, en parfaite simultanéité avec celle du dernier mercredi du mois, au 2.21 de Lausanne. Cette fois, j’abrège mon texte, mais l’ensemble de la session est trop long. Je constate avec un certains réconfort que les artistes d’ici ont les mêmes travers que nous, tendance à s’étaler, thèmes sans doutes rabâchés. Peut-être me manque-t-il la subtilité de compréhension des langues ? ADDENDA+< Plus tard, loin — au Mozambique — je crois, un des leurs m’expliquera, à juste titre peut-être, qu’il me manque les clés pour apprécier leur façon de faire, de dire et de s’étendre. >

Sur le moment, je me demande si les poètes d’ici ont, eux aussi, un vocabulaire limité à cent cinquante mots, comme, j’ai fortement tendance à le supputer, les poètes de chez nous. Et apparemment les petites querelles de chapelles et de sous ressemblent aux nôtres.

E : Feuilles volantes, Joubert Park area, in vivo, mercredi 27
S : Auckland Park, 28.02.2008
 V : 26.05.2008
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Ninjera, Rastas et Ethiopiens

Mercredi 27, Joubert Park Area

De retour à la JAG, Frisbee et moi avions faim. Mais il est Rasta et végétarien. Cette fois, c’est moi qui lui sers de guide dans le flot de la population locale. Je le conduit au premier étage de l’immeuble éthiopien, puis au troisième où je mange le meilleur des ninjera, coincé entre un billard et des sacs de riz, tout au bout d’un couloir où les petites échoppes, magasins, Internet cafés en arabe ou en amharique, salons de coiffure, tailleurs, ont remplacé les cabinets médicaux d’avant 1994. Frisbee, tout fou de se trouver avec des Éthiopiens, se lance dans un panégyrique extatique d’Hailé Sélassié. Il en devient prosélyte et véhément. Même si des nuances dans leurs différents anglais m’échappent, je sens que Frisbee commence à énerver les Éthiopiens, qui eux sont, ils le lui disent, simplement chrétiens. Je trouverais craquant de me prendre des coups dans une guerre de religion locale. Les Éthiopiens prennent leur distance en se concentrant sur leur partie de billard. Je profite pour en toucher un mot à Frisbee. Celui-ci trouve un précepte rasta rédempteur pour dire qu’aucune conviction ne mérite une guerre.

Ils sont curieux ces Rastas, qui sont végétariens, antialcooliques, fumeurs d’herbe, pacifiques et reconnus comme tels, et qui se sont, sans doute par erreur ou alors par une fantaisie de Bob Marley, trouvé un dictateur, je crois peu recommandable, pour s’en faire un doux messie. À creuser.

N.B. En saisissant devant l’ordinateur, je viens de rapidement creuser. Il y a une zone de flou. Le Négus y apparaît comme assez raisonnable — comme les Éthiopiens du troisième étage.

En attendant le rendez-vous pour nous rendre à la slam session de Soweto, je déambule tout l’après-midi seul dans Joubert Park Area, sans repérer aucun signal apparent de menace ou de danger. J’ai tout de même pris l’habitude de me donner des airs de passant ordinaire sans sacs — même sans montre au poignet, juste parce que c’est un signe distinctif inutile. En regardant surtout où je mets les pieds car souvent les couvercles des bouches d’égout font défaut — des dangers que curieusement les guides touristiques oublient de mentionner—, il me vient à penser que s’il n’y a pas de Blancs à Joubert, c’est soit parce qu’ils sont aussitôt éliminés, soit qu’ils n’y vont jamais. ADDENDA+<J’y suis retourné avec Lucia, au Ningera et dans les rues, tout aussi sans le moindre problème. >

La populeuse Joubert Park area se poursuit dans une succession d’immeubles très modernes et beaux — buisness centers et city —, au-dessous desquels les magasins deviennent de plus en plus luxueux mais où la population reste exclusivement noire. ADDENDA+<Cela indique visiblement qu’il y a désormais une city noire, et donc des Noirs qui se font de la thune. Il paraît qu’ils aiment à se faire construire de somptueuses villas au cœur de leur Soweto natal. Du reste, c’est juste au-delà de cette city que partent les taxi-bus qui ramène la population laborieuse le soir vers Soweto-township. >

E : Feuilles volantes, Joubert Park area, in vivo, mercredi 27
S :
Auckland Park, 28.02.2008
 V : 26.05.2008

Apartheid normalisé

Jeudi 28, Johannesburg University

Ce que dit Désiré, le professeur de français congolais chez qui j’ai donné ma conférence en anglais, me semble assez juste. L’apartheid n’est plus racial, il est économique, il s’est déplacé. Le critère n’est plus la race mais le porte-monnaie, l’Afrique du Sud rejoignant par là le rang des autres nations — ce qui apparemment est une amélioration.

E : Campus Square, jeudi 28
S :
Auckland Park, 28.02.2008
 V : 26.05.2008

Gisant

Dimanche, pas loin de chez moi, en bordure intérieure d’un trottoir, nous avons croisé un corps gisant dans une étrange contorsion immobile et silencieuse. Le corps a ouvert les yeux et bougé à notre passage, nous étions soulagés. De l’avis de Rastaman, il s’agissait d’un snifeur de colle. Une envie de plus qui disparaît, je ne snifferai pas de colle.

ADDENDA+<Ici, à Lausanne, on vient de me raconter un épisode sud-africain dans la droite ligne de la recommandation que l’on m’a faite plus d’une fois là-bas. Si tu vois un cadavre, voire, pire, un blessé, surtout ne t’arrête pas et fonce ! Ce genre de préceptes est dans la lignée des incessants rapprochements que ma petite tête a faits avec les USA, plus précisément, puisque je n’y suis jamais allé, avec le Far West, un Far West d’Épinal. Heureusement le problème d’un corps mort ne s’est jamais posé pour moi. >

E : Campus Square, jeudi 28
S : Auckland Park, 29.02.2008
 V : 26.05.2008

Transmission orale

Province du Mpumalanga, samedi 1 mars

Si quelqu’un te demande :

— Quelle est heure est-il ?

Si tu réponds :

— Il est déjà cinq heures.

Si ce quelqu’un s’exclame alors :

— Non ! Sois positif, bon Dieu !

Cela devient difficile. Voilà pourquoi ce week-end est, pour le moment, difficile.

C’est curieux, l’année passée lors de ma croisière en Croatie, un des coéquipiers exigeait déjà de moi des réponses formatées aussi bien formellement qu’au niveau du contenu, des réponses telles qu’il désirait les entendre — à moins que ce soit moi qui présente un problème particulier, mais alors, il s’annonce tout nouveau ! Cela explique pourquoi, ce matin, avec mon guide, je me suis le plus souvent contenté de répondre par oui, non, ou « okay », « its okay », « I am okay ». J’ai toute même protesté une fois, pour une histoire d’eau.

Et, à midi, quand Myglove m’a demandé si j’étais content de ma journée – il n’était que midi — j’ai répondu, en anglais :

— Quite.

Cela signifie à peu près. À peu près content. Je me suis ensuite expliqué, calmement, sans m’échauffer, avec un tact et une délicatesse qui me surprennent encore. J’ai expliqué qu’il s’agissait avant tout d’un problème de communication entre deux émetteurs récepteurs différents. Je ne suis pas sûr que cela ait arrangé grand chose, mais je me sens moins oppressé.

Pour une fois, l’Histoire, avec un grand “H” a de la suite dans les idées. Mon guide étant visiblement fatiguée, j’ai insisté pour prendre le volant, malgré mon appréhension pour la conduite en général et à gauche en particulier. J’ai fais cinq cents mètres, voulu repasser de troisième en deuxième, mais rien n’a répondu, plus de boîte de vitesses. Depuis, nous attendons la dépanneuse. Elle devrait mettre — elle mettra — trois heures pour arriver.

Pour ne pas rester au bord de la route, je me suis installé un peu au-dessus, à vue d’oeil et portée de portable, sur une souche dans une forêt brûlée qui domine le paysage, à plus de 2153 mètres certifiés récemment pas un écriteau. Une région si ravissante que, mis à part, au bord des routes, des cosmos mauves et sauvages à la place des coquelicots, elle ressemble à l’Auvergne, faisant la joie des Johannesbourgeois mais me pompant un peu. Sur ma souche, je chante. Je suis avant tout un homme de crise ! Je reste un mauvais touriste : rouler pour s’arrêter aux points de vue signalés comme magnifiques par des panneaux indicateurs — arborant le brun international et normalisé —, et précédés du grouillement des étals à souvenirs, je ne suis pas passionné. Ce tourisme réveille en moi des terreurs conjugales et primitives ! Heureusement, je sais qu’avec mes filles les choses se passent différemment, peut-être question de symbiose, ou, mieux, de prolongation positive et ramifiée de mon Moi ? Je réfléchis néanmoins à comment démarrer au mieux le périple touristique que je vais entreprendre avec ma fille Lucia.

E : En live sur place, dans l’auto en panne,
sur le laptop de ma guide après notes manuscrites sur ma souche,
au-dessus de Pilgrims’rest, samedi 1 mars
S : 4.03.08
V : 27.05.08
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La panne dans le Mpumalanga, suite

Dullstroom, samedi 1 mars

Enfin nous voilà rendus à Dullstroom, sur le coup des 21 heures. Au bilan, Myglove m’a donné raison : de toute expérience il y a quelque chose à tirer. Pour elle, ce soir, c’est la réconciliation avec l’humanité dans la solidarité redécouverte. Celle de quatre happy fellows, quadragénaires, qui sont repassés sur la route, trois heures après un premier contact avec Myglove et qui nous ont tractés jusqu’à un campement de luxe – à cause des dangers de la nuit ! Cinq minutes après, le camion de dépannage nous a rejoints et entraînés dans une lente anti-course poursuite dans la nuit, sur des routes de montagnes similaires à celles de nos plus petits cols alpins.

Le slogan des fournisseurs d’accès téléphonique devrait toujours être : Cell phone d’abord, pense ensuite ! Les mécaniciens nous cherchaient aussi.

Quand, enfin, nous nous sommes trouvés, ils nous ont reconduis à notre chez-nous du week-end, sur 80 kilomètres.

Téléphone d’abord, pense ensuite ! Lors du bilan du soir, face au moulin de la pensée positive de Myglove, ma pensée négative a joué le bief ou l’écluse. Dans la nuit, à 140 kilomètres heures, le jeune chauffeur conduisait exclusivement d’une main. On aurait pu le croire manchot s’il n’avait passé son temps à téléphoner — même pour se faire communiquer les données d’une carte que je possédais pourtant et que je lui avais poliment proposé de consulter —, téléphoner en s’éblouissant dans l’éclat d’un écran aux soixante-quatre milles couleurs et à menus défilants. Et de l’avis de Myglove, alors qu’ils nous attendaient dans la nuit à la jonction des deux routes, ils avaient bu. Elle dit avoir senti l’odeur d’alcool, alors que, moi, je n’ai relevé qu’une virile et bonne odeur de transpiration. Le gars conduisait bien, il était drôle et sympathique. Ils avaient encore deux heures de route pour retourner à leur point de départ, nous saurons demain s’ils y sont arrivés — oui, ils y sont arrivés. Je me suis retenu de lui dire que je craignais que Dieu ne lui prête vie assez longtemps pour atteindre cette Australie où il désire s’installer. Dans sa conversation avec Myglove, il switchait constamment entre l’anglais et l’afrikaans — j’imagine qu’après quelques semaines d’immersion je serais arrivé à saisir cet idiome, il est apparemment plus proche de l’allemand que ne l’est le hollandais.

ADDENDA+<Ces péripéties m’ont alors inspiré un aphorisme, même si les aphorismes restent peut-être chiures de l’esprit, je le livre comme synthèse des récents événements :

Aphorisme : Retour à la boite de Pandore

L’intelligence de l’homme s’est concentrée dans les téléphones portables. Pour disparaître partout ailleurs. >

E : Dullstroom, dimanche 2 mars,
S : Alliance française, 5.03.08
V : 27.05.08
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Du parler anglais

Je n’arrive à suivre les conversations en anglais qui ne me sont pas directement adressées que si je les intercepte dès leur origine, que je me concentre un max, et que les autres n’alternent pas sans cesse avec d’autres langues. Ceci fait que, par moments, en société, je me sens un peu isolé et abandonné, ce qui est peut-être constructif, mais réveille le souvenir d’un petit garçon exclu que j’ai éventuellement connu.

E : Dullstroom, dimanche 2 mars,
S : Alliance française, 5.03.08
V : 27.05.08
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Le Carré boer

Dullstroom, dimanche 2 mars.

Lors de la première guerre des Boers je crois, il y a une scène mythique que j’ai revécu à travers un film muet de propagande boer (c.f. rubrique : Pleurs et colères). La scène, c’est le rempart des chariots pour protéger le bétail et les femmes, et être à l’abri pour tirer sur les assaillants indigènes et leurs dérisoires sagaies, une bataille fameuse et victorieuse. Je crois que le carré des chariots n’était formé que sur trois cotés, le quatrième étant protégé par un défilé, ou laissé ouvert pour recevoir des renforts, allez savoir, je n’y étais pas, ni ne suis historien ! Désiré m’a fait remarquer que l’Université de Johannesburg, construite en 1975 par les Afrikaners, beau bâtiment au demeurant, reproduit le plan du carré mythique. Et des livres évoquent à l’envi l’obsession afrikaans de l’enfermement. Clôturage des immenses propriétés agricoles d’alors, des moindres attractions touristiques de maintenant, ainsi que de tous les parcs et réserves, de chaque propriété privée, voitures incluses – on roule portières et fenêtres bouclées. Il y a sans aucun doute des raisons objectives. Mais sans doute aussi, une obsession magique, propre à l’identité nationale du lieu. Moi, je suis rasséréné, je peux maintenir mon objet phobique traditionnel au pinacle de tous les dangers : l’automobile. Je dois y inclure, outré, les taxis-bus. Et les bus de lignes puisque j’en ai vu un qu’on retirait du ravin.

E : Dullstroom, dimanche 2 mars,
S : Alliance française, 5.03.08
V : 27.05.08
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Une petite ville perdue de l’est profond

Dullstroom, lundi 3 mars.

Dullstroom est une petite ville perdue parmi d’autres. C’est, je suppose, ce qu’il convient d’appeler l’est profond, en bordure de route, une route blanche, une succession de restaurants, pubs et café, en général plus cosy les uns que les autres, avec de curieuses et kitsch arrière-boutiques où l’on vend, par exemple, exclusivement des bonbonneries, ou des jouets d’enfants, des livres ou des fées en plastique. Certains de ces cottages ont du charme, l’accueil y a l’air agréable, les prix sont facilement prohibitifs par rapport à Jo’burg. Le dimanche comme hier, il a plein d’agitation et de trafic, mais à 9 heures du soir, tout est désert et éteint, sauf un pub-hôtel le long d’un des chemins perpendiculaires, juste après l’office postal — édifié en 1925. Tout près de notre cottage, il y a aussi un centre pour épileptiques, bien annoncé au bord de la route principale par un panneau arborant une devise encourageant à parler d’épilepsie. Il y a aussi un marché itinérant et indigène, curieusement situé ici, que je découvre lundi sur le tard. En outre il y a une voie ferrée, longée par une de ces lignes électriques comme je les aime, à l’américaine, mais les rares trains qui la parcourent ne transportent que du minerai, pas des gens. Assez loin, au-delà de la gare perdue, il y a le township, le township de Dullstroom, un petit patelin perdu le long d’une route perdue. Les tinhauses ont été remplacées par des maisons RDP (Reconstruction and Development Program). Dès 94, Mandela a lancé un programme de constructions sociales, des maisonnettes standard dont le toit seul reste en tôle ; ceci dans une vision down – top de l’accroissement du bien-être. L’actuel successeur de Mandela, Thabo Mbeki, est revenu à un concept plus classique, top – down, du genre : ce qui est bon pour le lobby minier le deviendra forcément pour tous les Sud-Africains ; le programme RDP a donc été abandonné (vers 2001).

Tout ça, c’est Myglove qui me l’a expliqué, du temps où l’on se parlait quelquefois. Mais cette nuit, j’ai juré. Fak off ! Je me suis excusé ce matin, mais la glace est trop prise.

À moins de me désolidariser, je suis prisonnier, en attendant le dépannage miracle.

Tout cela me rappelle des souvenirs — conjugaux, mais sans les bons côtés.

E : Dullstroom, lundi 3 mars,
S : Alliance française, 5.03.08
V : 27.05.08
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Brèves de ville et de campagne

Rasta drague

Dans le mall de Joubert Park, Frisbee abordant une jeune femme :

— Vous m’attendiez ?

— Non.

— C’est dommage, je l’ai cru, vous êtes si ravissante.

Drague de parc

À la gardienne de la petite réserve naturelle de Dullstroom, l’un d’entre nous, alors que les autres râlaient à cause du peu de prestations offertes pour le prix, très modique, du ticket :

— Vous devriez nous accompagner, cela rendrait la balade plus plaisante.

Drague d’uniforme

Un autre, en repartant :

— Et votre uniforme vous va très bien.

Le premier :

— Mais vous les femmes, vous êtes bien plus belles sans du tout d’uniforme.

Plus tard celui-ci apprendra que la jeune gardienne a 23 ans, qu’elle ne sait si on peut appeler travail le fait de rester tout le jour assise dans le cagibi derrière son guichet, où, ce lundi, elle aura eu que deux seuls visiteurs — plus ce premier homme —, pour échanger quelques mots.

E : Dullstroom, lundi 3 mars,
S : Alliance française, 5.03.08
V : 27.05.08
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Prisme

Un week-end assez désastreux comme celui-ci, avec ses contentions forcées, ses tensions dérisoires, et fantastiques, agit comme un prisme, un miroir, ou le bain d’un révélateur désormais à l’ancienne — me revient la lumière rouge d’un labo photo, quand je captais par hasard, sur Europe I, dans le noir, la retransmission d’un récital de Brassens. Un week-end comme celui-ci, jouant le microscope à effet tunnel, me montre un peu comment je vis, comme je suis, et comment je suis aussi, ordinairement, chez moi. Un week-end comme celui-ci met en exergue mes bizarreries, mes étrangetés de là-bas, la Suisse des antipodes. Il ouvre peut-être quelques pistes. Je suis sot, comme je fais, comme j’ai fait… Il est peut-être temps de tourner une autre page, d’ouvrir d’autres livres…

E : Dullstroom, le long de la voir de chemin de fer, le 3 mars
S : Lausanne, 27.05.08
V : 27.05.08
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La Femme buffle

Dullstroom – Melspruit - Johannesburg, mardi 4 mars

Dans la nuit entre lundi et mardi, entre différentes phases de sommeil et de rêve, la femme-buffle a visité mes songes — sans avoir besoin d’adopter la transformation eucharistique du film auquel ma pensée se réfère. Une visite qui ne relève pas des touffeurs moites des Afrique équatoriales chères à l’imagerie romantique occidentalo-coloniale. Une visite qui ne relève pas de l’influence de méditations, verticales et permanentes, ou de pacotille, melting-pot hindou-américain. Beaucoup plus concrètement, une visite qui relève de réminiscences et de significations freudiennes. La femme-buffle remonte de mon background. Et de ce background en tout cas, au travers de la très rude explication que nous avons le soir, Myglove n’est pour rien.

Visiblement, cette explication, et la visite de la femme-buffle, ont porté leurs fruits. Mardi le dialogue est rétabli. Drôle d’histoire !

E : Zoo Lake, mercredi 5
S : Alliance française, 5.03.08
V : 27.05.08
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Êtres et corps

Dullstroom, lundi 3 mars

Au-delà de la réserve de Dullstroom et de ses grillages acérés, le long de la voie de chemin de fer, je voulais revoir la rivière et ses multiples méandres. Je voulais aussi la photographier pour réfléchir avec Cécile si la traversée des infinies plaines mongoles allait vraiment en valoir la peine.

Je me retrouve donc à mille milles de toute terre habitée. Loin derrière moi, peu après avoir croisé un interminable convoi de minerai, j’aperçois un homme qui marche dans la même direction que moi. Comme je veux rester près de la rivière et attendre le coucher du soleil, je me joue une vague crainte, une rencontre genre western. Je grimpe sur le pont du train et m’assied sur le ballast. L’homme passe peu après, au-dessous, sur le petit ponton en bois à fleur d’eau. C’est un vagabond, un chemineau. Ses habits sont en guenille, la poussière brune lui éclaircit la peau. Fait fort peu significatif, il marche lentement. Nous nous saluons, il poursuit sa route. Je le laisse aller, j’attends. Aussi le coucher du soleil. Me reviennent ces histoires entendues neuf ans plus tôt, en Afrique de l’Ouest, d’hommes atteints du sida qui partent mourir dans la savane. Sur mon chemin du retour, je pourrais tomber sur un corps, celui sans vie du chemineau, ou pire, agonisant. Que ferais-je alors ?

E : Zoo Lake, mercredi 5
S : Alliance française, 5.03.08
V : 27.05.08
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Routinier

C’est curieux, il a un certain nombre de gens qui pensent que je suis gentiment un peu fou, ce qui est probablement juste.

Certains, principalement des femmes de plus de 50 ans, me trouvent absolument charmant, elles ont raison.

Et beaucoup considèrent que je suis un être, certes un peu instable, mais plein de fantaisie. Or, avant toute chose, je suis un homme de routine. Ce sont, avant tout, mes petites habitudes que je chéris. Heureusement, il me suffit encore de deux jours pour les établir.

E : Bowling club de Zoo Lake, mercredi 5
S : Alliance française, 5.03.08
V : 27.05.08
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Mon agence immobilière à Soweto

Ipelegeng 5, 6 et 7 mars

Shacks

On dit tinhaus ou shack, shack signifiant simplement cabane. Des shacks en tôle ondulée, il y en a de différentes catégories, de une à cinq étoiles. Le loyer mensuel de la tinhaus de Good est de 150 rands (25 CHF). C’est une pièce unique, de 4 sur 2, avec une fenêtre au coin vers la porte, un gros frigo, une cuisinette, une télé et une chaîne stéréo près du lit, une chaise aussi. Il y a plu à l’intérieur mercredi soir. Les toilettes émaillés, collectifs, sont au milieu de la cour. Je ne sais pas où se trouve l’eau.

Good pourrait en acheter une même pour 2’500 R. Une demi-maison RDP en coûte 25’000. Un module dans les immeubles de l’autre côté de la voie ferrée, 50’000. Et un appartement-villa-mitoyen dans le parc de Myglove, 360’000. Dans les modules et dans le parc de Myglove, on est en prison, chaque bloc étant cerclé de grilles ou de murailles, électrifiées ou non. Et la population de ces prisons reste spécialisée, sélectionnée ou sélective, selon des critères premièrement économiques mais qui en recouvrent d’autres.

Kliptown

Dans une bonne lumière du soleil, même les quartiers de tinhauses à une seule étoile ont un certain charme. Surtout depuis le pont de la route, mais aussi vu des ruelles. Malgré l’exiguïté et la densité, l’absence d’eau courante et de toilettes — reléguées à ces modernes boîtes en plastique bleu que l’on trouve aussi en bordure de nos festivals d’été —, les gens prennent le temps de sécher leur lessive et de faire grimper des volubilis sur les grillages de fortune qui séparent les maigres parcelles. À l’occasion d’un pot de peinture dégoté Dieu sait où, ils agrémentent quelques-unes de leurs tôles de couleurs vives ou de taches éclatantes, ceci tout en négligeant plein d’autres choses. En hiver, avec le froid, et quelquefois le gel, cela doit être moins drôle et moins bucolique. Lors des fortes pluies d’été — décembre et janvier surtout —, tout sèche très rapidement je crois, grâce à l’altitude je suppose.

J’ai eu l’occasion de jeter un oeil dans une mini mini tinhaus particulière, à classer hors catégorie — même un chien n’en voudrait pas. Pourtant, peu après, j’ai croisé son occupant, il avait l’aspect d’un chiffonnier parmi tant d’autres, un chiffonnier comme Good l’a eu été.

En bordure de Kliptown, il y a un quartier plus ancien, avec des maisons antérieures à l’usage répandu de la tôle ADDENDA+<— pas vraiment car, vérification faite, la tôle ondulée a été brevetée en 1829 déjà, galvanisée dès 1844 et s’est aussitôt répandue dans le monde —> , dont celle, conservée comme monument inoccupé, d’une militante de la première heure, décédée en 1937. J’ai visité un autre logement et discuté avec l’épouse qui, derrière un grillage ajouré, tient une petite échoppe, essentiellement de téléphonie via un mini-réseau connecté à un cell phone. Elle vend aussi des patates frites — dans ce pays, appelées chips — et des petits en-cas.

Pas loin, il y a aussi la maison-arbre. Un énorme arbre mort surgit de son toit. Y habitent deux vieilles, l’une d’elles a beaucoup de prestance et d’hospitalité. Une des branches de l’arbre est récemment tombée dans son jardin. Elle tient à me la faire voir, je découvre ainsi l’intérieur de son habitation. L’arbre n’est pas dans la maison, celle-ci a été construite tout autour. Quand la femme est arrivée ici, il y a 30 ans, l’arbre était verdoyant. Maintenant, cela lui coûterait 400 rands (~60 CHF) pour le faire couper par la municipalité, mais elle ne possède pas une telle somme.

À l’autre extrémité de Kliptown, découverte depuis un autre pont, un grand troupeau de vaches à longues cornes broute gaiement entre les cabanes. À certaines heures, les enfants vont et viennent à l’école, en uniformes bleus ou verts et chemises blanches impeccables — ils possèdent cinq chemises blanches, ou trois, dans ce cas-là, celle du lundi est lavée le mardi, etc. Le long de la voie ferrée — que l’on traverse plus volontiers que la passerelle surélevée —, les femmes, leur bébé dans le dos, tiennent un petit marché.

Écran souvenir

En arrivant à Kliptown, à pied par la route, j’ai eu un choc, mais un choc lent, comme quelque chose que l’on dégurgite et qui remonte. Précédent les premières baraques, une petite rivière, presque tarie maintenant, peut, en décembre et janvier, monter au-delà des premières tinhauses. En dehors de ces crues, ce no man’s land sert de soue dans laquelle pataugent des cochons noirs, et d’autres roses mais sales. Une cabane basse leur offre mangeoire et abri. Or c’est assez précisément le décor de la toute fin de mon gros manuscrit, «La Chose», une scène que j’ai imaginée se dérouler en 1515 et que j’ai écrit il y a deux ans, soit deux ans avant de m’en retrouver face à face.

Freedom Square

Au-delà de la voie ferrée, s’élève Freedom Square, un bâtiment monument à la gloire des premiers regroupements politiques des années cinquante, fait de deux ailes séparées par une large place publique. Une de ces ailes abrite étonnamment le ministère du budget, paraît-il. Et l’autre un hôtel, un Holiday Inn, mais suspendu, original, et plutôt beau. Sur la place deux tours tronconiques ont été érigées. L’une, en tôle de tinhauses, récupérée, abrite des éviers à disposition des maraîchers. L’autre, en brique, — pourquoi ce choix ? —, conserve la table ronde de la constitution sud-africaine, ses dix premiers et idéaux articles gravés dans le marbre. Certains hélas, comme la réappropriation des ressources minières et bancaires, resteront encore longtemps lettre morte.

ADDENDA+<

Hélas, en approfondissant mes recherches, je découvre que le texte en question est en fait la « Freedom Charter » texte adopté par le Congrès du Peuple, à Kliptown, le 26 juin 1955 (c.f. http://www.anc.org.za/ancdocs/history/charter.html). >

White City

À Soweto, autour de Centre Ipelegeng où j’ai logé, le quartier s’appelle White City. Ceci parce que, depuis les années cinquante, date de la formalisation de l’apartheid, jusqu’à 1975 où ils ont décampés, le quartier était occupé par des soldats blancs — un des rares avantages d’être Noir était que tu n’avais pas droit aux obligations militaires. Les soldats logeaient dans des maisons de la taille d’une double RDP, mais facilement reconnaissables à leur toit voûté en béton bombé et peint. Depuis 75, ces maisons ont été divisées, en deux, trois, ou quatre parties, maintenant occupées par les habitants ordinaires de Soweto. Dès qu’on ne voit plus ces curieuse bâtisses en béton, on sait qu’on est sorti de White City.

Non pas à White City, mais à Kronstad, à 100 kilomètres au sud, lors de son service, mon landlord, fusil au poing, a reçu l’ordre de donner l’assaut et encercler un township. Mais un des assaillants, malin et au courant des codes militaire, a tiré une fusé verte, qui signifie retrait. Les soldats se sont alors retirés, avant d’avoir commencé quoi que ce soit.

Zoo humain

Juste après Freedom Square, toujours à Kliptown mais avant les ex-quartiers de Coloureds et d’Indiens, avant le quartier d’Eldorado Park, un panneau touristique brun indique un point d’entrée. Il s’agit de tinhauses, mais, curieusement, vides. C’est un vrai musée, même s’il est contigu à de vraies tinhauses qui reprennent aussitôt derrière.

Guidé par Good, je suis un groupe de touriste à moi tout seul. Nous avons croisé un autre groupe, de 5 ou 6 Blancs. Tout cela pose le problème du zoo, et celui des zoos humains. Pendant tout mon séjour à Soweto j’ai laissé mon appareil de photos, le gros, dans ma chambre.

Côté zoo, il faut tout de même relativiser. Quand des Japonais viennent à Lausanne, ils nous observent et nous photographient comme étant des être humains curieux et exotiques, sans que cela ne nous dérange outre mesure. Sauf qu’à ma connaissance, ils ne pénètrent pas, tels quels, dans nos foyers. Se repose à mon front — au Caucase pareil — le problème des grilles et de savoir de quel coté se trouve la prison ? Et quand les enfants que j’ai dessinés hier soir s’intéressent tant aux poils que j’ai sur les bras, qui est l’animal observé ? Par contre j’ai raconté à Good que, un temps, un de nos musées abritait un Noir empaillé ADDENDA+<— où en Suisse, je n’ai pas retrouvé, mais je suis tombé sur l’interview délirant du conservateur du musée de Banyoles en Espagne — >.

Condoms féminins

Au marché sous le Holiday Inn, à deux femmes en train de vendre quelques légumes, une autre, une déléguée sans doute, explique, l’objet bien lubrifié en mains, comment utiliser le condom féminin. Le modèle masculin, mon guide en utilise toujours, il ne tient pas à mourir jeune. On peut s’en procurer gratuitement dans les centres médicaux. Apparemment, les personnes séropositives sont tout d’abord soignées selon la méthode — mondialement contestée mais préconisée en son temps par Thabo Mbeki, l’actuel président — de vie saine, vitamines, et nourritures traditionnelles. Une fois le sida déclaré, on peut accéder aux trithérapies, qui coûtent autour de 900 R par mois — environ dix fois moins que le prix suisse — mais la gratuité des soins est garantie par la constitution, et l’état sud-africain fait produire des médicaments génériques.

Alexandra

Rastaman, qui n’était jamais venu à Alexandra auparavant et qui habite un tincamp plus loin qu’Orange Farm, est d’accord avec moi. À l’opposé de Soweto, au nord-est de Jo’burg, Alexandra est un tincamp hors toute catégorie, avec une densité de shacks et de population inégalée. Et encerclé de chiottes en plastique, bleue au milieu d’ordures éventrées. Ce qui ne l’empêche pas d’avoir un certain charme, celui de la vie vivante, encore et toujours.

ADDENDA+<C’est apparemment ici qu’à partir du 11 mai ont commencé les émeutes xénophobes dont les médias se font actuellement l’écho >

E : Ipelegeng, vendredi 7 mars
S : Alliance française, 10.03.08
V : 23.06.08
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La vie est une nouvelle : La môme de l’A.N.C.

7 mars

Un centre administratif et culturel implanté au coeur d’un important township. Un écrivain d’âge moyen, assis sur le muret qui sépare le péristyle de la grande cour intérieur, prend des notes dans un calepin genre Claire-Fontaine fuchsia. Une jeune femme s’installe contre la colonne vis-à-vis de la sienne. Elle est habillée à la façon branchée des Africains, une mode noire assez internationale, mais ici très soignée et portée avec classe, des pantalons de training blancs, qui pourraient avoir été conçus par une maison de haute couture, un t-shirt jaune dans un stretch impeccable, et un survêtement dans la même ligne. Elle est très bien coiffée, avec des lunettes noires portées en diadème et d’immenses créoles en argent. Elle a l’air impatiente, elle soupire plusieurs fois.

L’écrivain, un timide pourtant, pourtant sous le charme, compatissant, lui demande dans son anglais hésitant si quelque chose ne va pas.

Elle regarde sa montre et dit :

— J’attends, j’ai rendez-vous, il y a une réunion pour préparer le congrès de l’A.N.C.

Parce qu’embarrassé sur comment poursuivre, l’écrivain timide se replonge dans ses notes.

Peu à peu arrivent les délégués, des hommes et des femmes importants, la plupart en complets cravates et tailleurs.

La jeune femme s’approche de l’un de ceux qui se dirigent vers la salle de réunion, qui avait jusque-là soigneusement évité de regarder dans sa direction.

Il ne se montre guère hospitalier :

— Ah, tu es là ! Mais qu’est-ce que tu fais ici ?

— C’est toi…

Il semble se souvenir :

— C’est vrai, mais…C’est une réunion importante.

Ils passent ensemble la porte, il désigne quelques chaises contre le mur :

— Assieds-toi là. Il hésite : Si tu veux, tu peux m’attendre !

La réunion dure, elle est animée, il s’agit de bien préparer la rencontre du lendemain. Les langues qui claquent sur certaines consonnes locales font un joli bruit de pluie sur un toit de tôle.

Enfin, le délégué sort en poursuivant une discussion animée avec un groupe de collègues avec qui il se dirige vers la salle à manger. Un vaste buffet, que des femmes moins distinguées ont installé pendant la réunion, les attend.

La jeune femme le rattrape sur le pas de la porte.

L’homme est ennuyé :

— Ah, tu es restée… Il hésite : Si tu veux, tu peux manger. Bien sûr, tu peux manger.

Il se dépêche de rejoindre les autres dans la queue.

Une fois qu’elle a rempli son assiette, la jeune femme vient vers leur table, mais toutes les places sont prises. Son ami délégué ne fait rien pour lui en aménager une, ni pour l’inviter à se joindre à eux.

Plus tard, le voisin du délégué, un des représentants du Kwazulu Natal, s’absente un moment.

Quand il revient, il heurte discrètement le coude du délégué :

— Dis donc, tu laisses ta poule toute seule ? Elle est rudement bien ! Elle me fait de la peine. Je lui ai demandé si ça allait, ça n’a pas l’air d’aller.

Le délégué amorce une mimique signifiant que c’est sa faute à elle :

— Elle prend tout tellement au pied de la lettre. Si tu la veux…

Le représentant du Kwazulu Natal hausse les épaules et montre une femme de leur âge au bout de la table, laissant entendre par là qu’il n’est pas libre, mais c’est peut-être une fausse excuse car il semble avoir de la tendresse pour l’autre déléguée.

Dehors, la jeune femme fume des cigarettes. De temps en temps, elle jette un oeil sur l’écrivain, celui au calepin genre Claire-Fontaine fuchsia de tout à l’heure. Il est en train de manger avec d’autres Européens des plats macrobiotiques laborieusement préparés jusque-là par le directeur d’une troupe de danse belge.

Il est rare que les regards de ces deux se croisent. Il ne se passera rien entre eux. Pourtant, bien que de plus en plus maussade, un peu relâchée, la jeune femme reste belle et élégante.

Enfin, les différents membres du comité s’en vont. Le délégué laisse prendre un peu d’avance à ceux en compagnie de qui il se trouve.

Il s’approche de la jeune femme, avec un ton expressément sévère :

— Ah, tu es encore là. Il aménage un silence : Attends-moi, je reviens !

Il rejoint ses amis. Des portières se referment, des voitures démarrent. La jeune femme suit tous ces mouvements de loin. Elle se détend quand elle distingue la silhouette du délégué se détachant devant le lampadaire, il est en train de téléphoner sur son portable.

Ensuite il la rejoint :

— Viens ! Il soupire à cause de la dépense : J’ai dû appeler un taxi.

Il part devant, elle le suit.

Ils se réconcilieront. Au moins le temps d’une nuit. Certaines femmes sont souvent contraintes à se montrer magnanimes.

E : Lausanne le 1 juin
S : 2.06.08
V : 02.06.08
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Taxis-bus

Deux véhicules sur trois sont des taxis-bus. En général, des minibus Toyota très délabrés qui peuvent accueillir de 13 à 15 passagers, jamais debout, jamais plus. Il arrive qu’ils soient neufs, luxueux et équipés de ceintures de sécurité à l’avant. Leur destination n’est jamais indiquée. Si, depuis le trottoir, on lève un index vers le ciel, cela signifie qu’on désire rejoindre le centre ville, de Jo’burg s’entend, plus ou moins. Deux doigts signifie local. Deux doigts horizontaux signifient sortir de ville — ou tout autre chose, on peut toujours arrêter le bus et essayer de demander. Aux points d’embarquement fréquentés, il y a un type qui aiguille les gens. Il est, je crois, de temps à autres rémunéré par les chauffeurs.

L’aiguilleur de cet après-midi n’était pas content parce que j’ai demandé confirmation aux passagers quand à la destination du taxi-bus. Les passagers du fond m’ont fait comprendre que je devais venir occuper la dernière place vacante de leur banquette. Heureusement, j’avais aussi le plus petit postérieur, ici les femmes prennent rapidement du poids. Le taxi-bus est le meilleur endroit pour se fondre dans la vie, mène si les amortisseurs nous rappellent quelquefois à des réalités plus triviales.

La rumeur locale veut que si les chauffeurs, qui ne sont pas propriétaires de leur véhicule, empiètent sur le territoire des autres, les autres chauffeurs sont chargés de leur tirer dessus, même s’ils conduisent, tant pis pour les passagers à bord. Mais, pour l’instant, je n’ai rien vu ni entendu de semblable. La municipalité a fait construire quelques grandes station couvertes, en ville pour la périphérie, à la périphérie pour l’au-delà — celle du Sud s’appelle North ADDENDA+<Information inexacte, je me suis embrouillé les pinceaux, et plus tard ceux de Lucia, ce qui nous a permis de comprendre que North, en fait Noord, désigne en réalité la nouvelle gare générale de Johannesburg, celles des bus aussi bien que celle des tains — c’est du reste de là que, sans le réaliser, je m’embarquerai bientôt pour le Mozambique. En fait la gare s’appelle Park Station, mais comme elle se trouve à la Noord road, tous les gens qui utilise le terminal des taxis-bus desservant les autres villes préfèrent lui donner le nom générique de la rue. Et Noord veut certainement dire du nord, septentrional en afrikaans comme en hollandais et en flamand. >

Aller de chez-moi au centre ville est plutôt aisé. De la ville à chez moi l’est moins. En local, cela coûte relativement cher, au moins 4R (56 cts). Jusqu’en ville, 6R, de la ville jusqu’à passablement plus loin, seulement 7R, tout le monde sait ça. Et si tu ne sais pas, tu demandes à ton voisin. Tu passes ton argent, ou tu reçois celui de derrière que tu passes plus loin, en précisant pour combien de personnes c’est. La monnaie revient, chacun la redistribue. Et cela fonctionne bien !

Mon landlord, avec qui j’ai fait ce dimanche 150 kilomètres en moto dans le veld, n’a jamais pris le taxi-bus. Mais nous sommes tous deux d’accord que je fais ici plein de trucs que je ne fais pas chez moi — où les vaches sont tout aussi bien gardées, et les groupes socioculturels sans doute aussi. Mon landlord relève aussi, à juste titre, qu’en peu de temps, je fais beaucoup plus de rencontres que lors de la vie ordinaire — peut-être moins profondes ou établie qu’elles ne l’étaient en 99, lors de mon mois à Gorom-Gorom.

E : vendredi 8 mars
S : Alliance française, 10.03.08
V : 27.05.08
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Futiles marécages

lundi 10 mars

Je suis en train de lire «En un étrange pays» (1991) de Schoeman, écrivain sud-africain marchant dans les traces de Thomas Mann et de sa Montagne Magique. Ici aussi le héros est tuberculeux. La seule chose qui maintient ma curiosité en éveil, bercé par le rythme suave des phrases ondulant comme dans les arias de madame Sarkozy, c’est de savoir si une fois enfin, au-delà de la page 240 où je me trouve actuellement, nous quitterons les ombres dorées de soleil se couchant chaque soir sur les vapeurs du personnage principal, et surtout si nous sortirons de la description méticuleuse des menus quotidiens pour qu’enfin quelque chose se passe ? ADDENDA+<Réponse : non, il ne se passera jamais rien et nous ne serons même pas certains qu’au moins il ait le bon goût de mourir à la fin faute d’avoir fait quoi que ce soit d’autre. Tout de même, pour autant que les romanciers soient fiables — mais le sont-ils ? je n’en connais qu’un d’assez près —, il semblerait que, aux alentours de 1860, les riches notables s’en revenant d’Europe à Bloemfontein, alors qu’ils mettaient 6 semaines en diligence depuis Cap Town, se faisaient livrer en char à bœufs du champagne en quantité suffisante pour en offrir six bouteilles à un tubard convalescent venu en cure pour la qualité de l’air soudain concurrente de celle de nos Alpes suisses ! >

Il m’arrive de temps à autres de me demander comment j’ose écrire ce que j’écris dans certains de mes récents manuscrits — écrire de telles futilités ! — mais je vois que j’ai des maîtres, reconnus, à la cheville desquels je ne suis pas digne d’arriver !

E : Bowling club, lundi 10 mars
S : Alliance française, 10.03.08
V : 27.05.08
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Bon et pas cher

lundi 10 mars

Je viens de manger, pas mal du tout, pour 5 francs 10, pourboire compris, vin, eau avec glaçons, fish and chips. Ceci alors que dans les pays où la restauration est bon marché, ce qui est le cas ici, les fast foods sont chers, et pas meilleurs qu’ailleurs.

E : Bowling club, lundi 10 mars, 13 heures 30
S : Alliance française, 10.03.08
V : 27.05.08
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Genre Claire Fontaine

lundi 10 mars

Je suis arrivé au terme des 96 pages de mon premier calepin, un « Oxford » taillé « Claire Fontaine » à ma façon.

E : S : Alliance française, 10.03.08
V : 27.05.08
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Parfum de madeleine ( qui m’attend là...)

Melville, le 10 mars

Souvenir rétrospectif. Ce jour-là, alors que je rentrais à pied de l’Alliance française, dans Melville mais sur un bout de route pas très fréquentée, j’ai aperçu un homme sortant d’une voiture qu’il venait de stationner. Il avait terminé sa journée, sans doute une journée de bureau, et s’en allait à un rendez-vous. Il devait avoir un plan, car il a sorti un spray déodorant et s’en est imprégné les aisselles. Une fois, deux fois, trois fois. Horizontalement, verticalement et en oblique. Verticalement et horizontalement. Et en oblique encore, deux fois, croisées. Et un dernier petit coup pour la route. J’ai cru que toute la bonbonne allait y passer, cela m’a amusé.

Pourtant là-bas, je n’ai que très rarement été incommodé par de odeurs, jamais dans les taxis-bus, quelques rares fois en périphérie de certains bidonvilles, un peu plus fréquemment à Madagascar — ceci peut-être par loyauté à la France des années cinquante, où les immeubles étaient taxés par salle de bains, dit-on.

Curieusement c’est maintenant, ici, à Lausanne, maintenant que je suis rentré depuis bientôt trois semaines, que je me sent agressé par des odeurs que je trouve envahissantes. Celles, synthétiques, des parfums, déodorants, déodorants intimes, crèmes pour les mains, rouges à lèvre et beurres de cacao, gaufres, lessives et autres produits de nettoyage. Et ceci, dans la rue. Remontent-elles à mes papilles comme des madeleines qui soudain me paraîtraient soudain faisandées ?

E : Lausanne, le 16 mai
S : 22.05.08
V : 01.06.08
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Autres brèves

Must

Ici, dans les grandes surfaces, on trouve, oh ! merveille ! de l’huile d’olive en spray ! ADDENDA+<Nous la testerons lors de nos pique-niques, Lucia et moi. Outre qu’elle a le goût d’huile rance, cela ne sert qu’à en mettre tout autour, surtout s’il y a du vent — ou juste, paraît-il, pour graisser la poêle >

Mes ennemis

Je déteste les hadidahs, ils éprouvent le besoin, surtout au crépuscule, et, pire, à l’aube, de voler en formation de trois ou quatre tout en poussant leur horrible cri, Quand ils sont perchés sur les lampadaires, ils lâchent de longues fientes filandreuses. Quand je veux les photographier — car j’aime à photographier mes ennemis —, ils ne sont plus là, ou refusent de bouger, pourtant ils ont de beaux reflets bleus métallisés et leur long bec recourbé n’est pas disgracieux. Il faudra que je demande à beau-frère Aleko si les ibis grecs ont des chants aussi disharmonieux.

L’argent noir

Mes amis Rasta par exemple, n’ont pas assez d’argent pour s’acheter du « airtime » pour leur cell phone, quand bien même certains providers en vendent pour 75 centimes déjà. Pas non plus de quoi prendre le taxi-bus, ou alors pour rentrer. Même s’ils portent quelquefois des habits de marque — Good a un baladeur mp3 —, c’est évidemment sous cette contrainte des faits, que les Africains n’éprouvent, ou ne manifestent, aucune gêne à ce que le Blanc qui les accompagne paie. Même le poète rasta, que j’ai vu âprement négocier les tarifs des écrivains auprès de la chercheuse universitaire, fait ainsi.

ADDENDA+<A l’extrême, abruptement, Nadine Gordimer, Prix Nobel sud-africaine, le dit fort bien dans « Un caprice de la Nature », un fort beau livre que j’ai lu sur place. Elle y parle, entre autres, des gens de son pays : [ce sont] ceux qui ont le choix [qui] ont une morale. >

Quoi qu’il en soit, depuis que je suis rentré de mon périple africain de 99, la réflexion et la sagesse aidant, je me suis juré de ne plus jamais m’échauder en Afrique pour ses stupides questions d’argent qui nous titille, nous Européens. Ceci quitte à me faire rouler au besoin. Je m’y tiens. C’est amusant, alors que j’écrivais ces mots à la terrasse d’un bistrot, un billet de 50 rands a dû tomber de ma poche, j’espère qu’il aura fait un plus heureux que moi.

Tout cela amène tout de même à se demander si on ne sert qu’à ça ? Ou, plus exactement, moi qui pourtant me sens souvent un peu inutile, voilà que soudain le fait de servir à quelque chose me dérange un peu. Voila aussi pourquoi je tarde à appeler Rastaman — en outre, depuis samedi, il a ses haricots, alors tout va bien —, à suivre.

Météo

Il est probablement avéré que, descendant vers le Sud, certains tuberculeux du XIXème, au lieu de se rendre dans les Alpes suisses, ont préféré Bloemfontein, l’ex-capitale du pays, à 200 Km de Jo’burg. Et mon Landlord est convaincu de la réputation de Johannesburg qui, outre ses arbres et sa foudre, aurait le meilleur climat du monde.

People

Déjà je croise des têtes connues à l’autre bout de la ville et qui m’interpellent par mon nom. Jo’burg est-il un petit village ?

Melville

Melville, c’est le Saint-Tropez de Jo’Burg. Sans la mer.

E : Xaï Xai, Melville, mardi 11 mars
 S : Alliance française, 10.03.08
V : 27.05.08
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Agressions !

mercredi 12.03.08

Aujourd’hui j’ai peut-être, enfin, été un tout petit peu victime d’une tentative d’agression, voire deux. De la première, j’en doute encore. La seconde, Rastaman, présent, l’a répertoriée comme telle, soit ! Mais sans fruits. Les scénarios sont chaque fois les mêmes. Quelqu’un me bouscule très vaguement et s’excuse poliment. Aussitôt quelqu’un d’autre m’aborde pour m’expliquer ce qui s’est passé, ceci dans un anglais plutôt abscons, avec une reconstitution très amplifiée à l’appui. Si j’avais été délesté pour de bon, cela aurait eu valeur de certificat. Mais je n’ai apparemment rien perdu. Il faut dire que depuis un certain temps déjà, je me déplace presque nu. Et que, quand j’y pense — ce qui n’était pas le cas aujourd’hui — je mets mon portefeuille dans ma poche cuissarde avant.

E : Campus square, mercredi 12 mars
 S : Home, 13.03.08
V : 27.05.08
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Exquise politesse

mercredi 12 mars

Dans la station-garage des taxis-bus, on m’aiguille d’abord sur le mauvais taxi-bus. J’en ressorts, m’enquière, traverse. Il y a beaucoup de bruit, de mouvement, de cohue des taxis qui se bousculent parmi.

Je crie à un quidam :

— For Melville, Auckland Park ? Je baragouine un nom, une approximation de Honeydew, la destination théorique finale du bon taxi-bus : Honeydew ?

Sur un ton fort aimable qui sous-entend un «tout d’abord» — ou l’a-t-on murmuré ? —, il m’arrête :

— Hello, how are you?

— Oh ! Excuse me, of course ! How are you, I am fine, you too, and for Melville ?

Dans le taxi, à mi-course, après que j’ai laissé descendre une fille et que quelqu’un d’autre est monté, je me retrouve à coté du chauffeur, la place préposée à collecter la monnaie. Hélas, personne ne requière mes services !

E : Campus square, mercredi 12 mars
 S : Home, 13.03.08
V : 28.05.08
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Géométrie dans l’espace

Il faut imaginer une balle d’enfant ou d’entraînement, en plastique mais un modèle avec autant de trous ronds que de matière. Peut-être mieux, une forme à chaussures en bois, comme en avait maman, concave, avec aussi plein de trous pour la respiration du cuir. Ou alors se référer à la théorie complexe de l’univers avec ses tunnels d’espace-temps. Ou plus simplement un fromage bien suisse, bernois, mais fautivement exporté sous le nom de Gruyère. Avec tout cela, on approche de la structure de Johannesburg. Sa structure spatiale, où n’importe où peut surgir des bulles inattendues, tel la boîte à jazz dans laquelle j’ai fini la soirée cette nuit, coincée entre de vieilles usines, des immeubles de bureau, un supermarché, et sertie d’oliviers et de boutiques étranges, avec un charme peut-être conféré par la nuit, la musique, la mixité et la bière.

Il en va de même pour les immeubles modernes, architecturalement superbes, qui côtoient la misère, les parcs, les terrains vagues et les golfs.

E : S : Home, 13.03.08
V : 28.05.08
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Shade and shadows

Pretoria, jeudi 13

En anglais il y a deux mots pour désigner l’ombre. «Shadow» pour celle que nos corps dessinent volontiers sur les murs quand il y a du soleil, celle que les héros de contes vendent au diable ou perdent simplement. Et «shade», l’ombre où l’on va déjeuner sur l’herbe.

En Afrique du Sud, il reste quelques zones d’ombre. Je cite ici certains propos qui ont suivi ma présentation à l’Alliance française de Pretoria, lors de conversations.

Une dame :

— Les Noirs sont vraiment trop gentils d’absolument pas nous montrer la haine qu’ils éprouvent à notre égard.

Face à mes doutes exprimés que, excepté une balle perdue destinée à un chauffeur de taxi-bus, quiconque puisse bien vouloir m’assassiner, un Algérien qui en avait assez de l’hémisphère nord, m’a demandé si j’allais dans de tels quartiers par goût du risque ou juste pour le fun.

Il m’a, une fois de plus, mis en garde :

— Les gens de l’A.N.C., ils n’ont qu’une seule idée, c’est de nous poignarder. Alors, si l’envie les prend, ils peuvent à tout moment le faire !

ADDENDA+<Le clôturage, dont j’ai déjà parlé, et la haine me semblent être quelquefois les deux mamelles de l’Afrique du Sud. La haine entre groupes, qui a apparemment dominé la colonisation — aussi entre les deux entités européennes différentes, hollandaise et anglaise —, a même été institutionnalisée dans les grandes heures de l’apartheid, avec les déplacement et confinement des différents groupes ethniques noirs dans des quartiers séparés de Soweto, avec des débordements qui se renouvellent depuis le 11 mai. Avec, pourtant, cet étonnant paradoxe : les Sud-Africains ont réussi une révolution pacifiste en 1994, un pacifisme qui parvient grosso modo à se maintenir, épargnant au pays les guerres civiles qui ont ensanglanté les pays voisins et notre Europe modèle, même à la toute fin du 20ème siècle ! Il est possible que la haine affichée soit en général plutôt un objet fétiche, magique, un exutoire intrapsychique et défensif efficace. >

Et les Noirs connaissent aussi d’autres voies. Dans les drogueries populeuses qui entourent le magnifique Diamant, le building de cristal de Daigonal road, qui, à certains heures et sous certains ciels seulement, chatoie des milles feux des nuages galopants, j’ai aperçu plein de bocaux de toutes tailles, remplis de poudre aux multiples couleurs fluo. Il ne s’agissait pas de colorants mais, cela était clairement indiqué en zoulou sur l’étiquette, de potion pour accroître le pouvoir personnel d’attirer les Blancs. J’ai posé la question, apparemment la poudre réciproque n’existe pas. Je constate encore une fois que je reste bête et timoré. Plus dynamique, j’aurais permis à certaines charmantes personnes de se faire l'économie de cette poudre.

E : S : Home, 14 mars
V : 28.05.08
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Mon agence de taxis-bus

Pretoria, jeudi 13

Lors du dessert qui a suivi ma présentation, j’ai dû plusieurs fois expliquer comment fonctionnent les signes de la main adressés aux taxis-bus. J’ai fini par diriger les gens sur la rubrique de mon blog. Madame la femme d’un éminent personnage de l’Ambassade de Suisse à Pretoria a clairement exprimé le désir que je l’emmène faire des tours en taxi-bus. Avec humilité, respect et prudence, je lui ai conseillé de plutôt s’adresser à un Noir d’ici.

E : S : Home, 13.03.08
V : 28.05.08
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Lucrèce Borgia

Samedi 15 mars

C’est le dernier jour, le dernier matin de ma résidence d’artiste, du moins à Jo’burg. Vers 10 heures, nous allons ramener les casseroles prêtées pour mon logement. De superbes « brownies » tout chauds nous attendent, ils fument encore, nous y goûtons volontiers. À un moment ma coach demande s’ils ne contiennent pas par hasard de l’alcool, mais je ne suis pas attentivement les propos que les deux dames échangent. J’entends ma coach déclarer qu’elle n’en mangera plus. Elle dépose le plateau à côté de moi. Après un certain temps, pendant lequel la cuisinière et moi échangeons quelques propos décalés, un peu amers, sur notre relation ratée, nous partons.

Soudain, sur la route, ma coach, tout en poursuivant son chemin mais en me demandant de lui décrire les obstacles, s’écrie qu’elle ne peut décidemment plus conduire, qu’elle voit tout de travers, tout déformé. Elle m’apprend alors qu’il y avait de l’herbe dans les brownies. Si elle ne peut vraiment plus conduire, qu’elle me passe le volant ! Au lieu de cela, alors que sans lui déjà ça n’allait plus du tout, elle saisit son téléphone et appelle Rafilm, le très volubile et amusant Rafilm, pour lui demander ce qu’elle doit faire.

Il répond :

— Du café.

Nous débarquons chez lui. Je suis encre assez convaincu que ma coach, qui jouit d’une réputation hypocondriaque assez bien établie, se la joue plutôt, d’autant plus que, participant au babil délirant de l’amusant Rafilm, elle semble aller mieux, quand soudain mon propre monde bascule à son tour. Géométriquement, spatialement, et spirituellement. Dans un trip pas très bon, où chaque nouvelle pensée semble s’ouvrir un instant sur une difficulté insurmontable — ne serait-ce que l’idée de retirer mon pull-over parce que j’ai trop chaud —, pour m’apparaître aussitôt comme le dérisoire jeu d’enfant que cela constitue en réalité. Et ainsi de suite. Notre état est tel que, d’un commun accord, nous renonçons à rejoindre le « braï » (barbecue) où nous sommes attendus. Après une brève sieste dans mon lit, je retouche terre vers 17 heures.

Dans le bus qui m’emmène le lendemain vers le Mozambique, je reçois un SMS de la lucrétienne cuisinière qui, certes, s’excuse pour le bad trip dont elle a eu vent mais pas du piège qu’elle nous avait tendu. La réserve de brownies qu’elle m’avait donné pour la route, j’en ai déjà fait cadeau à quelqu’un d’autre, mais seulement après l’avoir dûment averti de son contenu. ADDENDA<J’ai appris plus tard qu’ils ont été offerts à quelqu’un d’autre encore, qui a aussi fait un mauvais trip ! > . Je n’ai pas répondu au message de Lucrèce. De toute manière, nos échanges de textos n’ont jamais été sur la même longueur d’onde. ADDENDA<Quelque semaines plus tard, je refuserai de revoir la charmante personne pour pendre une fois de plus congé d’elle. Voir la rubrique probable sur la pensée positive. >

E : Un café de la rue Eduardo Mondlane, Maputo), lundi 17 mars
S : Lausanne, 3-5.05.08
V : 28.05.08
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Mozambique (16 au 28 mars 2008)

Tips

Dimanche 16 mars

Ma coach me dépose de bonne heure à la gare des bus afin que je me retrouve en tête de queue et puisse ainsi me choisir une bonne place. Mais voilà que la femme qui contrôle nos billets met mon passeport de côté. Je n’ai pas de visa, le bus ne sera pas d’accord de m’attendre à la douane. Elle ajoute que je peux patienter et voir ce que dira le chauffeur.

Bien que dans la même situation, deux Indiens musulmans du Zimbabwe semblent ne pas s’en faire. Le conducteur du bus arrive, je lui répète mes arguments. Aussi bien les guides imprimés que mes répondants à l’ambassade de Suisse de Maputo affirment que l’on peut très bien prendre son visa à la frontière, en outre au guichet de la compagnie de transport pour laquelle il travaille et que nous avons retenue pour sa réputation on ne nous a avertis de rien.

Les deux Indiens musulmans du Zimbabwe, eux ne disent rien et attendent patiemment. Le chauffeur se tourne vers eux, leur parle de l’attente à la douane et leur demande s’ils ont un plan. Bien sûr qu’ils ont un plan ! Ils me mettent au parfum en quelques mots et gestes presque codés. J’abonde aussitôt. Moi aussi, évidemment, j’ai un plan. Le chauffeur nous demande une seconde fois confirmation puis nous fait savoir que c’est bon. Le plan consiste en un pourboire que nous glisserons discrètement aux douaniers. En réponse à ma question naïve de savoir quel est l’intérêt du chauffeur là-dedans, les deux Indiens musulmans du Zimbabwe dessinent dans l’air le gâteau que le chauffeur et les douaniers se partageront par la suite.

Fort gentiment, le plus jeune des deux m’explique que dans les situations telles que celle d’aujourd’hui, mieux vaut commencer par se taire. J’en ai eu vaguement conscience alors que je m’étais lancé dans mes explications. Je reconnais avoir commis une erreur.

Le jeune Indien musulman du Zimbabwe sourit :

— Non non, il s’agit là de l’apprentissage que chacun de nous doit faire.

La chance fait que, dernier servi, j’ai pourtant une des meilleures place du bus. Mais, suite à ma mémorable expédition dans le Mpumalanga, c’est la troisième fois que je parcours l’autoroute pour Nelspruit, le temps est exécrable, l’intérêt faiblit.

À la frontière, tout le monde doit descendre du bus et courir les 500 mètres qui séparent les deux douanes. Entre nous trois, la solidarité est tout d’abord très relative. Je m’enquière de savoir où et quand nous allons donner notre bakchich.

— Pas maintenant, pas maintenant.

L’assistante de conducteur vient nous annoncer qu’ils vont partir sans nous. Mon passeport est le premier prêt. Les deux Indiens musulmans du Zimbabwe me demandent de les attendre, je veux bien mais à l’extérieur, d’où je pourrais surveiller le bus. Comme les douaniers viennent de décider de contrôler tous les bagages, le bus a encore pour une bonne demi-heure avant de partir.

Alors que nous regagnons nos places à l’intérieur du véhicule, les deux Indiens musulmans du Zimbabwe me font remarquer que nous n’avons versé aucun pourboire. Eux sont tout contents. Moi, à cause de ma petite caboche de protestant suisse, je me sens un peu coupable. Je n’ai pas tenu les engagements que j’avais pris avec les voleurs.

E : Maputo, hall de l’hôtel, lundi 17 mars
S : Lausanne, 6.05.08
V : 28.05.08

Le jeune pêcheur

Jeudi 20 mars

Kindzu — ignorant son prénom je lui en ai tout de suite forgé un, il signifie Petit palmier, c’est le héros d’un livre d’un écrivain mozambicain, Mia Couto — a 17 ans, deux de plus ou deux de moins. Au moment où je l’ai découvert, il se glissait dans l’eau, une bassine en plastique chargée sur la tête. Je n’avais pas vu arriver sa barque parmi toutes celles qui s’en revenaient maintenant que la marée était haute. Ils avaient dû partir peu après la précédente marée, celle de 4 heures du matin, à moins qu’ils n’aient eu à attendre le vent.

Ici, absolument toutes les barques — des sortes de felouques assez lourdes —, en bois, de différentes tailles et couleurs, sont dépourvues de moteur. En outre, elles n’ont ni quille ni dérive. D’après un marin et ses explications — obtenues grâce à des dessins dans le sable, qui pallient à la pauvreté de mon parler portugais — le seul gouvernail suffit à maintenir leur route. Je ne crois pas qu’ils utilisent leurs immenses rames pendant la navigation. La voile latine est faite de sacs de riz cousus bout à bout. Comme la plupart de ces sacs sont actuellement en plastique tressé, elle est désormais en tissu synthétique moderne, quelquefois coloré. Elle se fixe à une longue vergue faite d’un unique bambou dont chaque segment est peint d’une couleur différente. Assez rapidement cette vergue conserve durablement l’arc que le vent lui a imprimé.

Ce matin, lors de mon traversée de la plage ADDENDA<— d’une fraction de plage seulement, puisque je devais découvrir plus tard que celle-ci s’étend au moins de Durban jusqu’au nord du Mozambique, soit plus près de 3000 kilomètres — > , toutes les barques étaient loin, cachées à l’horizon par les bancs de sable et les mirages de chaleur qui reliaient la terre fermes aux îles proches, décor parsemé de taches bariolées, des gens, hommes et femmes, habillés, dans l’eau jusqu’à la taille, pêchant ou récoltant certains fruits de mer aux mœurs inconnues de moi. Deux hommes traînaient derrière eux un filet. Dix autres en halaient un bien plus grand vers la côte. Dans le sable, des milliers de petits crabes sautaient dans leur trou, ceci à mon approche ou à l’arrivée des premières vagues de la marée montante. Dans ce midi magnifiquement blanc, en attendant le retour des barques que nous avions déjà vue la veille, dans un des estaminets du hameau qui borde la route et qui est curieusement constitué exclusivement de petits restaurants ouverts, d’étals et de cuisines, aidé d’un prototype que j’avais ramassé sur la plages, je me suis commandé des coquillages, accompagnés de patates, de pain et d’une bière, le tout délicieux pour 100 meticai (~4.20 CHF, voir Monnaies, change et prix).

Peu à peu, à partir de 14 heures d’heure légale, mais dans une lumière bien plus tardive, les barques sont rentrées. Parmi elles, celle de Kindzu.

Kindzu sort maintenant de l’eau. Il est torse nu, en pantalon léger, déboutonné à la ceinture. Il vient déposer sa bassine pleine de grosses crevettes grises vers d’autres récipients. Par petits groupes, sur une plage déjà abritée par l’ombre des arbres, des gens trient, séparent, présentent, et quelquefois vendent leur contenu. Kindzu ne s’arrête qu’un instant, échange quelques mots avec ses compagnons et repart, parfaitement inconscient — je le suppose et il a raison — qu’il est un des être le plus beau du monde. Son corps est musclé, mais sans exagération, ses fesses sont nouées à ses hanches. Il a des yeux doux et intelligents. C’est idiot à dire mais c’est vrai, ce sont d’authentiques yeux de biche.

Attention ! faire des parallèles est souvent hâtif et dangereux, je m’y risque pourtant. Le plumage des oiseaux mâles est généralement plus beau que celui des femelles. Il en va ainsi des Mozambicains, je crois.

Kindzu effectue un nouvel aller et retour. Cette fois, à la place des crevettes, sa bassine est chargée de poissons. Puis il retourne à la barque, se hisse délicatement et réajuste son pantalon. Il installe les rames, remonte l’ancre et va contre le vent et les vagues, avec ses deux énormes avirons qu’il tire en puissance — une puissance fine — et qu’il ramène en croix sur son cœur. Plus loin, il relance son ancre, range les rames, écope le peu d’eau qu’ils ont embarqué lors de leurs traversées, puis il se coule dans l’eau et nage jusqu’à la rive. Il rejoint son groupe, enfile aussitôt un t-shirt sur sa peau mouillée et salée et reste silencieux parmi les autres. J’imagine qu’il vient d’exécuter le travail qu’un marin, un peu plus âgé que lui, peut-être le propriétaire de la barque, attend d’un apprenti. J’observe l’arrivée des dernières embarcations qui se faufilent parmi celles qui, maintenant dénudées de leur voile, tournent sur l’aire de leur chaîne dans l’ombre déjà croissante.

J’ai perdu de vue Kindzu — sur qui, du reste, je n’avais aucune vue. Fatigué sans que rien n’en paraisse, il est sans doute retourné chez lui, au-delà du circuit automobile abandonné pas loin de l’École française où je suis intervenu ce matin, dans son hameau de bidonvilles à l’ancienne, où les murs de canisse n’ont pas encore cédé la place à la tôle ondulée, avec ses jardins propres, verdoyants et espacés que sépare un réseau de sentiers sinueux.

E : Jeudi 20 mars, Maputo, près de la gare ferroviaire
S : Lausanne, 4-7.05.08
V : 28.05.08

Les taxis-bus de Maputo

Jeudi 20 mars

Je rentre avec mon premier taxi-bus. Ici les destinations de départ et d’arrivée sont indiquées par une bannière autocollante. J’assiste à une formidable engueulée entre une femme avec un gros derrière, qu’elle estime absolument incompressible, — elle hurle tout près de mes oreilles — et l’apprenti. Les taxis-bus d’ici sont dotés d’un apprenti, il est chargé de placer les passagers et de percevoir la monnaie. Les protagonistes de cette très vive altercation sont capables, tous deux, de se mettre très fort en colère mais sans vraiment s’énerver, ce qui leur permet de retrouver leur calme dès qu’ils estiment que leurs manifestations orageuses ont assez duré. Je le découvre avec admiration, il faudra que j’en prenne de la graine.

E : Jeudi 20 mars, Maputo, près de la gare ferroviaire
S : Lausanne, 4-7.05.08
V : 28.05.08
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De la photographie

Vendredi 21 mars, Coste del Sol, ancrage des pêcheurs, restaurant Triunfo

Quand je photographie, je ne vois plus rien, alors qu’il faudrait voir d’abord, ceci en tout premier lieu pour le plaisir de voir, de regarder, de sentir et vibrer. Mais ici, à Maputo, je suis déjà allé hier au marché de Xipamanine, sans appareil de photo. De même, deux fois, à l’ancrage des pêcheurs. Aujourd’hui, malheureusement, les barques ne sont pas sorties, car il y a trop de vent.

Hier, si j’avais eu mon appareil, assis à ce même Triunfo où je me retrouve présentement, j’aurais déjà fait de belles photos, rien qu’en laissant mon appareil sur la table au moment de sortie des écoles. Hélas, aujourd’hui, voitures et quatre-quatre se sont parquées juste devant mon nez. En outre, l’heure n’est plus du tout passante.

Le photographe ressemble au pêcheur. Alors que celui-ci doit laisser du temps aux vents et aux poissons, celui-là doit laisser du temps aux lieux. Aujourd’hui, le photographe a entre autres photographié le photographe officiel de la plage. ADDENDA<Et un jour à venir le ramènera à Soweto où il photographiera le photographe officiel de Kliptown. >

E : Aéroport de Maputo, 22 mars
S : Lausanne, 4-8.05.08
V : 28.05.08
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Agression, bis

Vendredi 21 mars, marché de Xipamanine

Marché de Xipamanine, nouvelle tentative d’extorsion. Dans les ruelles étroites que dessinent les échoppes d’épiceries, un type bloque vaguement le passage en effectuant quelque chose d’un peu étrange, un mouvement convulsif que j’observe. Un comparse, selon un scénario maintenant immuable, m’aborde, tout en essayant de me faire les poches. La cuissière gauche qui contient mon passeport et la fessière droite qui ne renferme que quelques billets pliés résistent aisément à ses vaines tentatives.

E : Aéroport de Maputo, 22 mars
S : Lausanne, 4-8.05.08
V : 28.05.08
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La première merveille du monde

18 et 19 mars

La première merveille du monde, c’est, tout autour de la terre, les marchés. En général, il faut savoir les dénicher. Les sociétés modernes les suppriment, les mettent en jachère ou les déplacent, pour quelquefois les faire renaître plus tard — le bâtiment du marché des légumes de Jo’burg est devenu théâtre, reléguant clandestinement le nouveau marché aux vilains et inappropriés couloirs de la méga-station de taxis-bus.

Heureusement, à Maputo les marchés existent toujours. En rois. Pour quelques années encore. Mardi, entre deux interventions au Centre Franco-Mozambicain, j’en ai découvert un par hasard, le Marché Municipal de 1901. Construit sur le même plan portugais que le marché de Sao Tomé, que j’ai fréquenté en 1999, il a débordé sur côté ouest, au-delà des étals de poissons, s’ouvrant sur des éventaires de légumes et de fruits impressionnants — il paraît, hélas, que tout vient d’Afrique du Sud ! —, derrière lesquels trônent des matrones d’âge et de prestance mûrs, ressemblant toutes à la pourtant capverdiennes Cesera Evora. Ces dames m’ont aussitôt trouvé une jeune promise, ceci malgré les limites de mon parler local. L’endroit m’enchante.

Le lendemain, dans le quartier nord de la ville, l’employée de maison de la femme de l’homme qui m’a accueilli au Mozambique nous guide à travers les dédales de l’immense marché de Xipamanine. Le premier est un dédale d’habits, des habits de seconde main, qui viennent d’Europe, qui sont d’abord revendus en ballots entiers par des entreprises locales spécialisées, puis dispatchés au détail, relavés et joliment exposés. La femme de l’homme qui m’a accueilli au Mozambique a une amie qui ne s’habille qu’ici, mais, ne se fournissant que de griffes célèbres, elle serait bien plus élégante qu’elle.

Le dédale est fait d’ombres — toits, certes en tôle ondulée, mais soutenus par des branches de bois tordu et non écorcé — et de trouées de lumière, quelquefois tempérée par des sacs de riz en plastique blanc tendus au-dessus de nos têtes. Au sol, chaque espace délimité est protégé par une toile de jute attachée par ses quatre coins et presque suspendue. Quelques stands sont vides. À la place des marchandises, un quidam qui se prélasse, ou discute, ou attend, nettoie ou prépare l’endroit.

Au marché de Xipamanine, on trouve de tout, même des télés, des réparateurs de télévisions ou de téléphones portables, de tout sauf, nous en n’avons en tous cas pas vus, des ordinateurs et des services bancaires. Le plus extraordinaire, dans un espace un peu plus clos, un espace tendu lui de sacs de riz en plastique rouge, c’est le secteur de la boucherie, sans odeurs trop prononcées, avec quelques mouches que l’on chasse de temps à autre d’un chasse-mouche nonchalant fait d’une simple queue de vache, une de celles, dépecées, qui sont proposées à la vente. La viande est belle, sauf les tripes noires qui me dégoûtent tout de même. Le plus impressionnant, sur les étals entre le couloir et les matrones bouchères impassibles, ce sont les montagnes de têtes entières, assurément de vaches même si, dans la pénombre rougeoyante, certaines me paraissent plus imposantes, au point qu’un instant je les soupçonne d’être des têtes de cheval ou d’animal ici moins exotique, buffle, rhinocéros ou éléphant. ADDENDA<À Antananarivo, les bancs de boucherie sont en béton, les murs qui les soutiennent latéralement délimitent des casiers. Dans l’un deux, sous le sang qui dégoulinait et les humeurs dans lesquels les mouches baguenaudaient, un bébé esseulé dormait sereinement dans un couffin sommaire. > Les poules et les poulets en caque, se chiant parmi dans des cages grillagées et concentrationnaires, ont des airs moins heureux. Je conseillerais de bien les plumer et laver avant de les consommer. Il y a aussi les stands des chèvres vivantes, ceux des médecines traditionnelles, du charbon et du sel, de do-it-yourself et de matériel de construction, de tabourets pour râper les noix de coco, de thé qui ressemble à du café, un billard et ses joueurs, l’espace des cuisines et des restaurants ouverts, et quelques bars en dur. Le marché déborde ensuite au-delà, le long de la rue principale.

E : Aéroport de Maputo, 22 mars
S : Lausanne, 4-8.05.08
V : 28.05.08
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La raie dans les cheveux

Samedi 22 mars

Je dois chaque fois me rappeler qu’en réalité il n’en est rien. Quand j’étais petit je croyais qu’on avait sur la tête un seul endroit où l’on pouvait se faire la raie dans les cheveux, une raie qui alors délimitait clairement les cheveux de gauche de ceux de droite. Erreur, la preuve, notre hôtesse de l’air se l’est joliment faite en un zigzag décoratif !

E : Entre ciel et terre, entre Maputo et Nampula, samedi 22 mars
S : Lausanne, 4-8.05.08
V : 28.05.08
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Sexe

Sexe. Sauf les quelquefois où le point de non-retour a été franchi — en général, ces fois-là je ne les ai pourtant pas regrettées —, j’espère toujours que cela n’arrivera pas, que cela n’aura pas lieu, que quelque chose, ou ma capacité de fuite, l’empêchera. Est-ce, dans nos corps allongés nus l’un contre l’autre, ventre contre ventre ou ventre contre dos, la peur de retrouver cette rigidité de petit poulet congelé qu’une mère se contraignait à bercer ?

Voilà pourquoi, comparé à ceux des autres Blancs, nantis, européens, sûr d’eux et assoiffés, mes rapports en Afrique sont un peu différents, que ce soit alors, avec Lamoussa à Ouagadougou, ou maintenant avec les habitants d’ici. Avec, certaines nuits, des draps teintés d’humidité plutôt que, comme d’autres, laisser ça et là quelques jolis bâtards aux yeux bleus.

Des plaisirs différents peut-être. D’autres amours. Celles, anonymes et distantes, des humains que j’aime et que je croise, quelquefois si près, dans l’exiguïté des marchés ou l’espace des chemins parcourus ? En définitive, peut-être faut-il — mais tout cela n’est-il qu’un alibi ? — me réjouir de ce que je ne me souvienne pas de tous les repas que j’ai ingérés dans ma vie, avec les fast-foods oubliés, alors que je me souviens de toutes mes baises, ou du moins de tous les gens avec qui j’ai baisé.

Enfin, même si le lion, comme chasseur, est mort, demain est un autre jour, autres propos, autre discours, rêver…

E : Entre ciel et terre, entre Maputo et Nampula, samedi 22 mars
S : Lausanne, 4-8.05.08
V : 28.05.08
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Chapas ou les taxis-bus du Mozambique

Samedi 22 mars

Chapa signifie tôle, tôle ondulée. Cela vient-il du temps où les taxis-bus étaient alors des estafettes Renault, ou plutôt de l’état des pistes que ces chapas parcourent ?

À l’intérieur du chapa, une fois que les corps se sont encastrés, on trouve sa place et le voyage de trois heures en devient beau. Une demi-fesse au bord d’une demi-banquette bien occupée, je sers de dossier, un petit peu de chaise aussi, à une belle jeune femme bien enveloppée mais au grain de peau très doux. Derrière nous, révélée par des cris qui s’annoncent être des gloussements authentiques, une vieille, sur ses genoux mais sous son sac, abrite une poule. J’ai le sentiment que pour cette vieille, ce volatile tient lieu d’animal de compagnie. En suivant un geste qu’elle amorçait vers les boutons de sa chemise, j’ai un instant craint qu’elle ne lui donne le sein.

E : Escondidinho, Île du Mozambique, océan Indien, samedi soir, 22 mars
 S : Lausanne, 4-8.05.08
V : 28.05.08
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Des gazouillis vers la nuit

Samedi 22 mars

Pour le dernier bout du parcours, il faut changer de chapa. Passer à un plus petit modèle — à cause de la largeur limitée du pont, j’imagine. La nuit est bientôt là. Maintenant à coté de moi, il y a une femme avec un bébé. Il gazouille déjà, pour lui, calmement et faiblement. Il aurait bientôt commencé à élaborer quelques mots. Il a la tête d’un enfant de plus d’un an, mais pas le corps, ça me revient, j’ai vu sa mère la changer, c’est une petite fille, une toute petite fille avec un corps de nouveau-né. Maintenant elle gazouille calmement en agitant un bras minuscule et tout fin, en me fixant avec des grands yeux vagues. Bientôt, ça me revient, je le pressens, elle sera morte, le sida, le sien ou celui de sa mère. J’en aurai une intuition plus nette le lendemain, quand la jeune Belge, qui a ouvert un dispensaire pour les jeunes mères à la frontière avec le Malawi, me dira que, devant le développement trop faible des enfants, un test révélera que six des mères, sur les dix femmes présentes alors, sont atteintes.

E : Lausanne, le 31 mai
S : S : Lausanne, 02.06.08
V : 04..06.08
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Le ciel est bleu comme un agrume

Samedi 22 mars

Derrière l’île que je découvre en silhouette, à l’opposé du crépuscule, morcelée par les nuages africains, se lève une lune plus grosse qu’une orange.

E : Escondidinho, Île du Mozambique, océan Indien, samedi soir, 22 mars
 S : Lausanne, 4-8.05.08
V : 28.05.08
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Vieux

On n’est vieux que chez soi. D’abord ici, on n’a pas le temps de sentir son âge et son corps. Ni la tête à s’en occuper — une tête qui, du reste, à part la toute première semaine de mon séjour, semble fonctionner très bien. Et hier, dans le chapa, où je craignais tout d’abord pour mes os et mes positions, ma vessie, ma faim et ma soif, j’ai soudain cru comprendre que, bien au contraire, j’avais l’âge idéal pour voyager, avec ce corps dompté, qui ne crie plus ses exigences, un corps sobre et soumis.

Mais, comble de la dérision dans cette Afrique de tous les dangers, voilà que, hier soir, en sortant de ma douche, en me baissant un peu pour admirer la dalle de béton colorée, j’ai lentement glissé sur le sol. En me couchant juste après, j’ai découvert, étonné, quelques taches rouges dans les draps propres et blancs d’un hôtel au chic certain bien que débonnaire. En fait, il s’agissait de quelques gouttes de mon sang. Faute de posséder un rudiment de pharmacie dans mon baisenville sommaire, j’ai essayé d’épargner les draps avec un bandage en papier hygiénique.

Au matin, le lit tout entier était parsemé de taches de sang et d’eau mêlés. Mon coude blessé n’avait pas cicatrisé. Il a même continué à dégouliner, indolore, lors de la séance de photos que je suis aller faire à l’aube alentour. Une médecin belge, touriste venant trouver sa sœur infirmière de brousse à la frontière du Malawi, inquiète, faute d’avoir quoi de recoudre immédiatement le coussinet qui protège l’olécrane de mon coude droit, m’a posé quelques strips et, surtout, enjoint de prendre des antibiotiques au plus vite. En cas de fièvre, elle m’a instamment prié de retourner immédiatement à Johannesburg.

Bon corps pour voyager, mais pas pour chuter !

Plus tard, les femmes de ménages m’ont avoué s’être enquises de l’origine de tout ce sang versé dans les draps…

ADDENDA<Deux jours après, comme mon coude n’étais pas joli joli et que tous le monde m’y encourageait, j’ai acheté, pour moins que rien, des antibiotiques, légèrement périmés (amoxicline). Je n’ai appris qu’ultérieurement que mes antipaluds étaient, en fait, aussi des antibiotiques (doxycycline-virbamacyn). Le lendemain déjà, mon coude était top, et l’est resté.

Déjà j’entrevoyais que j’allais sortir épargné de toute turista, me tirer indemne de la sulfureuse Johannesburg, des townships d’Orange Farm, de la ville de Beira à la fâcheuse réputation, des très réels accidents de voiture, pour ne pas parler des rares crashs d’avion. J’entrevoyais déjà devoir me contenter de glisser sous la douche, avec la maladresse de n’importe quel homme gentiment sénescent ! >

E : Escondidinho, Île du Mozambique, dimanche 23 mars
 S : Lausanne, 4-9.05.08
V : 28.05.08
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La navigation à voile, c’est beaucoup plus beau que la peinture à l’eau

Dimanche 23 mars

La marée basse est immense, c’est marée d’équinoxe. Au sud-est de l’île, avec son pied trop étroit grignoté par les coquillages, un fortin pansu a maintenant des airs grotesques de champignon suspendu. Autour des bateaux échoués pour quelques heures, les marins s’affairent. Ils refont le travail que entreprenaient déjà ceux du Tragos, le navire que les Martin et André de mes « Deux bons bougres » prirent pour aller s’échouer dans les îles Caraïbes, trois siècles plus tôt. Ils recalfatent aussi les joints. Ici avec de l’étoupe blanche vaguement regroupée en cordon, juste mouillée et qu’ils insèrent au ciseau émoussé et au marteau. Plus tard ils donneront un coup d’une peinture un peu dure sur les joints puis, s’ils ont de celle-ci en quantité suffisante, sur la coque entière. D’autres marins remplacent par petits bouts des éléments du bordage. Ils forent des trous avec une perceuse à ficelle, dont je constate l’efficacité, puis y enfonce un long clou forgé la veille, dont ils enrobent d’abord la tête aussi dans l’étoupe. Et quand, avec l’après-midi, la mer remonte, ils interrompent simplement leur travail en l’état.

Les plus grandes barques à voile font environ douze mètres de long, en général elles n’ont qu’un seul mat et — on vient de me le confirmer — le gouvernail comme seule dérive.

Pendant ce temps, les enfants petits pêchent de la petite friture, les plus grands de minuscules espadons qu’ils alignent sur des petites tables, pour les vendre aussitôt, ou qu’ils piquent sur un fil de fer en collier, pour une vente ambulante. D’autres passent avec des crabes tissés vifs sur un panier de feuilles vertes.

E : Nampula, mardi 25 mars
 S : Lausanne, 6-9.05.08
V : 28.05.08
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Les îles du bout du monde

J’aime les îles du bout du monde. Elles fleurent bon la paix, même quand toutes ne sont pas tout à fait des îles. En premier lieu Houat, au large de la Bretagne. Mais aussi Sulina, village sans voitures sur la côte de la Mer Noire, dans le delta du Danube, où l’on ne peut accéder que par bateau. Maintenant, Île de Mozambique avec son long pont, trop étroit pour la relier tout à fait au massif continent africain. Bientôt, un peu moins au bout, la maison de mon hôte franco-belge à Beira et le Grand Hôtel abandonné à l’extrémité de l’estuaire. Et, plus tard encore, au-delà de Santa-Lucia, l’estuaire sans nom et ses hippopotames.

E : suite à un intitulé vide du 24 mars, Lausanne le 9 mai
 S : Lausanne, 9.05.08
V : 28.05.08
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Umbo et Samuel sont sur la place publique

Nampula, lundi 24

Un quart d’heure africain prolongé et quelques problèmes techniques ont permis, derrière la cathédrale blanche, à la nuit de succéder à un crépuscule de bleus, de blancs, d’orangés et de rouges. La séance a lieu dans le parc Coca-Cola, sur une toile assez sommairement tendue dans un cadre métallique, sous un lampadaire malheureux d’être allumé. Un cordon blanc délimite un triangle interdit, parallèle au faisceau du projecteur vidéo. Une foule d’enfants, les premiers assis, les plus grands debout, puis les autres et les adultes assistent à la plus belle projection d’Umbo et Samuel. Elle est suivie avec respect et passion, ceci malgré une version qui n’est sous-titrée qu’en anglais, or les francophones sont plutôt rares et dispersés.

E : Aéroport de Nampula, le 26 mars
 S : Lausanne, 6-13.05.08
V : 28.05.08
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Négligence africaine

Nampula, mercredi 26

Décidemment, cet Africain pousse la nonchalance un peu loin ! Même pour mendier, il ne se donne pas la peine d’avoir des mains. J’ai bien failli ne rien lui donner.

E : Dans les airs entre Johannesburg et Antananarivo, le 29 mars
S : Lausanne, 8-13.05.08
V : 28.05.08
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Beira

26 – 28 mars

Toutes les villes du Mozambique ont une avenue Eduardo Mondlane, ceci bien qu’aucun Européen d’ici ne sache me dire de qui il s’agit, de même que personne n’est apparemment capable de situer les tropiques, de préciser l’altitude des lieux ou de me montrer l’Étoile du Sud — un brésilien me mettra sur sa piste en me montrant la Croix du Sud, mais sans savoir qu’en faire. J’ai demandé à Lucia de m’amener une boussole, ainsi nous règlerons la question. Les Blancs d’ici, et d’Afrique du Sud aussi, se laissent volontiers atteindre par une certaine nonchalance, comme une douce maladie chronique. Le temps ici est celui des Africains, on accepte, moi aussi, que tout soit un peu plus long — à l’exception des cocktails mondains qui, eux, sont expédiés en un tour de main.

L’avenue Eduardo Mondlane de Beira est superbe. Elle est bordée d’acacias géants — la température y est plus basse de quelques degrés, agréablement perceptibles. Ils abritent sous leurs ailes les restes de belles maisons portugaises terriblement délabrées. Cela donne à la rue un charme très différent du pimpant que la ville devait avoir dans les années 1940 — Beira a fêté ses 100 ans l’année passée, alors que Nampula m’en a que 50.

Au-delà de l’avenue Eduardo Mondlane, surtout vers la mer, ce bout du monde où j’ai logé chez mon hôte franco-belge, aux confins de l’océan Indien et d’un très large estuaire dont personne n’a su me dire le nom — il arrive après une succession de fleuves qui vus d’avion striaient magnifiquement la côte lors du vol depuis Nampula —, le quartier est sinistré, on dirait une ville en guerre. La guerre civile a pourtant cessé il y a 14 ans, mais la crise du Zimbabwe met très à mal la prospérité de Beira car la ville ne bénéficie plus d’être l’unique débouché portuaire de ce pays voisin.

Juste à côté de chez mon hôte franco-belge, une construction très moderne en béton, édifiée en 1956, le Grand Hôtel, est squattée depuis 20 ans. Y habitent 3500 personnes, sans eau courante, sans électricité collective, avec juste une échoppe qui propose le rechargement des batteries. L’ancienne piscine, pleine d’eau stagnante, sert à tout, égout, ablutions et poubelle. Il faut éviter de passer trop près des façades car les gens vident leurs eaux usagées depuis les cadres vides de leurs fenêtres sans vitres. Quelquefois, paraît-il, ce sont aussi des enfants qui tombent, vu que les rambardes des terrasses ont toutes disparu. Vers 11 heures du matin, j’ai repéré tous les gamins alignés sur un mur dans l’attente d’une collation, j’imagine distribuée par une quelconque ONG. C’était trop mignon. Dans tout le sud de l’Afrique on voit souvent désormais des hommes qui portent dans leurs bras de jeunes enfants, je suppose que le HIV a emporté leurs mères au-delà.

Il y a deux marchés à Beira. Le plus beau, parsemé ça et là de cahutes carrées qui font office de vidéo-cinéma, descend jusqu’à la mer, où, parmi les derniers étals, on construit à même le sable de nouveaux bateaux à l’ancienne, alors que des pirogues, creusées dans des troncs, avec leur voile colorée, viennent débarquer sur la plage. Pour l’heure, sous des toiles tendues sur des piquets, des gens vendent des noix de coco. Quand la mer sera de nouveau haute, les embarcations rentreront et y proposeront le fruit de leur pêche.

P.S. C’est curieux, sans doute normal, compréhensif et un peu décevant, mais dès qu’on se trouve avec des Français se dessine une tendance à s’agglutiner parmi, dans des mêmes endroits ou des mêmes places.

E : Dans les airs entre Johannesburg et Antananarivo, le 29 mars
 S : Lausanne, 8-13.05.08
V : 28.05.08
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Antipodique adoption

Mozambique, mars 2008

Un soir, un couple d’Européens partage notre tablée. Ils sont accompagnés d’une fillette un peu fluette, que le couple est venu adopter ici, il y a quatre ou cinq ans, et d’un tout petit garçon d’environ un an, lui en voie d’adoption. Tous les quatre se trouvent dans une étrange semi-villégiature, en attendant que les démarches administratives et légales aboutissent, un état de loisir instable, avec tout de même l’obligation professionnelle d’un retour d’ici quelques semaines. Le petit garçon, avec qui une relation rapprochée est déjà établie, est sous antibiotiques. Le couple est en soucis.

À mon souvenir, ce premier soir déjà, à cause d’un certain flou dans ce que j’entends, et puisqu’on parle du sujet et que les relations ici sont plus immédiatement ouvertes que chez nous, je leur demande si, avant de décider d’adopter des enfants, ils ont d’abord fait des essais ensemble. L’homme me répond par une boutade mais positivement, tout en nous indiquant qu’ils n’ont pas cherché à savoir pourquoi cela ne marchait pas. J’apprends aussi que la femme a passé toute son enfance au Mozambique, avec des parents missionnaires ; elle en garde un souvenir ébloui.

La question me travaille pendant la nuit. Par un demi-hasard — le fait que les Européens fréquentent un peu les mêmes lieux —, nous nous retrouvons le lendemain à midi dans un club nautique. J’annonce une question indiscrète, celle de savoir si l’enfant a été soumis à un test HIV. La femme me répond très clairement et simplement. Avant de venir ici, ils ont posé leurs exigences, à savoir que l’enfant n’ait pas de carences évidentes, ne soit pas séropositif, et n’ait pas de famille connue. Au vu de l’état actuel, un peu inquiétant, du gamin, ils viennent de faire un test, heureusement négatif.

Sur ma lancée d’indiscrétion, je demande ce qu’il en aurait été le cas échéant.

— Maintenant, il nous aurait été trop tard pour faire marche arrière, répond l’un.

— Nous nous sommes attachés, lui et nous, ajoute l’autre.

J’ai souvent tendance à penser que si l’on n’a pas d’aile, on ne doit pas voler. Que si, dès le départ, on est homo, on devrait renoncer à avoir des enfants. De même, si la nature de notre physiologie ne le veut pas non plus. Et que si l’on n’est pas content de son sexe, il faut faire avec. Voilà des gens qui en ont décidé autrement, selon un cheminement riche, douloureux et complexe. Pourquoi pas ?

E : Lausanne, le 16 mai 2005
S : Lausanne, 23.05.08
V : 01.06.08
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La vie est une nouvelle : La môme en transit

Vendredi 28 mars

Petit aéroport en zone tropicale. Au fond, à travers la baie vitrée, une cordillère de pains de sucre vertigineux. Dans les plans plus rapprochés, une forêt de palmiers, une roselière, enfin la piste et un avion blanc et rouge. En deçà des baies vitrées, une salle qui sert aussi bien pour les départs que pour les transits avec, organisé en forme de U, le standard alignement de sièges baquets scellés en plastique gris. Les gens aimant s’assurer de la propreté de leurs bagages, les places sont déjà passablement occupées.

Un Européen d’âge moyen mûr est en train de prendre des notes dans un calepin genre moleskine. Il s’interrompt de temps à autres pour regarder alentour. Sur sa droite, directement au-delà d’un sac de voyage imitation Vuitton, une Africaine est assise à côté d’un autre Européen, lui d’un âge moyen un peu plus mûr. La jeune femme est très jolie mais s’ennuie terriblement, visiblement le couple disparate ne sait vraiment plus quoi se dire. De temps en temps, la belle jeune africaine jette un coup d’œil à l’homme au calepin genre moleskine. Quand leurs regards se croisent, elle lui lance un charmant sourire auquel l’homme au calepin genre moleskine répond timidement. Sur quoi, le couple disparate retombe dans l’ennui.

Une fois, après avoir fixé sa montre jusqu’à ce que la jeune Africaine l’ait rassuré — mais oui bien sûr, il avait tout le temps d’aller faire un petit pipi, avec indication d’une direction que l’homme d’âge un peu plus mûr a repéré depuis longtemps, ça lui fera du bien —, l’homme se lève et s’éloigne.

La jeune Africaine se tourne aussitôt vers l’homme au calepin genre moleskine. Elle soupire à nouveau mais, cette fois, en souriant agréablement. D’un mouvement de tête, elle désigne l’homme qui l’accompagnait et qui est parti faire son petit pipi. Elle esquisse une rapide et pudique inclinaison vers son entrejambe à elle, mais montré comme entrejambe universel et indifférencié, indiquant par là l’incontinence qui guette certains.

Pourtant, au lieu de parler de cela, la jeune Africaine dit, en soupirant à nouveau :

— Ce qu’il peut être ennuyeux ! Et sans transition elle s’informe : Vous allez où ?

L’homme au calepin genre moleskine répond par le nom de la ville où il se rend.

Avant qu’il n’ait le temps de s’enquérir de sa destination à elle, la jeune Africaine propose :

— Vous m’emmenez avec vous ?

Avant que l’homme au calepin genre moleskine n’ait le temps de demander des précisions, elle ajoute, l’air sûr d’elle :

— C’est tout à fait possible de changer mon billet.

Elle se retourne et plonge vers un sac à l’aspect plus viril et décati sur le siège au-delà de la place laissée vacante par l’homme d’un âge assez mûr qui est parti faire un petit pipi.

Avant que l’homme au calepin genre moleskine n’ait le temps d’hasarder quoi que ce soit, elle se lève, agite son titre de transport et tend la main :

— Allons-y !

Un peu plus tard, dans le ciel, deux avions volent vers des directions opposées.

À terre, une jolie jeune Africaine sort d’un aéroport.

Pour la troisième fois, elle s’écrie :

— Merda !

Cela signifie merde en portugais, c’est aussi un juron.

Puis elle hèle un taxi.

Avant d’y monter, dans son parler doux et humide, elle partage ce constat :

— Ils sont vraiment trop cons, ces Européens !

Elle s’installe à l’arrière, se penche en avant, tape sur l’épaule du chauffeur et demande :

— Tu connais un bon club par ici ?

E : Lausanne le 1 juin
S : 2.06.08
V : 02.06.08
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Madagascar (29 mars au 5 avril 2008)

Ombilic

Antananarivo, le dimanche 30 mars

J’ai bien peur d’avoir atteint le plus bel endroit du monde !

Antananarivo, c’est trois millions d’habitants dans une petit ville de province française des années cinquante, avec les voitures des années soixante et des Africains qui auraient débarqué des Philippines et qui parlent français avec l’accent belge.

La ville ne semble pas dévastée. Dans les hauteurs, elle est parsemée de minuscules boutiques qui, elles, restent ouvertes le dimanche. Et comme c’est dimanche, les gens endimanchés vont à la messe. Je participe — tout en découvrant  la chose — à la haie d’honneur qui attend l’arrivée du président malgache à la cathédrale.

Une fois passé le feu Palais de la reine, on bascule je ne sais où, quelque part entre le Brésil et la Thaïlande. Et soudain on découvre, au détour d’un lavoir où les femmes qui font leur lessive du dimanche m’invitent à jeter un coup d’œil sur les jardins suspendus derrière elles, les premières terrasses des cultures en pleine eau — ici surtout du cresson fontaine — accrochées dans la pente, avec quelques palmiers, papayers et des volubilis géants, le tout entouré de petites maisons en dur, de minuscules boutiques et de bancs de cuisine. Pour certaines choses il paraît qu’on devient hypersensible en vieillissant, j’en ai presque pleuré !

Plus bas, dans une petite plaine, les cultures sont divisés en parcs intercalés de cultures basses et inondées, riz, cresson et plantes inconnues, et de cultures sèches sur un sol surélevé, espace probablement créé à partir de la terre retirée plus bas, ou vice-versa, salades à tondre et plantes potagères. Chaque espace est délimité par des sentiers surélevés, praticables à pied sec, aménagés de minuscules pontons, avec des lessives qui séchent sur les talus. Certains de ces enclos dont de vrais étangs où des hommes, torse nu, en général par deux, tirent de grands rectangles d’étamine pour attraper des poissons — petits, m’ont-ils dit quand ils parlent français.

Ici, contrairement au monde des oiseaux que j’ai évoqué pour leurs couleurs, les femmes sont probablement plus belles que les hommes. Pour certaines choses il paraît qu’on devient hypersensible en vieillissant, j’en ai presque pleuré, au retour, dans le taxi-bé — c’est ainsi qu’on les appelle ici (300 ariarys ou 1500 francs Malgaches, 20 centimes de CHF, voir Monnaies, change et prix ! Les gens ont un type presque mélanésien.

Mais la ville qui s’étale sur les plis des collines se déploie comme Gênes en coquille Shell et épuise le randonneur, ADDENDA+ qui s’y perd, et s’y perdra encore. >

Avec ses hôtels et ses vendeurs qui enfin harcèlent un peu le touriste, seul le centre ville est très sale. Il exhibe mendiants, clochards et enfants qui dorment dans les rues, un contraste surprenant après toutes les hauteurs traversées aujourd’hui — la ville se situe au-dessus des 1400 mètres d’altitude). Enfin, au rez de la terrasse où j’écris, les putes m’ont, sans succès, sollicité en me hélant, ici comme au Mozambique, d’un «Papa» bien timbré.

ADDENDA+<Les jours suivants et la découverte d’autres lieux nuanceront encore cette impression de paradis. Les pages à venir en rendent compte >

E : Antananarivo, à l’ombre d’une boutique fermée, le 30 mars
 S : Un Cybercafé de Antananarivo, 30.05.08
V : 28.05.08
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Noir de Noir

À la victoire, après 15 ans de guerre d’indépendance et juste quelques années avant 20 ans de guerre civile apparemment fomentée depuis l’étranger, activement soutenue pas l’Afrique du Sud, et évidemment instrumentalisée par la guerre froide et sa stratégie des dominions — ou vice-versa —, les Mozambicains ont imposé le 20-24 aux Portugais. Soit 20 kilos de bagages, et 24 heures pour partir. Il m’arrive de penser qu’ils ont eu raison. Comme il n’y a plus de Blancs au Mozambique, les habitants du pays n’ont absolument pas l’humilité déplacée que l’on voit souvent en Afrique du Sud. ADDENDA<Si, lors du repas d’accueil chez l’ambassadeur de Suisse à Maputo, les sept ou huit écrivains et cinéastes mozambicains invités se sont aimablement efforcés de parler français, le débat a eu lieu surtout entre eux, sans particulièrement se soucier de nous, ce qui a créé une atmosphère détendue et sereine à mon goût. >

Hélas, le Mozambique est exsangue, ce qui n’a pas l’air d’être le cas de Madagascar où, malgré la terrible répression française de 1947, l’indépendance face à la France (1960) s’est peut-être faite en douceur. Même si les Blancs sont rares, la vie semble avoir poursuivi son creuset — en passant par un grillage percé, je me suis introduit dans un parc dont l’accès se voulait condamné, j’y ai vu de vrais Antananariviains jouer à la pétanque.

ADDENDA<Sur le chemin de l’aéroport, le chauffeur de l’ambassade, m’apprendra que les premiers gouvernements après l’indépendance étaient très franco-français, et à la solde de Paris, l’indépendance ne devenant réelle qu’à la révolution de 1974, des événements qui ont amené le chauffeur à renoncer à son final de médecine. >

E : Le Petit Tana, dimanche 30 mars
S : Lausanne, 6-13.05.08
V : 29.05.08
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Mon paradoxe de la beauté

Alors que j’ai toujours chéri les murs lézardés et les villes décaties, alors que j’inhale comme parfums les odeurs de transpirations et de fortes densités humaines, curieusement dans mes rêves amoureux — et souvent dans leur concrétisation —, je n’ai jamais recherché que la beauté la plus parfaite, la beauté parfaite du marbre. De par la constitution musculaire des hommes, la beauté de ceux-ci — Praxitèle le savait — se trouve être plus marmoréenne, ceci explique peut-être cela… Comme peintre, je suis expressionniste. Comme réalisateur, c’est moi qui ai inventé le concept théorique du comédien qui, à l’écran, pue des pieds. Éthiquement, je suis humaniste, voir misérabiliste. Une fois encore, je constate que mon sexe n’est d’accord ni avec ma tête ni avec mon cœur. Mais c’est sur le marbre des boucheries que l’on apprête les poulets congelés, ceci explique peut-être cela…

E : Antananarivo, Karibotel, lundi 31 mars
S : Lausanne, 8-13.05.08
V : 29.05.08
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Bêtises

Lundi 31 mars

Il m’arrive de faire des bêtises, tout de même. Ou des erreurs. À nouveau cet après-midi, j’ai grimpé jusqu’au Palais de la reine. Je me suis arrêté pour discuter un moment avec Sitraka et John, deux jeunes guides sympas, puis je m’en suis revenu de ce côté, en empruntant un escalier abrupt, qui s’est avéré être une descente au paradis.

La jungle, la vraie, belle et verte, en pleine ville. Avec des petites maisons en bois peint, presque suspendues. Devant chacune, de minuscules braseros dont le charbon de bois sent l’encens des espèces exotiques. Des bribes de conversation, des rires, des enfants qui dévalent les marches en courant, avec une dextérité vertigineuse, comme des moineaux heureux, même si c’est pour ensuite remonter, en riant toujours, l’eau que leur mère attend. Dans cet escalier justement, anticipant les événements qui vont suivre, je me disais que si les villes doivent absolument exister, elles ne devraient jamais excéder les 100’000 habitants — contre les 3 millions environ de Antananarivo —, ceci par décret de l’UNESCO, ou suite à une sagesse acquise après une catastrophe planétaire, que je ne souhaite évidemment pas.

La nuit m’a surpris, elle s’est avérée être une escalade aux enfers. Des routes qui se perdent dans une coquille Shell redessinée en 3D, avec pour tout éclairage les phares aveuglant des voitures dans l’épais brouillard des gaz d’échappement, jusqu’à ce qu’enfin je tombe sur les quartiers populeux, grouillant d’ombres et de silhouettes en tous sens, heureusement sans jamais choir dans une des nombreuses bouches d’égout stupidement béantes, me devinant enfin près de la gare, et donc pas loin de mon hôtel, mais totalement perdu, au point de devoir héler un taxi 4L salvateur. Heureusement qu’encore une fois mon corps demeure une vieille bête docile qui fait, sans râler, ce que je lui demande — une des découvertes importantes que ce voyage confirme une fois de plus.

E : Antananarivo, Karibotel, lundi 31 mars
S : Lausanne, 8-13.05.08
V : 29.05.08
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Tsy mila

Lundi 31 mars

« Tsy mila, misaotra », approximativement, cela veut dire « non merci » en malgache, en plus poli. Je crois qu’ici la politesse est toujours exquise. Cela veut dire non merci, je le sais, je viens de le demander, juste maintenant en rentrant, à la réception du Karibotel.

Avant, je l’ai dit en français. Même, joyeusement crié. Ceci entre le bistrot — excellent et pas cher, avec du filet de zébu, le tout plus un vieux rhum pour 12 francs suisse — et l’hôtel, lors de la traversée d’un autre enfer, un enfer de cour de miracles, amical et souriant, putes, mendiants de tous âges, toutes formes et toutes tailles, et dormant souvent à même la rue.

J’ai tout de même, gentiment et souriant moi aussi, signalé à un des innombrables chauffeurs de 4L et de deux-chevaux que de circuler la nuit avec en tout et pour tout un unique feu de position, c’était un bon moyen pour éliminer les vieux dans mon genre. Il a poliment et paisiblement acquiescé.

E : Antananarivo, Karibotel, lundi 31 mars
S : Lausanne, 8-13.05.08
V : 29.05.08
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Les mots pour l’écrire

C’est curieux. Depuis quelque temps, quelques dizaines de mois tout au plus, j’ai l’impression de trouver immédiatement le bon mot, le mot juste, celui qui aussi évite une répétition malheureuse. Cela en devient trop facile, trop lisse — tout comme la beauté marmoréenne. Peut-être est-il temps que je cesse l’écriture — à vaincre sans péril, on se berce.

E : Antananarivo, Karibotel, lundi 31 mars
S : Lausanne, 8-13.05.08
V : 29.05.08
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Le regardeur regardé

Mardi 2 avril

Porté par l’aile d’un coup de vieux rhum peut-être, j’ai composé sur mon téléphone portable le message suivant — c’était hier soir, au bistrot ci-dessous :

« Au Sakamanga, visiblement, chaque Blanc s’est levé une amie malgache. Moi pas. Pourtant certains hommes ici sont très beaux. Inhibition, lassitude, ou hostilité au tourisme sexuel ? »

Je l’ai directement expédié hier à l’attaché consulaire qui, le premier soir, m’a reçu avec des écrivains et des personnalités locales. Sur le seuil de sa porte, l’homme que j’avais d’abord pris pour lui, s’était présenté comme étant son partenaire — mot que, dans cette acception particulière, j’avais appris il y a peu, en anglais et en Afrique du Sud, et dont j’ai obtenu confirmation, en réponse toute simple, le lendemain, par l’attaché consulaire.

Maintenant c’est midi, même lieu, mais au lendemain du SMS. J’attends la salade que j’ai commandée. Une jeune Malgache debout dit quelque chose à mon adresse. Finalement je la comprends, elle demande si elle peut se mettre à ma table. J’acquiesce. Après quelques mots échangés, je lui signale poliment que je ne compte pas l’inviter à manger. Elle me répond qu’elle a bien l’intention de payer son repas. On échange quelques mots sur ce que l’on fait. Elle, elle vient de rentrer de Bangkok. Sur un mauvais coup de tête, mi-amusé, mi-je ne sais quoi, je lui montre le SMS que j’ai expédié la veille. Après un moment de silence, elle m’explique que, si elle était à Bangkok trois semaines, c’était avec son mari. Elle engloutit ses spaghettis bolognaise, je termine ma salade. La place exiguë amène nos genoux à s’effleurer.

Depuis les autres tables, on doit voir, en miroir de ce que j’avais relevé hier soir, une jeune et jolie Malgache à l’air revêche, qui s’ennuie en compagnie d’un vieux monsieur. En même temps je m’amuse, en même temps je suis mal à l’aise. Elle n’a pas l’air contente. Elle est en tous cas assise à côté d’un sacré mufle.

Elle ne termine pas son plat, se lève, et m’annonce qu’elle va payer derrière. Après une minute, toujours indélicat, je jette un œil pour voir si elle est bien allée au bar. Elle s’approche de moi pour comprendre si je lui veux quelque chose et repart, avec un mouvement d’épaule excédé. Un peu après, je remarque qu’elle sort du bistrot, toujours revêche.

Bientôt, je demanderai l’addition, j’aurai alors le dénouement. Les chances qu’elle ait payé ? Nous dirons cinquante cinquante ?

P.S La note arrive. Elle a payé. Je suis vraiment un mufle !

E : En life, au Sakamanga, mercredi 2 avril
 S : Lausanne, 8 -14.05.08
V : 29.05.08
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Les taxis d’Antsirabe

Mercredi 2 avril

D’après la vignette apposée sur son arrière, à Antsirabe, le taxi local s’appelle « pousse », mais je crois bien qu’ici aussi on dit plutôt pousse-pousse.

Si à Jo’burg ce sont les taxis-bus qui sont majoritaires, si à Antananarivo ce sont les 4L et les deuches, mais comme taxis privés, ici ce sont les pousse-pousse, presque à l’exclusion de tout autre véhicule. Les enfants malgaches aisés les utilisent pour se rendre aux cours de l’Alliance française.

La base de ces pousse-pousse est constituée de deux timons, de deux roues de vingt pouces et de suspensions à lames. Je n’ai pas réussi à voir si ce modèle toujours identique provenait de Chine, de Taiwan ou d’ailleurs. Sa superstructure, en bois et store de toile cirée, offre des variations décorées, et chaque pousse-pousse arbore son nom de baptême.

En arrivant à Antsirabe, ce mode de locomotion me choque d’abord un peu — l’homme, nu pied, transformé en bête de somme ! — mais je suis tout de même décidé à tenter l’expérience.

Excepté dans l’unique montée, et sa descente sur la rive opposée de la rivière, le pilote — il s’agit toujours d’un homme jeune — court, sans faiblir, apparemment sans s’essouffler. Il faut dire que je suis bien moins lourd qu’un couple replet avec deux enfants, croisé en arrivant. Le pousse-pousse sert ici aussi de livreur ou de portefaix. Avant la course, j’ai négocié le prix, un peu mais, pas trop, en témoignage de respect — j’ai payé 5000 francs malgaches (soit 1000 aryaris, soit 60 centimes suisses, voir : Monnaies, change et prix).

Somme toute, être tireur de pousse-pousse dans la paisible Antsirabe est certainement plus doux que d’être chauffeur de 4L dans les gaz et les bouchons d’Antananarivo. À l’arrivée, j’ai poliment demandé à voir les paumes de mon chauffeur. Et ses plantes de pied, mais il s’est contenté de m’indiquer que, comme ses mains, elles étaient en bon état.

Au besoin lors du parcours, le chauffeur agite une sonnette attachée à l’un des timons. Sous le siège du client est suspendue à l’envers une bouteille d’eau minérale dont le cul a été sabré. J’ai fini par saisir qu’équipée d’une bougie cela sert d’éclairage obligatoire. Des centaines de lumignons grelottant la nuit au son des crécelles, rythmé par le doux tam-tam des pieds battant le bitume, comme cela doit être joli. Même si, aujourd’hui, à cause du terrible orage qui menace déjà, la nuit va tomber très tôt, je ne les verrais pas, la tourmente nous saisira sur notre route du retour.

Avant mon trajet en pousse-pousse, j’ai eu le temps de visiter le grand marché, étroit et long, très beau avec ses bois tordus qui soutiennent des toits en paille de riz montée sur claie. Ils m’ont abrité le temps d’une petite averse préliminaire. Solidarité de l’artisan, j’y ai acheté des boîtes de sauce tomate italiennes transformées, ici non en bateau mais en lampe à huile, j’ai aussi acheté un jeu de mesures de cuisine ADDENDA+<— que nous avons étalonné, Cécile et moi, à mon retour, sans réussir à établir une quelconque progression arithmétique entre les capacités des différentes mesures — > ainsi que du poivre, qu’ici j’ai pu goûter, et de la girofle.

E :au Sakamanga, jeudi 3 avril
 S : Lausanne, 8-14.05.08
V : 29.05.08
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Service social

Mardi 2 avril

Antananarivo, nuit.

Deux cartons ondulés à plat sur le bitume.

Sur le premier, une femme endormie.

Sur le second, trois bébés alignés.

S’agit-il d’une nichée de triplés ?

Non, c’est une halte-garderie.

Plus loin, sur d’autres trottoirs,

les vraies mères rassurées

font leur travail de belles de nuit.

E : d’après des notes prises sur le vif au Karibotel, le 3 avril, Lausanne le 30 avril, slamé le soir même
S : Lausanne, 8-14.05.08
V : 29.05.08
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De la photographie, suite

Jeudi 3 avril

Dans ma fenêtre myope, le ciel de l’aurore se découpe tout d’azur. Dépassant une nouvelle fois le palais de la reine, insistant, après la météo trompeuse de mardi, je retourne à Amparihy. Aujourd’hui, les quelques nuages qui s’invitent m’aident même à prendre mon temps.

Sauf quelques exceptions, rares et qui se manifestent clairement, les gens d’ici aiment à être photographiés, en général sans jouer aux modèles. À Amparihy, cela crée même des liens. Dans certains cas, on me demande des copies, je prends les adresses ADDENDA+<, j’envoie des tirages >.

Plus tard, plus loin, en amont des cultures inondées ou sèches de la plaine, je débouche dans un petit marché, encore inconnu, où je poursuis mes prises de vue photographiques. Étonnamment j’ai l’impression, déjà vécue, d’y prendre de meilleurs clichés que dans les endroits où je retourne pour la seconde fois. Je photographie mieux mais je vois moins bien. Il faut choisir. Comme je ne suis pas photographe, le choix est aisé. Si j’étais photographe, je travaillerais en deux temps. D’abord en instantané, en découveur. Puis revenant, pour les détails et les gros plans qui tuent.

E : le Petit Tana, 3 avril
S : Lausanne, 9-15.05.08
V : 29.05.08

Beauté, suite

C’est curieux, mais plus on s’éloigne des villes, plus les gens sont beaux. J’ai bien quelques hypothèses, mais certaines sont troublantes, glissantes et pas mûres pour être développées… ADDENDA<Une zone imprécise de ma mémoire semble me murmurer que je les ai peut-être esquissées plus tard avec Lucia lors de notre périple touristique à venir, à suivre. >

E : le Petit Tana, 3 avril
S : Lausanne, 9-15.05.08
V : 29.05.08
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Entomologiste

Je ne sais pas si vous avez remarqué — ou si tu as remarqué, lecteur(e) unique —, je pose sur les pays que je traverse un regard d’entomologiste. Je vois des gens, des faits et des actions, je ne parle guère de relations, de discussions, d’âme profonde ou de psychologie. Je suis donc une sorte d’entomologiste, ce qui ne me dérange pas, j’aime ça. Il faut dire que comme entomologiste je n’ai pas besoin, ni envie, de chloroformer les objets de mon observation, ni de les épingler ensuite dans une vitrine poussiéreuse.

E : le Petit Tana, 4 avril
S : Lausanne, 9-15.05.08
V : 29.05.08
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Microscope à effet tunnel

Voyager loin, dans un autre monde, permet aussi — par le recul, comme l’effet tunnel des microscopes nucléaires —, de mieux se voir soi-même. Le décalage m’offre la possibilité d’appréhender plus clairement certains de mes défauts et qualités — je ne les énumérerai pas ici, au vu des pages vierges que mon carnet contient encore la liste serait trop longue. Et voyager loin, dans un autre monde, révèle aussi des qualités et des défauts nouveaux.

E : le Petit Tana, 4 avril
S : Lausanne, 9-15.05.08
V : 29.05.08
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Des tailleurs

Vendredi 4 avril

Je n’ai découvert les tailleurs qu’aujourd’hui. Ce qui est bien trop tard pour me faire confectionner une nouvelle copie de mon légendaire Lee Cooper.

Au marché — un autre marché, en bas de la rue, vers la gare actuellement reconvertie, plus beau encore — ce sont ici les femmes qui exercent la profession de tailleur. Leur machine à coudre s’actionne à main, chose curieuse car, de facto, cela mobilise une main que je sais être bien utile ailleurs.

En face de la terrasse du Petit Tana où je suis en train d’écrire, juste maintenant je repère la boutique de RAZANASOLO STANISLAS. Et, sur le trottoir qui la précède, Stanislas en personne. Nous nous observons mutuellement. La veste qu’il porte est distinguée, excentrique — même pour des ailleurs moins conventionnels —, mais elle n’a pas l’air très bien coupée.

E : le Petit Tana, 4 avril
S : Lausanne, 9-15.05.08
V : 29.05.08
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Petites boutiques obscures

J’adore les petites boutiques africaines. Il en est de si petites qu’on dirait des timbres-poste collés à même la muraille. D’autres ne contiennent rien — ce matin j’ai dû me pencher par-dessus le minuscule comptoir d’une minuscule cahute pour comprendre qu’il s’agissait de l’échoppe d’un cordonnier, ce que le cordonnier et ses trois semelles m’ont personnellement confirmé.

La nuit, elles sont encore plus belles. Néon pour les riches, ampoule pour les autres et, bien souvent, lampe à huile ou bougie pour les plus pauvres. Aucune photographie ne rendra jamais leur souffle vacillant et le passage de leurs chalands. Mais il faut du temps pour les apprivoiser, du temps que j’avais à Gorom-Gorom et que je n’ai pas ici, tout passe !

E : le Petit Tana, 4 avril
S : Lausanne, 9-15.05.08
V : 29.05.08
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Travail de nuit

Vendredi 4 avril

À peine je suis sorti de chez « Sucette » — un bon bistro européen où un sympathique stagiaire dûment étiqueté comme tel sert de la cuisine réunionnaise — voilà que deux belles de nuit m’abordent :

— Chéri, viens, on va te faire l’amour.

Pour me désengager poliment, je leur dis préférer les hommes.

— Si tu veux, je peux faire comme eux, répond l’une d’elles en esquissant un geste vers une partie explicite de son corps.

Je décline volontiers l’invitation.

Elles me demandent alors un peu d’argent :

— Pour acheter des cigarettes.

Je refuse aussi, puisqu’elles ont, je le leur fait gentiment remarquer, leurs propres ressources.

Cent mètres plus loin, une gamine d’une dizaine d’année, en haillons, hirsute, pied nu et sale, me court après, pour une aumône. Comme je le fais habituellement, je refuse énergiquement, et continue ma route, reprenant l’air de Dave Brubeck que je chantonnais. La gamine a l’air ravie. Elle m’accompagne en riant. Et insistant. Et riant encore — j’espère bien qu’elle ne sniffe pas déjà de la colle ! Je finis par extraire un billet de 5000 francs malgaches — 60 centimes, mais ici c’est déjà pas mal. Toute contente, elle me donne une tape amicale sur le bras. Comme ce soir je porte une chemise en coton blanc immaculé, je regarde si elle n’y a pas laissé la trace de sa main.

Ce soir, sur mon chemin, ma générosité se poursuit. Serait-ce l’aigreur du vin malgache ?

E : Karibotel, 4 avril
S : Lausanne, 9-15.05.08
V : 29.05.08
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Afrique de Sud (5 au 25 avril 2008)

Genre moleskine

Vendredi 4 avril

J’ai terminé mon deuxième carnet africain, un calepin en carton dur, genre moleskine très cheap acheté à Campus square, 67 pages de notes. À son autre extrémité, quelques pages de croquis, pas trop mauvais, que j’ai pris sur le vif au Rokka (c.f. rubrique : Géométrie dans l’espace ) et lors d’un atelier de danse à Nampula.

Mais j’ai pris la précaution — une précaution qui ici se combine au plaisir — d’acheter au marché en dur de Atananarive, un calepin au format un peu plus petit que les Claire Fontaine, produit par ceux-ci, mais affichant comme nom de marque « Calligraphe », et comme information « 96 pages – 70 g ». Je l’utilise toujours.

E : S : V : 27.05.08
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Tourisme et repères temporels

Résumons. J’ai passé 12 jours au Mozambique. Puis, faute de voies de communication spatialement plus rationnelles, j’ai parcouru presque un aller et retour, via Johannesburg où j’ai dormi une nuit, entre Beira et l’Île de Madagascar où j’ai passé 6 jours.

Je suis retourné à Johannesburg, j’y ai loué une voiture. Avec, je me suis lancé sur les pistes de gauche, souvent en y actionnant mes essuie-glaces plutôt que mes indicateurs de direction.

Deux jours après, j’ai ramassé ma fille Lucia à l’aéroport et, dès le lendemain, nous sommes partis faire du tourisme, d’abord 10 jours dans les parcs, en commençant par ceux du Limpopo — en hommage à l’éléphant de Kipling —, puis l’océan Indien, Durban et retour une semaine à Johannesburg.

Pendant ces 20 jours de tourisme, je n’ai guère pris de notes, juste quelques brèves — présentées ici plus ou moins telles quelles et chronologiquement — et des titres que je développe maintenant, le tout augmenté de réflexions germant sur un terreau intérieur qui bouronne (c.f. helvétisme) encore.

E : Lausanne, le 13 mai
S : Lausanne, 13-16.05.08
V : 29.05.08
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Triviale tolérance

Auckland Park, samedi 5 avril

Ma sœur cadette habite en France, ceci depuis l’ennui des temps. Chaque fois que je vais chez elle, je peste — de même, sans doute, chez mes soeurs de Nouvelle-Zélande et d’Athènes. Aux toilettes, la française n’a jamais eu de porte-papier hygiénique. Chaque fois je me demande comment je vais m’y prendre.

Dans ce flat d’Auckland Park que j’ai occupé pendant un mois et demi, il n’y avait pas non plus de porte-papier hygiénique. Pendant la phase jet-set qui a suivi, les hôtels où je descendais en étaient par contre tous équipés. Eh bien ! Je ne savais plus comment faire.

Les voyages forment la jeunesse. Aux autres ils enseignent, quelquefois et rétrospectivement, une nouvelle forme de tolérance. À poursuivre.

E : Lausanne, le 2 juin
S : Lausanne, 2.06.08
V : 04.06.08
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Pas d’épilogue pour Rastaman

Et Rastaman ? Comme convenu, il a logé dans mon flat lors de mon absence. Comme il me l’avait demandé, il y a logé avec sa copine, la mère de son futur enfant. Je l’ai appelé depuis Madagascar, mais je suis toujours tombé sur le répondeur de son cell phone. Je lui ai annoncé mon retour par SMS, il était convenu qu’il libère mon logement pour cette date. Quand je suis revenu, celui-ci était déjà occupé par une amie de mon Landlord, ils s’étaient mis d’accord pour que Rastaman partent la veille.

Cela s’était-il bien passé ? Mon landlord a d’abord dit que Rastaman était un pique-assiette, toujours à mendier cigarettes ou autres. Mais allez savoir ; malgré sa finesse, j’ai souvent décelé chez mon Landlord un fond de racisme bien ancré — comme Adam chassé du paradis…

Une autre fois il m’a dit que Rastaman était un tsotsi — ce qui veut dire gangster en argot zoulou.

— Tsotsi ?

— Oui, a répondu mon landlord. Un gangster.

— Mais il est rasta ! D’ordinaire, les rastas sont tous sauf des gangsters.

— Avant, en tous cas avant, il fréquentait les tsotsis. Il les connaît bien.

Plus tard mon landlord m’a demandé si par hasard j’avais les clés de mon flat. J’avais dit à Rastaman de les laisser sous le grand cactus, nous sommes allés vérifier, elles n’y étaient pas. Ici en Suisse, quelle histoire cela aurait fait ! Pour mon landlord ce n’était pas un problème. Pragmatique il s’est contenté de changer les tambours des serrures de mon flat et du garage — bel exemple de zen sud-africain.

Mary, la domestique, m’a aussi dit — en reconstituant ce dialogue, j’imagine malheureusement que son « you » anglais était ici un vous, pourtant je crois qu’on s’aimait bien, elle et moi :

— Quel drôle de gaillard, votre copain !

Tout ceci, et le fait qu’avant son cell phone ne répondait plus ni à moi ni à mon landlord a créé une sorte de malaise. Pendant toute la fin de mon séjour je n’ai pas essayé de recontacter Rastaman. Dernièrement, j’ai tout de même testé son adresse email. Elle demeure muette pour l’instant.

Au lendemain de la rencontre chic de Pretoria où la dame s’était extasiée sur la gentillesse qu’avaient les Noirs de ne pas nous montrer leur haine, j’avais posé à Rastaman la question que je pensais un peu rhétorique :

— Est-ce vrai que tous les Noirs haïssent les blancs ?

À ma surprise, il avait mollement répondu, en soulignant même son hésitation :

— Non, pas tous.

Le soir avant mon départ pour le Mozambique, alors que je lui laissais les clés et lui expliquais deux ou trois choses, il m’a demandé si je pouvais aussi lui prêter de l’argent. J’ai fait la moue, je me trouvais déjà assez arrangeant. Je le lui ai dit, en ajoutant que j’allais y penser.

Le matin, avec une sorte d’insolence douce, il a demandé :

— Alors, le Monsieur a réfléchi à ma proposition de hier soir ?

Cela m’a un peu irrité, tout en créant aussi une forme d’admiration. Je n’avais pas encore rencontré les mozambicains, avec leur libre indépendance, ni clairement réfléchi à la question (c.f. rubrique : Noir de Noir.) Du reste l’attitude de Rastaman va à l’heureuse encontre de mes réflexions sur l’apparente passivité des Noirs d’ici. Et ces jours de mai — un mai d’ici, de pluvieux printemps —, il m’a effleuré que les récents émeutiers des townships se trompaient peut-être de cible. Mais, toujours résolument convaincu qu’aucun combat ne mérite une mort — et qu’aucun mort ne peut en remplacer un autre —, je me suis contenté de le dire à un vieux monsieur bien, blanc, libéral et encore sûr de lui, qui téléphonait à mon père.

Rastaman est en tous cas opportuniste. Il a probablement raison de l’être. Ce que dit Nadine Gordimer est vrai, seuls ceux qui ont le choix peuvent se permettre d’avoir une morale — c’est du reste pour cela que cette Prix Nobel ne partage pas totalement mes convictions pacifistes.

Il n’y aura pas d’épilogue Rastaman, juste un goût aigre-doux.

E : Lausanne, le 2 juin
S : Lausanne, 2.06.08
V : 04.06.08
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Maintenance

Dimanche 13 avril, entre le Swaziland et Sodwana Bay

Lors d’un segment de semi-autoroute, je remarque une voiture immobilisée sur la piste d’arrêt d’urgence — une piste qu’utilisent volontiers les véhicules lents. Le toit de celle-là exhibe une insolente enseigne lumineuse, « MAINTENANCE ». Des cônes orange autour d’elle délimitent une zone protectrice. Mais un homme est couché sur le sol, il change une roue. Aujourd’hui, c’est la dépanneuse qui a crevé !

E : mardi 15 avril 08
 S : Lausanne, 15-16.05.08
V : 29.05.08
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Crotte qui roule amasse la mousse

ISimangaliso Wetland Park, Sant-Lucia, mardi 15 avril

Roulant à vitesse modérée sur l’assez bonne piste d’un parc au-dessus de Santa-Lucia, nous bloquons délicatement sur les freins et reculons de quelques mètres pour mieux voir et comprendre le spectacle qui vient brièvement de frapper nos rétines. Soit une boule de six centimètres de diamètre, ronde et compacte comme ces amas d’algues brunes que l’on trouve fréquemment sur les bords de mer. Mais celui-ci se déplace toute seule, traversant même la route, dans un mouvement décidé mais saccadé et irrégulier. Il s’agit probablement d’une boule de merde et, assurément, son moteur est un scarabée noir qui grimpe au sommet de celle-ci pour, pas à pas, la déséquilibrer dans la direction qu’il veut lui imprimer. Il roule avec, tombe et regrimpe. Au besoin, avant de recommencer, il donne un petit coup de thorax décidé afin de rectifier la trajectoire. Très certainement des tas d’encyclopédies expliquent où il va et pourquoi il fait ça. En tous cas le spectacle vaut la peine de s’arrêter pour le contempler.

E : Titré le mardi 15 avril, développé à Lausanne le 13 mai
S : Lausanne, 16.05.08
V : 29.05.08
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Le panneau aux deux tés

Kwazulu Natal, mercredi 16 avril

L’Afrique du Sud, comme tous les pays modernes, a introduit les panneaux bruns et blancs, à orientation touristique — tel celui qui signalait le zoo humain du bidonville musée. Pour ces panneaux, une large marge d’interprétation artistique a été laissée aux fantaisies nationales. En France, je crois qu’une bonne partie d’entre eux a été conçue par un dessinateur humoristique rescapé de «Franc Rire ».

Le long des routes des provinces sud-africaines, il en est un qui montre un grand arbre — malgré sa taille, je doute qu’il s’agisse d’un baobab.

Lucia demande ce qu’il signifie.

Étonné la question, j’introduis une nuance de suggestion dans ma réponse :

— Une aire de repos ou de pique-nique.

— Mais les deux « T » ?

— Pardon ?

— Souvent, il y a l’arbre, plus deux « T ».

J’essaie d’être vigilant. Je repère plusieurs fois des panneaux avec l’arbre, mais jamais avec les deux « T ».

Enfin Lucia m’en signale un :

— Là !

— Là ? Perplexe, je constate : Mais, c’est l’arbre ?

— Avec les deux « T ». Elle se fait véhémente : Tu les vois bien, les deux « t » ?

Ah ! Je comprends. En fait les panneaux représentent toujours l’arbre accompagné des deux « T ». Mais il ne s’agit pas de deux « T », il s’agit de deux tables de pique-nique symbolisées sous l’arbre.

Signe, signal et symbole, des bribes de mes études de psychologie expérimentale remontent, ainsi que des réminiscences de Gestalt théorie, fond forme, blanc brun. L’art de la symbolisation est un art difficile. À moins que les lunettes de Lucia ne soient pas vraiment universelles.

E : Lausanne, 1 juin
S : 02.06.2008
V : 02.06.08
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Réflexions urbaines

Le monde est fou, les villes se vident.

ADDENDA+<

Exégèse : Cette remarque peut sembler paradoxale au vu de remarques antérieures mais, cela me revient maintenant, elle est m’est venue en voyant le centre de Durban le soir — où nous logions. Aussi en repensant à la ville de Johannesburg d’où les Blancs de l’apartheid ont expulsé les Noirs vers les Townships, des Blancs qu’actuellement on ne trouve plus que dans des quartiers résidentiels de plus en plus extérieurs, à l’extérieur desquels s’édifient les nouveaux quartier résidentiels des classes moyennes non blanches, et au-delà desquels s’accroissent les bidonvilles.

Une chose est certaine c’est que, de jour, Durban et le quartier de Newtown à Johannesburg grouillent et que, le soir, c’est désert. >

E : Durban, mercredi 16 avril et Lausanne, 9 mai
S : Lausanne, 9-16.05.08
V : 29.05.08
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Contrefaçon

Durban, mercredi 16 avril

Aujourd’hui j’ai acheté une contrefaçon de stylo Bic ! Demain je remarquerai qu’il fonctionne beaucoup moins bien que les vrais. ADDENDA<Longtemps plus tard, je verrai que je n’arrive par contre pas à le perdre. >

E : Durban, 16 avril
S : Lausanne, 10-16.05.08
V : 29.05.08
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Aphorismes photo

·        Dans l’instantanéité du moment, la photographie me rend aveugle.

·        Pour faire de la bonne photographie africaine, il faut s’asseoir. Et rester à l’affût (je l’ai fait à Bobo Dioulasso, il y a neuf ans).

E : Durban, jeudi 17 avril et Lausanne, mai 2008
S : Lausanne, 10-17.05.08
V : 29.05.08
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Réflexions urbaines, suite

Jo’burg est une non-ville car crée autour de rien, c’est-à-dire de l’or de ses mines éphémères. ADDENDA+<Pour preuve, le nom de sa province, Gauteng, qui signifie « Pays de l’or », en langue indigène. >

E : Durban, jeudi 17 avril
S : Lausanne, 10-17.05.08
V : 29.05.08
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Razor Ribbon

En Afrique du Sud, quand elles ne sont pas électrifiées, la plupart des clôtures sont surmontées de rouleaux de barbelés, presque toujours en acier militaire — l’acier militaire, tout comme l’acier chirurgical, existe certainement, il est tranchant et inoxydable. À Durban, une ville pourtant apparemment un peu moins parano qu’ailleurs, c’est surtout sur les toits qu’il y en a, ce qui est curieux et pas très explicable.

À Jo’burg, entre le mall de Campus Square et chez moi, une villa exhibe fièrement, fichée dans son confinement barbelé, une plaque émaillée sur laquelle est écrit en grosses lettres rouges sur fond blanc : « RAZOR RIBBON ». J’ai longtemps cru qu’il s’agissait du nom, certes pittoresque, du propriétaire de la maison. On m’a enfin expliqué que « ribbon » signifait ruban, j’ai alors compris. Razor Ribbon, c’est le nouveau prototype de barbelés qui ornent les murailles d’enceinte de la villa, un modèles à doubles rubans parallèles et rectilignes. Pourtant Razor Ribbon pouvait tout aussi bien sortir d’un album de Tintin. Ce sera certainement le prochain héros d’un polar que j’écrirai une fois.

E : Durban, jeudi 17 avril
S : Lausanne,10-17.05.08
V : 29.05.08
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Mitigeur

Le problème number one de l’Afrique du Sud, ce sont les mitigeurs. En règle général, il n’y en a pas. Et quand il y en a — même les British ne sont pas assez fous pour imaginer des douches sans mitigeur ! —, ils ne mitigent rien du tout. L’eau de la douche passe immédiatement de brûlant au froid et vice-versa. Depuis le 14 avril, je rencontre un problème nouveau. J’ai l’habitude de tâter la température de l’eau avec mon dos, un espace vaste et peu innervé. Mais ces derniers jours, à cause du coup de soleil persistant que j’ai attrapé en faisant quarante-cinq minutes de snorkeling à la surface de l’océan Indien, je trouve toute eau d’office brûlante.

E : Vendredi 18 avril, Clarens in Free State Province – 10.05.08
 S :
Lausanne, 10-17.05.08
V : 29.05.08
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Aphorismes en formation

Hédonisme

C’est plutôt le malheur qui serait une invention moderne.

Maputo, le 20 mars 2008
Objectifs

On peut se demander si la civilisation n’est pas avant tout la lutte contre le bien-être et la joie de vivre.

E : Troisième carnet
S : Lausanne, 10-17.05.08
V : 29.05.08
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La rationalité britannique des Sud-Africains

Nomenclature urbaine

Je l’ai déjà mentionné lors de mon premier jour et de mon premier orage, à Merville, la nomenclature des artères suit une définition ordinale. Soit, en abscisse, une succession d’avenues orientées d’est en ouest, la première, la deuxième, et ainsi de suite, jusqu’à la septième, je crois. En ordonnées, les rues, orientées elles du nord au sud, de la première à la neuvième. Vous pouvez donc donner rendez-vous à quelqu’un à l’angle de la Septième Avenue et de la Septième Rue. Si, faute d’autres repères, vous savez compter, que vous ne conduisez pas trop vite et que vous êtes bien dans le bon quartier de Jo’burg — la ville compte une bonne vingtaine de Septième Avenue —, vous arriverez à votre rendez-vous, surtout qu’à chaque carrefour, le nom des rues est judicieusement, ceci dit sans ironie, indiqué sur la bordure d’angle des trottoirs. Si vous ne remplissez pas toutes ces conditions, tant pis pour vous — ou pour cette rationalité de surface à raz le bitume.

Systématique nationale

Les routes peu nombreuses qui sillonnent le pays portent des numéros. Souvent, comme seule direction, la signalisation routière n’indique que ces seuls numéros. Il y a la numérotation « R » probablement pour régionale, la « N » pour nationale. Et Il y a aussi la « M ». La « M1 » et la « N1 » desservent toutes deux Johannesburg. Mais les cartes se contentent d’indiquer leur numéro. La « 1 » certes, mais de quelle « 1 » s’agit-il ?

Topologie

Je l’ai déjà dit (c.f. rubrique Beira), les gens du sud de l’Afrique ne s’intéressent pas au nom des étoiles, à l’altitude où ils se trouvent, ni à leur situation par rapport aux lignes virtuelles, ces repères chronométriques et solaires que sont les tropiques, équateur et autres cercles — ceci pas par manque d’intelligence mais parce que cela ne leur paraît pas du tout essentiel.

Pour aller d’un lieu à un autre, les Sud-Africians ne savent que retrouver topologiquement le chemin qu’ils ont déjà parcouru. Sortir du garage du côté où l’on dépose les poubelles, tourner en direction de la tour, la dépasser, prendre la rampe qui passe au-dessus de stade de l’université, se laisser porter longtemps jusqu’à couper la ligne de chemin de fer, compter trois stops, s’arrêter. Et appeler Brother pour qu’il vienne vous chercher pour les derniers cent mètres. Cette connaissance, ils l’ont intuitive, dans leur corps en mouvement, mais ils ne pourraient la restituer verbalement — une des toutes première cartes que l’on possède encore, passionnante, développe le monde connu comme un large et long ruban, allant du Portugal à Cipango, avec quelques fioritures latérales, ou bifurcation, comme celle qui mène au lac Léman.

Lucia et moi avion décidé de retourner à Orange Farm. J’avais l’idée vague que cela devait être à une cinquantaine de kilomètres de Jo’burg, qu’il fallait effleurer Soweto, et faire un petit bout d’autoroute. Au téléphone, Brother n’avait pu que me mentionner quelque chose de genre Golden Gate.

Partis déjà rongés d’une parfaitement raisonnable incertitude, nous nous sommes arrêtés au bord de la route auprès d’un vendeur de tomates — les tomates de bord de routes sont excellentes alors que celles des malls, infâmes, ne sont guère qu’une pâle membrane colorée remplie d’un liquide insipide. Le vendeur de tomates nous a confirmé que nous étions sur la bonne route et qu’il nous fallait encore faire…

On l’a vu compter :

— Five, six… seven robots. Yes, seven robots !

Les robots, c’est ainsi qu’ici on désigne les feux rouges.

Nous sommes repartis, nous avons compté sept feux rouges, ceci sur un parcours d’une vingtaine de kilomètres, puis nous avons tourné à droite et demandé. Nous venions effectivement de quitter la bonne route, mais Orange Farm était encore loin. Il ne s’agissait pas de sept feux, mais de onze ou douze. Nous y sommes tout de même arrivés. Moi très épaté, et pas peu fier !

Fifo

Fifo, c’est first in, first out.

Lifo, c’est last in, first out.

Ce sont deux concepts qui ont amusé et longtemps occupé Piaget.

Lifo est volontiers utilisé en informatique, par exemple dans les notations polonaises inversées, ou pour les variables du Forth. Concrètement, on peut observer ce concept Lifo dans ces piles d’assiettes qui sont montées sur un puit à ressort dans certains self-services. La première assiette que vous prenez est la dernière que le plongeur a replacée, et ainsi de suite.

Le concept opposé s’appelle Fifo. C’est, sauf en cas de très très grave accident, le fonctionnement usuel des tunnels autoroutiers, la première voiture qui y pénètre est la première qui en ressort, du moins dans les tunnels à une seule piste. C’est aussi ce principe Fifo qui régit les carrefours non protégés en Afrique du Sud — et ils sont assez nombreux —, ainsi que les feux éteints. Fifo. Chaque véhicule doit s’arrêter, mais c’est le premier arrivé au carrefour qui repart. En cas où des files de voitures se sont formées à chaque branche du carrefour, c’est une, une, une, une, puis on recommence. Cela a un effet modérateur très efficace et intelligent. Ce qui est curieux c’est que, si presque chaque conducteur sud-africain applique consciencieusement la règle, aucun n’est capable de la formuler — il en est d’expérience de même au Mozambique, où, du reste, on roule aussi à gauche.

E : Lausanne, le 11 mai
S : Lausanne, 20.05.08
V : 29.05.08
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Pilote et copilote

Entre Lucia et moi, tout au long de notre périple, l’entente est excellente. Ce que l’un propose correspond à ce que l’autre veut faire, ou sinon lui convient parfaitement — quand on pense aux nombreux désastres qu’étaient les tentatives de vacances entre sa mère et moi, jusqu’à cette apothéose italienne de 92 !

Entre Lucia et moi, cela colle par nos goûts et un certain tempérament commun. Nous nous ressemblons — peut-être est-ce là, la limite à des vacances communes trop prolongées. Je ne discerne pas entre nous de relations hiérarchisées — sauf peut-être, ataviques, de l’ordre des souvenirs, comme le papa et la petite fille de 2 ans qui jouaient ensemble à saute-caca dans les pâturages des Préalpes vaudoises. Pas d’opposition caractérielle non plus. Pas de rapports dominant-dominé, un brin sado-maso — comme ceux qui, sans trop nuire je crois au dynamisme de nos périples, existent vaguement dans les relations de cyclotouristes entre mon ami Christophe et moi.

Entre Lucia et moi, il n’y a pas non plus de surenchères intellectuelles — sauf, hélas, aux cartes, où je continue à perdre presque systématiquement, ceci en dépit de l’impartialité aveugle du hasard. Tout comme moi, Lucia aime à trouver des explications à tous les phénomènes existants, ceci volontiers par des voies paradoxales et contradictoires. C’est une des caractéristiques communes de notre pensée scientifique.

Le dernier jour sur la M1, l’autoroute interne à Jo’burg, à une question sur les bouchons curieusement alternés du trafic, Lucia se lance dans un processus d’hypothèses alambiqué, qui, très visiblement, va de même rapidement bouchonner. Je lui fais remarquer que si j’adhère aussi à la volonté de tout vouloir expliquer, elle montre certaines fois ses limites. Lucia accepte ma présente remarque sans problème. Nous pouvons nous concentrer sur un autre, plus trivial et plus urgent, essayer de trouver l’hôpital qui héberge ma coach (voir le chapitre : La rationalité britannique des Sud-africains, le paragraphe intitulé Topologie).

L’Afrique du Sud est couverte de gendarmes couchés qui, excepté à Soweto, sont toujours très bien annoncés. Avec les carrefours, ils participent efficacement à la modération de la vélocité du trafic (voir le chapitre : La rationalité britannique des Sud-africains, le paragraphe intitulé Fifo). Une fois, très au début de notre périple, Lucia, alors copilote, me signale l’imminence d’un « bump ».

Je rectifie :

— Bump ? Non, hump.

Elle répète :

— Non, non, bump.

— Pourtant dans « So Stories », Kipling joue avec les « humps » du chameau.

Lucia insiste :

— En tous cas, pour la route, c’est « bump » qu’on dit.

— Tu as probablement raison.

Elle parle bien l’anglais, en outre elle sait lire, alors que mon anglais est balbutiant et que je suis notablement dyslexique, approximatif et improvisateur. Elle a forcément raison, j’abrège la discussion, sans rancune aucune.

Quelques kilomètres plus loin, un panneau explicite annonce, en bel anglais, trois humps successifs. Ai-je eu tort de donner raison à ma fille ? Objectivement et localement peut-être, subjectivement non.

Par contre, actuellement, je fais preuve d’un tort léger, où ressurgit mon mauvais fond. Je ne donne ici que des exemples dans lesquels j’ai finalement eu gain de cause — ce qui rend plus improbable l’ensemble du propos de ce chapitre ou le nuance agréablement.

N’impliquant que moi, j’ai une explication à mon angélisme de voyageur paternel évoqué dans les paragraphes ci-dessus. Il est lié à un sentiment que j’ai ressenti plus d’une fois lorsque l’une ou l’autre de mes filles se trouvait très loin au bout du monde. Au lieu de m’inquiéter de leur absence, leur éloignement me faisait simplement me sentir plus vaste. Parce que, pour moi, sans que cela n’ait rien, ici, de fusionnel ou de psychotique, je ressens mes filles comme étant, aussi, des prolongements positifs de moi-même.

Non par goût immodéré de la victoire, mais par amour occasionnel de jouer avec les mots, ainsi que pour entretenir et enrichir mon pitoyable parler anglais, j’ai récemment imaginé ce petit distique en l’honneur de Lucia — il contient aussi un crypto-hommage à ses audaces de pilote :

Little daugther,

Listen to your flabby father,

And let us bump over the hugest humps !

E : Lausanne, le 11 mai
S : Lausanne, 20.05.08
V : 01.06.08
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Les folies que nous avons faites ne sont pas celles que vous redoutiez

Au tout début de notre périple, j’avais averti Lucia :

— Je te propose des choses. Si tu ne te sens pas de les faire, on ne les fait pas. Si tu te sens soudain en danger, tu le dis, et, si c’est toujours possible, nous faisons demi-tour.

Il se peut que je n’aie pas dit : si c’est toujours possible ; c’est l’expérience de nos éventuelles folies qui me le fait à posteriori ajouter. Mais c’est sur ces principes de base que j’ai entraîné Lucia à Joubert Park, Orange Farm, Soweto. Et même, à fréquenter la compagnie des Sud-Africains blancs !

Tout de même, rétrospectivement, des folies, nous en avons bien faites quelques unes.

Une fois, Lucia s’est trouvée pas très à l’aise, elle l’a répété quelques jours plus tard. J’avais bien fait demi-tour, mais pas tout à fait assez vite à son goût. C’était au bord du Santa-Lucia Lake, au crépuscule, lors de ma traque aux traces d’hippopotames. Bien que ne faisant pas partie des mythiques « Big five » sud-africains, l’hippopotame est, parait-il, le plus meurtrier des gros mammifères locaux. Passant pour être très bête et très craintif, il fonce devant lui, écrasant tout sur son passage. Heureusement, on n’a jamais vu des traces d’hippopotame foncer sur qui ce soit. Il nous faudra même attendre le lendemain, et l’estuaire sur la mer, pour apercevoir quelques spécimens en chair et en os d’assez près.

Dans les autres bêtises, c’est plutôt grâce à l’esprit dynamique, décidé et entreprenant de Lucia, que nous avons donné. Et cela n’aurait été des bêtises objectives que si nous avions rencontré des problèmes. Mais de problèmes, pas trace !

Enfin, reconnaissons-le, certaines des pistes — au sens le plus concret du terme, des pistes routières —, auraient pu devenir de vraies bêtises.

Déjà celle qui s’élançait immensément haut — 2000, 2500 mètres ? — entre l’Afrique du Sud et les mines d’amiantes abandonnées du Swaziland, et pour laquelle le guide papier chéri de Lucia évoquait l’usage du quatre quatre. Il n’est en outre pas dit, malgré son bon air d’altitude, qu’un village minier qui n’est abandonné que depuis cinq ou six ans soit totalement indemne de poussières d’amiantes, mais ce danger-là, non mentionné par le guide, est trop invisible et lointain pour que, en bonne autruche, je le comptabilise. Piste incertaine d’autant qu’au crépuscule un bel orage a éclaté — un de ces nombreux attardés d’une saison sèche qui cette année n’en finit pas d’arriver — piste dont, au petit matin, le parcours pouvait très bien longer à nouveau les précipices de la veille. Nous avons heureusement eu la sagesse de prendre deux auto-stoppeurs locaux qui pouvaient nous conseiller, et qui nous auraient peut-être désembourbés au besoin.

Notez, on nous avait dit :

— Jamais d’auto-stoppeurs ! Si quelqu’un s’approche de votre véhicule, remontez votre fenêtre et foncez !

Nous nous étions fixé une règle, nous ne prenions des autostoppeurs que là ou la solidarité s’imposait — à savoir sur les pistes isolées. Et encore, que si nous avions l’intime conviction qu’on ne nous indiquerait pas une destination plus avantageuse pour nos hôtes du moment que pour nous — mais cet aparté sur les autostoppeurs ne saurait en aucune façon relever des dangers encourus.

Des pistes et des folies ? Plus encore celle qui coupait directement vers Sodwana Bay. Mon landlord, un habitué de la plongée sous-marine en ces lieux, dira plus tard qu’il ne s’y serait jamais lancé. Une piste qui s’est avérée délicieusement boueuse — c’est là que notre Toyota a acquis cette patine argileuse et lourde qui ne devait plus la quitter jusqu’à ce qu’on la restitue, à l’aéroport international de Tambo. Un véhicule tanguant à souhait, dépassé et dépassant un énorme autocar, et croisant une multitude de piétons surgis et allant Dieu sait où, donnant enfin à notre itinéraire le charme de l’Afrique pittoresque que Lucia avait apprécié au Mali, et moi tout récemment.

Il convient de dire ici que dans les situations un peu difficiles, pistes bouseuse bien sûr, mais pour moi bien pire, densité du crépuscule, éblouissement des phares et silhouettes couleur de nuit, Lucia s’avère une excellente conductrice, décidée, alerte, et immuablement souriante. Et il faut admettre que je me suis révélé être toujours un magnifique copilote, sachant interpréter la carte — avec même quelquefois des intuitions qui pallient opérationnellement aux lacunes de celle-là.

Mais la palme de l’intuition téméraire, pifométrique et décidée, revient à Lucia. Quand nous sommes arrivés tout au bout de la piste de Sodwana Bay, il faisait totalement nuit. Nous avons dépassé les dernières maisons — des hôtels et des restaurants, soudain émergés et qui auraient pu nous accueillir, nous héberger. Devant nous, j’imaginais l’océan Indien. Mais, peut-être, la route avait-elle marqué un coude dans le noir de la nuit. Cette route, Lucia l’a poursuivie.

Pour me rassurer, elle disait :

— Je m’arrêterai au plus tard au kilomètre septante-deux au compteur. S’il faut alors, nous ferons alors demi-tour.

Je n’ai pas vérifié si elle observait sa règle.

Nous avons passé deux curieux gendarmes couchés, faits de petites tortues en pierre. Lucia les a interprété comme des signaux positifs. Elle a donc insisté. Et, effectivement, nous sommes arrivés à une première barrière, où nous avons dû remplir un sempiternel registre et payer une somme assez dérisoire, puis à une autre barrière, où nous avons rempli un autre registre, payé une somme guère moins dérisoire, reçu un récépissé accompagné de la garantie que nous étions sur la bonne voie, pour, un bon kilomètre plus loin — kilomètre fait de bosses et de flaques aux profondeurs incertaines — déboucher dans une sorte de Club Med fait de chalets suisses claquemurés et de joyeux touristes polyglottes et plongeurs. Nous n’étions toujours pas exactement à l’océan, mais cela nous ne l’avons su qu’au lever du jour. Je tire ici mon chapeau à l’intuition et à l’esprit de décision de ma fille.

En certaines occasions, peut-être nous aurait-il manqué une petite voix pour marquer quelques hésitations. Je doute qu’il puisse s’agir de mon autre fille Cécile, puisque, de souvenir, quand Lucia et moi sentions la menace de vrais dangers, elle nous apaisait d’un fatalisme christique et sédatif. En son temps, il y aurait eu leur mère, mais c’était là l’insupportable excès contraire. Alors je suis content comme cela. C’est d’autant plus facile que je me retrouve sain et sauf dans la quiétude helvétique de mon bureau.

E : Lausanne, le 11 mai
S : Lausanne, 22.05.08
V : 01.06.08
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Jo’burg en digest

20 au 25 avril

La troisième semaine, je propose à Lucia un petit digest de tout ce que j’ai fait à Johannesburg pendant ma résidence d’artiste. En accéléré, sans mes tâtonnements et leurs essais erreurs.

Revoir Jo’burg avec Lucia, c’est comme passer d’une photographie à plat à une vision stéréoscopique — ces grosses boîtes à plaques de verres doubles du début du vingtième siècle ou les appareils à disques de carton de quand j’étais gamin. Pour réaliser ce type de clichés, les appareils de prise de vue sont équipés de deux objectifs identiques — dans le cas de Lucia et de moi, seulement assez semblables. Par le léger décalage de ceux-ci — notre double regard auquel s’ajoute ici le temps —, la visée acquiert la profondeur. Ma vision de la ville gagne un nouveau relief. Je la revois de par moi-même. Et je vois aussi comment Lucia la voit. Je remarque ce qui l’intrigue le plus, la surprend, l’enrichit ou la déçoit. Mais surtout, accompagné — tous deux amarinés ensemble par nos premières semaines de traversée —, je revisite tout ce que j’ai vu et vécu, sans plus cette parano qu’on a essayé de m’inculquer, ni la parano que je m’étais moi-même créée. Tranquilles tous les deux, nous redécouvrons Orange Farm, Soweto et Joubert Park. Nous revisitons surtout les WASP qui, pêle-mêle, se montrent zen, positivistes, neuro-érotiques, buveurs de bière, fumeurs d’herbe, sniffeurs de coke, suceurs de lsd — je crois qu’on vient de m’en proposer —, mais aussi travailleurs et parents, enfants et humains, comme vous et moi. Du reste ce sont ces WASP finalement qui surprennent, intéressent et amusent le plus Lucia.

Et voilà que, soudainement, la ville m’apparaît paisible — même son trafic où nous nous débrouillons comme des chefs —, hospitalière, ensoleillée. Une ville où c’est vraisemblable qu’il fasse assez bon vivre, où j’imagine même pouvoir, ou que je pourrais, aurais pu ou pourrai vivre longtemps, et même bien. Soudain il m’apparaît que beaucoup de sa noirceur n’est que poudre aux yeux, poudre de perlimpinpin, poudre d’or — ou fines scories échappées des terrils tronconiques — que les habitants d’ici aiment à jeter en l’air, comme des enchanteurs ou des marchands de sable, pour maintenir le mythe d’une tradition de l’effroi et de la violence, dont les fantômes s’essoufflent, agonisent et vont bientôt mourir.

E : Lausanne, le 11 mai
S : Lausanne, 22.05.08
V : 01.06.08
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Pleurs et colères

mardi 22, Apartheid Muséum

Après 3 mois me revoici à l’Apartheid Muséum, pour y accompagner Lucia. Une envie de pleurer me reprend. Le fascisme, dans ce qui fait sa spécificité, c’est avant tout la bureaucratisation de la violence. Entre autres, dans l’institutionnalisation systématique et organisée du racisme.

En arrière-plan, ici en tous cas, il y a la religion. D’après un film de propagande tourné en 1938 à leur propre gloire par les Boers, les révoqués de l’Édit de Nantes seraient les pères glorifiés et les mânes de la Nation Blanche Sud-africaine. Ils sont aussi les sinistres géniteurs d’une théologie élitaire, raciale et ségrégationniste : toutes les créatures de l’Afrique, Noirs inclus, existent pour être au service du peuple élu de Dieu, fraîchement débarqué !

En arrière-plan, la colonisation.

En arrière-plan, l’humanité en général. Et son sens — si jamais elle en a plus que Carolingine, la tortue de mon gros manuscrit. Et moi, comme acteur, passif, de cette humanité.

Enfin, au premier plan, le capitalisme aveugle, brutal, imbécile et assassin, où nonante pour cent de l’humanité est traitée comme un bétail corvéable à merci, pour le profit d’une autoproclamée — même si, quelquefois, accidentellement — élite de dix pour cent. Et dont les arc-boutants, le genre de religion susmentionnée, servent à bâtir une aristocratie ou une théocratie, toutes deux assassines. A-t-elle raison, ma fille, de penser que la religion est la mère de tous les maux ? Ou n’en est-elle que le cache-pot ? Et combien nous font rétrospectivement rire sans vergogne ces idéologues qui nous ont présenté les goulags russes comme la bête immonde, alors que les townships miniers et autres ghettos de travailleurs n’en étaient, à cause de l’or, que les plus éblouissants et égoïstes pendants — et là-bas, sans la moindre quête de justice ou de justification. Et combien il saute aux yeux que les guerres voisines de libérations, instrumentalisées par la guerre froide, n’ont servi qu’à l’ouverture de nouveaux débouchés — pour l’industrie militaire avant tout — dont les actuels conflits du Proche-Orient ne sont que le triste prolongement !

En même temps que ma flamme et ma rage, croît mon désarroi. Car, malgré tout, l’Afrique du Sud de 2008 n’est plus celle d’avant 1994. Même les conditions de travail des mineurs saisonniers, actuellement importés du Zimbabwe, se sont quelque peu s’améliorées. Désormais ils portent les casques en plastiques durs et les coquilles auditives des photos chromées qui ornent le siège d’Ashanti-Gold à Newtown. Quand les enfants, noirs surtout, mais noirs et blancs, né après 94 auront à leur tour des enfants, ceux-ci ressembleront sans doute beaucoup à ceux du Monde Occidental, aux doux Américains de maintenant, — qui n’ont pourtant abandonné la ségrégation que guère plus tôt —, repus, riches, citoyens, et relativement égaux, qu’ils soient noirs ou blancs, femmes ou hommes, comme si le sens distordu de notre inhumaine histoire de l’humanité donnait raison au mensonge top-down : ce qui est bon pour la General Motors est bon pour l’Amérique — un précepte qui a, entre autres, amené à renoncer ici au programme RDP ! Le capitalisme aveugle serait-il donc la voie unique vers le bonheur humain ? ADDENDA<Ceci dans l’acception antinomique suggérée par un ou deux de mes récents aphorismes >

Aujourd’hui le ciel est totalement bleu et la chaleur revient. Si je m’enflamme, c’est aussi parce que dans ce pays-ci les contradictions sautent aux yeux, parce que la couleur de peau marque ici comme la fluorescéine a dessiné le fil de nos rivières souterraines. Mais les saisonniers suisses, auxquels nous n’avons renoncé qu’il y a très peu et sous la contrainte de l’Europe, mais les ouvriers africains qui actuellement percent notre tunnel du Gothard font-ils de notre pays un pays si différent ? Capitalistes de tous les pays, unissez-vous !

Écrit dans la colère, en attendant Lucia encore dans le musée, le 22 avril
S : Lausanne, 10-19.05.08
V : 29.05.08
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Des nouvelles du temps

Soweto, mercredi 23 avril

Alors que samedi, il faisait les habituels 20 à 25 degrés centigrades du doux automne johannsebourgeois, alors que ce dimanche matin est encore relativement chaud, le temps d’arriver à Orange Fram chez Brother, la températures chute officiellement à 2 degrés — occasion pour nous de tester le confort d’une tinhaus équipée d’un poêle et de lits à multiples couvertures. Puis la température remonte.

Mais ce matin, en direction de Soweto, le bleu du ciel lumineux a viré au jaune douteux. Il nous faut un moment pour comprendre. Tous ceux qui ont heureusement un chauffage l’ont allumé, dessinant dans l’éther un smog de bois brûlé, de charbon ou de cette paraffine liquide à la triste réputation incendiaire. Comme un jupon qui dépasse, comme une lessive qui flotte, le paradis des townships commence à exhiber au-dessus de lui les dessous douteux de l’hiver.

E : Lausanne, 8 juin
S : Lausanne, 08.06.08
V : 08.06.08
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Good et les colporteurs

Soweto, mercredi 23 avril

Good, notre guide habituel, s’écarte pour laisser passer une voiture rouge qui semble vouloir tourner sur sa droite mais qui est en fait en train de se parquer sommairement. Deux hommes s’en extirpent et serrent, d’abord la main de Good — d’où l’idée qu’ils se connaissent —, puis la mienne, mais refusent de serrer celle de Lucia, comme elle nous l’apprendra peu après, du moins celui qui porte une djellaba et qui est visiblement Arabe, ou plus probablement Indien musulman — il ressemble aux Indiens musulmans du Zimbabwe qui m’avait guidé dans la gestion du pot de vin de la frontière mozambicaine (c.f. rubrique Tips) —, alors que l’autre est Noir, mais sans doute pas d’Afrique du Sud.

Assez sèchement, l’Indien musulman pose des questions presque policières, auxquelles Good répond aimablement, il transmet même son numéro de portable.

Puis vient notre tour — plutôt mon tour, c’est à moi qu’on s’adresse. Dans le lot, l’Indien musulman veut savoir si, en Suisse aussi, on considère tous les musulmans comme des terroristes. Un peu après, il propose que nous nous revoyions.

Je finis par dire qu’il est temps pour nous de poursuivre notre route. On se serre les mains. Après une hésitation, ils serrent aussi celle de Lucia.

À peine sont-ils partis, Good — dont pourtant l’emploi du temps tel qu’il nous l’a décrit ne paraît pas surchargé, et dont l’adéquation à la philosophie zen ambiante semble évident — s’écrie, en anglais puisque c’est la langue que nous utilisons ensemble :

— Ces enfoirés, ils viennent juste de gâcher dix minutes de ma vie !

C’est fort amusant en soi. La perte de temps m’avait aussi effleuré lors de ce curieux échange, mais j’avais deviné que j’étais en train d’ajouter là une expérience humaine de plus, ce qui en vaut, en soi, déjà la peine. Je le regrette d’autant moins que la remarque de Good l’a magnifiée.

E : Avion Heatrow-Genève, le 26 avril – 11.05.08
S : Lausanne, 11-20.05.08
V : 29.05.08
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Inventaire

Johannesburg est, parait-il, la ville du monde la plus foudroyée. La ville du monde où il y a le plus d’arbres. Le plus d’oiseaux — c’est en tous cas des coins du Sud de l’Afrique que j’ai fréquenté, celui où j’ai vu le plus de variétés. Le meilleur air — les tuberculeux venaient s’y faire soigner. Le plus de crimes — ce ne serait plus vrai, Cap Town l’aurait supplantée, et je n’en ai vu aucun.

E : Lausanne le 27 mai
S : 01.06.08
V : 01.06.08
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La famille n’existe pas

Une fois, il n’y a pas très longtemps, mon ex-épouse a dit en ma présence que nous avions donné à nos filles une éducation sévère et traditionnelle. Devant la surprise qui marquait mon visage, elle a rectifié en précisant que, elle, tout au moins, leur avait donné une éducation sévère et traditionnelle. Sa réflexion m’a plongé, des jours durant, dans des abîmes de perplexité. En effet, ce n’était absolument pas le sentiment ni le souvenir que j’avais gardé. J’ai fini par poser la question à mes filles. Un des éléments ressortis justifie ce long préambule. Elles ont dit que nous étions les seuls de leur entourage à préparer trois repas par jour à leurs enfants et à demander qu’elles avertissent si elles ne venaient pas manger.

Chez ma coach, mère très chaleureuse au demeurant, je n’ai jamais vu ses trois enfants manger tous ensemble à la table commune, ni au même moment, et rarement ce que l’un de nous avait préparé pour tous.

Ma coach, elle me l’a dit, a rarement voulu s’encombrer de maris — même si ceux-ci restent bien accueillis, voire hébergés. La maison de ma coach est un sympathique moulin à vent, un peu fatiguant mais beaucoup plus décontracté que chez nous.

Un jour en fin d’après-midi, mon landlord, son ex-future femme, ses deux enfants et moi, nous sommes allés boire un verre à Melville. D’eux-mêmes, les deux enfants se sont commandé des pizzas, se lançant ainsi, de leur propre chef, sur le pouce, dans leur repas du soir. Et, en règle générale, je ne sais pas trop comment ces enfants faisaient pour savoir où ils allaient dormir chaque nuit, dans la maison de l’ex-future femme de mon landlord ou dans la sienne, en sa présence ou en son absence, avec ou sans les chiens. Même problème, du reste, pour les chiens de l’ex-future femme. Par contre pas, parce que dormant dans une vasque en pierre close enclose dans le jardin clos de l’ex-future, pour le poisson rouge. Tout cela ne les empêche en rien — je parle ici des enfants ado et préado, pas des chiens ni du poisson rouge — d’être plutôt ouverts, sympas et relax, ceci malgré, ou grâce à, leurs mères speedy. La fille de mon landlord vit, elle, au Cap. D’où mon impression que la famille, pour le moins la famille nucléaire, est absente du monde des WASP d’Afrique du Sud.

Chez les Noirs, c’est encore tout autre chose. La domestique de ma coach, qui habite dans la dépendance de sa maison, trimballe avec elle et partout, souvent sur le dos, son gros gamin d’un an, le charmant Mpo. Ses cinq autres enfants vivent avec de la famille dans un township où Mpo a pour l’instant refusé de rester. Les bons vieux instruments du papa Freud, son Moi pas galvanisé en tête, résisteraient-ils aux conditions climatiques d’ici (revoir aussi Orange Farm, notes éparses, Un paradis rarement dit) ?

Rien ne dit que cela soit plus mal que notre vieux modèle européen. C’est simplement surprenant à mes yeux, et différent. En Afrique du Sud, la famille n’existe pas.

E : Lausanne, le 2 juin
S : 04.06.08
V : 04.06.08
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Petit traité de zen et de pensée positive

Le zen WASP sud-africain

Zen objectal. Dans mon flat comme dans la maison de mon landlord, seuls cinquante pour cent des robinets ont été montés en respectant l’ordre chaud froid, gauche droite. Seul cinquante pour cent de ces robinets respectent la convention rouge bleu. Et seul cinquante pour cent fonctionnent. Résultat des courses — je viens d’en faire l’analyse factorielle sur un bout de papier — seul un sur huit a une chance de spontanément répondre à nos attentes. Autant les utiliser au pif.

Zen nouménal. Dans leurs maisons, et assez rapidement dans mon flat, on entre comme dans un moulin à vent. On s’invite, on s’installe, on se sert, on est toujours bien venu, et on repart comme on veut. On mange ou on fait à manger. C’est aussi comme ça chez ma coach, c’est, je crois, généralisé chez les WASP et consorts d’ici.

Au terme de notre séjour, Lucia et moi nous nous en sommes publiquement émerveillés. Même si les WASP WASP tout à fait blancs charrient une terrible nostalgie de temps d’avant — mon landlord évoque le paradis perdu de sa Namibie natale, en fin de soirée les femmes mûres hurlent leur haine pour tout ce qu’elles ont dû céder —, mon landlord explique comme suit, avec sagesse, leur côté zen. C’est une qualité qu’ils ont héritée des populations indigènes, et qu’ils ont su préserver. Grâce à cela, cet esprit zen et cool s’est généralisé et perdure. On le voit dans la marche de Mary, la domestique de mon landlord, dans les trous des tôles de Brother et dans le mode de vivre des WASP d’ici.

Un peu avant de partir pour l’Afrique du Sud, j’ai rencontré un prêtre défroqué noir qui habite Lausanne. Il m’a annoncé que je verrai rapidement ce que les gens de l’hémisphère sud ont et qui fait défaut à ceux du nord. J’y suis allé, j’ai vu.

La pensée positive sud-africaine

À notre retour à Jo’burg, ma coach me recommande de trouver l’occasion de reprendre bien congé de Myglove.

Je secoue la tête :

— Nous l’avons déjà fait. C’est même pour cela que je suis venu avec toi lui ramener ses casseroles.

 — C’est vrai…

— Ça c’est mal passé, ça suffit comme ça.

— Mais, on ne peut pas laisser une relation mal terminée.

— On ne peut pas ? J’en ai déjà eues plusieurs. J’ai déjà eu des relations mal terminées. Des bien terminées. Et des biens qui continuent.

Ma coach est déboussolée :

— Il faut pourtant toujours trouver une issue positive !

— Non, non ! C’était une relation négative, cela le restera, c’est très bien comme ça. Une relation négative, c’est aussi enrichissant.

Le visage de ma coach s’illumine :

— Oh ! Olivier you are brilliant ! Tu as raison, une relation négative assumée comme telle, vue comme ça, tu as parfaitement raison, une relation négative c’est tout aussi positif ! Brilliant, brilliant !

Elle en bat des mains. Moi je suis désemparé. Certes, j’ai tendu la perche, mais je me suis fait voler ma négativité.

En définitive, cette pensée positive est la troisième mamelle des Sud-Africains. Chez ma coach, c’est sa colonne vertébrale, sa respiration et sa méditation. Grâce à cette structure de pensée, lorsque j’ai lui ai exprimé ma déprime pendant la première synthèse que nous avons fait ensemble, elle a su accepter mes récriminations — en en approuvant certaines, en me donnant plus d’une fois raison, en me félicitant pour la finesse de mon observation — pour les utiliser ensuite comme le moteur d’une nouvelle orientation dans un projet commun. Combien cela est différent des mondes genevois et des mondes silligiens qui m’ont nourri — et que je reproduis malgré moi dans mes modes de faire, de dire et d’être !

La pensée positive imprègne ma coach, mais c’est aussi un outil professionnel qu’elle a perfectionné dans des cours. Lors de la partie plus périple de mon séjour, j’ai eu l’occasion de fréquenter l’environnement des ambassades, un milieu que je ne connaissais pas, que j’imaginais guindé et feutré. J’ai été plutôt agréablement surpris. Par exemple, l’homme qui m’a accueilli au Mozambique ainsi que sa femme ont très vite livré des choses étonnamment intimes, quelquefois même un peu choquantes, mais personnelles et touchantes. J’ai été légèrement déçu quand lui m’a dit que, dans le cadre de son boulot, il avait suivi des cours de gestion des émotions. Le management des émotions ! Cela m’a fait repenser à ce banquier qui, parce qu’il allait gérer le portefeuille d’une nouvelle cliente, s’était proposé de se présenter un peu plus. Pour ce faire, il avait appris à celle-ci que son épouse à lui s’était suicidée — le suicide de sa femme pour asseoir une clientèle, qu’elles sont jolies les banques de chez nous ! Pourtant, chez le couple de l’ambassade, dont la femme n’a certainement pas suivi ce genre de cours, j’ai senti qu’il y avait autre chose. Chez eux transparaissait une belle vérité. Un état d’esprit certainement encouragé par une ouverture que les oiseaux de passage, la distance et le sud — le sud de l’Afrique, l’hémisphère sud — favorisent.

Chez Myglove, la pensée positive est devenue un étendard qu’elle manie comme un sumo dans un magasin de porcelaine.

Pour servir cette pensée positive, la totalement speedée ex-future de mon landlord s’est faite professeur de yoga.

Cette pensée positive, si elle a beaucoup amusé Lucia, m’a un peu effaré. Pour me rassurer, j’ai cherché la complicité de mon landlord, informaticien à l’esprit plus scientifique, quelquefois cynique, possiblement matérialiste.

Mais il l’a défendue :

— J’espère bien que j’ai une pensée positive, s’est-il écrié. Que peut-on avoir d’autre !

J’ai mentionné le scepticisme des Anciens, le doute existentialiste, voire le culte du morbide de certains, j’ai évoqué Baudelaire et les poètes maudits. Pour lui, c’était chinois et valeurs absurdes. Pourtant, sur nos murs, no future s’écrie en anglais !

E : Lausanne, le 5 juin
S : 06.06.08
V : 06.06.08
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Lausanne (26 avril au 8 juin 2008)

Restitution

Genève, 2-3 mai, Lausanne 1 – 16 mai

Les premiers jours — surtout que je suis tout bronzé alors que, conséquemment à un mois d’avril terriblement pluvieux, les gens d’ici sont aussi blancs que les femmes entrevues une fois aux Îles Sorlingues —, tout le monde veut savoir comment c’était là-bas. J’essaie de raconter. Grand pays. Rude. Mégapole, quartiers dispersés, foudre et forêt. Bidonville. Zen et méditation. Pensée positive, haine, violence. Oiseaux, grands fauves, grandes disparités. Je parle, mais je m’interromps. Ce que je dis n’est pas vrai, ce que je dis ne rend pas bien compte de la vie là-bas. La vie là-bas c’est aussi plein d’autres choses, des gens. Je m’arrête et je demande alors des nouvelles d’ici.

Mais je ne sais pas pourquoi, sans doute mon teint bronzé est-il envahissant, la conversation repart sur le monde. Chaque fois, mon locuteur constate que le monde va mal. Pour preuve que le monde va mal, il cite le documentaire très sombre qu’il vient de voir, la veille, sur telle ou telle chaîne. Un, je crois, sur le Nigeria, un autre sur les délocalisations en France. La vie vue à travers la petite lucarne. La vie ici, c’est la télé qui l’étalonne avec son écran trop lumineux, mon bronzage l’obscurcit.

Et puis là, quelques jours plus tard, il est 17 heures, je descends vers la gare. Il y a du monde dans la rue, un monde que je regarde et que j’observe tout en le croisant, des gens divers, variés, bariolés, même l’air souriant. Je me dis alors que Lausanne est somme toute une ville cosmopolite où il fait bon vivre. Diable ! où donc voudrais-je vivre ?

E : Dans le train vers Montreux, le 16 mai - 01.06.08
S : 01.06.08
V : 01.06.08
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En route vers de nouvelles aventures

L’éponge est rentrée, elle s’est fixée sur son vieux caillou, une méchante boîte en plastique gris couverte de puces — ou le contraire. Déjà les eaux troubles de l’écran lui donnent un peu d’urticaire, les radicaux libres, les ions négatifs, et l’UDC locale grignotant sa toute jeune pensée positive. Mais elle bois, avale, pompe, rote et chie, enfin trie pour ne garder dans sa spongieuse structure que la substantifique moelle. Pour l’instant, elle demeure toute innocente et incertaine des petits qu’avec cette moelle elle engendrera.

Mais elle a confiance, elle est sage et elle se souvient. Il y a dix-sept ans, elle, l’éponge, et Cécile, sa fille cadette, sont parties ensemble pour une petite escapade à New York. Voulant se rendre au zoo, ces deux visiteurs se sont égarés dans le Bronx — juste dix petites minutes nécessaires pour passer d’une station de métro à une autre immédiatement à côté. Eh bien, il y a un an, moi l’éponge, j’ai écrit le manuscrit d’un nouveau roman qui a comme seul cadre ce tout petit bout du Bronx. Plus exactement, le souvenir éphémère et précis que j’en garde.

Alors j’ai confiance. D’ici quinze ans, dans un temps inversé par rapport aux objectifs de ma requête, le Johannesburg de ma résidence d’artiste, jouant au phénix, renaîtra de ses cendres. Si Dieu me prête vie.

En attendant, Le Caire, Manaus, Chicago ou Iquitos ?

E : Lausanne, le 5 juin
S : 06.06.08
V : 06.06.08
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Remerciements

Pour que tout ce que je raconte ait pu avoir lieu, il a fallu un concours de circonstances et, surtout, des gens que je remercie. D’abord Daniel Frank, qui a fait germer l’idée. Puis Pro Helvetia qui l’a acceptée. Puis son antenne au Cap qui lui a donné corps là-bas. Ensuite, et tout spécialement, ma coach — elle demeure dans mon souvenir comme une amie indispensable. Puis l’attaché de l’ambassade de Maputo qui a eu l’idée de me faire venir au Mozambique et qui m’a si bien accueilli, celui de Madagascar qui a pris le relais. Enfin, tous les gens au contact de qui je me suis enrichi. Même Myglove, tant je sais qu’elle n’est pas pour grand-chose dans l’irrationnel rejet qui m’habite encore. Que peut-elle des cadavres ectoplasmiques qui, pour protester de Dieu sait quoi, ont secoué tous les balais entassés dans mon placard, ces balais dont les minons (c.f. helvétisme) font le lit de mes romans ?

E : Lausanne, le 5 juin
S : 06.06.08
V : 06.06.08
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Notes

Ces notes sont classées par ordre alphabétique :

A.N.C.

ANC est l’acronyme de African National Congress ou Congrès national africain, le parti majoritaire en Afrique du Sud.

Lien Wikipédia : http ://fr.wikipedia.org/wiki/African_National_Congress

Antananarivo

À l’indépendance en 1960, les Malgaches ont rebaptisé Tananarive en Antananarivo. Je respecte ce mode de dire puisque tout le monde dit bien Antisrabe pour Antisrabe, et que tous les noms de localité que j’ai ouïs commencent par « an ». « An » signifie « à », à Tananarive. Cela n’apparaît pas comme très économique, la langue malgache paraît généreuse, les mots font toujours de nombreuses syllabes, les noms propres encore plus. Je ne suis jamais arrivé à dire non merci dans la langue locale, ce qui pourtant aurait été fort utile et plus plaisant pour décliner tout ce que les mendiants et mendiantes proposaient autour de l’hôtel.

Notons au passage que, en Afrique du Sud, les plaques minéralogiques du Gauteng se terminent toutes par GP, ce qui veut dire «Gauteng Province». Il en va de même pour les autres régions d’Afrique du Sud : LP, MP, ZP etc. Soyons nonchalants, faisons fi de l’avarice !

Big five

Les cinq gros, concept mythique même s’il nous a fallu plusieurs jours pour le cerner correctement — il était pourtant l’objet de la première page de notre petit guide du parc, et il décore les sacs africains que j’ai achetés pour organiser mon bagage. Les cinq gros ce sont donc le rhinocéros, le léopard, l’éléphant, le buffle et le lion. À la réflexion, j’imagine que le critère qui a prévalu à leur choix ne relève pas de leur volume mais reste essentiellement cynégétique, l’homme demeurant toujours un loup pour les autres animaux comme pour lui-même.

Boulingrin

L’autre jour, un jeune étudiant en lettres d’ici, m’a rappelé le mot « boulingrin », un de ces mots qui a fait l’aller et retour après que les Anglais nous ai parlé de leur green pour jouer aux boules. Le Petit Robert dit que Boulingrin vient de l’anglais, vers 1680, Bowling-green « gazon pour jouer aux boules ».

Hadadah

Aïe ! Trop tard, je découvre que mes ennemis s’appellent « Hadadahs » et non « Hadidahs » !

Tout savoir sur les Hadidas (en anglais) :

http://en.wikipedia.org/wiki/Hadada_Ibis     (20/06/2008)

Hailé Sélassié

Hailé Sélassié Ier, (né Täfäri Mäkwännen le 23 juillet 1892 à Ejersa Goro en Éthiopie et décédé le 27 août 1975 à Addis-Abeba, Éthiopie), fut le dernier empereur d’Éthiopie de 1930 à 1936 et de 1941 à 1974. Il est considéré par la plupart des Rastas comme étant le « dirigeant légal de la Terre « (Earth’s rightful ruler) et de surcroît le Messie, en raison de son ascendance qui, selon la tradition chrétienne orthodoxe éthiopienne, remonterait jusqu’aux rois Salomon et David. (Wikipédia)

Voir aussi Rastafari.

Helvétisme

Il arrive que certains mots locaux soient inégalables, je les ai maintenus :

bouronner                   couver ( pour un feu )

minons ( m pl )            pour moutons ou chatons que Le Peit Robert défini comme  de petits amas de poussière d'aspect cotonneux qui s'accumulent sous les meubles.

royaumer ( se )           avoir la vie facile

C.f. Dictionnaire romand

Heures

Mesures chronométriques (effectuée le 8.02.2008) : Midi solaires, soleil plein nord, devrait être à 12h.30 chrono et la maison de mon landlord orientée nord-sud par ses coins, la piscine de mon landlord et Melville étant au nord, ma chambre à coucher aussi.

En hiver, il est 11 à Johannesburg quand il est midi en Suisse. Avec l’heure d’été il n’y a plus de décalage.

Le Mozambique a deux heures d’avance sur l’Afrique du Sud.

Madagascar a deux heures d’avance sur l’Afrique du Sud.

Intervention

09/02/2008 Johannesburg, écrivains zimbabwéens      Film

27/02/2008 Alexandra, radio FM 89.1                       Slam*

27/02/2008 Soweto, poetry session, publique              Slam

27/02/2008 Alexandra, poetry session, publique         Slam

28/02/2008 Johannesburg University, étudiants en français                                       Films et romans, en anglais

13/03/2008 Pretoria, Alliance française, publique       Films et romans

18/03/2008 Maputo, CCFM**, séminaire pédagogique                                              Films et romans

18/03/2008 Maputo, CCFM, publique                         Films et romans, avec interprète

18/03/2008 Maputo, École française, lycéens            Films et romans

24/03/2008 Nampula, Parc Coca-cola, publique          Films

24/03/2008 Nampula, uni, séminaire pédagogique       Films et romans

27/03/2008 Beira, CCFM, publique                             Films

24/03/2008 Beira, uni, séminaire pédagogique            Films et romans

01/04/2008 Antananarivo, Alliance française, publique                                             Films

02/04/2008 Antsirabe, Alliance française, publique     Films

04/04/2008 Antananarivo, Alliance française, cinéastes                                            Discussion

                            * Slam > www.oliviersillig.ch/512.html

                                           ** CCFM = Centre Culturel franco-mozambicain

Interview délirant

L’inhumation d’ " El Negro de Banyoles ", interview du conservateur du musée :

www.afrik.com/article1524.html

Kazerm

Nom de la forteresse dans mon roman Bzjeurd ainsi que d’un roman inédit. homonyme.

Lapin Duracell

« John demande à Bruno : Je ne sais pas si vous connaissez cette pub au cinéma. Une publicité pour une pile censément meilleure que les autres. On y voit de stupides petits lapins blancs en batterie. Frénétiquement ils agitent leurs baguettes, chacun sur son tambour. Un à un, ils s’épuisent. Sauf celui qui est équipé de la pile en question. Lui, il ne s’arrête jamais. La mienne de pile est plate. »

La Nuit de la musique / Olivier Sillig, roman inédit
Mondial

En 2002, la Suisse a présenté une nouvelle Exposition nationale, répartie en différents lieux, appelés Arteplages, dont celui d’Yverdon. Outre un merveilleux nuage, une vaste boîte de nuit, genre après-guerre mais créée de toutes pièces, nous a proposé plusieurs concerts de musiques du monde, magnifiques et mémorables. En fond de scène étaient projetées des vidéos enregistrées par deux cameras fixes, sur une durée de temps réel, dans les rues des pays invités, Roumanie, Zanzibar, Indes, etc.

Monnaies, change et prix

        En Afrique du Sud :

100 Rand = de 14.65 CHF à 12.94 (pour la correspondance, j’ai toujours divisé par 6, alors qu’il fallait diviser de 6.8 à 7.75, disons 7).

        Au Mozambique : Metical p. Meticai

100 Meticai = 4.20 CHF (correspondance en divisant approximativement les prix par 20)

Escondidinho (hôtel chic et débonnaire) : 1350 M/nuit : 13.50*4.20= 56.7 CHF

        À Madagascar :

1000 Aryaris (ou 5000 Francs Malgaches) = 60 centimes de CHF.

N.B Sur les billets, les deux monnaies sont indiquées. Les gens parlent quelquefois en Aryaris, quelquefois en francs malgaches. De part et d’autre, il est possible de faire le naïf et jouer avec. Par exemple en s’informant à l’avance du prix de la course en taxi privé : Vous parlez en francs malgaches, bien sûr ?

Négus

« Négus » est un mot d’origine amharique qui signifie « Roi «. (Wikipédia)

Voir aussi Rastafari.

Néologisme

Je trouve en général prétentieux et inutiles de créer des néologismes. J’en ai maintenu quelques-uns, quand, après la hâte de l’écriture, ils me semblent évidents ou éphémèrement éclairants. Ils mourront de leur mort naturelle :

brouillonage           sens évident

arbrutiste               de « Art brut » et « Musée de l’Art Brut » à Lausanne, un des plus beaux musées que je connais.    

Nostalgie

On n'est pas adulte tant qu'on ne pense pas avec nostalgie à son enfance.

Antonio Tabucchi, le petit navire :

« On n'est pas adulte tant qu'on ne pense pas avec nostalgie à son enfance, même si celle-ci a été une enfance pleine de pierres. Elle apparaît alors comme une planète perdue dans le temps, inaccessible et encore présente, telle une photo où l'on serait représenté mais dont on serait définitivement sorti. Et l'on s'aperçoit qu'être adulte, c'est seulement avoir désappris à être enfant. »

Objectif de ma requête

Le dossier à remplir pour solliciter une résidence d’artiste devait contenir une brève déclaration sur les buts du séjour. Avant même de débarquer, au vu du programme que me concoctait ma coach, j’avais compris que n’arriverais pas à concrétiser tels quels mes objectifs. Après une période de flottement, je me suis fixé sur le fond, cette éponge qui préside à l’intitulé du blog. À moins que ce blog soit, en lui-même, devenu la concrétisation partielle de cet objectif ?

Quant au croquis j’explique dans le blog (c.f. Nouvelles brèves / Mine plombée) pourquoi ils ont été si rares.

Extrait du dossier :

Motivation écrite de la candidature

une brève déclaration sur les buts du séjour (max. 1800 signes)

Écriture romanesque

Il y a quelques années, je suis allé, assez brièvement, à Lyon, une ville que je ne connaissais pas, pour y écrire un roman. Il devrait paraître fin 2007.

L’envie est de récidiver, mais en m’immergeant plus longtemps dans des mondes plus différents. Sans idées préconçues, mais en m’imprégnant de l’endroit et en m’enrichissant au contact des gens du lieu et des artistes locaux. Le roman aura pour cadre la ville et le pays où je me trouverai, ils feront partie du sujet du livre. Quant à son thème, je laisserai la petite voix intérieure, toujours un peu mystérieuse et secrète, guider ma plume.

Mes romans, ceux publiés et les autres, sont toujours la somme de mon vécu et de mon imaginaire; ils s’alimentent l’un l’autre. Les expériences résonnent en moi enco-re longtemps après. Je saurai les mettre à profit.

Croquis

Parallèlement, je reprendrai mes cahiers de croquis, comme ceux que j’ai faits en Afrique en 1999. En passant volontiers, in vivo et dans l’immédiat, à la couleur, et à des plus grands formats.

26.01.2007

Palais de la reine

Mercredi 13 mai. Je viens d’apprendre que la dite reine a fait sauter sur ses genoux un oncle éloigné qui, enfant, surpris par sa couleur, l’appelait la dame caramel. Ce se passait quelque part au-dessus de Montreux, au début du vingtième siècle.

Rastafari

Parmi les adeptes du mouvement Rastafari, un mouvement spirituel qui s’est développée dans les années 1930 en Jamaïque sous l’influence du mouvement « Back to Africa « (Retour vers l’Afrique) de Marcus Garvey et des prêches de Leonard Percival Howell, Hailé Sélassié est considéré comme un messie noir qui mènera la diaspora et les peuples africains vers la liberté. Beaucoup de Rastas pensent que Sélassié est encore vivant et que la mise en scène médiatique de sa mort fait partie d’un complot visant à discréditer leur spiritualité. D’autres affirment que Jah, c’est-à-dire Dieu, est toujours vivant, quand bien même la présence terrestre de Sélassié ne serait plus visible.

Un discours prononcé par Hailé Sélassié aux Nations unies en 1963 est devenu une des chansons cultes de Bob Marley : War, sur l’album Rastaman Vibration. L’empereur parlait essentiellement de paix et d’espoir, de douleur également mais toujours de non-violence. HailéSélassié, chrétien pratiquant, a relativisé les croyances du Rastafari le proclamant comme messie. Une visite d’État en Jamaïque en 1966, où Sélassié fut salué par une foule très nombreuse dès son arrivée à l’aéroport, marqua profondément le monarque. Après sa visite, l’empereur confia à un clerc éthiopien, l’Abuna Yesehaq : « Il y a un problème en Jamaïque... Veuillez aider ces personnes. Ils comprennent mal, ils ne comprennent pas notre culture... Ils ont besoin d’une Église établie et vous êtes désigné pour y aller «. L’Église éthiopienne orthodoxe s’installa alors en Jamaïque pour convertir les rastas au christianisme tewahedo.

Liens : fr.wikipedia.org/wiki/Haillé Sélassié_Ier

Voir aussi Hailé Sélassié.

RDP

Signifie « Reconstruction and Development Program »

Voir rubrique Une petite ville perdue de l’est profond

Références littéraires

Nadine Gordimer              Un caprice de la Nature, lu en mars avril, à lire absolument.

J.-M. Coetzee                    Michael K, sa vie, son temps, lu en février, à lire.

J.M. Coetzee                     Scènes de la vie d’un jeune garçon, en février, à lire.

Brink                                   Au delà du silence, lu en février.

Mia Couto                         Terre somnambule, lu en mars.

Karel Schoeman               En un étrange pays, 1991, lu en mars, à éviter.

Lewis Desoto                    Les larmes viendront plus tard, abandonné en mars.

Nelson Mandela               Un long chemin vers la liberté, lecture en cours

Repères spatiaux

Juste au-dessus de mon flat — disons à dix minutes à pied, direction sud-est — au sommet de la colline, entre Auckland Park et Fordsburg, se dresse une haute et fine tour surmontée d’une sphère où son enseigne lumineuse est éclairée. C’est la tour « Suntek », en principe là comme relais de télécommunications, visible d’un peu partout, elle me sert de repères d’ouest pour Johannesburg. Presqu’à l’opposé, vers Yeoville, une autre tour de télécommunication me sert de repère d’est.

Résidence d’artiste

Ce blog donne ça et là des indications sur ce qu’est une résidence d’artiste. Entre autres dans la rubrique Remerciements. Au vu des moyens financiers accordés à son antenne de Cap Town par Pro Helvetia, la résidence proprement dite a duré du 1 février au 1 avril — au 5 avril en tenant compte des extensions mozambicaines et malgaches. La dernière partie de mon séjour, le tourisme en Afrique du Sud, est une entreprise personnelle, planifiée et assumée par ma fille et moi. Néanmoins, de manière évidente, cette dernière partie me semble faire partie intégrante de ma résidence d’artiste. C’est aussi le cas de tout le travail actuel, en aval sur ce blog.

Si rage noire

Poème. Texte intégral dans

www.oliviersillig.ch/chanson/Si rage noire.html.

UDC

Acronyme pour Union des Démocrates du Centre, partir xénophobe qui semble avoir récemment dépassé le sommet de la vague. Christophe Blocher, éphémère Conseiller fédéral, en est toujours le leader charismatique.

WASP

Acronyme de White Anglo-Saxon Protestant

(->fr.wikipedia.org/wiki/WASP)

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