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Résidence Pro Helvetia à
Johannesburg
1er février au 26 avril 2008
N.B.
Ce blog se
limitant à une période
déterminée et passée, sa chronologie est
rétablie dans l'ordre croissant, du
plus ancien au plus actuel :
___
Voilà, mon blog est
terminé, il est clos. Le fil de ses rubriques doit permettre de
comprendre sa
genèse et son cheminement.
J’ai décidé de
partir en Afrique du Sud sans prendre d’ordinateur portable avec moi.
Je suis
convaincu d’avoir eu raison. Cela m’a obligé à trouver
des lieux et des moyens
extérieurs, cela a valorisé mes petits carnets.
Pendant la première
période, celle de ma résidence à Johannesburg,
j’ai régulièrement mis à jour ce
blog. Après, je n’ai plus eu ni les opportunités
matérielles ni le temps. Je me
suis limité à mes notes manuscrites, mais avec
l’idée de les mettre plustard en
ligne. C’est maintenant chose faite.
Le au-jour-le-jour
obstruant sur place mes capacités de synthèse, je pensais
que j’allais un peu
débourrer. Je n’en ai finalement rien fait. J’ai maintenu la
construction de
départ et ajouté mes notes manuscrites ainsi que des
réflexions récentes
— on ne rentre pas indemne de trois mois d’un séjour aussi
riche.
E : Lausanne, le 6 juin
S : 06.06.08
V : 06.06.08
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ADDENDA+<Cette
rubrique-ci, je l’ai écrite le 26 février, soit presque
un mois après avoir
démarré mon blog. Je l’ai aussitôt placée
dans la marge de droite, afin de la
mettre en exergue. Elle y a figuré jusqu’à aujourd’hui
car elle éclaire la
direction que prenait mon blog. Ici, pompeusement, elle participe
désormais à
son introduction.>
Au départ je
pensais alimenter mon blog de temps à autres, et tenir un
journal de voyage
personnel. Mais cela ressemble trop à ces univers à deux
vitesses que je hais.
Donc, sauf certains détails triviaux comme horaires de bus, mots
bizarres et
noms de médicaments pour la prévention du palud, j’y
renonce. Étant bien
entendu que toute ressemblance, dont moi, avec des personnes existantes
ou
ayant existé, pourrait n’être que pure coïncidence.
Et que les noms sont
visiblement fictifs. Le nombre de mes lecteurs, ici heureusement
confidentiel,
fera le reste.
ADDENDA+<
À la relecture, je
relève ci et là, des notes parfois abruptes et crues.
Elles me semblent du même
ordre que les remarques que tout un chacun j’imagine adresse
quelquefois au
miroir de sa salle de bain. Peut-être aussi parce que,
écrivain écrivant, je me
suis quelquefois mis légèrement au bord de moi-même.
Techniquement, j’ai
rétabli l’ordre chronologique — car l’ordre inverse ne se
justifie que
pendant la phase dynamique, quand le blog s’enrichit
régulièrement et en
direct. J’ai finalement décidé de désigner la
plupart des protagonistes par des
surnoms liés à leur fonction ou par des prénoms
fictifs. Je l’ai fait surtout
parce que les moteurs de recherche — dont le blog était
jusqu’à présent
protégé — font exploser les limites de la
sphère privée. Je l’ai fait à
regret parce que, un peu chosifiant, cela m’a paru quelquefois,
à contrario,
irrespectueux à l’égard de gens que j’ai chéris.
Je n’ai pu me résoudre à
changer les noms de mes filles — ni, pour d’autres raisons, le
mien.
En la
fin de chaque rubrique, j’indique
clairement où celle-ci a été
rédigée, puis quand elle a été saisie,
ainsi que
la date de sa dernière version.
Les éléments
soulignés
renvoient à des liens auxquels on peut accéder
directement dans la version
électronique. Dans la version papier, ils renvoient à des
notes placées tout au
bout et classées alphabétiquement. >
E : Zoo
Lake Bowling club, 26
février, et Lausanne, 6 juin
S : Alliance française, 26.02.2008-06.06.08
V : 08.06.2008
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Olivier Sillig —
Résidence Pro Helvetia à Johannesburg, 1er février
au 26 avril 2008
Blog ponctuel, qui
s’étendra du 1er février au 26 avril 2008,
alimenté au gré des opportunités,
des possibilités de connexion, et des événements
à raconter. À ceux qui en ont
envie, il permettra de survoler mon périple en Afrique du Sud,
sans se
retrouver encombré de mes courriels intempestifs.
N.b. Vu l’éventuel
précarité des outils linguistiques à disposition,
et la célérité du traitement,
ce blog remettra peut-être en évidence ma dysorthographie
chronique.
E :
Lausanne, 25 janvier 2008
S : 25.01.08
V : 06.06.08
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Demain
dans une semaine, je partirai pour un pays
dont
j’ignore tout — à part ses éléphants
plantés dans le paysage photographique
comme les pyramides au Caire. Une ville que j’imagine comme une grande
ville,
avec ses ghettos sécurisés — je les appréhende —
et le petit bout où je suis
sensé atterrir, dévoilé par « Google
Earth », le logiciel qui tue
l’imaginaire autant que certaines revues pornographiques. Je serai
peut-être perdu,
peut-être abandonné, peut-être nu, peut-être
prêt à renaître, apprendre les
sons, les odeurs, les images, les bruits, les mots, les gens, lire leur
visage,
et peut-être les dire.
E : Lausanne,
Café du Cygne, jeudi 23, 22 heures 20
S : V : 25/01/2008
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Johannesburg !
Je suis
à Johannesburg, à Melville,
tout va bien.
E : Auckland Park, 3
février ?
S : Internat Café, Campus square, 03.01.2008
V : 22.05.2008
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Melville
Ça y est, j’y suis, à la
terrasse du
café « Mug &
Bean », sur la 4ème avenue (N.b.
attention, ici par exemple, la
7ème rue coupe la 7ème avenue,
selon une logique
cartésienne et matricielle implacable). Il faisait 19
degrés à l’arrivée ce
matin à l’aéroport, et beau, où m’attendaient ma
coach et le Performer. ADDENDA+<Dans
l’établissement de ma résidence, l’antenne Pro Helvetia
de Cap Town m’avait
donné le choix entre Cap Town, Durban ou Johannesburg. Une fois
mon choix
établi, l’antenne avait cherché et trouvé
quelqu'un pour m’accueillir,
organiser mon séjour et m’encadrer, une coach. C’est ma coach,
dont l’heureux
pourtour s’affinera au fil du blog. Le Perfomer est un artiste
vidéaste de ses
amis, qui faisait aussi partie de notre programme.>
Nous nous embarquons dans la Vaillant
1966 du
Performer, qui
lui est de 64. Tous les conducteurs noirs le saluent parce que
c’était la
voiture des chauffeurs de taxi noirs d’alors. Maintenant, il fait plus
chaud et
un peu lourd, j’entends sans doute un orage qui s’annonce, sont-ils
soudains
ici ? Je l’apprendrai peut-être à mes dépens
sous peu.
Pour l’instant, ici, la vie s’annonce
moderne,
urbaine, vaguement
américaine dans ma tête. Une ville aux allures un peu de
vacances balnéaires,
sans la mer mais à cause des palmiers et des fleurs alors que
les oiseaux qui
les peuplent s’annoncent exotiques — un ibis ? cela ce
confirme, au
cri très disharmonieux qui leur vaut un nom amusant. J’ai une
petite maison à
moi, pas trop barricadée, on y entre par le garage, sans doute
une feinte.
Ce matin avec ma coach on a fait le
supermarché pour mon
approvisionnement — je ne suis pas certain qu’il y ait d’autres
sources.
ADDENDA+<Moi qui
espérais
mourir sans
téléphone portable, ma coach m’en a fait acheter un, elle
m’a déniché le modèle
le moins cher.
— Sinon tu m’engages comme
secrétaire
privée, mais tu
me payes.
De retour en Suisse je l’abandonnerai,
en
conservant comme
cartes de collection mes « sim » sud-africaines,
mozambicaines et
malgaches. >
Je ne suis pas encore très
à l’aise.
Le matin, pour
m’expliquer les précautions de sécurité, mon
landlord, mon logeur, m’a dit
qu’il fallait simplement ne pas s’arrêter ni discuter avec les
vendeurs ambulants;
je ne crois pas, ou ne sais plus, s’il a dit noir, mai ça le
sous-tendait. Le
monde ici sera différent de celui de Ouaga, il faudra que j’y
pose d’autres
marques, avec une autre place, un autre cadre, et un encadrement, une
coach.
Une demi-heure plus tard, et tout est
magnifié ! Un
orage. Je m’étais enquis, on m’avait dit qu’il serait au plus
tôt pour 19
heures, mais il est aussitôt arrivé, pire que celui de la
Roça di Angolares à
Sao Tomé en 1999. Mais, prudent, à l’abri, juste avant,
dans la septième rue
qui semble être un petit paradis branché, peut-être
un peu trop pour moi, mais
c’est à voir. Et la bière Black Label est excellente.
E : Melville, 2 février
S : Internet Café, Campus square, 03.01.2008
V : 22.05.2008
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Hier, j’ai du reprendre une
deuxième
bière car l’orage ne cessait
pas.
Et appeler au secours. Ma coach m’a
envoyé
Lee, il y avait
réception chez elle, en mon honneur (je crois). Bel accueil,
belle ambiance,
nourritures exquises. Ma coach est indienne, son entourage aussi ou
d’origine
européenne — ses deux derniers enfants sont de père
belge. Ispahan,
superbe Indien très noir, né ici et accompagné
d’un gamin de deux ans, promet
de m’emmener dans son étrange immeuble de réfugié,
ainsi qu’à Soweto. Ma coach
fait un discours pour m’introduire, plusieurs se présentent. Je
dis deux mots.
Je fatigue un peu à essayer de comprendre, heureusement leur
parler est
étonnamment clair.
Aujourd’hui, après une bonne
nuit et un peu
de shopping, ce
matin, je me sens très perdu. Genre un piéton de
proximité, perdu dans une
mégapole dispersée où la voiture est reine. Le
sentiment de facilement avoir
fait tout faux. La nécessité, elle stimulante sans doute,
je l’espère, de devoir
rapidement me réinventer. Peut-être ce que ma coach
appelle "me mettre au
travail", c’est à dire me laisser guider sur le chemin
socioculturel où
elle veut m’emmener. Et je suis guidé et coincé par les
orages (Johannesburg
est la ville la plus foudroyée de monde). Hier un longiligne
écrivain m’a
annoncé une "poetry session" pour samedi. J’y irai
peut-être,
peut-être j’y dirai « Si
rage noire » (en
fait je n’y irai pas par
erreur d’agenda et autre engagement).
E : Melville, 7ème street, Burz
9, 3
février
S : Internat Café, Campus square, 03.01.2008
V : 22.05.2008
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Parmi toute les nouveautés
auxquelles je
suis heureusement
confronté, il en est une surprenante. Dans mes
précédents périples, je prenais des
notes personnelles, entre moi et moi, incomplètes et que je
laissais mûrir.
Ici, je pense à envoyer des nouvelles à mes proches. Je
réfléchis aussi en
terme de quoi mettre dans mon blog. Avec aussi l’idée de rendre
compte de ma
résidence d’artiste. Actuellement, je ne suis pas convaincu que
ce soit la
bonne voie. Il m’arrive de me souvenir de mon arrière
arrière-grand-père qui
avait fait une longue fugue en Amérique et qui envoyait des
nouvelles une fois
par mois, des nouvelles qui mettaient un mois pour arriver, des
nouvelles
auxquelles il n’avait des réponses au mieux qu’après un
autre long mois... Il
me faut trouver mon propre juste milieu.
E : Auckland Park, in vivo ? 7 février
S : Internet Café, Campus square, 03.01.2008
V : 22.05.2008
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Nous regardons avec émotion,
compassion,
peut-être fierté
(fierté pour le genre humain ?) la récente chute de
l’apartheid... Alors
que partout dans le monde des modes de violence identiques se
perpétuent. Et
que nous entretenons.
P.S Mais les droits civiques sont un
acquis
réel et non négligeable
; la déclaration d’égalité aussi.
E : Sophiatown Lounge, Newtown, 5 février
S : Internat Café, Campus square, 09.01.2008
V : 22.05.2008
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Je ne peux vivre si je ne peux, faute
de toujours
pouvoir partager,
côtoyer la vie de monsieur tout le monde. Dupont, Martin, Weber
chez nous. Zac,
Zico, Blessy & Cie ici. Quitte, avec un peu de jugeote et de
prudence, et
progressivement, à transgresser les suggestions de prudence de
mes hôtes, qui
se sentent, entre autres, investis du devoir de me protéger
— et qui
peut-être sont encore habités de réminiscences
d’avant, avant 1994.
E : Sophiatown Lounge, Newtown, 5 février
S : Internat Café, Campus square, 09.01.2008
V : 22.05.2008
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Le Market Theatre, c’est,
annoncé à
l’intérieur par une enseigne
en afrikaner que Myglove me traduit, un ancien marché aux
légumes aménagé avec
soin en différentes salles de spectacle. La nôtre est sous
le toit métallique
voûté. La salle est trop climatisée, Myglove me
prête son châle, elle n’en a
pas besoin ! Le spectacle est bon, je peux suivre presque toutes
ses
péripéties, même si quelques épisodes
m’échappent, peut-être par relâchement de
ma concentration sénile. Il y a pas mal de jeunes dans le
public, la proportion
de Noirs et de Blancs y est inversée par rapport à la
statistique nationale.
Dehors, de jour, au lieu des 77% de Noirs, dans les immédiats
environs du
théâtre elle monte à 98%, j’imagine. Ce
marché devait être beaucoup plus beau
que le Metro Market et ses longs corridors obscures. C’est une curieuse
idée
que de recycler des espaces qui, demeurant nécessaires, se
reconstituent
forcément ailleurs.
E : Melville, 7 février
S : Internat Café, Campus square, 09.01.2008
V : 22.05.2008
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Mardi, au Muséum Africa, j’ai vu
le
très grand tirage d’un
cliché réalisé en 1914. Le photographe d’alors
avec probablement dû exiger que
les sujets photographiés restent immobiles — cela
même si c’est surprenant
que les chevaux aient réussi à observer la consigne. Sur
ce qui
est l’actuelle place
Mary Fitzgerald, tous les propriétaires terriens de la
région sont alignés et
tiennent la pose. A l’arrière-plan, à côté
de leur lourde charrette – osons
maintenir l’adjectif précisément à cette place,
puisqu’elles paraissent telles,
quoique déchargées, les boys en train de vendre leur
contenu dans les halles du
marché. Au premier plan, sans doute notables parmi les notables,
sur des
chaises alignées, sous leur grand chapeau de chics cow-boys
hollandais, des
hommes sont assis. Mais, au tout premier plan, allongé sur le
sol, le bras
droit soutenant nonchalamment la tête, non pas nu mais
décemment vêtu, avec le
pied de son maître non sur lui mais tout proche, le seul Noir de
la
photographie. Même si on lui a astreint la place d’un animal de
compagnie, il
devient soudainement le sujet principal, et central, de l’image. Le
repos du
guerrier Zoulou entouré de tous ses blancs. Je ne sais si le
photographe a été
sensible au thème de la pose, je ne sais si, accrochant ce
triage, les
exposants ont voulu, à juste titre, souligner le retournement
des choses et sa
dérision, mais l’effet sur moi a été réussi
et saisissant !
E : Melville, 7 février
S : Internat Café, Campus square, 09.01.2008
V : 22.05.2008
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Olivier, Olivier, Olivier ! Un
grand
médecin, barbu je
crois, juif viennois, a dit une fois qu’il fallait faire ce que nous
disaient
nos petites voix — conseil que n’ai pas toujours suivi.
Quand, au lieu de cocher dans l’ordre Le Caire, New Delhi, le Cap,
Varsovie,
j’ai coché deux fois, fautivement, Le Cap, j’aurais
peut-être dû écouter cette
petite voix : N’y va pas, n’y va pas ! Mais j’y suis
allé, j’y suis.
Mal. Comme un prisonnier, encore une fois prisonnier de moi-même,
prisonnier
aussi d’un monde concentrationnaire mais souriant, celui d’une certaine
classe
moyenne, un enfer vert et luxueux — auquel je m’adapterai peu
à peu —
de maisons closes, selon un protocole incroyable mais rigoureux et
absurde
contre lequel je m’achoppe, alarmes folles, gardiens parés de
parabellum,
chiens intelligents et, heureusement, espaces sans frontières
pour les oiseaux
incroyables. Je me sens enfermé dans une mégapole que je
comprends mal. Perdu,
hébergé, enculturé, et encadré par des
fonctionnaires — ou des coachs
bienveillants — mais poliment indifférents. Alibi culturel,
comme les
acteurs indifféremment interchangeables que nous sommes, au dire
du Sieur
Berthet pour sa télévision. Il se peut vraiment que
j’aie fait fausse route,
que, vraiment, je sois dans une impasse. Il faut que je voie, que je me
montre
patient et zen. Même si je dois passer six semaines
— jusqu’au Mozambique,
qui brille encore comme un phare ou un amer — dans un enfer soft
où je
suis confronté à mes limites, mes inhibitions et mes
incapacités plus qu’à mes
craintes — je demeure presque sans peurs, et sans
reproches —, je
peux très bien me dire que c’est une pause, une respiration,
douloureuse
peut-être mais peut-être nécessaire — j’ai,
hélas, acquis cette sagesse
raisonnée qui vient avec l’âge ! Je peux aussi
déclarer forfait, dire
halte là, je ne reste pas, je pars, une semaine, ou deux ou
quatre, vers le
nord, jusqu’à ce que je trouve un oued, une petite ville perdue
qui m’offre un
havre de paix.
Je me sens mal dans ce monde
coincé entre
Blancs et Noirs,
où les blancs restent des colons blancs, d’anciens colons
blancs, ou des
missionnaires dont je n’ai guère que faire, et où les
noirs qui nous fréquentent,
sont, ou ne sont pas, des gens qui guettent, ou qui rejettent, les
reliefs
tombés de nos tables, ou des gens que l’on considère
comme tels, ou que,
erratiquement, je vois ainsi, sans réussir à
relâcher cette fixation. Chose que
je n’ai pas connue, ou guère, à Gorom-Gorom, mais
peut-être parce que, seul
Banc, je m’y royaumais (c.f. helvétisme)
— merde ! Mais, ce matin, les écrivains
zimbabwéens, pourquoi nous
ont-ils servi, à moi et au Performer qui pérorait
— avec intelligence et
un sens assez vif de la provocation —, deux bouteilles
individuelles d’eau
minérale alors qu’ils partageaient entre eux, dans des verres en
polyéthylène,
des bouteilles collectives de soft drink ?
E : in vivo ?
Home, samedi 9 février
S : Home, 09.02.2008
V : 22.05.2008
De mémoire, ce
brouillonage (c.f. néologisme),
probablement saisi in vivo à l’ordinateur, est la
régurgitation nuancée d’un
passage écrit précédemment et que je viens de
repêcher dans mon premier calepin
africain — un Oxford couleur fuchsia, rectifié par mes soin
de
(22/05/2008) :
Je
suis dans un état
complètement maniaco-dépressif que j’essaie de
maîtriser en cherchant à me
retrouver en me réinventant, comme j’avais anticipé
devoir le faire
— dehors, crécellent des grillons, outrecuidants quand le
feuillage goutte
encore de la pluie qui a duré. Le tout-faux semble se confirmer.
Faux endroit,
erreur de copie. Mégapole à l’américaine où
le seul moyen de locomotion est,
apparemment ou prétendument, la voiture. Maisons sottement
barricadées dans un
cadre de villégiature suranné d’exotisme à
l’anglaise, comme ces jardins qui, à
Nice, bordent leur promenade. Prudence et mises en garde qui me
coincent sous
tutelle, forme rampante de discrimination ? Pourtant les
statistiques
parleraient volontiers de violence, une violence jusqu’à
présent invisible —
même les stigmates du sida, que je découvrais
gravés dans l’enveloppe
corporelle de certains de mes voisins de quartier à Lausanne
avant l’apparition
des trithérapies, alors que je les appréhendais, que je
les guette, je ne les
vois pas. À Jo’bug les malades vont-ils aussi se perdre dans la
savane pour mourir ?
Mais y a-t-il une savane à Jo’burg ? Ou se perdent-ils dans
cet espace
marécageux, entrevu depuis l’avion, qui sépare un
township d’un nouveau
quartier résidentiel où les petits plots des villas
deviennent plus espacés que
les baraques en tôles et s’égaillent des découpes
turquoise des piscines
chlorées ? Et je sais que je savais que je ne suis pas un
touriste, que je
n’aime pas faire tout ce qui se devrait d’être fait. Je suis
guidé sur des
chemins que je n’aurais pas désirés, avec une
série d’obligations
sous-jacentes. Celles de ma coach riante et stressée avec son
téléphone
portable qui sonne tout le temps ou qu’elle stimule sans cesse. Les
miennes.
Être un artiste, faire comme tel, me montrer comme tel,
paraître tel, justifier
ma présence ici, aux yeux de mes hôtes, de mon mandant, de
moi-même, alors que
par moments je sens mon cerveau être grignoté par la
sénescence compulsive, par
moment en boucle sur des actions stéréotypées et
répétées — hier, j’ai
lavé trois fois de suite la même cuillère. Pourtant
aujourd’hui, deux fois, et
dans les deux sens, j’ai traversé le marché du
métro, ces couloirs sombres où
une population exclusivement noire et dense passe parmi les pauvres
étals aux
surprenants inventaires, comme le courant paisible et chamboulé
d’un ruisseau
flânant sur un replat, m’apportant le soudain réconfort de
me retrouver au sein
de l’humanité. Peut-être est-ce grâce aux
phéromones sérotoniques que cette
humanité charrie ?
À
l’atout du bilan actuel,
je mettrai ma relativement bonne compréhension de l’anglais. Et,
peut-être, une
dynamique qui persiste en moi, mâtinée de la sagesse du
recul qu’amènent les
ans et les expériences qui s’accumulent, me permettant de mieux
me référencer à
moi-même.
E : Lundi 4 février, 22 h.10, d’une
écriture
calligraphique d’arbrutiste (c.f. néologisme,
après des
griffonnages en musique
S : Lausanne, 22.05.2008
V : 22.05.2008
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Ah ! c’est vrai, il ne faut pas
l’oublier,
comme à
Zurich déjà : dans les grandes villes, la vie survit dans
des bulles qu’il faut
savoir dénicher, comme ce dimanche matin, dans le monumental
centre commercial
(« mall ») de Rosebank, dans un parking à
demi-couvert, je suis tombé
sur un vrai marché, riche et varié, même si les
clients y sont très
majoritairement blancs, quand bien même on l’appelle le
marché africain
— comme la chaîne de restaurants dits africains, au beau
look, où, dans
Zoo Lake, j’ai bu un pot hier avec Jasper de l’antenne Pro Helvetia
à Cap Town.
E : Auckland Park,
dimanche 10 février
S : Home, 10.02.2008
V : 22.05.2008
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A ma gauche, la gauche de la terrasse
où je
viens de bien
manger — les frites sont à l’ancienne, avec de vraies
pommes de terres
comme on en servait une fois chez ma défunte maman. Il y a le
green, un green
carré — lisse comme la barbe de mon neveu, un jour
où il vient de se
raser — il s’agit d’un des terrains de bowling. Je ne sais comment
les
Sud-africains y jouent. L’accès au club est aussi peu
réservé que celui du Club
de la voile de Morges. Personne n’y joue actuellement, mais le boulingrin arbore des panneaux avec des
chiffres et
un espace ardoisé, sur lequel Cécile tracerait volontiers
les « z »
cabalistiques qu’elle chérit aux cartes. Devant et
derrière moi s’étend la
terrasse en tôle de plastique ondulé vert et opaque
où des Blancs, j’y
reviendrai, et un Noir mangent. A ma droite... je vais voir...
Ah ! Avant,
j’oubliai : derrière, des gens avec un narguilé,
peut-être parfumé à la fraise,
et des bières ; l’un d’eux porte un tee-shirt à faire
pâlir une Granny-smith.
J’ai aussi oublié : devant, un jeune homme relativement
mûr, 28 ou 30 ans,
qui pendant tous le temps qu’il mange, parle ou se gratte le mollet,
garde sa
main sur l’intérieur, nu mais décent, d’une des cuisses
de sa blonde copine. À
droite donc — le temps d’écrire tout ça je suis
allé voir l’espace —,
une bâtisse en bois, placage de bois et tôle mais
plutôt classe — classe
comme un club de bowling d’une ancienne colonie britannique, alors que
leurs
soldats faisaient la guerre aux Boers, et que, sans doute, tous
massacraient
des populations indigènes, ou cela n’a-t-il été
l’apanage que des seuls
Allemands de Namibie, permettons-nous d’en douter, surtout après
avoir eu vent
des théories théocratiques et racistes des
Hollandais —, une baraque assez
chic, avec un espace plutôt vide, un espace de dedans
peut-être, ou pour le
service d’hiver, avec plus loin un bar, sympathique et, je viens de le
demander, ouvert le jour, et ouvert loin dans la nuit. La bouffe est
bonne,
l’accueil aussi, l’espace serein. Il faut — le faut-il ? — lire
cela
ainsi ? Pour survivre. S’imaginer être à Ouchy, au
pire au golf
d’Épalinges — où je pense n’être jamais
allé. Vu ainsi, comme notre
société lausannoise où ceux qui nettoient les
chiottes, les bureaux et les
restaurants après fermeture ne sont pas les mêmes que ceux
qui prennent l’apéro
au Bleu Lézard ou au Bar-Tabac que je fréquente pourtant.
Vue ainsi, la société
fonctionne, inégalitaire comme elle se perpétue, et in ora mortis, alors tais-toi Olivier, tais-toi et
va !
N.b. Il est 14h.30, le ciel est bleu,
le soleil
passe
gentiment du nord à l’ouest, avec quelques nuages, dodus et
compacts, jouant à
se compter comme de blocheriens (c.f. UDC)
moutons. Pourtant,
à l’ombre, la température est exactement agréable,
il y du vent, disons un vent
du nord, et nous nous situons à 1500 mètres d’altitude.
N.b. Que de temps il me faut pour
m’habituer au
changement
d’orientation cardinale, d’autant que si Nord et Sud ont bougé,
Est et Ouest
sont restés les mêmes !
E : Bowling Club, Zoo Lake, lundi 11
février, 13 h.50
et 14h.30
S : Alliance française, 13.02.2008
V : 22.05.2008
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Mardi 12, Hivos, 7h. AM
Ma coach et moi faisons ouvertement et
de
façon constructive
le point. Je lui transmets mon impression désemparée
d’être un touriste, un
touriste enfermé dans une colonie britannique à
l’ancienne.
— Ex ! rectifie ma coach.
Néanmoins elle confirme et
développe
l’exactitude de mes
perceptions. Elle établi un parallèle proche avec le
récent apartheid. ADDENDA+<Elle
en est sincèrement assez convaincue, mais elle sait aussi
toujours prendre les
gens dans le bons sens (c.f. rubrique : Petit
traité
de zen et de pensée
positive).
Hélas, par pleins d’exemples
précis,
elle me confirme les
dangers et la violence de la ville — quand bien même je
voudrais encore
m’identifier à la liberté de mouvement que revendique la
propre mère de ma
coach. Tout cela renforce ma sensation comme quoi, peut-être
bien, nous nous
trouvons à l’épicentre de toutes les absurdités du
monde ! Et du progrès,
dans le sens de progresser, c’est à dire «gresser»
en avant. Next to the
future !
Parmi les exemples précis
qu’elle me donne,
elle évoque une
expérience récente qu’elle a personnellement
vécue. Un soir vers 21h.30, alors
qu’elle s’arrête à un feu rouge, cinq hommes
déboulent tout autour de sa
voiture. Ils sont sur le point de briser les vitres. Ma coach
écrase
l’accélérateur et lance son véhicule, sans se
soucier des corps de ses
agresseurs, qui giclent peut-être, ni du carrefour, ni deux feux
rouges
suivants. Elle continue en trombe. Elle aime ses enfants et elle veut
les
revoir. Arrivée chez elle, elle s’assied et reste longtemps
à trembler. Notons
que, ce matin, à 7 heures, dans sa Citroën Xsara, avec
quatre jeunes garçons,
deux à elle et deux voisins que nous menons à
l’école, elle conduit comme un
coureur de rallye !
Suite à mes réserves et
à ma
déprime exprimée, ma coach pose
aussitôt les bases d’un nouveau programme, avec une nouvelle
orientation. ADDENDA+<Suite
à celui-ci , à la discussion franche et au point de
situation, ma résidence
d’artiste, ma position et mon moral prennent une nouvelle orientation,
toute
positive — elle aussi, ciel ! >
E : Alliance française, mercredi 13
février
S : Alliance française, 13.02.2008
V : 22.05.2008
—————————————————————————————————
Johannesburg
Trois petits pois oubliés sur la
table.
Ils sont verts, comme seuls les anglais
peuvent
l’être.
La nappe, une toile cirée rouge,
arbore la
porte d’un
château sertie dans un écusson blanc, une pub pour un
brasseur, six fois
répétée.
La nappe est rouge, les gros petits
pois sont
verts.
Au-delà, le green semble pastel.
Personne
n’y joue actuellement.
Au-dessus, au-dessus de la nappe rouge
et des
petits pois
verts, au-dessus de la tôle en plastique ondulé plus
nuancée, au-dessus du
green rasé et doux, au-dessus de tout cela, du ciel bleu alterne
avec des
nuages.
D’abord, dans l’imminente
quiétude de la
sieste, ceux-ci se
sont décomptés.
Ensuite, ils ont joué à
saute-mouton.
Maintenant, ils se chevauchent, j’ai
bien peur que
bientôt
ils se besognent méchamment.
Mais, pour l’instant, ils se refusent
à
tonner.
Sur un banc ombragé, sous un
large buisson
taillé en nid,
deux hadidahs,
ibis bavards, se plument le
molleton.
Le brouhaha lointain vient des voitures.
De temps en temps, des sirènes
le ponctuent.
Elles nous rappellent que, tout autour,
grouille
la
mégapole.
E : Bowling Club, mercredi 13 février
S : Alliance française, 13.02.2008
V : 23.05.2008, slamé par
512
le
28.05.2008
—————————————————————————————————
Jeudi
14.2.08, Johannesburg Art Gallery, Joubert area
Une femme qui accompagne Ispahan se
présente. Je lui dis que
ma fille aussi s’appelle Lucia. La femme parait étonnée
et s’explique, c’est un
nom devenu rare parce que, dans le temps, c’était un nom courant
chez les
femmes pauvres, chez les domestiques des bonnes maisons. Puis c’est mon
tour
d’être surpris en découvrant que cette femme est italienne
et qu’elle habite
Rome. Je doute fort que ma fille ait jamais été au
courant de cette particularité
de leur nom.
Dans la rue, un groupe de policier nous
demande ce
que nous
faisons là. Ispahan est furieux, il déteste la police.
Selon lui, celle de
Johannesburg ne pratique qu’abus de pouvoir et concussion. Il nous
conduit dans
un building qui est squatté par des réfugiés. Sur
de nombreux étages, il y a
des cafés, des cybercafés, des coiffeurs et des petites
entreprises, dont une
de confection de rideaux en tulle bigarré et ouvragé. Les
immeubles ont été
investis en 1994 déjà. Fort bien organisés, il n’y
aurait pas de violence
urbaine. Mais la City, dont les immeubles modernes
s’élèvent tout près, est sur
le point de réinvestir le quartier, dans un curieux mouvement de
va-et-vient
qui doit être extrêmement difficile à gérer
et qui rend tangibles les absurdes
fondements de la ville.
La ville s’est crée autour des
trous
d’où on extrayait l’or.
Au fur et à mesure que les filons s’épuisaient,
l’exploitations s’est déplacé,
abandonnant sur place des terrils mous, larges et bas, terrains vagues
condamnés, pollués par le mercure qui les rend
inutilisables.
L’apartheid a décidé
d’expédier la population laborieuse
noire dans les townships, loin à la périphérie.
Une population qui, chaque
matin, devait revenir en ville travailler dans les mines ou chez les
blancs. Le
nouveau gouvernement essaie de modifier les flux, mais les habitudes et
plus
encore le pouvoir absurde de l’argent contribuent à la
difficulté de
l’entreprise.
E : S : Auckland Park, samedi 16.
V : 23.05.2008
—————————————————————————————————
Melville, jeudi 14,
soir de la Saint-Valentin,
« Hello !
Shux, donno how good ya
english is ? But im im going 2 the bohemian in richemond 4, a
chink, pls
join me 4 a drink ? and seeing that is valentines, cud b like a
blind
date ! u game ? »
C’est de l’anglais texto, pas facile
à
déchiffrer pour un novice.
Mais il s’agit d’un blind date — un rendez-vous à
l’aveugle —, pas tout à
fait car Chiquita m’avait déjà appelé à
l’heure du lunch. J’avais été un
peu rude, elle avait eu mon numéro par Brad, elle était
aussi peintre, moi pas,
je la rappellerai ce soir. En rentrant, j’avais relevé le SMS
ci-dessus. Alors
pourquoi pas ?
Je n’ai pas répondu par un SMS,
j’ai
directement appelé. On
a décidé de se retrouver vingt minutes plus tard à
Melville, au Xai-Xai, cela
tombait bien, je savais où c’était. J’aurais un chapeau
français — c’est
ainsi que je désignai ma casquette. Elle, elle venait de se
teindre les cheveux
en noir.
Chemin faisant, je me suis
demandé quelle
artiste cocaïnomane
ou alcoolique en pleine cure j’allais trouver. ADDENDA+<Une
réflexion inspirée par de toutes récentes
expériences : une dame, d’âge
moyen — dans l’acception anglo-saxonne du terme qui, aussi bien
pour la
classe sociale que pour l’âge, signifie plutôt moyen
avancé — m’interpelle avec
un fond d’agressivité latente qui me surprend. La femme qui
l’accompagne me
propose une tasse de thé. J’accepte et nous passons chez elles.
Tout en buvant
son thé et en grignotant des cookies — alors
inoffensifs — avec sa
carte de crédit, une des deux dames brasse et aligne une poudre
blanches que
toutes deux — après que j’ai décliné
l’invitation à y participer —
sniffent en utilisant un billet de banque roulé en chalumeau
— est-ce là
ce qu’on entend par blanchiment d’argent ? De par certaines
fréquentations, je savais que la coke rend agressif, cette
expérience confirme
cela ; en outre elle éclaire la façon avec laquelle
la première femme m’a
abordé. >
La terrasse était comble, mais
rien qui
ressemblait, ou qui
ait l’air de chercher un chapeau français. Idem dans la salle.
Mais une femme
assise au bar, à contre jour devant une lampe, qui me faisait
des grands
signes. Elle buvait une bouteille de 300 cc de cidre, j’ai pris la
même chose,
je me suis assis latéralement, face à elle. Elle avait
des jambes nues qui
dépassaient d’une robe en triangle, des fuseaux bronzés,
fermes et pleins, la
peau chaude et douce qui, par moments, m’effleurait les genoux à
travers
l’étoffe fine et kaki de mon pantalon. Son visage était
très légèrement
fatigué, ses dents très blanches et très
régulières. Elle avait 34 ans, soit
vingt de moins que moi, comme elle le relèvera plus tard en
soupirant après
m’avoir demandé mon âge — Brad lui avait dit
entre 40 et 50. Tout de
suite, elle a parlé avec un débit très abondant et
rapide, mais je crois, comme
elle me l’a dit ou laissé entendre, qu’elle ne prenait pas,
elle, de cocaïne.
Malgré la musique et le brouhaha, je la comprenais assez bien.
Elle aussi. Sauf
au moment où elle m’a raconté d’un trait un livre qu’elle
avait récemment lu,
exceptionnel, le récit holographique et scientifique, absolument
scientifique,
d’un homme qui avait vécu au 16ème
siècle et qui avait probablement
fini brûlé, lui aussi. Elle avait trois enfant,
plutôt jeunes, qu’elle aimait
beaucoup. Elle vivait seule, en gros actuellement sans travail et elle
peignait, pour l’instant plutôt pour elle-même. Une fois,
cela s’était révélé
être le portait de sa grand-mère, la personne qu’elle
avait le mieux aimé au
monde. Ma question de savoir si c’était abstrait ou concret
n’avait à son avis
guère de sens. J’ai dis que j’avais faim. Nous sommes
allé manger au Portugais
en face, mais pas en terrasse parce que c’était plein. En fin de
repas, le
garçon passait toutes six minutes pour s’excuser de devoir
s’absenter cinq
minutes, ce qui ne nous dérangeait en rien. Enfin, nous sommes
allés au
« Deux Bohémiens ». ADDENDA+<J’ai
appris, et compris
bien plus tard, que l’établissement s’appelle en
vérité « The
Bohemian ». Le SMS disait : « 2 the
Bohemian ». Toujours
dyslexique, ma mémoire à court terme a rétabli son
ordre propre :
« The 2 Bohemians », alors que le
« 2 » employé pour
« to » n’est ici que du quick-language de SMS
— les
cell-phonistes, les locaux en tous cas, y ont un fréquent
recours, sans
ménagement pour mes défaillance langagières. >
L’établissement
se trouvait assez loin, un parcours sinueux que j’essayais de
mémoriser —
fait parfaitement exceptionnel dans cette Los Angeles africaine, ni
elle ni moi
n’avions de voiture. De même, je cherchais à bien me
repérer, maintenant que je
tiens le Sud et les trois autres points cardinaux.
Au Deux Bohémiens, en terrasse,
on nous a
demandé une entrée
parce que ce soir-la un groupe se produisait. Cette fois, avant que je
ne
comprenne vraiment, Chiquita a payé l’entrée. Avant que
la musique ne commence
dans le pub, nous avons eu le temps de commander une bière pour
moi et un verre
de rouge pour elle. Quand le groupe a démarré, elle est
partie danser comme une
déchaînée tout devant. J’étais content et je
l’ai rejointe. Malheureusement, la
musique était beaucoup trop trop forte. J’ai
déniché — une erreur à ne
plus commettre — un ticket de caisse dans la poche où
j’égraine mes menues
monnaies : je l’ai mâché et mis au fond de mes
oreilles — ce matin
j’ai vaguement craint qu’un morceau n’y sois resté logé.
Comme cela ne
suffisait pas, je suis allé voir aux chiottes, pour finir je
n’ai trouvé que le
papier qui protège le sommet des pailles pour déguster
les cocktails. Comme
cela ne suffisait toujours pas, je me suis mis à danser avec les
mains sur les
oreilles, mais deux différents danseurs ont tiré
gentiment sur mes bras pour
tenter de m’en dissuader. ADDENDA+<Ces petits papiers
connaîtront
un lointain épilogue. Mi-avril, lors de mes bains dans
l’océan Indien, l’eau
aura tendance à s’incruster dans mon oreille gauche d’où,
une ou deux fois,
j’extirperai une sorte de ouate qui ne pouvait être que de la
ouate de papier.
Enfin, début mai — soit deux mois plus tard —,
j’accompagnerai ma
tante chez sa chirurgienne ORL, ma tante lui dira que j’ai du papier
dans
l’oreille, et la chirurgienne, difficilement, en s’escrimant plus de
dix minutes
avec des instruments aux noms étrange comme
« alligator » m’extraira
tout un manuscrit de vieux tickets de caisse déchiquetés.
Après, pendant quelques
heures, j’aurai froid au fond de l’oreille gauche.>
Dans l’assistance et parmi les
danseurs, il y
avait un jeune
Noir, accompagné, très musclé et en
débardeur blanc, dansant bien. Plus tard,
j’ai vu qu’il portait une jolie chaînette, genre chaîne de
baignoire,
simplement entourée autour du poignent, ce qui lui faisait un
très bel
avant-bras et une très belle main. Il y avait aussi une jeune
fille Noire qui
somnolait à moitié dans un fauteuil tout en observant la
piste de danse. Le
reste de l’assistance était blanche. Assez rapidement, parce que
c’était trop
fort pour moi, je suis allé en terrasse où j’ai encore
dansé. À ce moment a
débarqué, en son costume de motard, mon Landlord
(hôte) et son ex-future femme.
À une de leurs amies, j’ai expliqué que j’étais
là suite à une «half blind
date».
— Blind date..., a-t-elle
répété, l’air interloqué.
Elle m’a aussitôt
recommandé les
condoms. Avec une belle
assurance, j’ai expliqué que c’était toujours ma
façon de faire, ce qui est
vrai, il faut l’admettre — puisque l’adverbe utilisé ici
n’implique aucune
notion de quantité. Elle, aussi écrivain mais
journaliste, m’a dit qu’elle
regarderait ce qu’on disait de moi sur Internet et que je pouvais faire
de même
sur elle. Elle m’a montré son partenaire, m’a annoncé
qu’il a 25 ans de plus
qu’elle, qu’il allait donc bientôt mourir et qu’elle allait
à nouveau se
trouver seule, ou quelque chose comme ça. Après, j’ai vu
l’homme en question,
toujours journaliste, avec des jambes incroyablement courtes et un
genre à la
Hemingway, qui ne me plaît pas trop. En arrivant, mes hôtes
avaient laisser
entendre qu’ils pouvaient me ramener, ce qui ne me dérangeait
pas forcément
parce que j’imaginais que même en coupant tout droit
j’étais assez loin. Vers
minuit, alors que le concert était terminé et que les
gens commençaient à
s’éclipser, je leur ai demandé où ils en
étaient. On allait y aller. Je me suis
enquis auprès de mon hôtesse pour savoir si elle
était en état de conduire.
Elle n’avait bu que deux bières. Et je ne sais pas si la
cocaïne dérange.
Je laisse le soin à ceux qui me
connaissent
un peu de
deviner si j’ai ramené Chiquita avec moi. Et si je l’ai
regretté ou pas.
Mon oreille gauche a
résonné toute
la nuit d’un bruit
d’ascenseur ou d’aspirateur fantôme. À peine
arrivé, mes hôtes ont repris le
flot shakespearien de leurs querelles. J’étais content de ma
soirée.
E : samedi 16 février
S : Auckland Park, 17.02.2008
V : 23.05.2008
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Hier, j’ai failli écraser un
long serpent,
j’ai vu des
zèbres, une antilope, des Wealtertail birds dont le vol semble
entravé par la
queue qui n’est probablement là que pour leur permettre de faire
les
intéressants,
à moins qu’elle ne leur serve de parachute pour atterrir en
douceur au sommet
des buissons du veld, encore deux très gros oiseaux non
identifiés et des ciels
immenses. Sur la ceinture de contournement de Josy (pour Johannesburg)
j’ai aussi
vu un camion benne, avec une de ces grosses bennes en acier comme
celles des entreprises
de démolition — le même métal que les
murailles de Kazerm.
Le camion était plein. Le temps que la luxueuse Audi
climatisée de Myglove
double le camion, je voyais dépasser, au sommet de la benne, les
yeux et les
mains d’un groupe compact d’ouvriers noirs qui rentraient du boulot.
Ils m’ont
salué amicalement. C’est curieux, chez nous, même les
camions à bestiaux sont
plus ajourés. Je suis un peu délicat.
Je sais maintenant où est le Sud
et le
Nord, où se situe
Jo’burg dans le paysage, et quel paysage l’entoure ; je commence
à trouver
mes repères
spatiaux, je
me sens
mieux — malgré l’illusion de sagesse que me donnent
mes cheveux
blancs, je reste d’une impatience négative trop grande.
E : S : Auckland Park, samedi 16 février
V : 23.05.2008
—————————————————————————————————
Samedi 16 février
Sachant que je ne fumais jamais,
Myglove a
décidé de me
faire des cookies, des gâteaux secs que nous sommes allés
confectionner chez
elle et que j’ai dû consommer tandis que les deux dames fumaient.
Puis Myglove
nous a ramenés, d’abord ma coach, puis moi. Comme Myglove
n’avait pas vraiment
l’air bien, je lui ai proposé, un peu pour la forme ou pour ma
conscience, une
tasse de thé qu’elle a acceptée. Pendant que je faisais
bouillir l’eau, je lui
ai passé mon Ipod. Peu à peu son corps s’est
incrusté dans le fauteuil. J’ai
fini par dire que j’allais me coucher. Elle a annoncé qu’elle
restait dans le
fauteuil. Et qu’elle me rejoindrait peut-être plus tard. Jusque
là, les cookies
n’avaient pas fait d’effet, mais au lit, ils m’ont accompagnés
dans un mauvais
trip, mi-rêve mi-réel, où je croyais entendre
Myglove, et qui me réveillait. ADDENDA+<Un
mauvais trip que j’aurais de toute manière fait. En y repensant
ultérieurement,
je suis convaincu que tout cela faisait partie d’un plan heureusement
foireux,
longuement prémédité — le curieux
itinéraire du retour aurait du mettre la
puce à mon oreille ensablée d’ouate —, mais
légitime, comme nous, Diane est
chasseresse, que diable ! >
Deux heures après, elle est
allée
aux toilettes en me criant
que je n’étais pas gentil de l’avoir laissée dormir dans
le fauteuil. Presque
objectivement, qu’aurais-je bien pu faire d’autre ? Moi,
plutôt mieux,
l’effet d’herbe et de suspens s’atténuant, je me trouvais enfin
rassuré. Et le
lit a tenu, même si Myglove fait deux fois mon propre volume.
Vers 6 heures du matin, elle est
repartie dans sa
luxueuse limousine.
Tôt après, j’ai reçu un SMS qui semblait dire,
entre autres, que nous avions dû
former un drôle de couple. J’ai appelé pour m’excuser sans
le faire. Mais
depuis, aidant mon mauvais anglais d’un dictionnaire, j’ai
constaté que son SMS
ne disait rien de tout cela : il annonçait que la coupure
d’électricité
— chez elle, et amorcée la veille — durait toujours,
même pas moyen
de se faire une tasse de thé ! En effet,
« cuppa » ne signifie
pas du tout « couple », et l’usage
phonétique du quick-language
n’aide pas ma lecture !
Avant, entre le cinéma et
l’herbe, nous
avons mangé dans le
quartier chinois qui fêtait son nouvel an. Un quartier
d’immeubles de banlieue,
aux façades blanches et récentes, ses trottoirs
jonchés non, comme je l’avais
d’abord cru, de pétales de roses séchées, mais des
éclats rouges des pétards
explosés. Les restaurants se suivent sous la pluie des feux
d’artifice, celui
que nous avons choisi n’était pas vraiment bon. J’imagine que
nous aurions pu
aussi bien nous trouver quelque part à Los Angeles, ou dans un
faubourg d’une
des nombreuses grandes villes du monde. Ici, les quartiers sont
dispersés, çà
et là, sur de très grandes étendues. Après
sa foudre, Jo’burg passe pour être
la ville la plus boisée de monde, comme du reste Lausanne
où le décompte des
arbres est aussi rigoureux que celui fait lors de manifestations
populaires.
E : Orange Farm, le 19 février
S : Auckland Park, 21.02.2008
V : 23.05.2008
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dimanche 17 à mercredi 20 février
ADDENDA+<Contrairement
à ce
que certains
lecteurs in vivo ont cru, Orange Farm n’a rien d’une ferme.
Peut-être y en
a-t-il eu une, une fois. C’est un nom qui ne figure nulle part, sur
aucune
carte, sur un seul écriteau, un lieu à une trentaine de
kilomètre de
Johannesburg agglomération, mais qui en fait
théoriquement toujours partie.
C’est un township, d’expansion assez récente je crois,
regroupant environ
— j’imagine que les recensement n’y sont pas aisés —
400’000
habitants. >
Cette nuit, j’ai rêvé que
Brother
disposait d’un appareil
électronique pour reproduire les choses absentes ou endormies,
telles,
absurdité du rêve, le coq. Or, ici comme ailleurs, les
coqs chantent en pleine
nuit, alors que les poules, plus sages, ne se sont mises à
caqueter que vers
six heures. C’était peu avant que, dans la pièce à
côté séparée par un rideau,
Brother, Shaudi et Lindella, qui m’a cédé son lit, ne
s’éveillent. Leur maison,
comme celles de leur entourage, est en tôle. Toutes ensemble,
elles constituent
un très vaste «tincamp», «tin» voulant
dire fer blanc, un très vaste mais aéré
bidonville, perdu dans le veld, à cinquante kilomètres de
Jo’burg, mais autour
d’une gare ferroviaire, ceci expliquant sans doute cela. Entre ma
chambre et la
leur, mais dans un espace continu, il y a la cuisine, la
télévision se trouvant
sur le parcours du rideau qui les sépare. Hier soir, nous avons
vu «Anaconda»,
ce film semble être un leitmotiv dans tous les continents. Il est
maintenant 7
heures 30, Lindella en uniforme part pour l’école. Elle a de la
chance,
celle-ci se trouve juste à côté.
E : Orange Farm, 18 février
Brother, un nom que longtemps je
confonds avec
l’italien
«Prada», tient une école de musique. C’est comme
ça que ma coach le connaît.
Hivos, son O.N.G., l’aide. Hier, c’était dimanche. À
partir de midi, Brother et
Zipho ont sorti les marimbas. Peu à peu des enfants et des
adolescents, entre 3
et 14 ans, ont débarqué et se sont mis à jouer,
sauf quand j’ai sorti mes
carnets de croquis, qui ont aussitôt crée le lien et
qu’ils ont investis. Les
garçons ont joué de la musique. Puis, dès que
l’ombre l’a permis, les filles
ont dansé. Jamais Brother n’a dit quoi que ce soit, ni n’a
dû intervenir ou
crier. Peut-être, quelquefois, Zipho ou lui ont-ils montré
quelque chose. Ils
ont essayé avec moi, mais parfaitement en vain.
Certains jouent très bien. Ceci
de midi
jusqu’à la nuit,
sans discontinuer, sauf de temps en temps pour communiquer avec moi,
Kgotze
(prononcez «Runtsie»), 9 ans demain, n’a cesser de chanter
ou de danser :
les lapins
de Duracell peuvent bien
aller se
rhabiller ! Je suis le seul blanc d’Orange Farm, certains enfants
semblent
très surpris, quelquefois d’abord effrayés ; ils
adorent les poils de mes
avant-bras. Nous communiquons en zoulou et en bribes d’anglais, bribes
croissantes avec le degré de scolarité.
E : Orange Farm, 19 février
Hier j’avais la maladie du sommeil. Ce
matin
seulement,
j’émets la supposition qu’il peut ne s’agir que d’une vraie
crise de
manque : pas de café depuis plus de 24 heures (mais du
thé, très sucré).
La marche de mes compagnons est si
lente que je
dois faire
un effort d’équilibre pour ne pas tomber. Chez eux, dans leur
maison, leur
cabane, ils ne font rien pour améliorer le confort. Ils ont
peut-être raison.
L’effort pour améliorer le confort est inconfortable ;
surtout, il ouvre
des abîmes d’escalade et de surenchères. Je suis de plus
en plus perplexe sur
la finalité de l’inéluctable devenir de l’humanité.
ADDENDA+<Ce que je dis
sur Orange
Farm et la
marche est inexact. Dans certains cas, j’ai vu Brother marcher plus
vite, même
là-bas. Déjà à Gorom-Gorom, dix ans plus
tôt, les Africains me disaient ne pas
aimer marcher, or ils marchent beaucoup. C’est souvent leur seul moyen
de
locomotion. S’ils l’utilisent, c’est parce qu’ils doivent aller d’un
lieu à un
autre. Dans ce cas, ils marchent d’un bon pas. C’est beau, et j’adore
les voir
passer. Et le port de charges sur la tête décuple leur
magnificence.
L’Afrique du Sud est très
occidentalisée dans son mode de
vie. Il nous a fallu attendre la piste entre le Swaziland et Sodwana
Bay pour y
découvrir de ces vrais marcheurs. Par contre il y en a partout
au Mozambique et
à Madagascar, rendant la conduite de nuit terriblement
hasardeuse, et
dangereuse pour eux.
Certains Sud-Africains marchent en
traînant
des savates
— actuellement presque toujours des nu-pieds, des tongs —
d’une façon
inimitable, vaguement irritante à mes oreilles. J’ai en cachette
testé la
technique. En tous cas elle est celle des domestiques noirs, ces
cousins
modernes de l’oncle Tom, encore contraint à servir les Blancs.
Je crois que
cette démarche est une sorte de manifeste, une protestation
évidente, une
revendication. Elle pourrait porter le nom d’un de nos jeux
réunis, hâte-toi lentement.
Dans les années 70, pour
contourner les
lois racistes et
éviter de se faire écraser par les polices et
l’armées, les Africains ont
inventé le toy-toy, une course de protestation sur place,
où les pas retombent
toujours sur leur pas, dans une pantomime de course et de
défilé immobiles.
J’en ai vu dans les archives filmées de l’Apartheid
Muséum. C’est joyeux et
imposant, étonnant et magnifique.
Le dernier pas revient à l’autre
jour quand
je me suis posé
à l’angle d’une rue lausannoise pour boire une bière. Je
n’étais peut-être pas
dans d’excellentes dispositions d’esprit, en outre la chaise et les
tables
suivaient légèrement la pente, ce que j’ai trouvé
curieusement désagréable.
C’était aux environs de 16 heures, des gens passaient, nombreux.
Ils allaient
reprendre leur train, retrouver leur voiture, avoir un entretien
d’embauche ou
ils se pressaient pour un arriéré de rendez-vous galant,
mais leur rythme, non
par son allure mais dans les mouvements des bras et des jambes qui
l’accompagnaient, m’a stressé. L’important ne se voit qu’avec le
cœur disait l’autre.
Avec l’humeur, dirais-je. >
Partant d’une soupe de tête de
vache que
sert un marchand
dans une tin-échoppe au bord de la route asphaltée et
qu’il voudrait que je
vienne goûter cet après-midi — une soupe à
l’origine interdite aux
femmes —, Brother se lance dans une explication des anciennes
valeurs
africaines, où les femmes avaient leur place singulière,
où les hommes étaient
polygames, son père, pourtant pasteur, trois fois, son
grand-père sept fois,
alors que maintenant elles ne le tolèrent plus. Un temps
où la nourriture, le
travail et les frontières étaient tout autres, un temps
dont Brother a la
nostalgie et que sa musique perpétue.
E : Orange Farm, 20 février
Du contraste, j’en ai à
l’envi ! Hier
soir, avec le
groupe de Brother, plus Brad et Dreak, nous nous retrouvons sur une
plate-forme
en bois, surplombant une pelouse impeccable, sur laquelle une
réception se
préparait, pour laquelle nous allons jouer. Notre scène
est adossé à une sorte
de vaste soucoupe volante, qui abrite un aquaparc sur le thème
des corsaires,
un bowling, un jardin chinois et un grand casino. L’orage qui menace et
le vent
créent une tension et un va-et-vient amusant. Le concert est
alimentaire.
Personne — « Tandem », une association
d’utilisateurs
d’ordinateur dont certains sont directement venus d’Autriche — ne
semble
écouter. Nous rentrons dans la nuit.
E : Orange Farm, 20 février
Du contraste, j’en ai à
l’envi ! Hier
vers 13 heures,
15 enfants et quelques adultes nous avons embarqué dans un
taxi-bus affrété
pour l’occasion, le taxi-bus de la mort avec son chauffeur assassin.
À 14
heures 30, nous étions dans le Wits Theater de la University of
Witwatersrand
au coeur de Johannesburg, pour une répétition en vue de
la prestation de
dimanche, les filles dansant au premier plan, dans des bikinis
traditionnel.
L’ensemble sans cris ni problèmes ou tensions. À 15
heures, le tout était
empaqueté, le taxi-bus était là, nous nous
reverrons dimanche.
Du contraste, j’en ai à
l’envi ! A 18
heures 30, après
un bref passage chez moi, je me retrouve a la Wits University du
campus, mais
de l’autre côté, dans un havre de paix, arborisé et
au charme colonial
entretenu, avec les membres de la récente association de
journalistes
free-lance, surtout des femmes, parmi lesquelles je pourrais facilement
imaginer, dans son look anglo-saxon, ma très active soeur
Corinne.
E : Orange Farm, 20 février
S : Auckland Park, 21.02.2008
V : 24.05.2008
—————————————————————————————————
Maintenant chaque matin, autour de
l’heure
où les enfants se
rendent a l’école, je m’assieds sous les petits pêchers
aux fruits goûteux. Je
regarde la rue. Cela ressemble aux vidéos projetées en
arrière plan du Mondial
sur l’Arteplage
d’Yverdon, sauf que c’est en life.
J’aperçois un des plus jeunes gamins de l’école de
musique, il a cinq ans, je
n’arrive pas à me souvenir des noms, ils sont trop
différents. Avec le plus
grand de ses deux petits frères, il s’infiltre dans la jardin de
la maison d’en
face, une maison en dur mais en chantier. Ensemble, ils escaladent un
empilement
de parpaings. Le propriétaire a remarqué leur
présence mais ne s’en soucie pas.
Quelques instants plus tard, je les retrouve dans la rue avec son sol
raviné de
terre battue et d’herbes folles, chacun tenant à la main un
couvercle de bidon
de peinture en plastique. L’aîné enseigne à son
cadet comment jouer au cerceau.
Le petit apprend très vite. Les enfants africains jouent au
cerceau —
hier, celui de cinq ans, avec un vrai pneu de voiture —, je ne
connais pas
de plus beau jeu que le cerceau, tous les gadgets ultérieurs de
Matel
peuvent bien aller se rhabiller !
Un groupe de cinq femmes, fort bien
vêtues
mais tout de
blanc, passe, au pas lent et chaloupé des Africains au repos.
Elles vont,
abritées sous des parapluies qu’elles utilisent comme ombrelle.
Je ne sais pas
pourquoi elles sont tout en blanc, ni où elles vont, ni
d’où elles reviennent
peu après.
Je ne connais rien de plus beau que
l’ombre d’un
feuillage
sur une peau noire, une peau qui, par contraste, devient marron. Je
cherche les
dessins que fait l’ombre sur ma propre peau pour essayer de saisir la
différence qualitative. Peut-être, chez nous, un contraste
trop grand, trop
dur ? Je me souviens aussi des dessins que les canisses tissaient
au café-bar
de Gorom-Gorom.
L’Afrique semble facilement être
le paradis
des enfants, faisant
de leurs plus jeunes années le jardin d'Eden de
leur vie. Et,
comme le temps de l’enfance dure une éternité, temps dont
ne gardons, adultes,
qu’une vague réminiscence, la vie des Africains est
peut-être surtout un long
paradis. Les enfants du bidonville ne pleurent jamais. Jamais on ne les
gronde
mais, à partir du moment où ils sont en état de
marcher et que leur mère les
détache de son hamac dorsal, ils s’occupent tout seuls
d’eux-mêmes, mais dans
le groupe des autres enfants. Je ne sais pas quand on les nourrit. Chez
certains, je surprends quelquefois l’ombre d’une tristesse —
d’aucun sont
orphelins, quoique le sida me
reste étonnamment impalpable.
Il est des chauffeurs de taxis-bus
ici,
avec
quinze gamins à bord, en comparaison desquels ceux de Roumanie
font figures
d’enfants de choeur ! C’est une autre forme de criminalité,
comme toujours
moins médiatique mais soutenue par les macs de l’industrie
automobile et contre
laquelle il est aussi difficile de lutter parce que la police,
paraît-il, reste
très corrompue.
Les tôles ondulées de la
maison de
Brother ont des trous.
Faute de pluie pour pouvoir le vérifier de mes propres yeux, je
demande à
Brother s’il ne pleut pas à l’intérieur. Non, parce que
les trous sont sur les
sommets de la tôle, pas dans ses creux. La tôle
ondulée, c’est ce qu’on fait de
mieux. Sauf une fois, m’a dit Brother, où il y a eu des trombes
d’eau bien plus
conséquentes que celles de mon premier samedi et où les
toits alentour se sont
effondrés.
Aimerais-tu habiter à Orange Farm
pour
toujours ? me demande l’ex-future-ex de mon landlord à mon
retour. C’est
une question que je me suis déjà posée.
A vivre sans miroir, sans douche, et
sans beaucoup
d’intimité, on en oublie très facilement son propre
corps, et ses petites minauderies,
peut-être pour ne s’occuper que de celui des autres, de leur
toute matérielle
âme, et des relations très proches et physiques qui
s’établissent.
E : Auckland Park,
jeudi 21 février
S : Auckland Park, 21.02.2008
V : 25.05.2008
—————————————————————————————————
Je le sais, ma vision de l’Afrique est
teintée d’angélisme.
Il est à l’image de mon désarroi quant au sens de notre
grande marche à tous.
Il est sans doute aussi une forme de cette nostalgie
qui m’est interdite.
Mine plombée
Parmi les petits ressorts qui se
brisent peu
à peu, il y a
celui des croquis. La soif, ou la fièvre, n’est plus là,
et mes dessins sont
ratés !
En partie, mes premières
impressions de
Jo’burg ont été celles
d’un touriste ébloui et pressé. Jo’burg est aussi une
vraie ville, ordinaire,
avec la vraie vie de milliers de gens, et leur trajectoire ordinaire ou
extraordinaire. La ville fourmille de différents oasis où
beaucoup trouvent à
se nicher. Et dont les autres s’accommodent. L’albatros aussi.
Il semblerait qu’avant, les blancs
pouvaient
héler n’importe
quel «Coloured» — Métis ou certains Noirs
locaux institués comme
tels — et exiger de celui-ci n’importe quel service, en tous cas
usuel,
lui glissant pour l’occasion quelques éventuelles cents de rand.
C’est ce que,
dans «Scènes
de la vie d’un jeune garçon»,
raconte J.M. Coetzee — avec qui le
critique du Magazine Littéraire n’avait pas tort de me
trouver une
proximité, nous nageons dans les mêmes eaux.
Maintenant que les castes raciales ont
été abolies, je me demande
si les gens, ou une partie d’entre eux, ou l’intelligentsia que je
côtoie, ne
s’est pas inventé un nouveau jeu, le jeu de la terreur,
évoquant sans cesse,
même quand ils ne s’adressent pas particulièrement
à moi, tel ou tel évènement
avéré, ou tel danger possible. J’en arrive à me
demander si ces dangers sont
plus réels que les menaces pressenties par Miette dans nos
parking souterrains
ou sous les arbres de Noël qui bordent son avenue du
Temple locale ?
E : Jeudi 21 avril, Campus Square
S : Alliance française, 22.02.2008
V : 25.05.2008
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Dans un des premiers Tintin, Oliveira
da Figueira
arrive à
vendre, en plein désert, une paire de skis, une cage à
oiseaux, une cravate et
un parapluie à Tintin. Ma coach pourrait aussi, je crois bien,
même si des
subtilités dans son débit m’échappent quand elle
est en conversation avec
d’autres. Mais j’ai vu, de mes yeux vus, son centre de Zymologie tout
proche
d’Orange Farm. Je ne l’ai vu que du dehors, une vraie bâtisse en
belles briques
rouges, mais qui apparemment ne ressemblait guère au Centre
culturel high-tech
qu’elle vantait aux convives attablés — présentation
qu’elle a tout de
même eu la sagesse de nuancer peu à peu.
Physiquement, ma coach ressemble
à
Zoé et à Corinne à qui
elle ressemble moralement aussi. Mais en deux fois plus dynamique, plus
entreprenante, et plus impérieuse. Là où elle
passe, comme hier soir chez Allen
l’écrivain, je doute que l’herbe ne repousse. Bien que
soi-disant épuisée, elle
prend tout en main, même ce qui apparemment ne la concerne pas.
Sans rien demander,
sans se soucier si c’est l’heure de le faire, elle trouve encore
l’énergie de
débarrasser — chose à laquelle personne n’oserait se
risquer chez moi !
Sur le chemin du retour, nous parlons
de son matin
tôt.
Je dis :
— Le moment où tu fais ta
méditation ?
Elle me répond. Sa
méditation ne
s’arrête pas là, elle
séjourne en elle toute la journée, lui permettant
d’affronter les conflits,
d’assumer et de manifester au besoin sa colère contre son chef.
Sa main dessine
dans l’air une verticalité transcendantale, celle de l’oeil du
cyclone, je
suppose. Elle interrompt son geste pour saisir son portable — elle ADDENDA+<aussi >
utilise son téléphone portable plus vite que
son
ombre, et, hélas, que
l’ombre de sa pensée. ADDENDA+<Plus tard, elle
m’apprendra
qu’elle ne pratique pas la méditation institutionnalisée
du matin. Elle redira
que chez elle, tout est méditation. >
E : Alliance française, vendredi 22 avril
S : Alliance française, 22.02.2008
V : 25.05.2008
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Au sortir de l’Alliance
française –
où des contacts précis
se sont établis, je donnerai jeudi une conférence
à l’Université de
Johannesburg -, comme mon Club de Bowling était plein comme une
huître, avec
même, cette fois, des joueurs sur un des greens, j’ai
décidé de traverser le
parc, vers le Moyo, une petite chaîne de restaurants de luxe. Je
suis arrivé
sous une tente suspendue. On m’a proposé une table. L’addition
sera salée,
trois ou quatre fois celle d’ailleurs, pas loin de 40 francs de chez
nous, pour
un verre de vin, un café et un buffet. Buffet certes, mais pas
chiche !
quatre allers et retours pour salades, puis poissons, viandes et
légumes, puis
fromages et, enfin, desserts. Avec, cerise sur le gâteau des
fromages, un verre
de brandy sec et excellent. Il parait que la chaîne se veut
africaine
— une chaîne africaine en Afrique, qui paraît bien
confortablement coloniale,
avec un personnel tout d’amabilité familière,
peinturluré sur le front et paré
d’une couronne de plume. Un havre de paix que les old Britishs devaient
déguster. Et dont je goûte à mon tour.
E : Moyo, vendredi 22
S : Auckland Park, 22.02.2008
V : 26.05.2008
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Fordsburg, vendredi 22
Fordsburg est un quartier indien. Dans
ce
quartier-ci, curieusement,
les voitures n’ont plus comme unique objectif apparent
l’éradication des
piétons — nous, Européens dextrophiles, étant les
plus vulnérables. Elles
roulent au pas entre les maisons de quelques étages, urbaines,
un peu délabrées,
vaguement anachroniques.
Au marché ouvert, avec ses bancs
de
nourritures, d’épicerie,
de parfums, d’encens et de gadgets en plastiques, malgré
l’interférence des
différentes musiques, j’ai cru entendre une feuille morte dans
sa chute. ADDENDA+<Pourtant
je n’avais rien consommé de spécial. >
Ensuite, nous avons fait des
kilomètres
dans la nuit pour accompagner
le fils de ma coach chez des copains à lui, avec une musique
très douce, une
voix de femme chantant en sanscrit.
De retour chez moi, j’ai proposé
un
café à ma coach. Nous
avons parlé, elle m’a interrogé sur ma sexualité,
a dit des choses sur la
sienne, et nous avons fait un point informel et sympathique. Outre que
tout le
dimanche elle fait le chauffeur pour ses enfants, elle a donc des
tempos très
différents. Et plusieurs visages. Elle a été
odieuse avec la vendeuse de mon
billet pour Maputo, alors que d’ordinaire elle est souvent très
enjôleuse. Avec
ses enfants, 20, 13 et 11 ans, très tendre mais peut-être
un peu lourde.
E : Moyo, vendredi 22
S : Auckland Park, 25.02.2008
V : 26.05.2008
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Samedi soir, Myglove m’appelle. Elle
est en route
et me demande
si elle peut passer. Je réponds que je suis en train… de
travailler.
Le lendemain ADDENDA+<—
honnêteté scrupuleuse
et maladive ajoutée à un certains sens de la provocation,
peut-être prémonitoire — >
j’envoie un SMS pour lui avouer que je ne travaillais en fait pas, mais
que
j’étais en train de faire mes propres expériences avec
l’herbe que nous a
donnée notre ami écrivain, l’autre jour, en guise d’adieu
sur le seuil de sa
porte. Cette herbe, je l’ai diluée dans de l’huile d’olive puis
dans du thé. Cela
ne m’a guère fait d’effet. Je ne crois pas être fait pour
les drogues, dures ou
douces ADDENDA+<— à suivre — >. Le fourmillement
de ma tête
doit me suffire.
E : Home, vendredi 22
S : Auckland Park, 25.02.2008
V : 26.05.2008
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Il y a quelques années, il
m’arrivait de
croiser dans les
rues de Lausanne de soudains squelettes ambulants, familiers ou
inconnus,
premières victimes locales du Sida. Avant d’arriver en Afrique
du Sud,
j’appréhendais de refaire de telles rencontres. J’ai
été surpris que ce Sida,
qui est sensé toucher vingt-cinq pour cent de la population, ne
me saute pas au
visage. Il n’apparaît que par détour. Quelqu’un
évoque la cohue de convois
funéraires en pagaille le samedi dans le grand cimetière
sud de Soweto.
Quelqu’un d’autre mentionne une famille dont tous les membres sont
atteints.
Quelqu’un parle de son père récemment disparu du HIV. Ou
alors, hier, au
festival de danses africaines auquel participaient le groupe des gamins
de
Brother — dans un autre groupe, un danseur, en pagne traditionnel,
jeune
et vigoureux, mais trop maigre, et qui reste tout le temps assis alors
que son
équipe attend debout, répète ou s’amuse.
E : Home, vendredi 22
S : Auckland Park, 25.02.2008
V : 26.05.2008
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ADDENDA+<L’existence
précède l’essence. C’est
autour de cette date que m’est venue le sentiment d’être
l’éponge qui donne
l’actuel titre de mon blog. Je laisse la rubrique ci-dessous pour des
raisons
historiques, peut-être aussi parce que l’existence est plus
intéressante que
l’essence, et qu’actuellement l’essence est très en hausse. >
Pour résumer aux gens d’ici la
raison et
les objectifs de ma
résidence — comme écrivain de fiction cela reste un
peu flou
—, j’explique
que je m’imprègne, que je suis avant tout une éponge.
L’éponge se gorge d’eau
salée. En filtrant cette eau, elle se remplit de nutriments.
L’éponge est un
organisme multicellulaire très sommaire, je doute même
qu’elle puisse avoir mal
à son pied de fixation — voire même qu’elle ait une
conscience douloureuse
d’elle-même.
E : Home, lundi 26
S : Auckland Park, 25.02.2008
V : 26.05.2008
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P.S. Le dernier Sciences et Vie parle
de
bactéries qui, face
à certaines menaces, se regroupent pour constituer un
agglomérat oblong, une
sorte de limace translucide, capable de se déplacer en roulant
sur sa propre
longueur. Dans cet agglomérat, certaines bactéries se
spécialisent pour devenir
des tueurs d’intrus, comme le font certains de nos globules blancs.
Peut-être faut-il repenser notre
système de classification
du vivant. Il se peut que notre distinction entre organismes
unicellulaires et
pluricellulaires n’ait pas vraiment de sens. Comme les
conglomérat de ces bactéries,
comme les essaims d’abeilles et les fourmilières, nous ne somme
peut-être qu’un
rassemblement d’organismes unicellulaires, globules blancs et rouges,
spermatozoïdes
et ovules, cellules de la peau et cellules nerveuses. Tout ceci sans
perdre de
vue qu’un groupe vaut souvent plus que la somme des
éléments qui le compose.
E : Home, lundi 26
S : Auckland Park, 25.02.2008
V : 26.05.2008
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Samedi et dimanche 24 - 25 avril, Braamfontain, Yeoville
et
Auckland Park
Je vis avec mon temps, je suis moderne,
ou je me
modernise.
Outre mon premier cell phone, c’est ici, en Afrique, que j’utilise un
four micro-ondes
pour la première fois — les doggy bags existent, ma coach
me les a fait
rencontrer, je me suis réchauffé d’excellents restes
indiens.
Samedi, à la JAG (Johannesburg
Art
Gallery), j’arrive alors
que la performance d’Ispahan a déjà démarré
par un discours de présentation
tenu par la sa collègue suédoise.
De loin, un jeune Noir, me fait un
signe complexe
mimant une
caméra vidéo, avec une manivelle pour être plus
directement explicite.
— No.
Je ne suis pas le cameraman qu’il
attend.
Plus tard, je l’aide à porter du
matériel à travers les rues
crapuleuses. Plus tard, at lunch, nous parlons un peu.
À la fin de l’après-midi,
au moment
de m’éclipser d’une
«conversation», sit-in institutionnel ou workshop
— pendant laquelle je
dessine avec un relatif bonheur l’assistance ADDENDA+<que
je ne
retrouverai plus après > —, je me glisse
vers le jeune Noir
et lui tend mon cell phone — diable ! je deviens moderne. Il
y grave
son numéro et son nom, se penche à mon oreille et me dit
quelque chose,
apparemment de l’appeler. Je suis très ému.
Plus tard, je lui envoie un SMS puis
lui
téléphone. Nous décidons
de nous retrouver le lendemain matin, au Wits Theater où les
gamins de Brother
vont se produire. Après quelques tribulations modernes, nous
nous retrouvons en
tête à tête, d’abord à une terrasse, puis
à marcher, puisque tous deux nous
aimons ça.
Rastaman habite un tincamp
au-delà d’Orange
Farm. Ponctuellement
il travaille à la JAB, au gris, pour des honoraires de
misère.
Nous allons jusque chez moi. Arriver
à
prendre son dernier
train devient incertain, il hésite, y aller ou rester, ce qui
voudrait dire
partager mon lit, ce sur quoi, j’ai, depuis peu, une hésitation.
Finalement il
va prendre un «cab» — m’apprenant dans le même
temps un nouveau mot, plus
anglais, pour taxi-bus. Nous décidons de nous retrouver le
lendemain. Et
d’aller à Yeoville.
À Yeoville où nous
allons. Puis,
revenus, nous nous apprêtons
à prendre un autre cab pou aller chez moi. Je propose de faire
d’abord quelques
pas dans Newtown. Je demande à Rastaman s’il se souvient m’avoir
entendu, hier,
sommairement dire que les femmes ne m’intéressaient plus. Il se
souvenait, il
avait discrètement répondu qu’il allait bientôt
être papa, d’où j’ai déduit
quelques conclusions.
Il dit :
— Donc tu es gay.
Il se l’était demandé.
Lui ne l’est
pas.
J’explique :
— Cela ne me dérange pas de
dormir
avec toi, mais je
vais peut-être mal dormir. J’ajoute : Si tu ne l’es pas.
Un certain flottement a suivi cette
conversation.
Dans le
mall indien de Fordsburg que nous traversons, il m’a
entraîné dans la visite
d’un magasin d’articles de luxe pour nouveaux-nés. Puis il m’a
raccompagné,
loin, chez moi. Nous avons bu un verre ensemble. Lui d’eau, il est
Rasta, moi
une bière.
À sa demande, je l’ai
présenté à mon landlord. Rastaman voulait
savoir s’il pouvait éventuellement louer après mon
départ — 3.5 mille
rands alors qu’il en touche 150 par jour de travail effectif à
la JAG. Mais m’a
impressionné son côté direct et je l’ai
apprécié. J’ai un peu envisagé que
j’avais vu tout faux dans la société sud africaine et les
rapports qui s’y sont
établis. Quand Rastaman est parti, nous nous sommes fait deux
grands shakes.
Nous nous reverrons.
J’étais un peu triste et
perplexe. Aussi
parce que je me retrouve
chaque fois, face à mes doutes et mes incertitudes. Il y aura
encore à dire.
C’est Rastaman, l’autre jour, qui m’a inculqué les rudiments de
la langue zoulou.
E : Mardi 26, Zoo Lake Bowling club
— où je dois
remonter loin
dans ma mémoire pour trouver une aussi bonne viande !
S : Alliance française, 26.02.2008
V : 26.05.2008
—————————————————————————————————
Rastaman m’explique que pour les
Rastas, il n’est
pas
certain que Hailé
sélassié soit
mort. Il a simplement disparu
dans les années 70, il se peut qu’il soit juste parti dans le
désert.
Soudain il me semble que je l’ai
personnellement croisé
une ou deux fois dans mon quartier, lors de mes dix premières
années d’existence
— ma mère n’est plus là pour le confirmer, mais ma
certitude s’affine ADDENDA+<, et ma sœur Corinne,
pourtant de trois ans ma
cadette, me l’a
ultérieurement confirmé en commentaire
spontané >. Je m’en
rappelle d’autant mieux que c’était alors un des seuls noirs de
Lausanne, et
qu’il était déjà très vieux. Rastaman en
est tout épaté.
E : Home, lundi 26
S : Auckland Park, 25.02.2008
V : 26.05.2008
—————————————————————————————————
La langue zoulou utilise l’alphabet
latin, le
prononçant
comme tel, à l’italienne — le zoulou a sans doute
été retranscrit avant
l’hégémonie anglaise, par les Allemands ou les
Hollandais —. L’alphabet
zoulou ne contient pas de « R », et que quelques
lettres sont
hautement explosives. Le « Q » se fait par
un claquement de la
langue contre le palais, le « X » par une
explosion plus
mouillée.
Le nombre se donne par un
préfixe.
« Indoda »
c’est une femme, « Amadoda » ce sont des femmes,
mais le préfixe
change, je n’ai pas encore bien compris selon quels critères,
peut-être de
genre.
Les plus part des autres langues,
sotho, tswana,
swati,
venda, songa, ndebele, xhosa sont, paraît-il, très proches.
E : Home, lundi 25
S : Alliance française, 26.02.2008
V : 26.05.2008
—————————————————————————————————
Décidément les relations
sont ici
plus spontanées, simples
et relaxes. Hier soir, peu après 20 heures, l’ex-future-ex de
mon landlord, qui
en avait probablement un instant assez de se quereller avec mon landlord, débarque chez moi. J’avais
terminé mon repas,
mais j’ai sorti de vieux fromages qu’elle a vaguement grignotés.
Assez rapidement,
mon landlord nous a rejoints, s’est
assis à côté de son l’ex-future-ex,
a vanté les différentes parties du
pays, et parti chercher un livre sur les poissons de la côte Est,
et, au
passage, une bière de plus. Nous avons aussi parlé des
cris d’oiseaux et des
leurs, d’alcool et de dope. Dimanche en huit, mon landlord m’emmènera
voir les Femmes
en
blanc, des Zionist — ZCC, église traditionnelo-africo-chrétienne —,
ainsi que
l’origine de l’humanité et toutes sortes de viandes
grillées à déguster.
Il se peut que la
ségrégation ait
été, unilatéralement,
inventée pour externaliser nos
barrières raciales.
Alors que j’imaginais que cela allait poser toutes sortes de
problèmes que Rastaman, rasta des
tincamps,
occupe mon logement pendant mon absence mozambicaine,
cela s’est réglé en trois coups de cuillère
à peau, entre moi et ma coach
d’abord, puis entre elle et mon landlord,
comme
avait été aisée leur rencontre lundi. Je projette
sans doute ici la complexité
guindée des relations camuso-chrétiennes
euro-occidentales qui sont miennes, ainsi que mes propres à
priori et émois
ethniques, ciel !
E : Home, mardi
27.02.08
S : Auckland Park, 28.02.2008
V : 26.05.2008
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Mercredi 27
Ce matin le brouillard grignote le
sommet des
immeubles qui,
curieusement, quand ils sont d’habitation, semblent, malgré leur
hauteur,
n’avoir qu’une ou deux pièces de largeur.
D’abord il bruinait par intermittence,
puis un
très violent
orage s’est abattu, tout le monde allant s’abriter sous les tentes
sommaires
des marchands ou aux entrées des établissements, moi
aussi — seul blanc du
jour dans l’oeil de la ville basse ! Le patron du fast food
où je me
trouve présentement coincé, avec un certain sens du
compromis puisqu’il devient
plus sévère quand la pluie s’amenuise, prie
inlassablement de ne pas stationner
dans son entrée.
E : Feuilles volantes, Joubert Park area, in vivo,
mercredi 27
S : Auckland Park, 28.02.2008
V : 26.05.2008
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Mercredi 27, Alexandra et Soweto
Êtes-vous accros
de
« Alexandra Commmunity FM
89.1», la radio du plus dense des bidonvilles, à l’est
De Jo’burg, ruelles qui s’insinuent
à angle droit
entre des baraques en tôles de trois mètres sur
trois ? Oui ? Alors,
entre un poème en anglais et un autre en zoulou
malawi
très doux, sur le coup de midi quarante, vous aurez entendu
« Si
rage noire », slamé
en français par votre serviteur, son auteur. Celui-ci encore une
fois pris dans
un guet-apens amical et imprévu, sous les auspices d’une
présentatrice aussi
volubile que dans «Fisher
King» mais bien plus
cool, qui switche du zoulou
à l’anglais avec une désinvolture saisissante mais
difficile à suivre.
Rebelote
le soir,
avec moins de
bonheur et plus de difficulté, je me retrouve à dire le
même texte, dans une slam session
à Soweto, en
parfaite simultanéité avec celle du dernier mercredi du
mois, au 2.21 de Lausanne. Cette fois,
j’abrège mon texte, mais l’ensemble
de la session est trop long. Je constate avec un certains
réconfort que les
artistes d’ici ont les mêmes travers que nous, tendance à
s’étaler, thèmes sans
doutes rabâchés. Peut-être me manque-t-il
la
subtilité de compréhension des langues ? ADDENDA+<
Plus
tard, loin — au Mozambique — je crois, un des leurs
m’expliquera, à
juste titre peut-être, qu’il me manque les clés pour
apprécier leur façon de
faire, de dire et de s’étendre. >
Sur le moment, je me demande si les
poètes
d’ici ont, eux
aussi, un vocabulaire limité à cent cinquante mots,
comme, j’ai fortement
tendance à le supputer, les poètes de chez nous. Et
apparemment les petites
querelles de chapelles et de sous ressemblent aux nôtres.
E : Feuilles volantes, Joubert Park area, in vivo,
mercredi 27
S : Auckland Park, 28.02.2008
V : 26.05.2008
—————————————————————————————————
Mercredi 27, Joubert Park Area
De retour à la JAG, Frisbee et
moi avions
faim. Mais il est
Rasta et végétarien. Cette fois, c’est moi qui lui sers
de guide dans le flot de
la population locale. Je le conduit au premier étage de
l’immeuble éthiopien,
puis au troisième où je mange le meilleur des ninjera,
coincé entre un billard
et des sacs de riz, tout au bout d’un couloir où les petites
échoppes,
magasins, Internet cafés en arabe ou en amharique, salons de
coiffure, tailleurs,
ont remplacé les cabinets médicaux d’avant 1994. Frisbee,
tout fou de se
trouver avec des Éthiopiens, se lance dans un panégyrique
extatique d’Hailé
Sélassié. Il en devient prosélyte et
véhément. Même si des nuances dans leurs
différents anglais m’échappent, je
sens que Frisbee commence à énerver les
Éthiopiens, qui eux sont, ils le lui
disent, simplement chrétiens. Je trouverais craquant de me
prendre des coups dans
une guerre de religion locale. Les Éthiopiens prennent leur
distance en se
concentrant sur leur partie de billard. Je profite pour en toucher un
mot à
Frisbee. Celui-ci trouve un précepte rasta rédempteur
pour dire qu’aucune
conviction ne mérite une guerre.
Ils sont curieux ces Rastas, qui sont
végétariens,
antialcooliques, fumeurs d’herbe, pacifiques et reconnus comme tels, et
qui se
sont, sans doute par erreur ou alors par une fantaisie de Bob Marley,
trouvé un
dictateur, je crois peu recommandable, pour s’en faire un doux messie.
À
creuser.
N.B. En saisissant devant l’ordinateur,
je viens
de
rapidement creuser. Il y a une zone de flou. Le Négus
y
apparaît comme assez raisonnable — comme les
Éthiopiens du troisième
étage.
En attendant le rendez-vous pour nous
rendre
à la slam session
de Soweto, je déambule tout l’après-midi seul dans
Joubert Park Area, sans
repérer aucun signal apparent de menace ou de danger. J’ai tout
de même pris
l’habitude de me donner des airs de passant ordinaire sans sacs
— même
sans montre au poignet, juste parce que c’est un signe distinctif
inutile. En
regardant surtout où je mets les pieds car souvent les
couvercles des bouches
d’égout font défaut — des dangers que curieusement
les guides touristiques
oublient de mentionner—, il me vient à penser que s’il n’y a pas
de Blancs à
Joubert, c’est soit parce qu’ils sont aussitôt
éliminés, soit qu’ils n’y vont
jamais. ADDENDA+<J’y suis retourné avec Lucia, au
Ningera et dans
les rues, tout aussi sans le moindre problème. >
La populeuse Joubert Park area se
poursuit dans
une succession
d’immeubles très modernes et beaux — buisness centers et city —,
au-dessous
desquels les magasins deviennent de plus en plus luxueux mais où
la population
reste exclusivement noire. ADDENDA+<Cela indique
visiblement
qu’il y a désormais une city noire, et donc des Noirs qui se
font de la thune.
Il paraît qu’ils aiment à se faire construire de
somptueuses villas au cœur de
leur Soweto natal. Du reste, c’est juste au-delà de cette city
que partent les
taxi-bus qui ramène la population laborieuse le soir vers
Soweto-township. >
E : Feuilles
volantes, Joubert Park area, in vivo, mercredi 27
S : Auckland Park, 28.02.2008
V : 26.05.2008
Jeudi 28, Johannesburg University
Ce que dit Désiré, le
professeur de
français congolais chez
qui j’ai donné ma conférence en anglais, me semble assez
juste. L’apartheid
n’est plus racial, il est économique, il s’est
déplacé. Le critère n’est plus
la race mais le porte-monnaie, l’Afrique du Sud rejoignant par
là le rang des
autres nations — ce qui apparemment est une amélioration.
E : Campus Square, jeudi 28
S : Auckland Park, 28.02.2008
V : 26.05.2008
Dimanche, pas loin de chez moi, en
bordure
intérieure d’un
trottoir, nous avons croisé un corps gisant dans une
étrange contorsion
immobile et silencieuse. Le corps a ouvert les yeux et bougé
à notre passage,
nous étions soulagés. De l’avis de Rastaman, il
s’agissait d’un snifeur de
colle. Une envie de plus qui disparaît, je ne snifferai pas de
colle.
ADDENDA+<Ici, à
Lausanne, on
vient de me
raconter un épisode sud-africain dans la droite ligne de la
recommandation que
l’on m’a faite plus d’une fois là-bas. Si tu vois un cadavre,
voire, pire, un
blessé, surtout ne t’arrête pas et fonce ! Ce genre
de préceptes est dans
la lignée des incessants rapprochements que ma petite tête
a faits avec les
USA, plus précisément, puisque je n’y suis jamais
allé, avec le Far West, un
Far West d’Épinal. Heureusement le problème d’un corps
mort ne s’est jamais
posé pour moi. >
E : Campus Square, jeudi 28
S : Auckland Park, 29.02.2008
V : 26.05.2008
Province du Mpumalanga, samedi 1 mars
Si quelqu’un te demande :
— Quelle est heure est-il ?
Si tu réponds :
— Il est déjà cinq
heures.
Si ce quelqu’un s’exclame alors :
— Non ! Sois positif, bon
Dieu !
Cela devient difficile. Voilà
pourquoi ce
week-end est, pour
le moment, difficile.
C’est curieux, l’année
passée lors
de ma croisière en
Croatie, un des coéquipiers exigeait déjà de moi
des réponses formatées aussi
bien formellement qu’au niveau du contenu, des réponses telles
qu’il désirait
les entendre — à moins que ce soit moi qui présente
un problème
particulier, mais alors, il s’annonce tout nouveau ! Cela explique
pourquoi,
ce matin, avec mon guide, je me suis le plus souvent contenté de
répondre par
oui, non, ou « okay », « its
okay », « I am
okay ». J’ai toute même protesté une fois, pour
une histoire d’eau.
Et, à midi, quand Myglove m’a
demandé si j’étais content de
ma journée – il n’était que midi — j’ai répondu,
en anglais :
— Quite.
Cela signifie à peu près.
À
peu près content. Je me suis ensuite
expliqué, calmement, sans m’échauffer, avec un tact et
une délicatesse qui me
surprennent encore. J’ai expliqué qu’il s’agissait avant tout
d’un problème de
communication entre deux émetteurs récepteurs
différents. Je ne suis pas sûr
que cela ait arrangé grand chose, mais je me sens moins
oppressé.
Pour une fois, l’Histoire, avec un
grand “H” a de
la suite
dans les idées. Mon guide étant visiblement
fatiguée, j’ai insisté pour prendre
le volant, malgré mon appréhension pour la conduite en
général et à gauche en
particulier. J’ai fais cinq cents mètres, voulu repasser de
troisième en
deuxième, mais rien n’a répondu, plus de boîte de
vitesses. Depuis, nous
attendons la dépanneuse. Elle devrait mettre — elle
mettra — trois heures
pour arriver.
Pour ne pas rester au bord de la route,
je me suis
installé
un peu au-dessus, à vue d’oeil et portée de portable, sur
une souche dans une
forêt brûlée qui domine le paysage, à plus de
2153 mètres certifiés récemment
pas un écriteau. Une région si ravissante que, mis
à part, au bord des routes,
des cosmos mauves et sauvages à la place des coquelicots, elle
ressemble à
l’Auvergne, faisant la joie des Johannesbourgeois mais me pompant un
peu. Sur
ma souche, je chante. Je suis avant tout un homme de crise ! Je
reste un
mauvais touriste : rouler pour s’arrêter aux points de vue
signalés comme
magnifiques par des panneaux indicateurs — arborant le brun
international
et normalisé —, et précédés du
grouillement des étals à souvenirs, je ne
suis pas passionné. Ce tourisme réveille en moi des
terreurs conjugales et
primitives ! Heureusement, je sais qu’avec mes filles les choses
se
passent différemment, peut-être question de symbiose, ou,
mieux, de
prolongation positive et ramifiée de mon Moi ? Je
réfléchis néanmoins à
comment démarrer au mieux le périple touristique que je
vais entreprendre avec
ma fille Lucia.
E : En live sur place, dans l’auto en panne,
sur le laptop de ma guide après notes manuscrites sur ma souche,
au-dessus de Pilgrims’rest, samedi 1 mars
S : 4.03.08
V : 27.05.08
—————————————————————————————————
Dullstroom, samedi 1 mars
Enfin nous voilà rendus à
Dullstroom, sur le coup des 21 heures.
Au bilan, Myglove m’a donné raison : de toute
expérience il y a quelque
chose à tirer. Pour elle, ce soir, c’est la
réconciliation avec l’humanité dans
la solidarité redécouverte. Celle de quatre happy
fellows, quadragénaires, qui sont
repassés sur la route, trois heures après un premier
contact avec Myglove et
qui nous ont tractés jusqu’à un campement de luxe –
à cause des dangers de la
nuit ! Cinq minutes après, le camion de dépannage
nous a rejoints et
entraînés dans une lente anti-course poursuite dans la
nuit, sur des routes de
montagnes similaires à celles de nos plus petits cols alpins.
Le slogan des fournisseurs
d’accès
téléphonique devrait toujours
être : Cell phone d’abord, pense ensuite ! Les
mécaniciens nous
cherchaient aussi.
Quand, enfin, nous nous sommes
trouvés, ils
nous ont reconduis
à notre chez-nous du week-end, sur 80 kilomètres.
Téléphone d’abord, pense
ensuite ! Lors du bilan du
soir, face au moulin de la pensée positive de Myglove, ma
pensée négative a
joué le bief ou l’écluse. Dans la nuit, à 140
kilomètres heures, le jeune
chauffeur conduisait exclusivement d’une main. On aurait pu le croire
manchot
s’il n’avait passé son temps à
téléphoner — même pour se faire communiquer
les données d’une carte que je possédais pourtant et que
je lui avais poliment
proposé de consulter —, téléphoner en
s’éblouissant dans l’éclat d’un
écran aux soixante-quatre milles couleurs et à menus
défilants. Et de l’avis de
Myglove, alors qu’ils nous attendaient dans la nuit à la
jonction des deux
routes, ils avaient bu. Elle dit avoir senti l’odeur d’alcool, alors
que, moi,
je n’ai relevé qu’une virile et bonne odeur de transpiration. Le
gars
conduisait bien, il était drôle et sympathique. Ils
avaient encore deux heures
de route pour retourner à leur point de départ, nous
saurons demain s’ils y
sont arrivés — oui, ils y sont arrivés. Je me suis
retenu de lui dire que
je craignais que Dieu ne lui prête vie assez longtemps pour
atteindre cette
Australie où il désire s’installer. Dans sa conversation
avec Myglove, il
switchait constamment entre l’anglais et l’afrikaans — j’imagine
qu’après
quelques semaines d’immersion je serais arrivé à saisir
cet idiome, il est
apparemment plus proche de l’allemand que ne l’est le hollandais.
ADDENDA+<Ces
péripéties m’ont alors inspiré un
aphorisme, même si les aphorismes restent peut-être chiures
de l’esprit, je le
livre comme synthèse des récents
événements :
L’intelligence
de
l’homme s’est
concentrée dans les téléphones portables. Pour
disparaître partout
ailleurs. >
E : Dullstroom, dimanche 2 mars,
S : Alliance française, 5.03.08
V : 27.05.08
—————————————————————————————————
Je n’arrive à suivre les
conversations en
anglais qui ne me
sont pas directement adressées que si je les intercepte
dès leur origine, que
je me concentre un max, et que les autres n’alternent pas sans cesse
avec
d’autres langues. Ceci fait que, par moments, en société,
je me sens un peu
isolé et abandonné, ce qui est peut-être
constructif, mais réveille le souvenir
d’un petit garçon exclu que j’ai éventuellement connu.
E : Dullstroom, dimanche 2 mars,
S : Alliance française, 5.03.08
V : 27.05.08
—————————————————————————————————
Dullstroom, dimanche 2 mars.
Lors de la première guerre des
Boers je
crois, il y a une
scène mythique que j’ai revécu à travers un film
muet de propagande boer (c.f.
rubrique : Pleurs
et
colères). La scène,
c’est le rempart des chariots pour protéger le bétail et
les femmes, et être à
l’abri pour tirer sur les assaillants indigènes et leurs
dérisoires sagaies,
une bataille fameuse et victorieuse. Je crois que le carré des
chariots n’était
formé que sur trois cotés, le quatrième
étant protégé par un défilé, ou
laissé
ouvert pour recevoir des renforts, allez savoir, je n’y étais
pas, ni ne suis
historien ! Désiré m’a fait remarquer que
l’Université de Johannesburg,
construite en 1975 par les Afrikaners, beau bâtiment au
demeurant, reproduit le
plan du carré mythique. Et des livres évoquent à
l’envi l’obsession afrikaans
de l’enfermement. Clôturage des immenses propriétés
agricoles d’alors, des
moindres attractions touristiques de maintenant, ainsi que de tous les
parcs et
réserves, de chaque propriété privée,
voitures incluses – on roule portières et
fenêtres bouclées. Il y a sans aucun doute des raisons
objectives. Mais sans
doute aussi, une obsession magique, propre à l’identité
nationale du lieu. Moi,
je suis rasséréné, je peux maintenir mon objet
phobique traditionnel au pinacle
de tous les dangers : l’automobile. Je dois y inclure, outré,
les taxis-bus. Et
les bus de lignes puisque j’en ai vu un qu’on retirait du ravin.
E : Dullstroom, dimanche 2 mars,
S : Alliance française, 5.03.08
V : 27.05.08
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Une
petite ville perdue de l’est profond
Dullstroom, lundi 3 mars.
Dullstroom est une petite ville perdue
parmi
d’autres.
C’est, je suppose, ce qu’il convient d’appeler l’est profond, en
bordure de
route, une route blanche, une succession de restaurants, pubs et
café, en
général plus cosy les uns que les autres, avec de
curieuses et kitsch
arrière-boutiques où l’on vend, par exemple,
exclusivement des bonbonneries, ou
des jouets d’enfants, des livres ou des fées en plastique.
Certains de ces
cottages ont du charme, l’accueil y a l’air agréable, les prix
sont facilement
prohibitifs par rapport à Jo’burg. Le dimanche comme hier, il a
plein
d’agitation et de trafic, mais à 9 heures du soir, tout est
désert et éteint,
sauf un pub-hôtel le long d’un des chemins perpendiculaires,
juste après
l’office postal — édifié en 1925. Tout près de
notre cottage, il y a aussi un
centre pour épileptiques, bien annoncé au bord de la
route principale par un
panneau arborant une devise encourageant à parler
d’épilepsie. Il y a aussi un
marché itinérant et indigène, curieusement
situé ici, que je découvre lundi sur
le tard. En outre il y a une voie ferrée, longée par une
de ces lignes
électriques comme je les aime, à l’américaine,
mais les rares trains qui la
parcourent ne transportent que du minerai, pas des gens. Assez loin,
au-delà de
la gare perdue, il y a le township, le township de Dullstroom, un petit
patelin
perdu le long d’une route perdue. Les tinhauses ont été
remplacées par des
maisons RDP (Reconstruction and Development Program). Dès 94,
Mandela a lancé
un programme de constructions sociales, des maisonnettes standard dont
le toit
seul reste en tôle ; ceci dans une vision down – top de
l’accroissement du
bien-être. L’actuel successeur de Mandela, Thabo Mbeki, est
revenu à un concept
plus classique, top – down, du genre : ce qui est bon pour le lobby
minier le
deviendra forcément pour tous les Sud-Africains ; le programme
RDP a donc été
abandonné (vers 2001).
Tout ça, c’est Myglove qui me
l’a
expliqué, du temps où l’on
se parlait quelquefois. Mais cette nuit, j’ai juré. Fak
off ! Je me suis
excusé ce matin, mais la glace est trop prise.
À moins de me
désolidariser, je suis
prisonnier, en
attendant le dépannage miracle.
Tout cela me rappelle des souvenirs
— conjugaux, mais
sans les bons côtés.
E : Dullstroom, lundi 3 mars,
S : Alliance française, 5.03.08
V : 27.05.08
—————————————————————————————————
Dans le mall de Joubert Park, Frisbee
abordant une
jeune
femme :
— Vous m’attendiez ?
— Non.
— C’est dommage, je l’ai cru, vous
êtes
si ravissante.
À la gardienne de la petite
réserve
naturelle de Dullstroom,
l’un d’entre nous, alors que les autres râlaient à cause
du peu de prestations
offertes pour le prix, très modique, du ticket :
— Vous devriez nous accompagner,
cela
rendrait la
balade plus plaisante.
Un autre, en repartant :
— Et votre uniforme vous va
très bien.
Le premier :
— Mais vous les femmes, vous
êtes bien
plus belles sans du
tout d’uniforme.
Plus tard celui-ci apprendra que la
jeune
gardienne a 23
ans, qu’elle ne sait si on peut appeler travail le fait de rester tout
le jour
assise dans le cagibi derrière son guichet, où, ce lundi,
elle aura eu que deux
seuls visiteurs — plus ce premier homme —, pour
échanger quelques
mots.
E : Dullstroom, lundi 3 mars,
S : Alliance française, 5.03.08
V : 27.05.08
—————————————————————————————————
Un week-end assez désastreux
comme
celui-ci, avec ses
contentions forcées, ses tensions dérisoires, et
fantastiques, agit comme un
prisme, un miroir, ou le bain d’un révélateur
désormais à l’ancienne — me
revient la lumière rouge d’un labo photo, quand je captais par
hasard, sur
Europe I, dans le noir, la retransmission d’un récital de
Brassens. Un
week-end comme celui-ci, jouant le microscope à effet tunnel, me
montre un peu
comment je vis, comme je suis, et comment je suis aussi, ordinairement,
chez
moi. Un week-end comme celui-ci met en exergue mes bizarreries, mes
étrangetés
de là-bas, la Suisse des antipodes. Il ouvre peut-être
quelques pistes. Je suis
sot, comme je fais, comme j’ai fait… Il est peut-être temps de
tourner une autre
page, d’ouvrir d’autres livres…
E : Dullstroom, le long de la voir de chemin de
fer, le 3 mars
S : Lausanne, 27.05.08
V : 27.05.08
—————————————————————————————————
Dullstroom – Melspruit - Johannesburg, mardi 4 mars
Dans la nuit entre lundi et mardi,
entre
différentes phases
de sommeil et de rêve, la femme-buffle a visité mes songes
— sans avoir besoin
d’adopter la transformation eucharistique du film auquel ma
pensée se réfère.
Une visite qui ne relève pas des touffeurs moites des Afrique
équatoriales
chères à l’imagerie romantique occidentalo-coloniale. Une
visite qui ne relève
pas de l’influence de méditations, verticales et permanentes, ou
de pacotille,
melting-pot hindou-américain. Beaucoup plus concrètement,
une visite qui relève
de réminiscences et de significations freudiennes. La
femme-buffle remonte de
mon background. Et de ce background en tout cas, au travers de la
très rude
explication que nous avons le soir, Myglove n’est pour rien.
Visiblement, cette explication, et la
visite de la
femme-buffle, ont porté leurs fruits. Mardi le dialogue est
rétabli. Drôle
d’histoire !
E : Zoo Lake, mercredi 5
S : Alliance française, 5.03.08
V : 27.05.08
—————————————————————————————————
Dullstroom, lundi 3 mars
Au-delà de la réserve de
Dullstroom
et de ses grillages acérés,
le long de la voie de chemin de fer, je voulais revoir la
rivière et ses
multiples méandres. Je voulais aussi la photographier pour
réfléchir avec
Cécile si la traversée des infinies plaines mongoles
allait vraiment en valoir
la peine.
Je me retrouve donc à mille
milles de toute
terre habitée.
Loin derrière moi, peu après avoir croisé un
interminable convoi de minerai,
j’aperçois un homme qui marche dans la même direction que
moi. Comme je veux
rester près de la rivière et attendre le coucher du
soleil, je me joue une
vague crainte, une rencontre genre western. Je grimpe sur le pont du
train et
m’assied sur le ballast. L’homme passe peu après, au-dessous,
sur le petit ponton
en bois à fleur d’eau. C’est un vagabond, un chemineau. Ses
habits sont en
guenille, la poussière brune lui éclaircit la peau. Fait
fort peu significatif,
il marche lentement. Nous nous saluons, il poursuit sa route. Je le
laisse
aller, j’attends. Aussi le coucher du soleil. Me reviennent ces
histoires
entendues neuf ans plus tôt, en Afrique de l’Ouest, d’hommes
atteints du sida
qui partent mourir dans la savane. Sur mon chemin du retour, je
pourrais tomber
sur un corps, celui sans vie du chemineau, ou pire, agonisant. Que
ferais-je
alors ?
E : Zoo Lake, mercredi 5
S : Alliance française, 5.03.08
V : 27.05.08
—————————————————————————————————
C’est curieux, il a un certain nombre
de gens qui
pensent
que je suis gentiment un peu fou, ce qui est probablement juste.
Certains, principalement des femmes de
plus de 50
ans, me
trouvent absolument charmant, elles ont raison.
Et beaucoup considèrent que je
suis un
être, certes un peu
instable, mais plein de fantaisie. Or, avant toute chose, je suis un
homme de
routine. Ce sont, avant tout, mes petites habitudes que je
chéris.
Heureusement, il me suffit encore de deux jours pour les établir.
E : Bowling club de Zoo Lake, mercredi 5
S : Alliance française, 5.03.08
V : 27.05.08
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Ipelegeng 5, 6 et 7 mars
On dit tinhaus ou shack, shack
signifiant
simplement cabane.
Des shacks en tôle ondulée, il y en a de
différentes catégories, de une à cinq
étoiles. Le loyer mensuel de la tinhaus de Good est de 150 rands
(25 CHF).
C’est une pièce unique, de 4 sur 2, avec une fenêtre au
coin vers la porte, un
gros frigo, une cuisinette, une télé et une chaîne
stéréo près du lit, une
chaise aussi. Il y a plu à l’intérieur mercredi soir. Les
toilettes émaillés,
collectifs, sont au milieu de la cour. Je ne sais pas où se
trouve l’eau.
Good pourrait en acheter une même
pour 2’500
R. Une
demi-maison RDP
en coûte 25’000. Un module
dans les
immeubles de l’autre côté de la voie ferrée,
50’000. Et un
appartement-villa-mitoyen dans le parc de Myglove, 360’000. Dans les
modules et
dans le parc de Myglove, on est en prison, chaque bloc étant
cerclé de grilles
ou de murailles, électrifiées ou non. Et la population de
ces prisons reste
spécialisée, sélectionnée ou
sélective, selon des critères premièrement
économiques mais qui en recouvrent d’autres.
Dans une bonne lumière du
soleil,
même les quartiers de tinhauses
à une seule étoile ont un certain charme. Surtout depuis
le pont de la route,
mais aussi vu des ruelles. Malgré l’exiguïté et la
densité, l’absence d’eau
courante et de toilettes — reléguées à ces
modernes boîtes en plastique bleu
que l’on trouve aussi en bordure de nos festivals
d’été —, les gens prennent
le temps de sécher leur lessive et de faire grimper des
volubilis sur les
grillages de fortune qui séparent les maigres parcelles.
À l’occasion d’un pot
de peinture dégoté Dieu sait où, ils
agrémentent quelques-unes de leurs tôles
de couleurs vives ou de taches éclatantes, ceci tout en
négligeant plein
d’autres choses. En hiver, avec le froid, et quelquefois le gel, cela
doit être
moins drôle et moins bucolique. Lors des fortes pluies
d’été — décembre et
janvier surtout —, tout sèche très rapidement je
crois, grâce à l’altitude
je suppose.
J’ai eu l’occasion de jeter un oeil
dans une mini
mini
tinhaus particulière, à classer hors catégorie
— même un chien n’en
voudrait pas. Pourtant, peu après, j’ai croisé son
occupant, il avait l’aspect
d’un chiffonnier parmi tant d’autres, un chiffonnier comme Good l’a eu
été.
En bordure de Kliptown, il y a un
quartier plus
ancien, avec
des maisons antérieures à l’usage répandu de la
tôle ADDENDA+<— pas
vraiment car, vérification faite, la tôle ondulée a
été brevetée en 1829 déjà,
galvanisée dès 1844 et s’est aussitôt
répandue dans le monde —> ,
dont celle, conservée comme monument inoccupé, d’une
militante de la première
heure, décédée en 1937. J’ai visité un
autre logement et discuté avec l’épouse
qui, derrière un grillage ajouré, tient une petite
échoppe, essentiellement de
téléphonie via un mini-réseau connecté
à un cell phone. Elle vend aussi des
patates frites — dans ce pays, appelées chips — et des
petits en-cas.
Pas loin, il y a aussi la maison-arbre.
Un
énorme arbre mort
surgit de son toit. Y habitent deux vieilles, l’une d’elles a beaucoup
de
prestance et d’hospitalité. Une des branches de l’arbre est
récemment tombée
dans son jardin. Elle tient à me la faire voir, je
découvre ainsi l’intérieur
de son habitation. L’arbre n’est pas dans la maison, celle-ci a
été construite
tout autour. Quand la femme est arrivée ici, il y a 30 ans,
l’arbre était
verdoyant. Maintenant, cela lui coûterait 400 rands (~60 CHF)
pour le faire couper
par la municipalité, mais elle ne possède pas une telle
somme.
À l’autre
extrémité de
Kliptown, découverte depuis un autre
pont, un grand troupeau de vaches à longues cornes broute
gaiement entre les
cabanes. À certaines heures, les enfants vont et viennent
à l’école, en
uniformes bleus ou verts et chemises blanches impeccables — ils
possèdent
cinq chemises blanches, ou trois, dans ce cas-là, celle du lundi
est lavée le
mardi, etc. Le long de la voie ferrée — que l’on traverse
plus volontiers
que la passerelle surélevée —, les femmes, leur
bébé dans le dos, tiennent
un petit marché.
En arrivant à Kliptown, à
pied par
la route, j’ai eu un
choc, mais un choc lent, comme quelque chose que l’on dégurgite
et qui remonte.
Précédent les premières baraques, une petite
rivière, presque tarie maintenant,
peut, en décembre et janvier, monter au-delà des
premières tinhauses. En dehors
de ces crues, ce no man’s land sert de soue dans laquelle pataugent des
cochons
noirs, et d’autres roses mais sales. Une cabane basse leur offre
mangeoire et
abri. Or c’est assez précisément le décor de la
toute fin de mon gros
manuscrit, «La Chose», une scène que j’ai
imaginée se dérouler en 1515 et que
j’ai écrit il y a deux ans, soit deux ans avant de m’en
retrouver face à face.
Au-delà de la voie
ferrée,
s’élève Freedom Square, un bâtiment
monument à la gloire des premiers regroupements politiques des
années
cinquante, fait de deux ailes séparées par une large
place publique. Une de ces
ailes abrite étonnamment le ministère du budget,
paraît-il. Et l’autre un
hôtel, un Holiday Inn, mais suspendu, original, et plutôt
beau. Sur la place
deux tours tronconiques ont été érigées.
L’une, en tôle de tinhauses,
récupérée, abrite des éviers à
disposition des maraîchers. L’autre, en brique,
— pourquoi ce choix ? —, conserve la table ronde de la
constitution
sud-africaine, ses dix premiers et idéaux articles gravés
dans le marbre.
Certains hélas, comme la réappropriation des ressources
minières et bancaires,
resteront encore longtemps lettre morte.
ADDENDA+<
Hélas, en approfondissant mes
recherches,
je découvre que le
texte en question est en fait la « Freedom
Charter » texte adopté par
le Congrès du Peuple, à Kliptown, le 26 juin 1955 (c.f. http://www.anc.org.za/ancdocs/history/charter.html).
>
À Soweto, autour de Centre
Ipelegeng
où j’ai logé, le
quartier s’appelle White City. Ceci parce que, depuis les années
cinquante,
date de la formalisation de l’apartheid, jusqu’à 1975 où
ils ont décampés, le
quartier était occupé par des soldats blancs — un des
rares avantages d’être
Noir était que tu n’avais pas droit aux obligations militaires.
Les soldats
logeaient dans des maisons de la taille d’une double RDP, mais
facilement reconnaissables
à leur toit voûté en béton bombé et
peint. Depuis 75, ces maisons ont été
divisées, en deux, trois, ou quatre parties, maintenant
occupées par les
habitants ordinaires de Soweto. Dès qu’on ne voit plus ces
curieuse bâtisses en
béton, on sait qu’on est sorti de White City.
Non pas à White City, mais
à
Kronstad, à 100 kilomètres au
sud, lors de son service, mon landlord, fusil au poing, a reçu
l’ordre de
donner l’assaut et encercler un township. Mais un des assaillants,
malin et au
courant des codes militaire, a tiré une fusé verte, qui
signifie retrait. Les
soldats se sont alors retirés, avant d’avoir commencé
quoi que ce soit.
Juste après Freedom Square,
toujours
à Kliptown mais avant
les ex-quartiers de Coloureds et d’Indiens, avant le quartier
d’Eldorado Park,
un panneau touristique brun indique un point d’entrée. Il s’agit
de tinhauses,
mais, curieusement, vides. C’est un vrai musée, même s’il
est contigu à de vraies
tinhauses qui reprennent aussitôt derrière.
Guidé par Good, je suis un
groupe de
touriste à moi tout
seul. Nous avons croisé un autre groupe, de 5 ou 6 Blancs. Tout
cela pose le
problème du zoo, et celui des zoos humains. Pendant tout mon
séjour à Soweto
j’ai laissé mon appareil de photos, le gros, dans ma chambre.
Côté zoo, il faut tout de
même
relativiser. Quand des Japonais
viennent à Lausanne, ils nous observent et nous photographient
comme étant des
être humains curieux et exotiques, sans que cela ne nous
dérange outre mesure.
Sauf qu’à ma connaissance, ils ne pénètrent pas,
tels quels, dans nos foyers.
Se repose à mon front — au Caucase pareil — le
problème des grilles
et de savoir de quel coté se trouve la prison ? Et quand
les enfants que
j’ai dessinés hier soir s’intéressent tant aux poils que
j’ai sur les bras, qui
est l’animal observé ? Par contre j’ai raconté
à Good que, un temps, un de
nos musées abritait un Noir empaillé ADDENDA+<— où
en
Suisse, je n’ai pas retrouvé, mais je suis tombé sur l’interview
délirant du conservateur du musée de
Banyoles en Espagne — >.
Au marché sous le Holiday Inn,
à
deux femmes en train de
vendre quelques légumes, une autre, une
déléguée sans doute, explique, l’objet
bien lubrifié en mains, comment utiliser le condom
féminin. Le modèle masculin,
mon guide en utilise toujours, il ne tient pas à mourir jeune.
On peut s’en
procurer gratuitement dans les centres médicaux. Apparemment,
les personnes
séropositives sont tout d’abord soignées selon la
méthode — mondialement
contestée mais préconisée en son temps par Thabo
Mbeki, l’actuel
président — de vie saine, vitamines, et nourritures
traditionnelles. Une
fois le sida déclaré, on peut accéder aux
trithérapies, qui coûtent autour de
900 R par mois — environ dix fois moins que le prix suisse —
mais la
gratuité des soins est garantie par la constitution, et
l’état sud-africain
fait produire des médicaments génériques.
Rastaman, qui n’était jamais
venu à
Alexandra auparavant et
qui habite un tincamp plus loin qu’Orange Farm, est d’accord avec moi.
À
l’opposé de Soweto, au nord-est de Jo’burg, Alexandra est un
tincamp hors toute
catégorie, avec une densité de shacks et de population
inégalée. Et encerclé de
chiottes en plastique, bleue au milieu d’ordures
éventrées. Ce qui ne l’empêche
pas d’avoir un certain charme, celui de la vie vivante, encore et
toujours.
ADDENDA+<C’est
apparemment ici
qu’à partir du
11 mai ont commencé les émeutes xénophobes dont
les
médias se font actuellement
l’écho >
E : Ipelegeng, vendredi 7 mars
S : Alliance française, 10.03.08
V : 23.06.08
—————————————————————————————————
7 mars
Un centre administratif et culturel
implanté au coeur d’un important
township. Un écrivain d’âge moyen, assis sur le muret qui
sépare le péristyle
de la grande cour intérieur, prend des notes dans un calepin
genre
Claire-Fontaine fuchsia. Une jeune femme s’installe contre la colonne
vis-à-vis
de la sienne. Elle est habillée à la façon
branchée des Africains, une mode
noire assez internationale, mais ici très soignée et
portée avec classe, des
pantalons de training blancs, qui pourraient avoir été
conçus par une maison de
haute couture, un t-shirt jaune dans un stretch impeccable, et un
survêtement
dans la même ligne. Elle est très bien coiffée,
avec des lunettes noires
portées en diadème et d’immenses créoles en
argent. Elle a l’air impatiente,
elle soupire plusieurs fois.
L’écrivain, un timide pourtant,
pourtant
sous le charme, compatissant,
lui demande dans son anglais hésitant si quelque chose ne va pas.
Elle regarde sa montre et dit :
— J’attends, j’ai rendez-vous, il y a
une
réunion pour préparer
le congrès de l’A.N.C.
Parce qu’embarrassé sur comment
poursuivre,
l’écrivain timide
se replonge dans ses notes.
Peu à peu arrivent les
délégués, des hommes et des femmes
importants, la plupart en complets cravates et tailleurs.
La jeune femme s’approche de l’un de
ceux qui se
dirigent
vers la salle de réunion, qui avait jusque-là
soigneusement évité de regarder
dans sa direction.
Il ne se montre guère
hospitalier :
— Ah, tu es là ! Mais
qu’est-ce que tu
fais ici ?
— C’est toi…
Il semble se souvenir :
— C’est vrai, mais…C’est une
réunion
importante.
Ils passent ensemble la porte, il
désigne
quelques chaises
contre le mur :
— Assieds-toi là. Il
hésite : Si tu
veux, tu peux
m’attendre !
La réunion dure, elle est
animée, il
s’agit de bien préparer
la rencontre du lendemain. Les langues qui claquent sur certaines
consonnes
locales font un joli bruit de pluie sur un toit de tôle.
Enfin, le délégué
sort en
poursuivant une discussion animée
avec un groupe de collègues avec qui il se dirige vers la salle
à manger. Un
vaste buffet, que des femmes moins distinguées ont
installé pendant la réunion,
les attend.
La jeune femme le rattrape sur le pas
de la porte.
L’homme est ennuyé :
— Ah, tu es restée… Il
hésite : Si
tu veux, tu peux manger.
Bien sûr, tu peux manger.
Il se dépêche de rejoindre
les autres
dans la queue.
Une fois qu’elle a rempli son assiette,
la jeune
femme vient
vers leur table, mais toutes les places sont prises. Son ami
délégué ne fait
rien pour lui en aménager une, ni pour l’inviter à se
joindre à eux.
Plus tard, le voisin du
délégué, un des représentants du Kwazulu
Natal, s’absente un moment.
Quand il revient, il heurte
discrètement le
coude du délégué
:
— Dis donc, tu laisses ta poule toute
seule ?
Elle est
rudement bien ! Elle me fait de la peine. Je lui ai demandé
si ça allait,
ça n’a pas l’air d’aller.
Le délégué amorce
une mimique
signifiant que c’est sa faute
à elle :
— Elle prend tout tellement au pied de
la lettre.
Si tu la
veux…
Le représentant du Kwazulu Natal
hausse les
épaules et montre
une femme de leur âge au bout de la table, laissant entendre par
là qu’il n’est
pas libre, mais c’est peut-être une fausse excuse car il semble
avoir de la
tendresse pour l’autre déléguée.
Dehors, la jeune femme fume des
cigarettes. De
temps en
temps, elle jette un oeil sur l’écrivain, celui au calepin genre
Claire-Fontaine fuchsia de tout à l’heure. Il est en train de
manger avec
d’autres Européens des plats macrobiotiques laborieusement
préparés jusque-là
par le directeur d’une troupe de danse belge.
Il est rare que les regards de ces deux
se
croisent. Il ne
se passera rien entre eux. Pourtant, bien que de plus en plus maussade,
un peu
relâchée, la jeune femme reste belle et
élégante.
Enfin, les différents membres du
comité s’en vont. Le délégué
laisse prendre un peu d’avance à ceux en compagnie de qui il se
trouve.
Il s’approche de la jeune femme, avec
un ton
expressément
sévère :
— Ah, tu es encore là. Il
aménage un
silence : Attends-moi,
je reviens !
Il rejoint ses amis. Des
portières se
referment, des
voitures démarrent. La jeune femme suit tous ces mouvements de
loin. Elle se
détend quand elle distingue la silhouette du
délégué se détachant devant le
lampadaire, il est en train de téléphoner sur son
portable.
Ensuite il la rejoint :
— Viens ! Il soupire à
cause de la
dépense : J’ai
dû appeler un taxi.
Il part devant, elle le suit.
Ils se réconcilieront. Au moins
le temps
d’une nuit.
Certaines femmes sont souvent contraintes à se montrer
magnanimes.
E : Lausanne le 1 juin
S : 2.06.08
V : 02.06.08
—————————————————————————————————
Deux véhicules sur trois sont
des
taxis-bus. En général, des
minibus Toyota très délabrés qui peuvent
accueillir de 13 à 15 passagers,
jamais debout, jamais plus. Il arrive qu’ils soient neufs, luxueux et
équipés
de ceintures de sécurité à l’avant. Leur
destination n’est jamais indiquée. Si,
depuis le trottoir, on lève un index vers le ciel, cela signifie
qu’on désire
rejoindre le centre ville, de Jo’burg s’entend, plus ou moins. Deux
doigts signifie
local. Deux doigts horizontaux signifient sortir de ville — ou
tout autre
chose, on peut toujours arrêter le bus et essayer de demander.
Aux points
d’embarquement fréquentés, il y a un type qui aiguille
les gens. Il est, je
crois, de temps à autres rémunéré par les
chauffeurs.
L’aiguilleur de cet après-midi
n’était pas content parce que
j’ai demandé confirmation aux passagers quand à la
destination du taxi-bus. Les
passagers du fond m’ont fait comprendre que je devais venir occuper la
dernière
place vacante de leur banquette. Heureusement, j’avais aussi le plus
petit
postérieur, ici les femmes prennent rapidement du poids. Le
taxi-bus est le
meilleur endroit pour se fondre dans la vie, mène si les
amortisseurs nous
rappellent quelquefois à des réalités plus
triviales.
La rumeur locale veut que si les
chauffeurs, qui
ne sont pas
propriétaires de leur véhicule, empiètent sur le
territoire des autres, les
autres chauffeurs sont chargés de leur tirer dessus, même
s’ils conduisent,
tant pis pour les passagers à bord. Mais, pour l’instant, je
n’ai rien vu ni
entendu de semblable. La municipalité a fait construire quelques
grandes
station couvertes, en ville pour la périphérie, à
la périphérie pour l’au-delà
— celle du Sud s’appelle North ADDENDA+<Information
inexacte, je
me suis embrouillé les pinceaux, et plus tard ceux de Lucia, ce
qui nous a
permis de comprendre que North, en fait Noord, désigne en
réalité la
nouvelle gare
générale de Johannesburg, celles des bus aussi bien que
celle des tains — c’est
du reste de là que, sans le réaliser, je m’embarquerai
bientôt pour le
Mozambique. En fait la gare s’appelle Park Station, mais comme elle se
trouve à
la Noord road, tous les gens qui utilise le terminal des taxis-bus
desservant
les autres villes préfèrent lui donner le nom
générique de la rue. Et Noord
veut certainement dire du nord, septentrional en afrikaans comme en
hollandais
et en flamand. >
Aller de chez-moi au centre ville est
plutôt
aisé. De la
ville à chez moi l’est moins. En local, cela coûte
relativement cher, au moins
4R (56 cts). Jusqu’en ville, 6R, de la ville jusqu’à
passablement plus loin,
seulement 7R, tout le monde sait ça. Et si tu ne sais pas, tu
demandes à ton
voisin. Tu passes ton argent, ou tu reçois celui de
derrière que tu passes plus
loin, en précisant pour combien de personnes c’est. La monnaie
revient, chacun
la redistribue. Et cela fonctionne bien !
Mon landlord, avec qui j’ai fait ce
dimanche 150
kilomètres
en moto dans le veld, n’a jamais pris le taxi-bus. Mais nous sommes
tous deux
d’accord que je fais ici plein de trucs que je ne fais pas chez moi
— où
les vaches sont tout aussi bien gardées, et les groupes
socioculturels sans
doute aussi. Mon landlord relève aussi, à juste titre,
qu’en peu de temps, je
fais beaucoup plus de rencontres que lors de la vie ordinaire
— peut-être
moins profondes ou établie qu’elles ne l’étaient en 99,
lors de mon mois à
Gorom-Gorom.
E : vendredi 8 mars
S : Alliance française, 10.03.08
V : 27.05.08
—————————————————————————————————
lundi 10 mars
Je suis en train de lire «En un
étrange pays» (1991) de Schoeman,
écrivain sud-africain marchant dans les
traces de Thomas Mann et de sa Montagne Magique. Ici aussi le
héros est
tuberculeux. La seule chose qui maintient ma curiosité en
éveil, bercé par le
rythme suave des phrases ondulant comme dans les arias de madame
Sarkozy, c’est
de savoir si une fois enfin, au-delà de la page 240 où je
me trouve
actuellement, nous quitterons les ombres dorées de soleil se
couchant chaque
soir sur les vapeurs du personnage principal, et surtout si nous
sortirons de
la description méticuleuse des menus quotidiens pour qu’enfin
quelque chose se
passe ? ADDENDA+<Réponse : non, il ne
se passera jamais
rien et nous ne serons même pas certains qu’au moins il ait le
bon goût de
mourir à la fin faute d’avoir fait quoi que ce soit d’autre.
Tout de même, pour
autant que les romanciers soient fiables — mais le sont-ils ?
je n’en
connais qu’un d’assez près —, il semblerait que, aux
alentours de 1860,
les riches notables s’en revenant d’Europe à Bloemfontein, alors
qu’ils mettaient
6 semaines en diligence depuis Cap Town, se faisaient livrer en char
à bœufs du
champagne en quantité suffisante pour en offrir six bouteilles
à un tubard
convalescent venu en cure pour la qualité de l’air soudain
concurrente de celle
de nos Alpes suisses ! >
Il m’arrive de temps à autres de
me
demander comment j’ose
écrire ce que j’écris dans certains de mes récents
manuscrits — écrire de
telles futilités ! — mais je vois que j’ai des
maîtres, reconnus, à la
cheville desquels je ne suis pas digne d’arriver !
E : Bowling club, lundi 10 mars
S : Alliance française, 10.03.08
V : 27.05.08
—————————————————————————————————
lundi 10 mars
Je viens de manger, pas mal du tout,
pour 5 francs
10, pourboire
compris, vin, eau avec glaçons, fish and chips. Ceci alors que
dans les pays où
la restauration est bon marché, ce qui est le cas ici, les fast
foods sont
chers, et pas meilleurs qu’ailleurs.
E : Bowling club, lundi 10 mars, 13 heures 30
S : Alliance française, 10.03.08
V : 27.05.08
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lundi 10 mars
Je suis arrivé au terme des 96
pages de mon
premier calepin,
un « Oxford » taillé « Claire
Fontaine » à ma façon.
E : S : Alliance française, 10.03.08
V : 27.05.08
—————————————————————————————————
Melville, le 10 mars
Souvenir rétrospectif. Ce
jour-là,
alors que je rentrais à
pied de l’Alliance française, dans Melville mais sur un bout de
route pas très
fréquentée, j’ai aperçu un homme sortant d’une
voiture qu’il venait de stationner.
Il avait terminé sa journée, sans doute une
journée de bureau, et s’en allait à
un rendez-vous. Il devait avoir un plan, car il a sorti un spray
déodorant et
s’en est imprégné les aisselles. Une fois, deux fois,
trois fois. Horizontalement,
verticalement et en oblique. Verticalement et horizontalement. Et en
oblique
encore, deux fois, croisées. Et un dernier petit coup pour la
route. J’ai cru
que toute la bonbonne allait y passer, cela m’a amusé.
Pourtant là-bas, je n’ai que
très
rarement été incommodé par
de odeurs, jamais dans les taxis-bus, quelques rares fois en
périphérie de
certains bidonvilles, un peu plus fréquemment à
Madagascar — ceci peut-être par
loyauté à la France des années cinquante,
où les immeubles étaient taxés par
salle de bains, dit-on.
Curieusement c’est maintenant, ici,
à
Lausanne, maintenant
que je suis rentré depuis bientôt trois semaines, que je
me sent agressé par
des odeurs que je trouve envahissantes. Celles, synthétiques,
des parfums,
déodorants, déodorants intimes, crèmes pour les
mains, rouges à lèvre et
beurres de cacao, gaufres, lessives et autres produits de nettoyage. Et
ceci,
dans la rue. Remontent-elles à mes papilles comme des madeleines
qui soudain me
paraîtraient soudain faisandées ?
E : Lausanne, le 16 mai
S : 22.05.08
V : 01.06.08
—————————————————————————————————
Ici, dans les grandes surfaces, on
trouve,
oh !
merveille ! de l’huile d’olive en spray ! ADDENDA+<Nous
la testerons lors de nos pique-niques, Lucia et moi. Outre qu’elle a le
goût d’huile
rance, cela ne sert qu’à en mettre tout autour, surtout s’il y a
du vent — ou
juste, paraît-il, pour graisser la poêle >
Je déteste les hadidahs,
ils
éprouvent le besoin, surtout au crépuscule, et, pire,
à l’aube, de voler en
formation de trois ou quatre tout en poussant leur horrible cri, Quand
ils sont
perchés sur les lampadaires, ils lâchent de longues
fientes filandreuses. Quand
je veux les photographier — car j’aime à photographier mes
ennemis —, ils
ne sont plus là, ou refusent de bouger, pourtant ils ont de
beaux reflets bleus
métallisés et leur long bec recourbé n’est pas
disgracieux. Il faudra que je
demande à beau-frère Aleko si les ibis grecs ont des
chants aussi
disharmonieux.
Mes amis Rasta par exemple, n’ont pas
assez
d’argent pour
s’acheter du « airtime » pour leur cell phone,
quand bien même
certains providers en vendent pour 75 centimes déjà. Pas
non plus de quoi
prendre le taxi-bus, ou alors pour rentrer. Même s’ils portent
quelquefois des
habits de marque — Good a un baladeur mp3 —, c’est
évidemment sous cette
contrainte des faits, que les Africains n’éprouvent, ou ne
manifestent, aucune
gêne à ce que le Blanc qui les accompagne paie. Même
le poète rasta, que j’ai
vu âprement négocier les tarifs des écrivains
auprès de la chercheuse
universitaire, fait ainsi.
ADDENDA+<A
l’extrême,
abruptement, Nadine
Gordimer, Prix Nobel sud-africaine, le dit fort bien dans « Un
caprice de la Nature »,
un fort beau livre
que j’ai lu sur place. Elle y parle, entre autres, des gens de son
pays :
[ce sont] ceux qui ont le choix [qui] ont une morale. >
Quoi qu’il en soit, depuis que je suis
rentré de mon périple
africain de 99, la réflexion et la sagesse aidant, je me suis
juré de ne plus
jamais m’échauder en Afrique pour ses stupides questions
d’argent qui nous
titille, nous Européens. Ceci quitte à me faire rouler au
besoin. Je m’y tiens.
C’est amusant, alors que j’écrivais ces mots à la
terrasse d’un bistrot, un
billet de 50 rands a dû tomber de ma poche, j’espère qu’il
aura fait un plus heureux
que moi.
Tout cela amène tout de
même à
se demander si on ne sert
qu’à ça ? Ou, plus exactement, moi qui pourtant me
sens souvent un peu
inutile, voilà que soudain le fait de servir à quelque
chose me dérange un peu.
Voila aussi pourquoi je tarde à appeler Rastaman — en outre,
depuis samedi, il
a ses haricots, alors tout va bien —, à suivre.
Il est probablement avéré
que,
descendant vers le Sud, certains
tuberculeux du XIXème, au lieu de se rendre dans les
Alpes suisses,
ont préféré Bloemfontein, l’ex-capitale du pays,
à 200 Km de Jo’burg. Et mon
Landlord est convaincu de la réputation de Johannesburg qui,
outre ses arbres
et sa foudre, aurait le meilleur climat du monde.
Déjà je croise des
têtes
connues à l’autre bout de la ville
et qui m’interpellent par mon nom. Jo’burg est-il un petit
village ?
Melville, c’est le Saint-Tropez de
Jo’Burg. Sans
la mer.
E : Xaï Xai, Melville, mardi 11 mars
S : Alliance française,
10.03.08
V : 27.05.08
—————————————————————————————————
mercredi 12.03.08
Aujourd’hui j’ai peut-être,
enfin,
été un tout petit peu
victime d’une tentative d’agression, voire deux. De la première,
j’en doute
encore. La seconde, Rastaman, présent, l’a
répertoriée comme telle, soit !
Mais sans fruits. Les scénarios sont chaque fois les
mêmes. Quelqu’un me
bouscule très vaguement et s’excuse poliment. Aussitôt
quelqu’un d’autre
m’aborde pour m’expliquer ce qui s’est passé, ceci dans un
anglais plutôt abscons,
avec une reconstitution très amplifiée à l’appui.
Si j’avais été délesté pour
de bon, cela aurait eu valeur de certificat. Mais je n’ai apparemment
rien
perdu. Il faut dire que depuis un certain temps déjà, je
me déplace presque nu.
Et que, quand j’y pense — ce qui n’était pas le cas aujourd’hui
— je mets mon
portefeuille dans ma poche cuissarde avant.
E : Campus square,
mercredi
12 mars
S : Home, 13.03.08
V : 27.05.08
—————————————————————————————————
mercredi 12 mars
Dans la station-garage des taxis-bus,
on
m’aiguille d’abord
sur le mauvais taxi-bus. J’en ressorts, m’enquière, traverse. Il
y a beaucoup
de bruit, de mouvement, de cohue des taxis qui se bousculent parmi.
Je crie à un quidam :
— For Melville, Auckland Park ? Je
baragouine
un nom,
une approximation de Honeydew, la destination théorique finale
du bon taxi-bus
: Honeydew ?
Sur un ton fort aimable qui sous-entend
un
«tout d’abord» —
ou l’a-t-on murmuré ? —, il m’arrête :
— Hello,
how are you?
— Oh !
Excuse me, of course ! How are you, I am fine, you too, and for
Melville ?
Dans le taxi, à mi-course,
après que
j’ai laissé descendre
une fille et que quelqu’un d’autre est monté, je me retrouve
à coté du
chauffeur, la place préposée à collecter la
monnaie. Hélas, personne ne
requière mes services !
E : Campus square, mercredi 12 mars
S : Home, 13.03.08
V : 28.05.08
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Géométrie
dans l’espace
Il faut imaginer une balle d’enfant ou
d’entraînement, en
plastique mais un modèle avec autant de trous ronds que de
matière. Peut-être
mieux, une forme à chaussures en bois, comme en avait maman,
concave, avec
aussi plein de trous pour la respiration du cuir. Ou alors se
référer à la
théorie complexe de l’univers avec ses tunnels d’espace-temps.
Ou plus
simplement un fromage bien suisse, bernois, mais fautivement
exporté sous le
nom de Gruyère. Avec tout cela, on approche de la structure de
Johannesburg. Sa
structure spatiale, où n’importe où peut surgir des
bulles inattendues, tel la
boîte à jazz dans laquelle j’ai fini la soirée
cette nuit, coincée entre de
vieilles usines, des immeubles de bureau, un supermarché, et
sertie d’oliviers
et de boutiques étranges, avec un charme peut-être
conféré par la nuit, la
musique, la mixité et la bière.
Il en va de même pour les
immeubles
modernes, architecturalement
superbes, qui côtoient la misère, les parcs, les terrains
vagues et les golfs.
E : S : Home,
13.03.08
V : 28.05.08
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Pretoria, jeudi 13
En anglais il y a deux mots pour
désigner
l’ombre. «Shadow»
pour celle que nos corps dessinent volontiers sur les murs quand il y a
du
soleil, celle que les héros de contes vendent au diable ou
perdent simplement.
Et «shade», l’ombre où l’on va déjeuner sur
l’herbe.
En Afrique du Sud, il reste quelques
zones
d’ombre. Je cite
ici certains propos qui ont suivi ma présentation à
l’Alliance française de
Pretoria, lors de conversations.
Une dame :
— Les Noirs sont vraiment trop gentils
d’absolument pas nous
montrer la haine qu’ils éprouvent à notre égard.
Face à mes doutes
exprimés que,
excepté une balle perdue
destinée à un chauffeur de taxi-bus, quiconque puisse
bien vouloir
m’assassiner, un Algérien qui en avait assez de
l’hémisphère nord, m’a demandé
si j’allais dans de tels quartiers par goût du risque ou juste
pour le fun.
Il m’a, une fois de plus, mis en garde :
— Les gens de l’A.N.C.,
ils
n’ont
qu’une seule idée, c’est de nous poignarder. Alors, si l’envie
les prend, ils
peuvent à tout moment le faire !
ADDENDA+<Le
clôturage, dont
j’ai déjà parlé,
et la haine me semblent être quelquefois les deux mamelles de
l’Afrique du Sud.
La haine entre groupes, qui a apparemment dominé la colonisation
— aussi
entre les deux entités européennes différentes,
hollandaise et anglaise —,
a même été institutionnalisée dans les
grandes heures de l’apartheid, avec les
déplacement et confinement des différents groupes
ethniques noirs dans des
quartiers séparés de Soweto, avec des débordements
qui se renouvellent depuis
le 11 mai. Avec, pourtant, cet étonnant paradoxe : les
Sud-Africains ont
réussi une révolution pacifiste en 1994, un pacifisme qui
parvient grosso modo
à se maintenir, épargnant au pays les guerres civiles qui
ont ensanglanté les
pays voisins et notre Europe modèle, même à la
toute fin du 20ème
siècle ! Il est possible que la haine affichée soit
en général plutôt un
objet fétiche, magique, un exutoire intrapsychique et
défensif efficace. >
Et les Noirs connaissent aussi d’autres
voies.
Dans les drogueries
populeuses qui entourent le magnifique Diamant, le building de cristal
de
Daigonal road, qui, à certains heures et sous certains ciels
seulement, chatoie
des milles feux des nuages galopants, j’ai aperçu plein de
bocaux de toutes
tailles, remplis de poudre aux multiples couleurs fluo. Il ne
s’agissait pas de
colorants mais, cela était clairement indiqué en zoulou
sur l’étiquette, de
potion pour accroître le pouvoir personnel d’attirer les Blancs.
J’ai posé la
question, apparemment la poudre réciproque n’existe pas. Je
constate encore une
fois que je reste bête et timoré. Plus dynamique, j’aurais
permis à certaines
charmantes personnes de se faire l'économie de cette poudre.
E : S : Home, 14
mars
V : 28.05.08
—————————————————————————————————
Pretoria, jeudi 13
Lors du dessert qui a suivi ma
présentation, j’ai dû
plusieurs fois expliquer comment fonctionnent les signes de la main
adressés
aux taxis-bus. J’ai fini par diriger les gens sur la rubrique de mon
blog.
Madame la femme d’un éminent personnage de l’Ambassade de Suisse
à Pretoria a
clairement exprimé le désir que je l’emmène faire
des tours en taxi-bus. Avec
humilité, respect et prudence, je lui ai conseillé de
plutôt s’adresser à un
Noir d’ici.
E : S : Home,
13.03.08
V : 28.05.08
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Samedi 15 mars
C’est le dernier jour, le dernier matin
de ma
résidence
d’artiste, du moins à Jo’burg. Vers 10 heures, nous allons
ramener les
casseroles prêtées pour mon logement. De superbes
« brownies » tout
chauds nous attendent, ils fument encore, nous y goûtons
volontiers. À un
moment ma coach demande s’ils ne contiennent pas par hasard de
l’alcool, mais
je ne suis pas attentivement les propos que les deux dames
échangent. J’entends
ma coach déclarer qu’elle n’en mangera plus. Elle dépose
le plateau à côté de
moi. Après un certain temps, pendant lequel la cuisinière
et moi échangeons
quelques propos décalés, un peu amers, sur notre relation
ratée, nous partons.
Soudain, sur la route, ma coach, tout
en
poursuivant son
chemin mais en me demandant de lui décrire les obstacles,
s’écrie qu’elle ne
peut décidemment plus conduire, qu’elle voit tout de travers,
tout déformé.
Elle m’apprend alors qu’il y avait de l’herbe dans les brownies. Si
elle ne
peut vraiment plus conduire, qu’elle me passe le volant ! Au lieu
de cela,
alors que sans lui déjà ça n’allait plus du tout,
elle saisit son téléphone et
appelle Rafilm, le très volubile et amusant Rafilm, pour lui
demander ce
qu’elle doit faire.
Il répond :
— Du café.
Nous débarquons chez lui. Je
suis encre
assez convaincu que
ma coach, qui jouit d’une réputation hypocondriaque assez bien
établie, se la
joue plutôt, d’autant plus que, participant au babil
délirant de l’amusant
Rafilm, elle semble aller mieux, quand soudain mon propre monde bascule
à son
tour. Géométriquement, spatialement, et spirituellement.
Dans un trip pas très
bon, où chaque nouvelle pensée semble s’ouvrir un instant
sur une difficulté
insurmontable — ne serait-ce que l’idée de retirer mon pull-over
parce que j’ai
trop chaud —, pour m’apparaître aussitôt comme le
dérisoire jeu d’enfant
que cela constitue en réalité. Et ainsi de suite. Notre
état est tel que, d’un
commun accord, nous renonçons à rejoindre le
« braï » (barbecue)
où nous sommes attendus. Après une brève sieste
dans mon lit, je retouche terre
vers 17 heures.
Dans le bus qui m’emmène le
lendemain vers
le Mozambique, je
reçois un SMS de la lucrétienne cuisinière qui,
certes, s’excuse pour le bad
trip dont elle a eu vent mais pas du piège qu’elle nous avait
tendu. La réserve
de brownies qu’elle m’avait donné pour la route, j’en ai
déjà fait cadeau à
quelqu’un d’autre, mais seulement après l’avoir dûment
averti de son contenu. ADDENDA<J’ai
appris plus tard qu’ils ont été offerts à
quelqu’un d’autre encore, qui a aussi
fait un mauvais trip ! > . Je n’ai pas
répondu au
message de Lucrèce. De toute manière, nos échanges
de textos n’ont jamais été
sur la même longueur d’onde. ADDENDA<Quelque
semaines plus tard,
je refuserai de revoir la charmante personne pour pendre une fois de
plus congé
d’elle. Voir la rubrique probable sur la pensée positive. >
E : Un café de la rue Eduardo Mondlane,
Maputo), lundi
17 mars
S : Lausanne, 3-5.05.08
V : 28.05.08
—————————————————————————————————
Tips
Dimanche 16 mars
Ma coach me dépose de bonne
heure à
la gare des bus afin que
je me retrouve en tête de queue et puisse ainsi me choisir une
bonne place.
Mais voilà que la femme qui contrôle nos billets met mon
passeport de côté. Je
n’ai pas de visa, le bus ne sera pas d’accord de m’attendre à la
douane. Elle
ajoute que je peux patienter et voir ce que dira le chauffeur.
Bien que dans la même situation,
deux
Indiens musulmans du
Zimbabwe semblent ne pas s’en faire. Le conducteur du bus arrive, je
lui répète
mes arguments. Aussi bien les guides imprimés que mes
répondants à l’ambassade
de Suisse de Maputo affirment que l’on peut très bien prendre
son visa à la
frontière, en outre au guichet de la compagnie de transport pour
laquelle il
travaille et que nous avons retenue pour sa réputation on ne
nous a avertis de
rien.
Les deux Indiens musulmans du Zimbabwe,
eux ne
disent rien
et attendent patiemment. Le chauffeur se tourne vers eux, leur parle de
l’attente à la douane et leur demande s’ils ont un plan. Bien
sûr qu’ils ont un
plan ! Ils me mettent au parfum en quelques mots et gestes presque
codés.
J’abonde aussitôt. Moi aussi, évidemment, j’ai un plan. Le
chauffeur nous
demande une seconde fois confirmation puis nous fait savoir que c’est
bon. Le
plan consiste en un pourboire que nous glisserons discrètement
aux douaniers.
En réponse à ma question naïve de savoir quel est
l’intérêt du chauffeur
là-dedans, les deux Indiens musulmans du Zimbabwe dessinent dans
l’air le
gâteau que le chauffeur et les douaniers se partageront par la
suite.
Fort gentiment, le plus jeune des deux
m’explique
que dans
les situations telles que celle d’aujourd’hui, mieux vaut commencer par
se
taire. J’en ai eu vaguement conscience alors que je m’étais
lancé dans mes
explications. Je reconnais avoir commis une erreur.
Le jeune Indien musulman du Zimbabwe
sourit :
— Non non, il s’agit là de
l’apprentissage
que chacun de
nous doit faire.
La chance fait que, dernier servi, j’ai
pourtant
une des meilleures
place du bus. Mais, suite à ma mémorable
expédition dans le Mpumalanga, c’est
la troisième fois que je parcours l’autoroute pour Nelspruit, le
temps est
exécrable, l’intérêt faiblit.
À la frontière, tout le
monde doit
descendre du bus et
courir les 500 mètres qui séparent les deux douanes.
Entre nous trois, la
solidarité est tout d’abord très relative. Je
m’enquière de savoir où et quand
nous allons donner notre bakchich.
— Pas maintenant, pas maintenant.
L’assistante de conducteur vient nous
annoncer
qu’ils vont
partir sans nous. Mon passeport est le premier prêt. Les deux
Indiens musulmans
du Zimbabwe me demandent de les attendre, je veux bien mais à
l’extérieur, d’où
je pourrais surveiller le bus. Comme les douaniers viennent de
décider de
contrôler tous les bagages, le bus a encore pour une bonne
demi-heure avant de
partir.
Alors que nous regagnons nos places
à
l’intérieur du véhicule,
les deux Indiens musulmans du Zimbabwe me font remarquer que nous
n’avons versé
aucun pourboire. Eux sont tout contents. Moi, à cause de ma
petite caboche de
protestant suisse, je me sens un peu coupable. Je n’ai pas tenu les
engagements
que j’avais pris avec les voleurs.
E : Maputo, hall de l’hôtel, lundi 17 mars
S : Lausanne, 6.05.08
V : 28.05.08
Jeudi 20 mars
Kindzu — ignorant son prénom je
lui en ai
tout de suite
forgé un, il signifie Petit palmier, c’est le héros d’un
livre d’un écrivain
mozambicain, Mia
Couto — a 17 ans, deux
de plus ou
deux de moins. Au moment où je l’ai découvert, il se
glissait dans l’eau, une
bassine en plastique chargée sur la tête. Je n’avais pas
vu arriver sa barque
parmi toutes celles qui s’en revenaient maintenant que la marée
était haute.
Ils avaient dû partir peu après la
précédente marée, celle de 4 heures du
matin, à moins qu’ils n’aient eu à attendre le vent.
Ici, absolument toutes les barques —
des sortes de
felouques
assez lourdes —, en bois, de différentes tailles et couleurs,
sont dépourvues
de moteur. En outre, elles n’ont ni quille ni dérive.
D’après un marin et ses
explications — obtenues grâce à des dessins dans le sable,
qui pallient à la
pauvreté de mon parler portugais — le seul gouvernail suffit
à maintenir leur
route. Je ne crois pas qu’ils utilisent leurs immenses rames pendant la
navigation. La voile latine est faite de sacs de riz cousus bout
à bout. Comme
la plupart de ces sacs sont actuellement en plastique tressé,
elle est
désormais en tissu synthétique moderne, quelquefois
coloré. Elle se fixe à une
longue vergue faite d’un unique bambou dont chaque segment est peint
d’une
couleur différente. Assez rapidement cette vergue conserve
durablement l’arc
que le vent lui a imprimé.
Ce matin, lors de mon traversée
de la plage ADDENDA<— d’une
fraction de plage seulement, puisque je devais découvrir plus
tard que celle-ci
s’étend au moins de Durban jusqu’au nord du Mozambique, soit
plus près de 3000
kilomètres — > , toutes les barques
étaient loin, cachées à
l’horizon par les bancs de sable et les mirages de chaleur qui
reliaient la
terre fermes aux îles proches, décor parsemé de
taches bariolées, des gens,
hommes et femmes, habillés, dans l’eau jusqu’à la taille,
pêchant ou récoltant
certains fruits de mer aux mœurs inconnues de moi. Deux hommes
traînaient
derrière eux un filet. Dix autres en halaient un bien plus grand
vers la côte.
Dans le sable, des milliers de petits crabes sautaient dans leur trou,
ceci à
mon approche ou à l’arrivée des premières vagues
de la marée montante. Dans ce
midi magnifiquement blanc, en attendant le retour des barques que nous
avions
déjà vue la veille, dans un des estaminets du hameau qui
borde la route et qui
est curieusement constitué exclusivement de petits restaurants
ouverts, d’étals
et de cuisines, aidé d’un prototype que j’avais ramassé
sur la plages, je me
suis commandé des coquillages, accompagnés de patates, de
pain et d’une bière,
le tout délicieux pour 100 meticai (~4.20 CHF, voir Monnaies,
change et prix).
Peu à peu, à partir de 14
heures
d’heure légale, mais dans
une lumière bien plus tardive, les barques sont rentrées.
Parmi elles, celle de
Kindzu.
Kindzu sort maintenant de l’eau. Il est
torse nu,
en
pantalon léger, déboutonné à la ceinture.
Il vient déposer sa bassine pleine de
grosses crevettes grises vers d’autres récipients. Par petits
groupes, sur une
plage déjà abritée par l’ombre des arbres, des
gens trient, séparent,
présentent, et quelquefois vendent leur
contenu. Kindzu ne s’arrête qu’un
instant, échange quelques mots avec ses compagnons et repart,
parfaitement
inconscient — je le suppose et il a raison — qu’il est un des
être le plus beau
du monde. Son corps est musclé, mais sans exagération,
ses fesses sont nouées à
ses hanches. Il a des yeux doux et intelligents. C’est idiot à
dire mais c’est
vrai, ce sont d’authentiques yeux de biche.
Attention ! faire des
parallèles est
souvent hâtif et
dangereux, je m’y risque pourtant. Le plumage des oiseaux mâles
est généralement
plus beau que celui des femelles. Il en va ainsi des Mozambicains, je
crois.
Kindzu effectue un nouvel aller et
retour. Cette
fois, à la
place des crevettes, sa bassine est chargée de poissons. Puis il
retourne à la
barque, se hisse délicatement et réajuste son pantalon.
Il installe les rames,
remonte l’ancre et va contre le vent et les vagues, avec ses deux
énormes
avirons qu’il tire en puissance — une puissance fine — et qu’il
ramène en croix
sur son cœur. Plus loin, il relance son ancre, range les rames,
écope le peu
d’eau qu’ils ont embarqué lors de leurs traversées, puis
il se coule dans l’eau
et nage jusqu’à la rive. Il rejoint son groupe, enfile
aussitôt un t-shirt sur
sa peau mouillée et salée et reste silencieux parmi les
autres. J’imagine qu’il
vient d’exécuter le travail qu’un marin, un peu plus
âgé que lui, peut-être le
propriétaire de la barque, attend d’un apprenti. J’observe
l’arrivée des
dernières embarcations qui se faufilent parmi celles qui,
maintenant dénudées
de leur voile, tournent sur l’aire de leur chaîne dans l’ombre
déjà croissante.
J’ai perdu de vue Kindzu — sur qui, du
reste, je
n’avais aucune
vue. Fatigué sans que rien n’en paraisse, il est sans doute
retourné chez lui,
au-delà du circuit automobile abandonné pas loin de
l’École française où je
suis intervenu ce matin, dans son hameau de bidonvilles à
l’ancienne, où les
murs de canisse n’ont pas encore cédé la place à
la tôle ondulée, avec ses
jardins propres, verdoyants et espacés que sépare un
réseau de sentiers sinueux.
E : Jeudi 20 mars, Maputo, près de la gare
ferroviaire
S : Lausanne, 4-7.05.08
V : 28.05.08
Jeudi 20 mars
Je rentre avec mon premier taxi-bus.
Ici les
destinations de
départ et d’arrivée sont indiquées par une
bannière autocollante. J’assiste à
une formidable engueulée entre une femme avec un gros
derrière, qu’elle estime
absolument incompressible, — elle hurle tout près de mes
oreilles — et
l’apprenti. Les taxis-bus d’ici sont dotés d’un apprenti, il est
chargé de
placer les passagers et de percevoir la monnaie. Les protagonistes de
cette
très vive altercation sont capables, tous deux, de se mettre
très fort en
colère mais sans vraiment s’énerver, ce qui leur permet
de retrouver leur calme
dès qu’ils estiment que leurs manifestations orageuses ont assez
duré. Je le
découvre avec admiration, il faudra que j’en prenne de la graine.
E : Jeudi 20 mars, Maputo, près de la gare
ferroviaire
S : Lausanne, 4-7.05.08
V : 28.05.08
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Vendredi 21 mars, Coste del Sol, ancrage des
pêcheurs,
restaurant Triunfo
Quand je photographie, je ne vois plus
rien, alors
qu’il faudrait
voir d’abord, ceci en tout premier lieu pour le plaisir de voir, de
regarder,
de sentir et vibrer. Mais ici, à Maputo, je suis
déjà allé hier au marché de
Xipamanine, sans appareil de photo. De même, deux fois, à
l’ancrage des
pêcheurs. Aujourd’hui, malheureusement, les barques ne sont pas
sorties, car il
y a trop de vent.
Hier, si j’avais eu mon appareil, assis
à
ce même Triunfo où
je me retrouve présentement, j’aurais déjà fait de
belles photos, rien qu’en
laissant mon appareil sur la table au moment de sortie des
écoles. Hélas, aujourd’hui,
voitures et quatre-quatre se sont parquées juste devant mon nez.
En outre,
l’heure n’est plus du tout passante.
Le photographe ressemble au
pêcheur. Alors
que celui-ci doit
laisser du temps aux vents et aux poissons, celui-là doit
laisser du temps aux
lieux. Aujourd’hui, le photographe a entre autres photographié
le photographe
officiel de la plage. ADDENDA<Et un jour à venir
le ramènera à
Soweto où il photographiera le photographe officiel de Kliptown. >
E : Aéroport de Maputo, 22 mars
S : Lausanne, 4-8.05.08
V : 28.05.08
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Vendredi 21 mars, marché de Xipamanine
Marché de Xipamanine, nouvelle
tentative
d’extorsion. Dans
les ruelles étroites que dessinent les échoppes
d’épiceries, un type bloque
vaguement le passage en effectuant quelque chose d’un peu
étrange, un mouvement
convulsif que j’observe. Un comparse, selon un scénario
maintenant immuable,
m’aborde, tout en essayant de me faire les poches. La cuissière
gauche qui
contient mon passeport et la fessière droite qui ne renferme que
quelques
billets pliés résistent aisément à ses
vaines tentatives.
E : Aéroport de Maputo, 22 mars
S : Lausanne, 4-8.05.08
V : 28.05.08
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18 et 19 mars
La première merveille du monde,
c’est, tout
autour de la
terre, les marchés. En général, il faut savoir les
dénicher. Les sociétés
modernes les suppriment, les mettent en jachère ou les
déplacent, pour
quelquefois les faire renaître plus tard — le bâtiment du
marché des légumes de
Jo’burg est devenu théâtre, reléguant
clandestinement le nouveau marché aux
vilains et inappropriés couloirs de la méga-station de
taxis-bus.
Heureusement, à Maputo les
marchés
existent toujours. En
rois. Pour quelques années encore. Mardi, entre deux interventions au Centre Franco-Mozambicain,
j’en ai découvert un par hasard,
le Marché
Municipal de 1901. Construit sur le même plan portugais que le
marché de Sao
Tomé, que j’ai fréquenté en 1999, il a
débordé sur côté ouest, au-delà des
étals de poissons, s’ouvrant sur des éventaires de
légumes et de fruits impressionnants
— il paraît, hélas, que tout vient d’Afrique du Sud !
—, derrière lesquels
trônent des matrones d’âge et de prestance mûrs,
ressemblant toutes à la
pourtant capverdiennes Cesera Evora. Ces dames m’ont aussitôt
trouvé une jeune
promise, ceci malgré les limites de mon parler local. L’endroit
m’enchante.
Le lendemain, dans le quartier nord de
la ville,
l’employée
de maison de la femme de l’homme qui m’a accueilli au Mozambique nous
guide à
travers les dédales de l’immense marché de Xipamanine. Le
premier est un dédale
d’habits, des habits de seconde main, qui viennent d’Europe, qui sont
d’abord
revendus en ballots entiers par des entreprises locales
spécialisées, puis
dispatchés au détail, relavés et joliment
exposés. La femme de l’homme qui m’a
accueilli au Mozambique a une amie qui ne s’habille qu’ici, mais, ne se
fournissant que de griffes célèbres, elle serait bien
plus élégante qu’elle.
Le dédale est fait d’ombres —
toits, certes
en tôle ondulée,
mais soutenus par des branches de bois tordu et non
écorcé — et de trouées de
lumière, quelquefois tempérée par des sacs de riz
en plastique blanc tendus
au-dessus de nos têtes. Au sol, chaque espace
délimité est protégé par une
toile de jute attachée par ses quatre coins et presque
suspendue. Quelques
stands sont vides. À la place des marchandises, un quidam qui se
prélasse, ou discute,
ou attend, nettoie ou prépare l’endroit.
Au marché de Xipamanine, on
trouve de tout,
même des télés,
des réparateurs de télévisions ou de
téléphones portables, de tout sauf, nous
en n’avons en tous cas pas vus, des ordinateurs et des services
bancaires. Le
plus extraordinaire, dans un espace un peu plus clos, un espace tendu
lui de
sacs de riz en plastique rouge, c’est le secteur de la boucherie, sans
odeurs
trop prononcées, avec quelques mouches que l’on chasse de temps
à autre d’un
chasse-mouche nonchalant fait d’une simple queue de vache, une de
celles, dépecées,
qui sont proposées à la vente. La viande est belle, sauf
les tripes noires qui
me dégoûtent tout de même. Le plus impressionnant,
sur les étals entre le
couloir et les matrones bouchères impassibles, ce sont les
montagnes de têtes
entières, assurément de vaches même si, dans la
pénombre rougeoyante, certaines
me paraissent plus imposantes, au point qu’un instant je les
soupçonne d’être
des têtes de cheval ou d’animal ici moins exotique, buffle,
rhinocéros ou
éléphant. ADDENDA<À Antananarivo,
les bancs de boucherie sont en béton, les murs qui les
soutiennent latéralement
délimitent des casiers. Dans l’un deux, sous le sang qui
dégoulinait et les
humeurs dans lesquels les mouches baguenaudaient, un bébé
esseulé dormait
sereinement dans un couffin sommaire. > Les poules
et les poulets
en caque, se chiant parmi dans des cages grillagées et
concentrationnaires, ont
des airs moins heureux. Je conseillerais de bien les plumer et laver
avant de
les consommer. Il y a aussi les stands des chèvres vivantes,
ceux des médecines
traditionnelles, du charbon et du sel, de do-it-yourself et de
matériel de
construction, de tabourets pour râper les noix de coco, de
thé qui ressemble à
du café, un billard et ses joueurs, l’espace des cuisines et des
restaurants
ouverts, et quelques bars en dur. Le marché déborde
ensuite au-delà, le long de
la rue principale.
E : Aéroport de Maputo, 22 mars
S : Lausanne, 4-8.05.08
V : 28.05.08
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Samedi 22 mars
Je dois chaque fois me rappeler qu’en
réalité il n’en est
rien. Quand j’étais petit je croyais qu’on avait sur la
tête un seul endroit où
l’on pouvait se faire la raie dans les cheveux, une raie qui alors
délimitait
clairement les cheveux de gauche de ceux de droite. Erreur, la preuve,
notre
hôtesse de l’air se l’est joliment faite en un
zigzag décoratif !
E : Entre ciel et terre, entre Maputo et Nampula,
samedi 22
mars
S : Lausanne, 4-8.05.08
V : 28.05.08
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Sexe. Sauf les quelquefois où le
point de
non-retour a été
franchi — en général, ces fois-là je ne les ai
pourtant pas regrettées —,
j’espère toujours que cela n’arrivera pas, que cela n’aura pas
lieu, que
quelque chose, ou ma capacité de fuite, l’empêchera.
Est-ce, dans nos corps
allongés nus l’un contre l’autre, ventre contre ventre ou ventre
contre dos, la
peur de retrouver cette rigidité de petit poulet congelé
qu’une mère se
contraignait à bercer ?
Voilà pourquoi, comparé
à
ceux des
autres Blancs, nantis, européens,
sûr d’eux et assoiffés, mes rapports en Afrique sont un
peu différents, que ce
soit alors, avec Lamoussa à Ouagadougou, ou maintenant avec les
habitants
d’ici. Avec, certaines nuits, des draps teintés
d’humidité plutôt que, comme
d’autres, laisser ça et là quelques jolis bâtards
aux yeux bleus.
Des plaisirs différents
peut-être.
D’autres amours. Celles,
anonymes et distantes, des humains que j’aime et que je croise,
quelquefois si
près, dans l’exiguïté des marchés ou l’espace
des chemins parcourus ? En définitive,
peut-être faut-il — mais tout cela n’est-il qu’un alibi ? —
me réjouir de
ce que je ne me souvienne pas de tous les repas que j’ai
ingérés dans ma vie,
avec les fast-foods oubliés, alors que je me souviens de toutes
mes baises, ou
du moins de tous les gens avec qui j’ai baisé.
Enfin, même si le lion, comme
chasseur, est
mort, demain est
un autre jour, autres propos, autre discours, rêver…
E : Entre ciel et terre, entre Maputo et Nampula,
samedi 22
mars
S : Lausanne, 4-8.05.08
V : 28.05.08
—————————————————————————————————
Samedi 22 mars
Chapa signifie tôle, tôle
ondulée. Cela vient-il du temps où
les taxis-bus étaient alors des estafettes Renault, ou
plutôt de l’état des
pistes que ces chapas parcourent ?
À l’intérieur du chapa,
une fois que
les corps se sont encastrés,
on trouve sa place et le voyage de trois heures en devient beau. Une
demi-fesse
au bord d’une demi-banquette bien occupée, je sers de dossier,
un petit peu de
chaise aussi, à une belle jeune femme bien enveloppée
mais au grain de peau
très doux. Derrière nous, révélée
par des cris qui s’annoncent être des
gloussements authentiques, une vieille, sur ses genoux mais sous son
sac,
abrite une poule. J’ai le sentiment que pour cette vieille, ce volatile
tient
lieu d’animal de compagnie. En suivant un geste qu’elle amorçait
vers les
boutons de sa chemise, j’ai un instant craint qu’elle ne lui donne le
sein.
E : Escondidinho, Île du Mozambique,
océan
Indien, samedi soir, 22
mars
S : Lausanne, 4-8.05.08
V : 28.05.08
—————————————————————————————————
Samedi 22 mars
Pour le dernier bout du parcours, il
faut changer
de chapa.
Passer à un plus petit modèle — à cause de la
largeur limitée du pont,
j’imagine. La nuit est bientôt là. Maintenant à
coté de moi, il y a une femme
avec un bébé. Il gazouille déjà, pour lui,
calmement et faiblement. Il aurait
bientôt commencé à élaborer quelques mots.
Il a la tête d’un enfant de plus
d’un an, mais pas le corps, ça me revient, j’ai vu sa
mère la changer, c’est
une petite fille, une toute petite fille avec un corps de
nouveau-né.
Maintenant elle gazouille calmement en agitant un bras minuscule et
tout fin,
en me fixant avec des grands yeux vagues. Bientôt, ça me
revient, je le
pressens, elle sera morte, le sida, le sien ou celui de sa mère.
J’en aurai une
intuition plus nette le lendemain, quand la jeune Belge, qui a ouvert
un
dispensaire pour les jeunes mères à la frontière
avec le Malawi, me dira que,
devant le développement trop faible des enfants, un test
révélera que six des
mères, sur les dix femmes présentes alors, sont atteintes.
E : Lausanne, le 31 mai
S : S : Lausanne, 02.06.08
V : 04..06.08
—————————————————————————————————
Samedi 22 mars
Derrière l’île que je
découvre
en silhouette, à l’opposé du
crépuscule, morcelée par les nuages africains, se
lève une lune plus grosse
qu’une orange.
E : Escondidinho, Île du Mozambique,
océan
Indien, samedi soir, 22
mars
S : Lausanne, 4-8.05.08
V : 28.05.08
—————————————————————————————————
On n’est vieux que chez soi. D’abord
ici, on n’a
pas le
temps de sentir son âge et son corps. Ni la tête à
s’en occuper — une tête
qui, du reste, à part la toute première semaine de mon
séjour, semble
fonctionner très bien. Et hier, dans le chapa, où je
craignais tout d’abord
pour mes os et mes positions, ma vessie, ma faim et ma soif, j’ai
soudain cru
comprendre que, bien au contraire, j’avais l’âge idéal
pour voyager, avec ce
corps dompté, qui ne crie plus ses exigences, un corps sobre et
soumis.
Mais, comble de la dérision dans
cette
Afrique de tous les
dangers, voilà que, hier soir, en sortant de ma douche, en me
baissant un peu
pour admirer la dalle de béton colorée, j’ai lentement
glissé sur le sol. En me
couchant juste après, j’ai découvert,
étonné, quelques taches rouges dans les
draps propres et blancs d’un hôtel au chic certain bien que
débonnaire. En
fait, il s’agissait de quelques gouttes de mon sang. Faute de
posséder un
rudiment de pharmacie dans mon baisenville sommaire, j’ai essayé
d’épargner les
draps avec un bandage en papier hygiénique.
Au matin, le lit tout entier
était
parsemé de taches de sang
et d’eau mêlés. Mon coude blessé n’avait pas
cicatrisé. Il a même continué à
dégouliner, indolore, lors de la séance de photos que je
suis aller faire à
l’aube alentour. Une médecin belge, touriste venant trouver sa
sœur infirmière
de brousse à la frontière du Malawi, inquiète,
faute d’avoir quoi de recoudre
immédiatement le coussinet qui protège l’olécrane
de mon coude droit, m’a posé
quelques strips et, surtout, enjoint de prendre des antibiotiques au
plus vite.
En cas de fièvre, elle m’a instamment prié de retourner
immédiatement à
Johannesburg.
Bon corps pour voyager, mais pas pour
chuter !
Plus tard, les femmes de ménages
m’ont
avoué s’être enquises
de l’origine de tout ce sang versé dans les draps…
ADDENDA<Deux jours
après,
comme mon coude
n’étais pas joli joli et que tous le monde m’y encourageait,
j’ai acheté, pour
moins que rien, des antibiotiques, légèrement
périmés (amoxicline). Je n’ai
appris qu’ultérieurement que mes antipaluds étaient, en
fait, aussi des
antibiotiques (doxycycline-virbamacyn). Le lendemain
déjà, mon coude était top,
et l’est resté.
Déjà j’entrevoyais que
j’allais
sortir épargné de toute turista,
me tirer indemne de la sulfureuse Johannesburg, des townships d’Orange
Farm, de
la ville de Beira à la fâcheuse réputation, des
très réels accidents de
voiture, pour ne pas parler des rares crashs d’avion. J’entrevoyais
déjà devoir
me contenter de glisser sous la douche, avec la maladresse de n’importe
quel
homme gentiment sénescent ! >
E : Escondidinho, Île du Mozambique, dimanche
23 mars
S : Lausanne, 4-9.05.08
V : 28.05.08
—————————————————————————————————
Dimanche 23 mars
La marée basse est immense,
c’est
marée d’équinoxe. Au
sud-est de l’île, avec son pied trop étroit
grignoté par les coquillages, un
fortin pansu a maintenant des airs grotesques de champignon suspendu.
Autour
des bateaux échoués pour quelques heures, les marins
s’affairent. Ils refont le
travail que entreprenaient déjà ceux du Tragos, le navire
que les Martin et
André de mes « Deux
bons bougres » prirent
pour aller s’échouer dans
les îles Caraïbes, trois siècles plus tôt. Ils
recalfatent aussi les joints.
Ici avec de l’étoupe blanche vaguement regroupée en
cordon, juste mouillée et
qu’ils insèrent au ciseau émoussé et au marteau.
Plus tard ils donneront un
coup d’une peinture un peu dure sur les joints puis, s’ils ont de
celle-ci en
quantité suffisante, sur la coque entière. D’autres
marins remplacent par
petits bouts des éléments du bordage. Ils forent des
trous avec une perceuse à
ficelle, dont je constate l’efficacité, puis y enfonce un long
clou forgé la veille,
dont ils enrobent d’abord la tête aussi dans l’étoupe. Et
quand, avec
l’après-midi, la mer remonte, ils interrompent simplement leur
travail en
l’état.
Les plus grandes barques à voile
font
environ douze mètres
de long, en général elles n’ont qu’un seul mat et — on
vient de me le confirmer
— le gouvernail comme seule dérive.
Pendant ce temps, les enfants petits
pêchent
de la petite friture,
les plus grands de minuscules espadons qu’ils alignent sur des petites
tables,
pour les vendre aussitôt, ou qu’ils piquent sur un fil de fer en
collier, pour
une vente ambulante. D’autres passent avec des crabes tissés
vifs sur un panier
de feuilles vertes.
E : Nampula, mardi 25 mars
S : Lausanne, 6-9.05.08
V : 28.05.08
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J’aime les îles du bout du monde.
Elles
fleurent bon la
paix, même quand toutes ne sont pas tout à fait des
îles. En premier lieu
Houat, au large de la Bretagne. Mais aussi Sulina, village sans
voitures sur la
côte de la Mer Noire, dans le delta du Danube, où l’on ne
peut accéder que par
bateau. Maintenant, Île de Mozambique avec son long pont, trop
étroit pour la
relier tout à fait au massif continent africain. Bientôt,
un peu moins au bout,
la maison de mon hôte franco-belge à Beira et le Grand
Hôtel abandonné à
l’extrémité de l’estuaire. Et, plus tard encore,
au-delà de Santa-Lucia,
l’estuaire sans nom et ses hippopotames.
E : suite à un intitulé vide du 24
mars,
Lausanne le 9 mai
S : Lausanne, 9.05.08
V : 28.05.08
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Nampula,
lundi 24
Un quart d’heure africain
prolongé et
quelques problèmes
techniques ont permis, derrière la cathédrale blanche,
à la nuit de succéder à
un crépuscule de bleus, de blancs, d’orangés et de
rouges. La séance a lieu
dans le parc Coca-Cola, sur une toile assez sommairement tendue dans un
cadre
métallique, sous un lampadaire malheureux d’être
allumé. Un cordon blanc
délimite un triangle interdit, parallèle au faisceau du
projecteur vidéo. Une foule
d’enfants, les premiers assis, les plus grands debout, puis les autres
et les
adultes assistent à la plus belle projection d’Umbo et Samuel.
Elle est suivie
avec respect et passion, ceci malgré une version qui n’est
sous-titrée qu’en
anglais, or les francophones sont plutôt rares et
dispersés.
E : Aéroport de Nampula, le 26 mars
S : Lausanne, 6-13.05.08
V : 28.05.08
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Nampula, mercredi 26
Décidemment, cet Africain pousse
la
nonchalance un peu
loin ! Même pour mendier, il ne se donne pas la peine
d’avoir des mains.
J’ai bien failli ne rien lui donner.
E : Dans les airs entre Johannesburg et
Antananarivo, le 29
mars
S : Lausanne, 8-13.05.08
V : 28.05.08
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Beira
26 – 28 mars
Toutes les villes du Mozambique ont une
avenue
Eduardo
Mondlane, ceci bien qu’aucun Européen d’ici ne sache me dire de
qui il s’agit,
de même que personne n’est apparemment capable de situer les
tropiques, de
préciser l’altitude des lieux ou de me montrer l’Étoile
du Sud — un brésilien
me mettra sur sa piste en me montrant la Croix du Sud, mais sans savoir
qu’en
faire. J’ai demandé à Lucia de m’amener une boussole,
ainsi nous règlerons la
question. Les Blancs d’ici, et d’Afrique du Sud aussi, se laissent
volontiers
atteindre par une certaine nonchalance, comme une douce maladie
chronique. Le
temps ici est celui des Africains, on accepte, moi aussi, que tout soit
un peu
plus long — à l’exception des cocktails mondains qui, eux, sont
expédiés en un
tour de main.
L’avenue Eduardo Mondlane de Beira est
superbe.
Elle est
bordée d’acacias géants — la température y est
plus basse de quelques degrés,
agréablement perceptibles. Ils abritent sous leurs ailes les
restes de belles
maisons portugaises terriblement délabrées. Cela donne
à la rue un charme très
différent du pimpant que la ville devait avoir dans les
années 1940
— Beira a fêté ses 100 ans l’année
passée, alors que Nampula m’en a que
50.
Au-delà de l’avenue Eduardo
Mondlane,
surtout vers la mer,
ce bout du monde où j’ai logé chez mon hôte
franco-belge, aux confins de
l’océan Indien et d’un très large estuaire dont personne
n’a su me dire le nom
— il arrive après une succession de fleuves qui vus d’avion
striaient
magnifiquement la côte lors du vol depuis Nampula —, le quartier
est sinistré,
on dirait une ville en guerre. La guerre civile a pourtant cessé
il y a 14 ans,
mais la crise du Zimbabwe met très à mal la
prospérité de Beira car la ville ne
bénéficie plus d’être l’unique
débouché portuaire de ce pays voisin.
Juste à côté de
chez mon
hôte franco-belge, une construction
très moderne en béton, édifiée en 1956, le
Grand Hôtel, est squattée depuis 20
ans. Y habitent 3500 personnes, sans eau courante, sans
électricité collective,
avec juste une échoppe qui propose le rechargement des
batteries. L’ancienne
piscine, pleine d’eau stagnante, sert à tout, égout,
ablutions et poubelle. Il
faut éviter de passer trop près des façades car
les gens vident leurs eaux
usagées depuis les cadres vides de leurs fenêtres sans
vitres. Quelquefois,
paraît-il, ce sont aussi des enfants qui tombent, vu que les
rambardes des
terrasses ont toutes disparu. Vers 11 heures du matin, j’ai
repéré tous les
gamins alignés sur un mur dans l’attente d’une collation,
j’imagine distribuée
par une quelconque ONG. C’était trop mignon. Dans tout le sud de
l’Afrique on
voit souvent désormais des hommes qui portent dans leurs bras de
jeunes
enfants, je suppose que le HIV a emporté leurs mères
au-delà.
Il y a deux marchés à
Beira. Le plus
beau, parsemé ça et là
de cahutes carrées qui font office de
vidéo-cinéma, descend jusqu’à la mer, où,
parmi les derniers étals, on construit à même le
sable de nouveaux bateaux à
l’ancienne, alors que des pirogues, creusées dans des troncs,
avec leur voile
colorée, viennent débarquer sur la plage. Pour l’heure,
sous des toiles tendues
sur des piquets, des gens vendent des noix de coco. Quand la mer sera
de
nouveau haute, les embarcations rentreront et y proposeront le fruit de
leur
pêche.
P.S. C’est curieux, sans doute normal,
compréhensif et un
peu décevant, mais dès qu’on se trouve avec des
Français se dessine une
tendance à s’agglutiner parmi, dans des mêmes endroits ou
des mêmes places.
E : Dans les airs entre Johannesburg et
Antananarivo, le 29
mars
S : Lausanne, 8-13.05.08
V : 28.05.08
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Mozambique, mars 2008
Un soir, un couple d’Européens
partage
notre tablée. Ils
sont accompagnés d’une fillette un peu fluette, que le couple
est venu adopter
ici, il y a quatre ou cinq ans, et d’un tout petit garçon
d’environ un an, lui
en voie d’adoption. Tous les quatre se trouvent dans une étrange
semi-villégiature, en attendant que les démarches
administratives et légales
aboutissent, un état de loisir instable, avec tout de même
l’obligation
professionnelle d’un retour d’ici quelques semaines. Le petit
garçon, avec qui
une relation rapprochée est déjà établie,
est sous antibiotiques. Le couple est
en soucis.
À mon souvenir, ce premier soir
déjà, à cause d’un certain
flou dans ce que j’entends, et puisqu’on parle du sujet et que les
relations
ici sont plus immédiatement ouvertes que chez nous, je leur
demande si, avant
de décider d’adopter des enfants, ils ont d’abord fait des
essais ensemble.
L’homme me répond par une boutade mais positivement, tout en
nous indiquant
qu’ils n’ont pas cherché à savoir pourquoi cela ne
marchait pas. J’apprends
aussi que la femme a passé toute son enfance au Mozambique, avec
des parents
missionnaires ; elle en garde un souvenir ébloui.
La question me travaille pendant la
nuit. Par un
demi-hasard
— le fait que les Européens fréquentent un peu les
mêmes lieux —, nous nous
retrouvons le lendemain à midi dans un club nautique. J’annonce
une question
indiscrète, celle de savoir si l’enfant a été
soumis à un test HIV. La femme me
répond très clairement et simplement. Avant de venir ici,
ils ont posé leurs
exigences, à savoir que l’enfant n’ait pas de carences
évidentes, ne soit pas
séropositif, et n’ait pas de famille connue. Au vu de
l’état actuel, un peu
inquiétant, du gamin, ils viennent de faire un test,
heureusement négatif.
Sur ma lancée
d’indiscrétion, je
demande ce qu’il en aurait
été le cas échéant.
— Maintenant, il nous aurait
été
trop tard pour faire marche
arrière, répond l’un.
— Nous nous sommes attachés, lui
et nous,
ajoute l’autre.
J’ai souvent tendance à penser
que si l’on
n’a pas d’aile,
on ne doit pas voler. Que si, dès le départ, on est homo,
on devrait renoncer à
avoir des enfants. De même, si la nature de notre physiologie ne
le veut pas
non plus. Et que si l’on n’est pas content de son sexe, il faut faire
avec.
Voilà des gens qui en ont décidé autrement, selon
un cheminement riche,
douloureux et complexe. Pourquoi pas ?
E : Lausanne, le 16 mai 2005
S : Lausanne, 23.05.08
V : 01.06.08
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Vendredi 28 mars
Petit aéroport en zone
tropicale. Au fond,
à travers la baie
vitrée, une cordillère de pains de sucre vertigineux.
Dans les plans plus
rapprochés, une forêt de palmiers, une roselière,
enfin la piste et un avion
blanc et rouge. En deçà des baies vitrées, une
salle qui sert aussi bien pour
les départs que pour les transits avec, organisé en forme
de U, le standard
alignement de sièges baquets scellés en plastique gris.
Les gens aimant
s’assurer de la propreté de leurs bagages, les places sont
déjà passablement occupées.
Un Européen d’âge moyen
mûr est
en train de prendre des notes
dans un calepin genre moleskine. Il s’interrompt de temps à
autres pour
regarder alentour. Sur sa droite, directement au-delà d’un sac
de voyage
imitation Vuitton, une Africaine est assise à côté
d’un autre Européen, lui
d’un âge moyen un peu plus mûr. La jeune femme est
très jolie mais s’ennuie
terriblement, visiblement le couple disparate ne sait vraiment plus
quoi se
dire. De temps en temps, la belle jeune africaine jette un coup d’œil
à l’homme
au calepin genre moleskine. Quand leurs regards se croisent, elle lui
lance un
charmant sourire auquel l’homme au calepin genre moleskine
répond timidement.
Sur quoi, le couple disparate retombe dans l’ennui.
Une fois, après avoir
fixé sa montre
jusqu’à ce que la jeune
Africaine l’ait rassuré — mais oui bien sûr, il avait tout
le temps d’aller
faire un petit pipi, avec indication d’une direction que l’homme
d’âge un peu
plus mûr a repéré depuis longtemps, ça lui
fera du bien —, l’homme se lève et
s’éloigne.
La jeune Africaine se tourne
aussitôt vers
l’homme au calepin
genre moleskine. Elle soupire à nouveau mais, cette fois, en
souriant agréablement.
D’un mouvement de tête, elle désigne l’homme qui
l’accompagnait et qui est
parti faire son petit pipi. Elle esquisse une rapide et pudique
inclinaison
vers son entrejambe à elle, mais montré comme entrejambe
universel et indifférencié,
indiquant par là l’incontinence qui guette certains.
Pourtant, au lieu de parler de cela, la
jeune
Africaine dit,
en soupirant à nouveau :
— Ce qu’il peut être
ennuyeux ! Et sans
transition elle
s’informe : Vous allez où ?
L’homme au calepin genre moleskine
répond
par le nom de
la ville où il se rend.
Avant qu’il n’ait le temps de
s’enquérir de
sa destination à
elle, la jeune Africaine propose :
— Vous m’emmenez avec vous ?
Avant que l’homme au calepin genre
moleskine n’ait
le temps
de demander des précisions, elle ajoute, l’air sûr d’elle :
— C’est tout à fait possible de
changer mon
billet.
Elle se retourne et plonge vers un sac
à
l’aspect plus viril
et décati sur le siège au-delà de la place
laissée vacante par l’homme d’un âge
assez mûr qui est parti faire un petit pipi.
Avant que l’homme au calepin genre
moleskine n’ait
le temps
d’hasarder quoi que ce soit, elle se lève, agite son titre de
transport et tend
la main :
— Allons-y !
Un peu plus tard, dans le ciel, deux
avions volent
vers des
directions opposées.
À terre, une jolie jeune
Africaine sort
d’un aéroport.
Pour la troisième fois, elle
s’écrie
:
— Merda !
Cela signifie merde en portugais, c’est
aussi un
juron.
Puis elle hèle un taxi.
Avant d’y monter, dans son parler doux
et humide,
elle partage
ce constat :
— Ils sont vraiment trop cons, ces
Européens !
Elle s’installe à
l’arrière, se
penche en avant, tape sur
l’épaule du chauffeur et demande :
— Tu connais un bon club par ici ?
E : Lausanne le 1 juin
S : 2.06.08
V : 02.06.08
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J’ai bien peur d’avoir atteint le plus
bel endroit
du
monde !
Antananarivo, c’est trois millions
d’habitants
dans une
petit ville de province française des années cinquante,
avec les voitures des
années soixante et des Africains qui auraient
débarqué des Philippines et qui
parlent français avec l’accent belge.
La ville ne semble pas
dévastée.
Dans les hauteurs, elle est
parsemée de minuscules boutiques qui, elles, restent ouvertes le
dimanche. Et
comme c’est dimanche, les gens endimanchés vont à la
messe. Je participe
— tout en découvrant la chose — à la haie
d’honneur qui attend
l’arrivée du président malgache à la
cathédrale.
Une fois passé le feu Palais
de la reine, on bascule je ne sais où, quelque part entre le
Brésil et la
Thaïlande. Et soudain on découvre, au détour d’un
lavoir où les femmes qui font
leur lessive du dimanche m’invitent à jeter un coup d’œil sur
les jardins
suspendus derrière elles, les premières terrasses des
cultures en pleine eau
— ici surtout du cresson fontaine — accrochées dans la
pente, avec
quelques palmiers, papayers et des volubilis géants, le tout
entouré de petites
maisons en dur, de minuscules boutiques et de bancs de cuisine. Pour
certaines
choses il paraît qu’on devient hypersensible en vieillissant,
j’en ai presque
pleuré !
Plus bas, dans une petite plaine, les
cultures
sont divisés
en parcs intercalés de cultures basses et inondées, riz,
cresson et plantes
inconnues, et de cultures sèches sur un sol
surélevé, espace probablement créé
à partir de la terre retirée plus bas, ou vice-versa,
salades à tondre et
plantes potagères. Chaque espace est délimité par
des sentiers surélevés,
praticables à pied sec, aménagés de minuscules
pontons, avec des lessives qui
séchent sur les talus. Certains de ces enclos dont de vrais
étangs où des
hommes, torse nu, en général par deux, tirent de grands
rectangles d’étamine
pour attraper des poissons — petits, m’ont-ils dit quand ils parlent
français.
Ici, contrairement au monde des oiseaux
que j’ai
évoqué pour
leurs couleurs, les femmes sont probablement plus belles que les
hommes. Pour
certaines choses il paraît qu’on devient hypersensible en
vieillissant, j’en ai
presque pleuré, au retour, dans le taxi-bé — c’est
ainsi qu’on les appelle
ici (300 ariarys ou 1500 francs Malgaches, 20 centimes de CHF, voir Monnaies,
change et prix !
Les gens
ont un type presque mélanésien.
Mais la ville qui s’étale sur
les plis des
collines se
déploie comme Gênes en coquille Shell et épuise le
randonneur, ADDENDA+ qui
s’y perd, et s’y perdra encore. >
Avec ses hôtels et ses vendeurs
qui enfin
harcèlent un peu
le touriste, seul le centre ville est très sale. Il exhibe
mendiants, clochards
et enfants qui dorment dans les rues, un contraste surprenant
après toutes les
hauteurs traversées aujourd’hui — la ville se situe
au-dessus des 1400
mètres d’altitude). Enfin, au rez de la terrasse où
j’écris, les putes m’ont,
sans succès, sollicité en me hélant, ici comme au
Mozambique, d’un «Papa» bien
timbré.
ADDENDA+<Les jours
suivants et la
découverte
d’autres lieux nuanceront encore cette impression de paradis. Les pages
à venir
en rendent compte >
E : Antananarivo, à l’ombre d’une boutique
fermée, le 30 mars
S : Un Cybercafé de
Antananarivo,
30.05.08
V : 28.05.08
—————————————————————————————————
À la victoire, après 15
ans de
guerre d’indépendance et
juste quelques années avant 20 ans de guerre civile apparemment
fomentée depuis
l’étranger, activement soutenue pas l’Afrique du Sud, et
évidemment
instrumentalisée par la guerre froide et sa stratégie des
dominions — ou
vice-versa —, les Mozambicains ont imposé le 20-24 aux
Portugais. Soit 20
kilos de bagages, et 24 heures pour partir. Il m’arrive de penser
qu’ils ont eu
raison. Comme il n’y a plus de Blancs au Mozambique, les habitants du
pays n’ont
absolument pas l’humilité déplacée que l’on voit
souvent en Afrique du Sud. ADDENDA<Si,
lors du repas d’accueil chez l’ambassadeur de Suisse à Maputo,
les sept ou huit
écrivains et cinéastes mozambicains invités se
sont aimablement efforcés de parler
français, le débat a eu lieu surtout entre eux, sans
particulièrement se soucier
de nous, ce qui a créé une atmosphère
détendue et sereine à mon goût. >
Hélas, le Mozambique est
exsangue, ce qui
n’a pas l’air d’être
le cas de Madagascar où, malgré la terrible
répression française de 1947, l’indépendance
face à la France (1960) s’est peut-être faite en douceur.
Même si les Blancs
sont rares, la vie semble avoir poursuivi son creuset — en passant par
un grillage
percé, je me suis introduit dans un parc dont l’accès se
voulait condamné, j’y ai
vu de vrais Antananariviains jouer à la pétanque.
ADDENDA<Sur le chemin de
l’aéroport, le
chauffeur de l’ambassade, m’apprendra que les premiers gouvernements
après l’indépendance
étaient très franco-français, et à la solde
de Paris, l’indépendance ne devenant
réelle qu’à la révolution de 1974, des
événements qui ont amené le chauffeur à
renoncer à son final de médecine. >
E : Le Petit Tana, dimanche 30
mars
S : Lausanne, 6-13.05.08
V : 29.05.08
—————————————————————————————————
Alors que j’ai toujours chéri
les murs
lézardés et les
villes décaties, alors que j’inhale comme parfums les odeurs de
transpirations
et de fortes densités humaines, curieusement dans mes
rêves amoureux — et
souvent dans leur concrétisation —, je n’ai jamais
recherché que la beauté la
plus parfaite, la beauté parfaite du marbre. De par la
constitution musculaire
des hommes, la beauté de ceux-ci — Praxitèle le
savait — se trouve
être plus marmoréenne, ceci explique peut-être cela…
Comme peintre, je suis
expressionniste. Comme réalisateur, c’est moi qui ai
inventé le concept théorique
du comédien qui, à l’écran, pue des pieds.
Éthiquement, je suis humaniste, voir
misérabiliste. Une fois encore, je constate que mon sexe n’est
d’accord ni avec
ma tête ni avec mon cœur. Mais c’est sur le marbre des boucheries
que l’on
apprête les poulets congelés, ceci explique
peut-être cela…
E : Antananarivo, Karibotel, lundi 31 mars
S : Lausanne, 8-13.05.08
V : 29.05.08
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Lundi 31 mars
Il m’arrive de faire des bêtises,
tout de
même. Ou des
erreurs. À nouveau cet après-midi, j’ai grimpé
jusqu’au Palais de la reine. Je
me suis arrêté pour discuter un moment avec Sitraka et
John, deux jeunes guides
sympas, puis je m’en suis revenu de ce côté, en empruntant
un escalier abrupt,
qui s’est avéré être une descente au paradis.
La jungle, la vraie, belle et verte, en
pleine
ville. Avec
des petites maisons en bois peint, presque suspendues. Devant chacune,
de
minuscules braseros dont le charbon de bois sent l’encens des
espèces
exotiques. Des bribes de conversation, des rires, des enfants qui
dévalent les
marches en courant, avec une dextérité vertigineuse,
comme des moineaux
heureux, même si c’est pour ensuite remonter, en riant toujours,
l’eau que leur
mère attend. Dans cet escalier justement, anticipant les
événements qui vont
suivre, je me disais que si les villes doivent absolument exister,
elles ne
devraient jamais excéder les 100’000 habitants — contre les
3 millions
environ de Antananarivo —, ceci par décret de l’UNESCO, ou
suite à une sagesse
acquise après une catastrophe planétaire, que je ne
souhaite évidemment pas.
La nuit m’a surpris, elle s’est
avérée être une escalade aux
enfers. Des routes qui se perdent dans une coquille Shell
redessinée en 3D,
avec pour tout éclairage les phares aveuglant des voitures dans
l’épais
brouillard des gaz d’échappement, jusqu’à ce qu’enfin je
tombe sur les
quartiers populeux, grouillant d’ombres et de silhouettes en tous sens,
heureusement sans jamais choir dans une des nombreuses bouches
d’égout stupidement
béantes, me devinant enfin près de la gare, et donc pas
loin de mon hôtel, mais
totalement perdu, au point de devoir héler un taxi 4L salvateur.
Heureusement
qu’encore une fois mon corps demeure une vieille bête docile qui
fait, sans
râler, ce que je lui demande — une des découvertes
importantes que ce voyage
confirme une fois de plus.
E : Antananarivo, Karibotel, lundi 31 mars
S : Lausanne, 8-13.05.08
V : 29.05.08
—————————————————————————————————
Lundi 31 mars
« Tsy mila,
misaotra »,
approximativement, cela
veut dire « non merci » en malgache, en plus
poli. Je crois qu’ici la
politesse est toujours exquise. Cela veut dire non merci, je le sais,
je viens
de le demander, juste maintenant en rentrant, à la
réception du Karibotel.
Avant, je l’ai dit en français.
Même,
joyeusement crié. Ceci
entre le bistrot — excellent et pas cher, avec du filet de
zébu, le tout
plus un vieux rhum pour 12 francs suisse — et l’hôtel, lors
de la
traversée d’un autre enfer, un enfer de cour de miracles, amical
et souriant,
putes, mendiants de tous âges, toutes formes et toutes tailles,
et dormant
souvent à même la rue.
J’ai tout de même, gentiment et
souriant moi
aussi, signalé
à un des innombrables chauffeurs de 4L et de deux-chevaux que de
circuler la
nuit avec en tout et pour tout un unique feu de position,
c’était un bon moyen
pour éliminer les vieux dans mon genre. Il a poliment et
paisiblement
acquiescé.
E : Antananarivo, Karibotel, lundi 31 mars
S : Lausanne, 8-13.05.08
V : 29.05.08
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C’est curieux. Depuis quelque temps,
quelques
dizaines de
mois tout au plus, j’ai l’impression de trouver immédiatement le
bon mot, le
mot juste, celui qui aussi évite une répétition
malheureuse. Cela en devient
trop facile, trop lisse — tout comme la beauté
marmoréenne. Peut-être est-il
temps que je cesse l’écriture — à vaincre sans
péril, on se berce.
E : Antananarivo, Karibotel, lundi 31 mars
S : Lausanne, 8-13.05.08
V : 29.05.08
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Mardi 2 avril
Porté par l’aile d’un coup de
vieux rhum
peut-être, j’ai composé
sur mon téléphone portable le message suivant —
c’était hier soir, au bistrot
ci-dessous :
« Au Sakamanga,
visiblement, chaque Blanc s’est levé une amie malgache. Moi pas.
Pourtant
certains hommes ici sont très beaux. Inhibition, lassitude, ou
hostilité au
tourisme sexuel ? »
Je l’ai directement
expédié hier
à l’attaché consulaire qui,
le premier soir, m’a reçu avec des écrivains et des
personnalités locales. Sur
le seuil de sa porte, l’homme que j’avais d’abord pris pour lui,
s’était
présenté comme étant son partenaire — mot que,
dans cette acception
particulière, j’avais appris il y a peu, en anglais et en
Afrique du Sud, et
dont j’ai obtenu confirmation, en réponse toute simple, le
lendemain, par
l’attaché consulaire.
Maintenant c’est midi, même lieu,
mais au
lendemain du SMS.
J’attends la salade que j’ai commandée. Une jeune Malgache
debout dit quelque
chose à mon adresse. Finalement je la comprends, elle demande si
elle peut se
mettre à ma table. J’acquiesce. Après quelques mots
échangés, je lui signale
poliment que je ne compte pas l’inviter à manger. Elle me
répond qu’elle a bien
l’intention de payer son repas. On échange quelques mots sur ce
que l’on fait.
Elle, elle vient de rentrer de Bangkok. Sur un mauvais coup de
tête, mi-amusé,
mi-je ne sais quoi, je lui montre le SMS que j’ai expédié
la veille. Après un
moment de silence, elle m’explique que, si elle était à
Bangkok trois semaines,
c’était avec son mari. Elle engloutit ses spaghettis bolognaise,
je termine ma
salade. La place exiguë amène nos genoux à
s’effleurer.
Depuis les autres tables, on doit voir,
en miroir
de ce que
j’avais relevé hier soir, une jeune et jolie Malgache à
l’air revêche, qui
s’ennuie en compagnie d’un vieux monsieur. En même temps je
m’amuse, en même
temps je suis mal à l’aise. Elle n’a pas l’air contente. Elle
est en tous cas
assise à côté d’un sacré mufle.
Elle ne termine pas son plat, se
lève, et
m’annonce qu’elle
va payer derrière. Après une minute, toujours
indélicat, je jette un œil pour
voir si elle est bien allée au bar. Elle s’approche de moi pour
comprendre si
je lui veux quelque chose et repart, avec un mouvement d’épaule
excédé. Un peu
après, je remarque qu’elle sort du bistrot, toujours
revêche.
Bientôt, je demanderai
l’addition, j’aurai
alors le dénouement.
Les chances qu’elle ait payé ? Nous dirons cinquante
cinquante ?
P.S La note arrive. Elle a payé.
Je suis
vraiment un
mufle !
E : En life, au Sakamanga, mercredi 2 avril
S : Lausanne, 8 -14.05.08
V : 29.05.08
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Mercredi 2 avril
D’après la vignette
apposée sur son
arrière, à Antsirabe, le
taxi local s’appelle « pousse », mais je crois
bien qu’ici aussi on
dit plutôt pousse-pousse.
Si à Jo’burg ce sont les
taxis-bus qui sont
majoritaires, si
à Antananarivo ce sont les 4L et les deuches, mais comme taxis
privés, ici ce
sont les pousse-pousse, presque à l’exclusion de tout autre
véhicule. Les
enfants malgaches aisés les utilisent pour se rendre aux cours
de l’Alliance
française.
La base de ces pousse-pousse est
constituée
de deux timons,
de deux roues de vingt pouces et de suspensions à lames. Je n’ai
pas réussi à
voir si ce modèle toujours identique provenait de Chine, de
Taiwan ou
d’ailleurs. Sa superstructure, en bois et store de toile cirée,
offre des
variations décorées, et chaque pousse-pousse arbore son
nom de baptême.
En arrivant à Antsirabe, ce mode
de
locomotion me choque
d’abord un peu — l’homme, nu pied, transformé en bête de
somme ! — mais je
suis tout de même décidé à tenter
l’expérience.
Excepté dans l’unique
montée, et sa
descente sur la rive opposée
de la rivière, le pilote — il s’agit toujours d’un homme
jeune — court,
sans faiblir, apparemment sans s’essouffler. Il faut dire que je suis
bien
moins lourd qu’un couple replet avec deux enfants, croisé en
arrivant. Le
pousse-pousse sert ici aussi de livreur ou de portefaix. Avant la
course, j’ai
négocié le prix, un peu mais, pas trop, en
témoignage de respect — j’ai
payé 5000 francs malgaches (soit 1000 aryaris, soit 60 centimes
suisses,
voir : Monnaies,
change et
prix).
Somme toute, être tireur de
pousse-pousse
dans la paisible
Antsirabe est certainement plus doux que d’être chauffeur de 4L
dans les gaz et
les bouchons d’Antananarivo. À l’arrivée, j’ai poliment
demandé à voir les
paumes de mon chauffeur. Et ses plantes de pied, mais il s’est
contenté de
m’indiquer que, comme ses mains, elles étaient en bon
état.
Au besoin lors du parcours, le
chauffeur agite une
sonnette
attachée à l’un des timons. Sous le siège du
client est suspendue à l’envers
une bouteille d’eau minérale dont le cul a été
sabré. J’ai fini par saisir
qu’équipée d’une bougie cela sert d’éclairage
obligatoire. Des centaines de
lumignons grelottant la nuit au son des crécelles, rythmé
par le doux tam-tam
des pieds battant le bitume, comme cela doit être joli.
Même si, aujourd’hui, à
cause du terrible orage qui menace déjà, la nuit va
tomber très tôt, je ne les
verrais pas, la tourmente nous saisira sur notre route du retour.
Avant mon trajet en pousse-pousse, j’ai
eu le
temps de
visiter le grand marché, étroit et long, très beau
avec ses bois tordus qui
soutiennent des toits en paille de riz montée sur claie. Ils
m’ont abrité le
temps d’une petite averse préliminaire. Solidarité de
l’artisan, j’y ai acheté
des boîtes de sauce tomate italiennes transformées, ici
non en bateau mais en
lampe à huile, j’ai aussi acheté un jeu de mesures de
cuisine ADDENDA+<— que
nous avons étalonné, Cécile et moi, à mon
retour, sans réussir à établir une
quelconque progression arithmétique entre les capacités
des différentes
mesures — > ainsi que du poivre, qu’ici j’ai
pu goûter,
et de la girofle.
E :au Sakamanga, jeudi 3 avril
S : Lausanne, 8-14.05.08
V : 29.05.08
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Mardi 2 avril
Antananarivo, nuit.
Deux cartons ondulés à
plat sur le
bitume.
Sur le premier, une femme endormie.
Sur le second, trois
bébés
alignés.
S’agit-il d’une nichée de
triplés ?
Non, c’est une halte-garderie.
Plus loin, sur d’autres trottoirs,
les vraies mères rassurées
font leur travail de belles de nuit.
E : d’après des notes prises sur le vif au
Karibotel,
le 3 avril,
Lausanne le 30 avril, slamé le soir même
S : Lausanne, 8-14.05.08
V : 29.05.08
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Jeudi 3 avril
Dans ma fenêtre myope, le ciel de
l’aurore
se découpe tout
d’azur. Dépassant une nouvelle fois le palais de la reine,
insistant, après la
météo trompeuse de mardi, je retourne à Amparihy.
Aujourd’hui, les quelques
nuages qui s’invitent m’aident même à prendre mon temps.
Sauf quelques exceptions, rares et qui
se
manifestent clairement,
les gens d’ici aiment à être photographiés, en
général sans jouer aux modèles.
À Amparihy, cela crée même des liens. Dans certains
cas, on me demande des
copies, je prends les adresses ADDENDA+<, j’envoie des
tirages >.
Plus tard, plus loin, en amont des
cultures
inondées ou
sèches de la plaine, je débouche dans un petit
marché, encore inconnu, où je
poursuis mes prises de vue photographiques. Étonnamment j’ai
l’impression, déjà
vécue, d’y prendre de meilleurs clichés que dans les
endroits où je retourne
pour la seconde fois. Je photographie mieux mais je vois moins bien. Il
faut
choisir. Comme je ne suis pas photographe, le choix est aisé. Si
j’étais
photographe, je travaillerais en deux temps. D’abord en
instantané, en
découveur. Puis revenant, pour les détails et les gros
plans qui tuent.
E : le Petit Tana, 3 avril
S : Lausanne, 9-15.05.08
V : 29.05.08
C’est curieux, mais plus on
s’éloigne des villes, plus
les gens sont beaux. J’ai bien quelques hypothèses, mais
certaines sont
troublantes, glissantes et pas mûres pour être
développées… ADDENDA<Une
zone imprécise de ma mémoire semble me murmurer que je
les ai peut-être
esquissées plus tard avec Lucia lors de notre périple
touristique à venir, à suivre. >
E : le Petit Tana, 3 avril
S : Lausanne, 9-15.05.08
V : 29.05.08
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Je ne sais pas si vous avez remarqué
— ou si tu as
remarqué, lecteur(e) unique —, je pose sur les pays que je
traverse un regard d’entomologiste.
Je vois des gens, des faits et des actions, je ne parle guère de
relations, de
discussions, d’âme profonde ou de psychologie. Je suis donc une
sorte d’entomologiste,
ce qui ne me dérange pas, j’aime ça. Il faut dire que
comme entomologiste je n’ai
pas besoin, ni envie, de chloroformer les objets de mon observation, ni
de les
épingler ensuite dans une vitrine poussiéreuse.
E : le Petit Tana, 4 avril
S : Lausanne, 9-15.05.08
V : 29.05.08
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Voyager loin, dans un autre monde,
permet aussi —
par le recul,
comme l’effet tunnel des microscopes nucléaires —, de mieux se
voir soi-même.
Le décalage m’offre la possibilité d’appréhender
plus clairement certains de
mes défauts et qualités — je ne les
énumérerai pas ici, au vu des pages vierges
que mon carnet contient encore la liste serait trop longue. Et voyager
loin,
dans un autre monde, révèle aussi des qualités et
des défauts nouveaux.
E : le Petit Tana, 4 avril
S : Lausanne, 9-15.05.08
V : 29.05.08
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Vendredi 4 avril
Je n’ai découvert les tailleurs
qu’aujourd’hui. Ce qui est
bien trop tard pour me faire confectionner une nouvelle copie de mon
légendaire
Lee Cooper.
Au marché — un autre
marché, en bas
de la rue, vers la gare
actuellement reconvertie, plus beau encore — ce sont ici les femmes qui
exercent la profession de tailleur. Leur machine à coudre
s’actionne à main,
chose curieuse car, de facto, cela mobilise une main que je sais
être bien
utile ailleurs.
En face de la terrasse du Petit Tana
où je
suis en train
d’écrire, juste maintenant je repère la boutique de
RAZANASOLO STANISLAS. Et,
sur le trottoir qui la précède, Stanislas en personne.
Nous nous observons
mutuellement. La veste qu’il porte est distinguée, excentrique —
même pour des
ailleurs moins conventionnels —, mais elle n’a pas l’air très
bien coupée.
E : le Petit Tana, 4 avril
S : Lausanne, 9-15.05.08
V : 29.05.08
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J’adore les petites boutiques
africaines. Il en
est de si
petites qu’on dirait des timbres-poste collés à
même la muraille. D’autres ne
contiennent rien — ce matin j’ai dû me pencher par-dessus le
minuscule comptoir
d’une minuscule cahute pour comprendre qu’il s’agissait de
l’échoppe d’un
cordonnier, ce que le cordonnier et ses trois semelles m’ont
personnellement
confirmé.
La nuit, elles sont encore plus belles.
Néon pour les
riches, ampoule pour les autres et, bien souvent, lampe à huile
ou bougie pour
les plus pauvres. Aucune photographie ne rendra jamais leur souffle
vacillant
et le passage de leurs chalands. Mais il faut du temps pour les
apprivoiser, du
temps que j’avais à Gorom-Gorom et que je n’ai pas ici, tout
passe !
E : le Petit Tana, 4 avril
S : Lausanne, 9-15.05.08
V : 29.05.08
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Vendredi 4 avril
À peine je suis sorti de chez
« Sucette » — un bon
bistro européen où un sympathique stagiaire dûment
étiqueté comme tel sert de
la cuisine réunionnaise — voilà que deux belles de nuit
m’abordent :
— Chéri, viens, on va te faire
l’amour.
Pour me désengager poliment, je
leur dis
préférer les hommes.
— Si tu veux, je peux faire comme eux,
répond l’une d’elles
en esquissant un geste vers une partie explicite de son corps.
Je décline volontiers
l’invitation.
Elles me demandent alors un peu
d’argent :
— Pour acheter des cigarettes.
Je refuse aussi, puisqu’elles ont, je
le leur fait
gentiment
remarquer, leurs propres ressources.
Cent mètres plus loin, une
gamine d’une
dizaine d’année, en
haillons, hirsute, pied nu et sale, me court après, pour une
aumône. Comme je
le fais habituellement, je refuse énergiquement, et continue ma
route,
reprenant l’air de Dave Brubeck que je chantonnais. La gamine a l’air
ravie.
Elle m’accompagne en riant. Et insistant. Et riant encore —
j’espère bien
qu’elle ne sniffe pas déjà de la colle ! Je finis
par extraire un billet
de 5000 francs malgaches — 60 centimes, mais ici c’est
déjà pas mal. Toute
contente, elle me donne une tape amicale sur le bras. Comme ce soir je
porte
une chemise en coton blanc immaculé, je regarde si elle n’y a
pas laissé la
trace de sa main.
Ce soir, sur mon chemin, ma
générosité se poursuit.
Serait-ce l’aigreur du vin malgache ?
E : Karibotel, 4 avril
S : Lausanne, 9-15.05.08
V : 29.05.08
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Vendredi 4 avril
J’ai terminé mon deuxième
carnet
africain, un calepin en carton
dur, genre moleskine très cheap acheté à Campus
square, 67 pages de notes. À
son autre extrémité, quelques pages de croquis, pas trop
mauvais, que j’ai pris
sur le vif au Rokka (c.f. rubrique : Géométrie
dans l’espace ) et lors d’un atelier de danse à Nampula.
Mais j’ai pris la précaution
— une
précaution qui ici
se combine au plaisir — d’acheter au marché en dur de
Atananarive, un
calepin au format un peu plus petit que les Claire Fontaine, produit
par
ceux-ci, mais affichant comme nom de marque
« Calligraphe », et comme
information « 96 pages – 70 g ». Je l’utilise
toujours.
E : S : V : 27.05.08
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Résumons. J’ai passé 12
jours au
Mozambique. Puis, faute de
voies de communication spatialement plus rationnelles, j’ai parcouru
presque un
aller et retour, via Johannesburg où j’ai dormi une nuit, entre
Beira et l’Île
de Madagascar où j’ai passé 6 jours.
Je suis retourné à
Johannesburg, j’y
ai loué une voiture.
Avec, je me suis lancé sur les pistes de gauche, souvent en y
actionnant mes
essuie-glaces plutôt que mes indicateurs de direction.
Deux jours après, j’ai
ramassé ma
fille Lucia à l’aéroport
et, dès le lendemain, nous sommes partis faire du tourisme,
d’abord 10 jours
dans les parcs, en commençant par ceux du Limpopo — en
hommage à
l’éléphant de Kipling —, puis l’océan Indien,
Durban et retour une semaine
à Johannesburg.
Pendant ces 20 jours de tourisme, je
n’ai
guère pris de
notes, juste quelques brèves — présentées ici plus
ou moins telles quelles et
chronologiquement — et des titres que je développe maintenant,
le tout augmenté
de réflexions germant sur un terreau intérieur qui
bouronne (c.f. helvétisme)
encore.
E : Lausanne, le 13 mai
S : Lausanne, 13-16.05.08
V : 29.05.08
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Auckland Park, samedi 5 avril
Ma sœur cadette habite en France, ceci
depuis
l’ennui des
temps. Chaque fois que je vais chez elle, je peste — de même,
sans doute, chez
mes soeurs de Nouvelle-Zélande et d’Athènes. Aux
toilettes, la française n’a
jamais eu de porte-papier hygiénique. Chaque fois je me demande
comment je vais
m’y prendre.
Dans ce flat d’Auckland Park que j’ai
occupé pendant un mois
et demi, il n’y avait pas non plus de porte-papier hygiénique.
Pendant la phase
jet-set qui a suivi, les hôtels où je descendais en
étaient par contre tous
équipés. Eh bien ! Je ne savais plus comment faire.
Les voyages forment la jeunesse. Aux
autres ils
enseignent,
quelquefois et rétrospectivement, une nouvelle forme de
tolérance. À
poursuivre.
E : Lausanne, le 2 juin
S : Lausanne, 2.06.08
V : 04.06.08
—————————————————————————————————
Et Rastaman ? Comme convenu, il a
logé
dans mon flat
lors de mon absence. Comme il me l’avait demandé, il y a
logé avec sa copine,
la mère de son futur enfant. Je l’ai appelé depuis
Madagascar, mais je suis
toujours tombé sur le répondeur de son cell phone. Je lui
ai annoncé mon retour
par SMS, il était convenu qu’il libère mon logement pour
cette date. Quand je
suis revenu, celui-ci était déjà occupé par
une amie de mon Landlord, ils
s’étaient mis d’accord pour que Rastaman partent la veille.
Cela s’était-il bien
passé ?
Mon landlord a d’abord dit
que Rastaman était un pique-assiette, toujours à mendier
cigarettes ou autres.
Mais allez savoir ; malgré sa finesse, j’ai souvent
décelé chez mon Landlord un
fond de racisme bien ancré — comme Adam chassé du paradis…
Une autre fois il m’a dit que Rastaman
était un tsotsi — ce
qui veut dire gangster en argot zoulou.
— Tsotsi ?
— Oui, a répondu mon landlord.
Un gangster.
— Mais il est rasta ! D’ordinaire,
les rastas
sont tous
sauf des gangsters.
— Avant, en tous cas avant, il
fréquentait
les tsotsis. Il
les connaît bien.
Plus tard mon landlord m’a
demandé si par
hasard j’avais les
clés de mon flat. J’avais dit à Rastaman de les laisser
sous le grand cactus,
nous sommes allés vérifier, elles n’y étaient pas.
Ici en Suisse, quelle
histoire cela aurait fait ! Pour mon landlord ce n’était
pas un problème.
Pragmatique il s’est contenté de changer les tambours des
serrures de mon flat
et du garage — bel exemple de zen sud-africain.
Mary, la domestique, m’a aussi dit — en
reconstituant ce dialogue,
j’imagine malheureusement que son « you » anglais
était ici un vous,
pourtant je crois qu’on s’aimait bien, elle et moi :
— Quel drôle de gaillard, votre
copain !
Tout ceci, et le fait qu’avant son cell
phone ne
répondait
plus ni à moi ni à mon landlord a créé une
sorte de malaise. Pendant toute la
fin de mon séjour je n’ai pas essayé de recontacter
Rastaman. Dernièrement,
j’ai tout de même testé son adresse email. Elle demeure
muette pour l’instant.
Au lendemain de la rencontre chic de
Pretoria
où la dame
s’était extasiée sur la gentillesse qu’avaient les Noirs
de ne pas nous montrer
leur haine, j’avais posé à Rastaman la question que je
pensais un peu
rhétorique :
— Est-ce vrai que tous les Noirs
haïssent les
blancs ?
À ma surprise, il avait
mollement
répondu, en soulignant
même son hésitation :
— Non, pas tous.
Le soir avant mon départ pour le
Mozambique, alors que je
lui laissais les clés et lui expliquais deux ou trois choses, il
m’a demandé si
je pouvais aussi lui prêter de l’argent. J’ai fait la moue, je me
trouvais déjà
assez arrangeant. Je le lui ai dit, en ajoutant que j’allais y penser.
Le matin, avec une sorte d’insolence
douce, il a
demandé :
— Alors, le Monsieur a
réfléchi
à ma proposition de hier
soir ?
Cela m’a un peu irrité, tout en
créant aussi une forme
d’admiration. Je n’avais pas encore rencontré les mozambicains,
avec leur libre
indépendance, ni clairement réfléchi à la
question (c.f. rubrique : Noir de
Noir.) Du reste l’attitude de Rastaman va à l’heureuse encontre
de mes
réflexions sur l’apparente passivité des Noirs d’ici. Et
ces jours de mai — un
mai d’ici, de pluvieux printemps —, il m’a effleuré que les
récents
émeutiers des townships se trompaient peut-être de cible.
Mais, toujours
résolument convaincu qu’aucun combat ne mérite une mort —
et qu’aucun mort ne
peut en remplacer un autre —, je me suis contenté de le dire
à un vieux
monsieur bien, blanc, libéral et encore sûr de lui, qui
téléphonait à mon père.
Rastaman est en tous cas opportuniste.
Il a
probablement raison
de l’être. Ce que dit Nadine Gordimer est vrai, seuls ceux qui
ont le choix
peuvent se permettre d’avoir une morale — c’est du reste pour cela que
cette
Prix Nobel ne partage pas totalement mes convictions pacifistes.
Il n’y aura pas d’épilogue
Rastaman, juste
un goût
aigre-doux.
E : Lausanne, le 2 juin
S : Lausanne, 2.06.08
V : 04.06.08
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Dimanche 13 avril, entre le Swaziland et Sodwana Bay
Lors d’un segment de semi-autoroute, je
remarque
une voiture
immobilisée sur la piste d’arrêt d’urgence — une piste
qu’utilisent volontiers
les véhicules lents. Le toit de celle-là exhibe une
insolente enseigne
lumineuse, « MAINTENANCE ». Des cônes
orange autour d’elle délimitent
une zone protectrice. Mais un homme est couché sur le sol, il
change une roue.
Aujourd’hui, c’est la dépanneuse qui a crevé !
E : mardi 15 avril 08
S : Lausanne, 15-16.05.08
V : 29.05.08
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ISimangaliso Wetland Park, Sant-Lucia, mardi 15 avril
Roulant à vitesse
modérée sur
l’assez bonne piste d’un parc
au-dessus de Santa-Lucia, nous bloquons délicatement sur les
freins et reculons
de quelques mètres pour mieux voir et comprendre le spectacle
qui vient
brièvement de frapper nos rétines. Soit une boule de six
centimètres de
diamètre, ronde et compacte comme ces amas d’algues
brunes que l’on
trouve fréquemment sur les bords de mer. Mais celui-ci se
déplace toute seule,
traversant même la route, dans un mouvement décidé
mais saccadé et irrégulier.
Il s’agit probablement d’une boule de merde et, assurément, son
moteur est un
scarabée noir qui grimpe au sommet de celle-ci pour, pas
à pas, la déséquilibrer
dans la direction qu’il veut lui imprimer. Il roule avec, tombe et
regrimpe. Au
besoin, avant de recommencer, il donne un petit coup de thorax
décidé afin de
rectifier la trajectoire. Très certainement des tas
d’encyclopédies expliquent
où il va et pourquoi il fait ça. En tous cas le spectacle
vaut la peine de
s’arrêter pour le contempler.
E : Titré le mardi 15 avril,
développé
à Lausanne le 13 mai
S : Lausanne, 16.05.08
V : 29.05.08
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Kwazulu Natal, mercredi 16 avril
L’Afrique du Sud, comme tous les pays
modernes, a
introduit
les panneaux bruns et blancs, à orientation touristique — tel
celui qui
signalait le zoo humain du bidonville musée. Pour ces panneaux,
une large marge
d’interprétation artistique a été laissée
aux fantaisies nationales. En France,
je crois qu’une bonne partie d’entre eux a été
conçue par un dessinateur
humoristique rescapé de «Franc Rire ».
Le long des routes des provinces
sud-africaines,
il en est
un qui montre un grand arbre — malgré sa taille, je doute qu’il
s’agisse d’un
baobab.
Lucia demande ce qu’il signifie.
Étonné la question,
j’introduis une
nuance de suggestion
dans ma réponse :
— Une aire de repos ou de pique-nique.
— Mais les deux
« T » ?
— Pardon ?
— Souvent, il y a l’arbre, plus deux
« T ».
J’essaie d’être vigilant. Je
repère
plusieurs fois des
panneaux avec l’arbre, mais jamais avec les deux
« T ».
Enfin Lucia m’en signale un :
— Là !
— Là ? Perplexe, je
constate : Mais,
c’est
l’arbre ?
— Avec les deux
« T ». Elle
se fait véhémente : Tu
les vois bien, les deux « t » ?
Ah ! Je comprends. En fait les
panneaux
représentent toujours
l’arbre accompagné des deux « T ». Mais il
ne s’agit pas de deux
« T », il s’agit de deux tables de pique-nique
symbolisées sous
l’arbre.
Signe, signal et symbole, des bribes de
mes
études de psychologie
expérimentale remontent, ainsi que des réminiscences de
Gestalt théorie, fond
forme, blanc brun. L’art de la symbolisation est un art difficile.
À moins que
les lunettes de Lucia ne soient pas vraiment universelles.
E : Lausanne, 1 juin
S : 02.06.2008
V : 02.06.08
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Le monde est fou, les villes se vident.
ADDENDA+<
Exégèse : Cette
remarque peut
sembler paradoxale au vu
de remarques antérieures mais, cela me revient maintenant, elle
est m’est venue
en voyant le centre de Durban le soir — où nous logions. Aussi
en repensant à la
ville de Johannesburg d’où les Blancs de l’apartheid ont
expulsé les Noirs vers
les Townships, des Blancs qu’actuellement on ne trouve plus que dans
des quartiers
résidentiels de plus en plus extérieurs, à
l’extérieur desquels s’édifient les
nouveaux quartier résidentiels des classes moyennes non
blanches, et au-delà
desquels s’accroissent les bidonvilles.
Une chose est certaine c’est que, de
jour, Durban
et le quartier
de Newtown à Johannesburg grouillent et que, le soir, c’est
désert. >
E : Durban, mercredi 16 avril et Lausanne, 9 mai
S : Lausanne, 9-16.05.08
V : 29.05.08
—————————————————————————————————
Durban, mercredi 16 avril
Aujourd’hui j’ai acheté une
contrefaçon de stylo Bic !
Demain je remarquerai qu’il fonctionne beaucoup moins bien que les
vrais. ADDENDA<Longtemps plus tard, je
verrai que je n’arrive par contre pas à le perdre. >
E : Durban, 16 avril
S : Lausanne, 10-16.05.08
V : 29.05.08
—————————————————————————————————
·
Dans l’instantanéité
du moment, la photographie
me rend aveugle.
·
Pour faire de la bonne photographie
africaine,
il faut s’asseoir. Et rester à l’affût (je l’ai fait
à Bobo Dioulasso, il y a
neuf ans).
E : Durban, jeudi 17 avril et Lausanne, mai 2008
S : Lausanne, 10-17.05.08
V : 29.05.08
—————————————————————————————————
Jo’burg est une non-ville car
crée autour
de rien,
c’est-à-dire de l’or de ses mines
éphémères. ADDENDA+<Pour
preuve, le nom de sa province, Gauteng, qui signifie « Pays
de
l’or », en langue indigène. >
E : Durban, jeudi 17 avril
S : Lausanne, 10-17.05.08
V : 29.05.08
—————————————————————————————————
En Afrique du Sud, quand elles ne sont
pas
électrifiées, la
plupart des clôtures sont surmontées de rouleaux de
barbelés, presque toujours
en acier militaire — l’acier militaire, tout comme l’acier
chirurgical,
existe
certainement, il est tranchant et inoxydable. À Durban, une
ville pourtant
apparemment un peu moins parano qu’ailleurs, c’est surtout sur les
toits qu’il
y en a, ce qui est curieux et pas très explicable.
À Jo’burg, entre le mall de
Campus Square
et chez moi, une
villa exhibe fièrement, fichée dans son confinement
barbelé, une plaque
émaillée sur laquelle est écrit en grosses lettres
rouges sur fond blanc :
« RAZOR RIBBON ». J’ai longtemps cru qu’il
s’agissait du nom, certes
pittoresque, du propriétaire de la maison. On m’a enfin
expliqué que
« ribbon » signifait ruban, j’ai alors compris.
Razor Ribbon, c’est
le nouveau prototype de barbelés qui ornent les murailles
d’enceinte de la
villa, un modèles à doubles rubans parallèles et
rectilignes. Pourtant Razor
Ribbon pouvait tout aussi bien sortir d’un album de Tintin. Ce sera
certainement
le prochain héros d’un polar que j’écrirai une fois.
E : Durban, jeudi 17 avril
S : Lausanne,10-17.05.08
V : 29.05.08
—————————————————————————————————
Le problème number one de
l’Afrique du Sud,
ce sont les mitigeurs.
En règle général, il n’y en a pas. Et quand il y
en a — même les British ne
sont pas assez fous pour imaginer des douches sans mitigeur ! —,
ils ne
mitigent rien du tout. L’eau de la douche passe immédiatement de
brûlant au
froid et vice-versa. Depuis le 14 avril, je rencontre un
problème nouveau. J’ai
l’habitude de tâter la température de l’eau avec mon dos,
un espace vaste et
peu innervé. Mais ces derniers jours, à cause du coup de
soleil persistant que
j’ai attrapé en faisant quarante-cinq minutes de snorkeling
à la surface de
l’océan Indien, je trouve toute eau d’office brûlante.
E : Vendredi 18
avril, Clarens in Free State Province – 10.05.08
S : Lausanne, 10-17.05.08
V : 29.05.08
—————————————————————————————————
C’est plutôt le malheur qui
serait une
invention moderne.
Maputo, le 20 mars 2008
On peut se demander si la civilisation
n’est pas
avant tout
la lutte contre le bien-être et la joie de vivre.
E : Troisième carnet
S : Lausanne, 10-17.05.08
V : 29.05.08
—————————————————————————————————
Je l’ai déjà
mentionné lors
de mon premier jour et de mon
premier orage, à Merville, la nomenclature des artères
suit une définition
ordinale. Soit, en abscisse, une succession d’avenues orientées
d’est en ouest,
la première, la deuxième, et ainsi de suite,
jusqu’à la septième, je crois. En
ordonnées, les rues, orientées elles du nord au sud, de
la première à la
neuvième. Vous pouvez donc donner rendez-vous à quelqu’un
à l’angle de la
Septième Avenue et de la Septième Rue. Si, faute d’autres
repères, vous savez
compter, que vous ne conduisez pas trop vite et que vous êtes
bien dans le bon
quartier de Jo’burg — la ville compte une bonne vingtaine de
Septième Avenue —,
vous arriverez à votre rendez-vous, surtout qu’à chaque
carrefour, le nom des
rues est judicieusement, ceci dit sans ironie, indiqué sur la
bordure d’angle
des trottoirs. Si vous ne remplissez pas toutes ces conditions, tant
pis pour
vous — ou pour cette rationalité de surface à raz le
bitume.
Les routes peu nombreuses qui
sillonnent le pays
portent des
numéros. Souvent, comme seule direction, la signalisation
routière n’indique
que ces seuls numéros. Il y a la numérotation
« R » probablement pour
régionale, la « N » pour nationale. Et Il
y a aussi la
« M ». La « M1 » et la
« N1 » desservent toutes
deux Johannesburg. Mais les cartes se contentent d’indiquer leur
numéro. La
« 1 » certes, mais de quelle
« 1 » s’agit-il ?
Je l’ai déjà dit (c.f.
rubrique Beira),
les gens du sud de l’Afrique ne s’intéressent pas au nom des
étoiles, à
l’altitude où ils se trouvent, ni à leur situation par
rapport aux lignes
virtuelles, ces repères chronométriques et solaires que
sont les tropiques,
équateur et autres cercles — ceci pas par manque d’intelligence
mais parce que
cela ne leur paraît pas du tout essentiel.
Pour aller d’un lieu à un autre,
les
Sud-Africians ne savent
que retrouver topologiquement le chemin qu’ils ont déjà
parcouru. Sortir du
garage du côté où l’on dépose les poubelles,
tourner en direction de la tour,
la dépasser, prendre la rampe qui passe au-dessus de stade de
l’université, se
laisser porter longtemps jusqu’à couper la ligne de chemin de
fer, compter
trois stops, s’arrêter. Et appeler Brother pour qu’il vienne vous
chercher pour
les derniers cent mètres. Cette connaissance, ils l’ont
intuitive, dans leur
corps en mouvement, mais ils ne pourraient la restituer verbalement —
une des
toutes première cartes que l’on possède encore,
passionnante, développe le
monde connu comme un large et long ruban, allant du Portugal à
Cipango, avec
quelques fioritures latérales, ou bifurcation, comme celle qui
mène au lac
Léman.
Lucia et moi avion décidé
de
retourner à Orange Farm.
J’avais l’idée vague que cela devait être à une
cinquantaine de kilomètres de
Jo’burg, qu’il fallait effleurer Soweto, et faire un petit bout
d’autoroute. Au
téléphone, Brother n’avait pu que me mentionner quelque
chose de genre Golden
Gate.
Partis déjà rongés
d’une
parfaitement raisonnable
incertitude, nous nous sommes arrêtés au bord de la route
auprès d’un vendeur
de tomates — les tomates de bord de routes sont excellentes alors que
celles
des malls, infâmes, ne sont guère qu’une pâle
membrane colorée remplie d’un
liquide insipide. Le vendeur de tomates nous a confirmé que nous
étions sur la
bonne route et qu’il nous fallait encore faire…
On l’a vu compter :
— Five, six… seven robots. Yes, seven
robots !
Les robots, c’est ainsi qu’ici on
désigne
les feux rouges.
Nous sommes repartis, nous avons
compté
sept feux rouges,
ceci sur un parcours d’une vingtaine de kilomètres, puis nous
avons tourné à
droite et demandé. Nous venions effectivement de quitter la
bonne route, mais
Orange Farm était encore loin. Il ne s’agissait pas de sept
feux, mais de onze
ou douze. Nous y sommes tout de même arrivés. Moi
très épaté, et pas peu
fier !
Fifo, c’est
first in, first out.
Lifo, c’est
last in, first out.
Ce sont deux concepts qui ont
amusé et
longtemps occupé
Piaget.
Lifo est volontiers utilisé en
informatique, par exemple
dans les notations polonaises inversées, ou pour les variables
du Forth.
Concrètement, on peut observer ce concept Lifo dans ces piles
d’assiettes qui
sont montées sur un puit à ressort dans certains
self-services. La première assiette
que vous prenez est la dernière que le plongeur a
replacée, et ainsi de suite.
Le concept opposé s’appelle
Fifo. C’est,
sauf en cas de très
très grave accident, le fonctionnement usuel des tunnels
autoroutiers, la
première voiture qui y pénètre est la
première qui en ressort, du moins dans
les tunnels à une seule piste. C’est aussi ce principe Fifo qui
régit les
carrefours non protégés en Afrique du Sud — et ils sont
assez nombreux —, ainsi
que les feux éteints. Fifo. Chaque véhicule doit
s’arrêter, mais c’est le premier
arrivé au carrefour qui repart. En cas où des files de
voitures se sont formées
à chaque branche du carrefour, c’est une, une, une, une, puis on
recommence.
Cela a un effet modérateur très efficace et intelligent.
Ce qui est curieux
c’est que, si presque chaque conducteur sud-africain applique
consciencieusement
la règle, aucun n’est capable de la formuler — il en est
d’expérience de même
au Mozambique, où, du reste, on roule aussi à gauche.
E : Lausanne, le 11 mai
S : Lausanne, 20.05.08
V : 29.05.08
—————————————————————————————————
Entre Lucia et moi, tout au long de
notre
périple, l’entente
est excellente. Ce que l’un propose correspond à ce que l’autre
veut faire, ou
sinon lui convient parfaitement — quand on pense aux nombreux
désastres
qu’étaient les tentatives de vacances entre sa mère et
moi, jusqu’à cette
apothéose italienne de 92 !
Entre Lucia et moi, cela colle par nos
goûts
et un certain
tempérament commun. Nous nous ressemblons — peut-être
est-ce là, la limite à
des vacances communes trop prolongées. Je ne discerne pas entre
nous de
relations hiérarchisées — sauf peut-être,
ataviques, de l’ordre des souvenirs,
comme le papa et la petite fille de 2 ans qui jouaient ensemble
à saute-caca
dans les pâturages des Préalpes vaudoises. Pas
d’opposition caractérielle non
plus. Pas de rapports dominant-dominé, un brin sado-maso — comme
ceux qui, sans
trop nuire je crois au dynamisme de nos périples, existent
vaguement dans les
relations de cyclotouristes entre mon ami Christophe et moi.
Entre Lucia et moi, il n’y a pas non
plus de
surenchères
intellectuelles — sauf, hélas, aux cartes, où je continue
à perdre presque
systématiquement, ceci en dépit de l’impartialité
aveugle du hasard. Tout comme
moi, Lucia aime à trouver des explications à tous les
phénomènes existants,
ceci volontiers par des voies paradoxales et contradictoires. C’est une
des
caractéristiques communes de notre pensée scientifique.
Le dernier jour sur la M1, l’autoroute
interne
à Jo’burg, à
une question sur les bouchons curieusement alternés du trafic,
Lucia se lance
dans un processus d’hypothèses alambiqué, qui,
très visiblement, va de même
rapidement bouchonner. Je lui fais remarquer que si j’adhère
aussi à la volonté
de tout vouloir expliquer, elle montre certaines fois ses limites.
Lucia
accepte ma présente remarque sans problème. Nous pouvons
nous concentrer sur un
autre, plus trivial et plus urgent, essayer de trouver l’hôpital
qui héberge ma
coach (voir le chapitre : La rationalité britannique des
Sud-africains, le
paragraphe intitulé Topologie).
L’Afrique du Sud est couverte de
gendarmes
couchés qui, excepté
à Soweto, sont toujours très bien annoncés. Avec
les carrefours, ils
participent efficacement à la modération de la
vélocité du trafic (voir le
chapitre : La rationalité britannique des Sud-africains, le
paragraphe intitulé
Fifo). Une fois, très au début de notre périple,
Lucia, alors copilote, me
signale l’imminence d’un « bump ».
Je rectifie :
— Bump ? Non, hump.
Elle répète :
— Non, non, bump.
— Pourtant dans « So
Stories », Kipling joue avec
les « humps » du chameau.
Lucia insiste :
— En tous cas, pour la route, c’est
« bump » qu’on
dit.
— Tu as probablement raison.
Elle parle bien l’anglais, en outre
elle sait
lire, alors
que mon anglais est balbutiant et que je suis notablement dyslexique,
approximatif
et improvisateur. Elle a forcément raison, j’abrège la
discussion, sans rancune
aucune.
Quelques kilomètres plus loin,
un panneau
explicite annonce,
en bel anglais, trois humps successifs. Ai-je eu tort de donner raison
à ma
fille ? Objectivement et localement peut-être,
subjectivement non.
Par contre, actuellement, je fais
preuve d’un tort
léger, où
ressurgit mon mauvais fond. Je ne donne ici que des exemples dans
lesquels j’ai
finalement eu gain de cause — ce qui rend plus improbable l’ensemble du
propos
de ce chapitre ou le nuance agréablement.
N’impliquant que moi, j’ai une
explication
à mon angélisme
de voyageur paternel évoqué dans les paragraphes
ci-dessus. Il est lié à un
sentiment que j’ai ressenti plus d’une fois lorsque l’une ou l’autre de
mes
filles se trouvait très loin au bout du monde. Au lieu de
m’inquiéter de leur
absence, leur éloignement me faisait simplement me sentir plus
vaste. Parce
que, pour moi, sans que cela n’ait rien, ici, de fusionnel ou de
psychotique,
je ressens mes filles comme étant, aussi, des prolongements
positifs de
moi-même.
Non par goût
immodéré de la
victoire, mais par amour occasionnel
de jouer avec les mots, ainsi que pour entretenir et enrichir mon
pitoyable
parler anglais, j’ai récemment imaginé ce petit distique
en l’honneur de Lucia
— il contient aussi un crypto-hommage à ses audaces de pilote :
Little
daugther,
Listen
to
your flabby
father,
And
let us
bump over
the hugest humps !
E : Lausanne, le 11 mai
S : Lausanne, 20.05.08
V : 01.06.08
—————————————————————————————————
Au tout début de notre
périple,
j’avais averti Lucia :
— Je te propose des choses. Si tu ne te
sens pas
de les faire,
on ne les fait pas. Si tu te sens soudain en danger, tu le dis, et, si
c’est
toujours possible, nous faisons demi-tour.
Il se peut que je n’aie pas dit : si
c’est
toujours possible
; c’est l’expérience de nos éventuelles folies qui me le
fait à posteriori
ajouter. Mais c’est sur ces principes de base que j’ai
entraîné Lucia à Joubert
Park, Orange Farm, Soweto. Et même, à fréquenter la
compagnie des Sud-Africains
blancs !
Tout de même,
rétrospectivement, des
folies, nous en avons
bien faites quelques unes.
Une fois, Lucia s’est trouvée
pas
très à l’aise, elle l’a
répété quelques jours plus tard. J’avais bien fait
demi-tour, mais pas tout à
fait assez vite à son goût. C’était au bord du
Santa-Lucia Lake, au crépuscule,
lors de ma traque aux traces d’hippopotames. Bien que ne faisant pas
partie des
mythiques « Big
five »
sud-africains,
l’hippopotame est, parait-il, le plus meurtrier des gros
mammifères locaux.
Passant pour être très bête et très craintif,
il fonce devant lui, écrasant
tout sur son passage. Heureusement, on n’a jamais vu des traces
d’hippopotame
foncer sur qui ce soit. Il nous faudra même attendre le
lendemain, et
l’estuaire sur la mer, pour apercevoir quelques spécimens en
chair et en os
d’assez près.
Dans les autres bêtises, c’est
plutôt
grâce à l’esprit dynamique,
décidé et entreprenant de Lucia, que nous avons
donné. Et cela n’aurait été des
bêtises objectives que si nous avions rencontré des
problèmes. Mais de
problèmes, pas trace !
Enfin, reconnaissons-le, certaines des
pistes
— au sens
le plus concret du terme, des pistes routières —, auraient
pu devenir de
vraies bêtises.
Déjà celle qui
s’élançait immensément haut — 2000, 2500
mètres ? — entre l’Afrique du Sud et les mines d’amiantes
abandonnées du
Swaziland, et pour laquelle le guide papier chéri de Lucia
évoquait l’usage du
quatre quatre. Il n’est en outre pas dit, malgré son bon air
d’altitude, qu’un
village minier qui n’est abandonné que depuis cinq ou six ans
soit totalement indemne
de poussières d’amiantes, mais ce danger-là, non
mentionné par le guide, est
trop invisible et lointain pour que, en bonne autruche, je le
comptabilise.
Piste incertaine d’autant qu’au crépuscule un bel orage a
éclaté — un de ces
nombreux attardés d’une saison sèche qui cette
année n’en finit pas d’arriver —
piste dont, au petit matin, le parcours pouvait très bien longer
à nouveau les
précipices de la veille. Nous avons heureusement eu la sagesse
de prendre deux
auto-stoppeurs locaux qui pouvaient nous conseiller, et qui nous
auraient
peut-être désembourbés au besoin.
Notez, on nous avait dit :
— Jamais d’auto-stoppeurs ! Si
quelqu’un
s’approche de
votre véhicule, remontez votre fenêtre et foncez !
Nous nous étions fixé une
règle, nous ne prenions des autostoppeurs
que là ou la solidarité s’imposait — à savoir
sur les pistes isolées. Et
encore, que si nous avions l’intime conviction qu’on ne nous
indiquerait pas
une destination plus avantageuse pour nos hôtes du moment que
pour nous — mais
cet aparté sur les autostoppeurs ne saurait en aucune
façon relever des dangers
encourus.
Des pistes et des folies ? Plus
encore celle
qui
coupait directement vers Sodwana Bay. Mon landlord, un habitué
de la plongée
sous-marine en ces lieux, dira plus tard qu’il ne s’y serait jamais
lancé. Une
piste qui s’est avérée délicieusement boueuse —
c’est là que notre Toyota a
acquis cette patine argileuse et lourde qui ne devait plus la quitter
jusqu’à
ce qu’on la restitue, à l’aéroport international de
Tambo. Un véhicule tanguant
à souhait, dépassé et dépassant un
énorme autocar, et croisant une multitude de
piétons surgis et allant Dieu sait où, donnant enfin
à notre itinéraire le
charme de l’Afrique pittoresque que Lucia avait apprécié
au Mali, et moi tout
récemment.
Il convient de dire ici que dans les
situations un
peu
difficiles, pistes bouseuse bien sûr, mais pour moi bien pire,
densité du
crépuscule, éblouissement des phares et silhouettes
couleur de nuit, Lucia
s’avère une excellente conductrice, décidée,
alerte, et immuablement souriante.
Et il faut admettre que je me suis révélé
être toujours un magnifique copilote,
sachant interpréter la carte — avec même quelquefois des
intuitions qui
pallient opérationnellement aux lacunes de celle-là.
Mais la palme de l’intuition
téméraire, pifométrique et décidée,
revient à Lucia. Quand nous sommes arrivés tout au bout
de la piste de Sodwana
Bay, il faisait totalement nuit. Nous avons dépassé les
dernières maisons — des
hôtels et des restaurants, soudain émergés et qui
auraient pu nous accueillir,
nous héberger. Devant nous, j’imaginais l’océan Indien.
Mais, peut-être, la
route avait-elle marqué un coude dans le noir de la nuit. Cette
route, Lucia
l’a poursuivie.
Pour me rassurer, elle disait :
— Je m’arrêterai au plus tard au
kilomètre septante-deux au compteur.
S’il faut alors, nous ferons alors demi-tour.
Je n’ai pas vérifié si
elle
observait sa règle.
Nous avons passé deux curieux
gendarmes
couchés, faits de
petites tortues en pierre. Lucia les a interprété comme
des signaux positifs.
Elle a donc insisté. Et, effectivement, nous sommes
arrivés à une première
barrière, où nous avons dû remplir un sempiternel
registre et payer une somme
assez dérisoire, puis à une autre barrière,
où nous avons rempli un autre
registre, payé une somme guère moins dérisoire,
reçu un récépissé accompagné de
la garantie que nous étions sur la bonne voie, pour, un bon
kilomètre plus loin
— kilomètre fait de bosses et de flaques aux profondeurs
incertaines —
déboucher dans une sorte de Club Med fait de chalets suisses
claquemurés et de
joyeux touristes polyglottes et plongeurs. Nous n’étions
toujours pas exactement
à l’océan, mais cela nous ne l’avons su qu’au lever du
jour. Je tire ici mon
chapeau à l’intuition et à l’esprit de décision de
ma fille.
En certaines occasions, peut-être
nous
aurait-il manqué une
petite voix pour marquer quelques hésitations. Je doute qu’il
puisse s’agir de
mon autre fille Cécile, puisque, de souvenir, quand Lucia et moi
sentions la
menace de vrais dangers, elle nous apaisait d’un fatalisme christique
et
sédatif. En son temps, il y aurait eu leur mère, mais
c’était là
l’insupportable excès contraire. Alors je suis content comme
cela. C’est
d’autant plus facile que je me retrouve sain et sauf dans la
quiétude
helvétique de mon bureau.
E : Lausanne, le 11 mai
S : Lausanne, 22.05.08
V : 01.06.08
—————————————————————————————————
20 au 25 avril
La troisième semaine, je propose
à
Lucia un petit digest de
tout ce que j’ai fait à Johannesburg pendant ma résidence
d’artiste. En
accéléré, sans mes tâtonnements et leurs
essais erreurs.
Revoir Jo’burg avec Lucia, c’est comme
passer
d’une photographie
à plat à une vision stéréoscopique — ces
grosses boîtes à plaques de verres
doubles du début du vingtième siècle ou les
appareils à disques de carton de
quand j’étais gamin. Pour réaliser ce type de
clichés, les appareils de prise
de vue sont équipés de deux objectifs identiques — dans
le cas de Lucia et de
moi, seulement assez semblables. Par le léger décalage de
ceux-ci — notre
double regard auquel s’ajoute ici le temps —, la visée
acquiert la
profondeur. Ma vision de la ville gagne un nouveau relief. Je la revois
de par
moi-même. Et je vois aussi comment Lucia la voit. Je remarque ce
qui l’intrigue
le plus, la surprend, l’enrichit ou la déçoit. Mais
surtout, accompagné — tous
deux amarinés ensemble par nos premières semaines de
traversée —, je revisite
tout ce que j’ai vu et vécu, sans plus cette parano qu’on a
essayé de
m’inculquer, ni la parano que je m’étais moi-même
créée. Tranquilles tous les deux,
nous redécouvrons Orange Farm, Soweto et Joubert Park. Nous
revisitons surtout
les WASP
qui, pêle-mêle, se montrent
zen, positivistes,
neuro-érotiques, buveurs de bière, fumeurs d’herbe,
sniffeurs de coke, suceurs
de lsd — je crois qu’on vient de m’en proposer —, mais aussi
travailleurs et
parents, enfants et humains, comme vous et moi. Du reste ce sont ces
WASP
finalement qui surprennent, intéressent et amusent le plus Lucia.
Et voilà que, soudainement, la
ville
m’apparaît paisible
— même son trafic où nous nous débrouillons
comme des chefs —,
hospitalière, ensoleillée. Une ville où c’est
vraisemblable qu’il fasse assez
bon vivre, où j’imagine même pouvoir, ou que je pourrais,
aurais pu ou pourrai
vivre longtemps, et même bien. Soudain il m’apparaît que
beaucoup de sa
noirceur n’est que poudre aux yeux, poudre de perlimpinpin, poudre d’or
— ou
fines scories échappées des terrils tronconiques — que
les habitants d’ici
aiment à jeter en l’air, comme des enchanteurs ou des marchands
de sable, pour
maintenir le mythe d’une tradition de l’effroi et de la violence, dont
les
fantômes s’essoufflent, agonisent et vont bientôt mourir.
E : Lausanne, le 11 mai
S : Lausanne, 22.05.08
V : 01.06.08
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Pleurs et
colères
mardi 22, Apartheid Muséum
Après 3 mois me revoici à
l’Apartheid Muséum, pour y accompagner
Lucia. Une envie de pleurer me reprend. Le fascisme, dans ce qui fait
sa
spécificité, c’est avant tout la bureaucratisation de la
violence. Entre
autres, dans l’institutionnalisation systématique et
organisée du racisme.
En arrière-plan, ici en tous
cas, il y a la
religion. D’après
un film de propagande tourné en 1938 à leur propre gloire
par les Boers, les
révoqués de l’Édit de Nantes seraient les
pères glorifiés et les mânes de la
Nation Blanche Sud-africaine. Ils sont aussi les sinistres
géniteurs d’une
théologie élitaire, raciale et
ségrégationniste : toutes les créatures de
l’Afrique,
Noirs inclus, existent pour être au service du peuple élu
de Dieu, fraîchement
débarqué !
En arrière-plan, la colonisation.
En arrière-plan,
l’humanité en
général. Et son sens — si jamais
elle en a plus que Carolingine, la tortue de mon gros manuscrit. Et
moi, comme
acteur, passif, de cette humanité.
Enfin, au premier plan, le capitalisme
aveugle,
brutal, imbécile
et assassin, où nonante pour cent de l’humanité est
traitée comme un bétail
corvéable à merci, pour le profit d’une
autoproclamée — même si, quelquefois,
accidentellement — élite de dix pour cent. Et dont les
arc-boutants, le genre
de religion susmentionnée, servent à bâtir une
aristocratie ou une théocratie,
toutes deux assassines. A-t-elle raison, ma fille, de penser que la
religion est
la mère de tous les maux ? Ou n’en est-elle que le
cache-pot ? Et
combien nous font rétrospectivement rire sans vergogne ces
idéologues qui nous
ont présenté les goulags russes comme la bête
immonde, alors que les townships
miniers et autres ghettos de travailleurs n’en étaient, à
cause de l’or, que
les plus éblouissants et égoïstes pendants — et
là-bas, sans la moindre quête
de justice ou de justification. Et combien il saute aux yeux que les
guerres
voisines de libérations, instrumentalisées par la guerre
froide, n’ont servi qu’à
l’ouverture de nouveaux débouchés — pour l’industrie
militaire avant tout —
dont les actuels conflits du Proche-Orient ne sont que le triste
prolongement !
En même temps que ma flamme et ma
rage,
croît mon désarroi.
Car, malgré tout, l’Afrique du Sud de 2008 n’est plus celle
d’avant 1994. Même
les conditions de travail des mineurs saisonniers, actuellement
importés du
Zimbabwe, se sont quelque peu s’améliorées.
Désormais ils portent les casques
en plastiques durs et les coquilles auditives des photos
chromées qui ornent le
siège d’Ashanti-Gold à Newtown. Quand les enfants, noirs
surtout, mais noirs et
blancs, né après 94 auront à leur tour des
enfants, ceux-ci ressembleront sans
doute beaucoup à ceux du Monde Occidental, aux doux
Américains de maintenant, —
qui n’ont pourtant abandonné la ségrégation que
guère plus tôt —, repus,
riches, citoyens, et relativement égaux, qu’ils soient noirs ou
blancs, femmes
ou hommes, comme si le sens distordu de notre inhumaine histoire de
l’humanité
donnait raison au mensonge top-down : ce qui est bon pour la General
Motors est
bon pour l’Amérique — un précepte qui a, entre autres,
amené à renoncer ici au
programme RDP !
Le capitalisme aveugle
serait-il donc
la voie unique vers le bonheur humain ? ADDENDA<Ceci
dans l’acception
antinomique suggérée par un ou deux de mes récents
aphorismes >
Aujourd’hui le ciel est totalement bleu
et la
chaleur
revient. Si je m’enflamme, c’est aussi parce que dans ce pays-ci les
contradictions sautent aux yeux, parce que la couleur de peau marque
ici comme
la fluorescéine a dessiné le fil de nos rivières
souterraines. Mais les
saisonniers suisses, auxquels nous n’avons renoncé qu’il y a
très peu et sous
la contrainte de l’Europe, mais les ouvriers africains qui actuellement
percent
notre tunnel du Gothard font-ils de notre pays un pays si
différent ? Capitalistes
de tous les pays, unissez-vous !
Écrit dans la colère, en attendant Lucia
encore dans
le musée, le 22 avril
S : Lausanne, 10-19.05.08
V : 29.05.08
—————————————————————————————————
Soweto, mercredi 23 avril
Alors que samedi, il faisait les
habituels 20
à 25 degrés
centigrades du doux automne johannsebourgeois, alors que ce dimanche
matin est
encore relativement chaud, le temps d’arriver à Orange Fram chez
Brother, la
températures chute officiellement à 2 degrés
— occasion pour nous de
tester le confort d’une tinhaus équipée d’un poêle
et de lits à multiples
couvertures. Puis la température remonte.
Mais ce matin, en direction de Soweto,
le bleu du
ciel lumineux
a viré au jaune douteux. Il nous faut un moment pour comprendre.
Tous ceux qui
ont heureusement un chauffage l’ont allumé, dessinant dans
l’éther un smog de
bois brûlé, de charbon ou de cette paraffine liquide
à la triste réputation
incendiaire. Comme un jupon qui dépasse, comme une lessive qui
flotte, le
paradis des townships commence à exhiber au-dessus de lui les
dessous douteux
de l’hiver.
E : Lausanne, 8 juin
S : Lausanne, 08.06.08
V : 08.06.08
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Soweto, mercredi 23 avril
Good, notre guide habituel,
s’écarte pour
laisser passer une
voiture rouge qui semble vouloir tourner sur sa droite mais qui est en
fait en
train de se parquer sommairement. Deux hommes s’en extirpent et
serrent,
d’abord la main de Good — d’où l’idée qu’ils se
connaissent —, puis la mienne,
mais refusent de serrer celle de Lucia, comme elle nous l’apprendra peu
après,
du moins celui qui porte une djellaba et qui est visiblement Arabe, ou
plus
probablement Indien musulman — il ressemble aux Indiens musulmans du
Zimbabwe
qui m’avait guidé dans la gestion du pot de vin de la
frontière mozambicaine
(c.f. rubrique Tips)
—, alors que l’autre est
Noir, mais
sans doute pas d’Afrique du Sud.
Assez sèchement, l’Indien
musulman pose des
questions presque
policières, auxquelles Good répond aimablement, il
transmet même son numéro de
portable.
Puis vient notre tour — plutôt
mon tour,
c’est à moi qu’on
s’adresse. Dans le lot, l’Indien musulman veut savoir si, en Suisse
aussi, on
considère tous les musulmans comme des terroristes. Un peu
après, il propose
que nous nous revoyions.
Je finis par dire qu’il est temps pour
nous de
poursuivre
notre route. On se serre les mains. Après une hésitation,
ils serrent aussi
celle de Lucia.
À peine sont-ils partis, Good —
dont
pourtant l’emploi du
temps tel qu’il nous l’a décrit ne paraît pas
surchargé, et dont l’adéquation à
la philosophie zen ambiante semble évident — s’écrie, en
anglais puisque c’est
la langue que nous utilisons ensemble :
— Ces enfoirés, ils viennent
juste de
gâcher dix minutes de
ma vie !
C’est fort amusant en soi. La perte de
temps
m’avait aussi effleuré
lors de ce curieux échange, mais j’avais deviné que
j’étais en train d’ajouter
là une expérience humaine de plus, ce qui en vaut, en
soi, déjà la peine. Je le
regrette d’autant moins que la remarque de Good l’a magnifiée.
E : Avion Heatrow-Genève, le 26 avril –
11.05.08
S : Lausanne, 11-20.05.08
V : 29.05.08
—————————————————————————————————
Johannesburg est, parait-il, la ville
du monde la
plus foudroyée.
La ville du monde où il y a le plus d’arbres. Le plus d’oiseaux
— c’est en tous
cas des coins du Sud de l’Afrique que j’ai fréquenté,
celui où j’ai vu le plus
de variétés. Le meilleur air — les tuberculeux venaient
s’y faire soigner. Le
plus de crimes — ce ne serait plus vrai, Cap Town l’aurait
supplantée, et je
n’en ai vu aucun.
E : Lausanne le 27 mai
S : 01.06.08
V : 01.06.08
—————————————————————————————————
Une fois, il n’y a pas très
longtemps, mon
ex-épouse a dit
en ma présence que nous avions donné à nos filles
une éducation sévère et
traditionnelle. Devant la surprise qui marquait mon visage, elle a
rectifié en
précisant que, elle, tout au moins, leur avait donné une
éducation sévère et
traditionnelle. Sa réflexion m’a plongé, des jours
durant, dans des abîmes de
perplexité. En effet, ce n’était absolument pas le
sentiment ni le souvenir que
j’avais gardé. J’ai fini par poser la question à mes
filles. Un des éléments
ressortis justifie ce long préambule. Elles ont dit que nous
étions les seuls
de leur entourage à préparer trois repas par jour
à leurs enfants et à demander
qu’elles avertissent si elles ne venaient pas manger.
Chez ma coach, mère très
chaleureuse
au demeurant, je n’ai
jamais vu ses trois enfants manger tous ensemble à la table
commune, ni au même
moment, et rarement ce que l’un de nous avait préparé
pour tous.
Ma coach, elle me l’a dit, a rarement
voulu
s’encombrer de
maris — même si ceux-ci restent bien accueillis, voire
hébergés. La maison de
ma coach est un sympathique moulin à vent, un peu fatiguant mais
beaucoup plus
décontracté que chez nous.
Un jour en fin d’après-midi, mon
landlord,
son ex-future
femme, ses deux enfants et moi, nous sommes allés boire un verre
à Melville.
D’eux-mêmes, les deux enfants se sont commandé des pizzas,
se lançant ainsi, de
leur propre chef, sur le pouce, dans leur repas du soir. Et, en
règle générale,
je ne sais pas trop comment ces enfants faisaient pour savoir où
ils allaient
dormir chaque nuit, dans la maison de l’ex-future femme de mon landlord
ou dans
la sienne, en sa présence ou en son absence, avec ou sans les
chiens. Même
problème, du reste, pour les chiens de l’ex-future femme. Par
contre pas, parce
que dormant dans une vasque en pierre close enclose dans le jardin clos
de
l’ex-future, pour le poisson rouge. Tout cela ne les empêche en
rien — je parle
ici des enfants ado et préado, pas des chiens ni du poisson
rouge — d’être
plutôt ouverts, sympas et relax, ceci malgré, ou
grâce à, leurs mères speedy.
La fille de mon landlord vit, elle, au Cap. D’où mon impression
que la famille,
pour le moins la famille nucléaire, est absente du monde des WASP
d’Afrique du Sud.
Chez les Noirs, c’est encore tout autre
chose. La
domestique
de ma coach, qui habite dans la dépendance de sa maison,
trimballe avec elle et
partout, souvent sur le dos, son gros gamin d’un an, le charmant Mpo.
Ses cinq
autres enfants vivent avec de la famille dans un township où Mpo
a pour
l’instant refusé de rester. Les bons vieux instruments du papa
Freud, son Moi
pas galvanisé en tête, résisteraient-ils aux
conditions climatiques d’ici
(revoir aussi Orange Farm, notes éparses, Un paradis rarement
dit) ?
Rien ne dit que cela soit plus mal que
notre vieux
modèle européen.
C’est simplement surprenant à mes yeux, et différent. En
Afrique du Sud, la
famille n’existe pas.
E : Lausanne, le 2 juin
S : 04.06.08
V : 04.06.08
—————————————————————————————————
Petit
traité de zen et de pensée positive
Zen objectal. Dans mon flat comme dans
la maison
de mon
landlord, seuls cinquante pour cent des robinets ont été
montés en respectant
l’ordre chaud froid, gauche droite. Seul cinquante pour cent de ces
robinets
respectent la convention rouge bleu. Et seul cinquante pour cent
fonctionnent.
Résultat des courses — je viens d’en faire l’analyse
factorielle sur un
bout de papier — seul un sur huit a une chance de
spontanément répondre à
nos attentes. Autant les utiliser au pif.
Zen nouménal. Dans leurs
maisons, et assez
rapidement dans
mon flat, on entre comme dans un moulin à vent. On s’invite, on
s’installe, on
se sert, on est toujours bien venu, et on repart comme on veut. On
mange ou on
fait à manger. C’est aussi comme ça chez ma coach, c’est,
je crois, généralisé
chez les WASP et consorts d’ici.
Au terme de notre séjour, Lucia
et moi nous
nous en sommes
publiquement émerveillés. Même si les WASP WASP
tout à fait blancs charrient
une terrible nostalgie de temps d’avant — mon landlord
évoque le paradis
perdu de sa Namibie natale, en fin de soirée les femmes
mûres hurlent leur
haine pour tout ce qu’elles ont dû céder —, mon landlord
explique comme suit,
avec sagesse, leur côté zen. C’est une qualité
qu’ils ont héritée des populations
indigènes, et qu’ils ont su préserver. Grâce
à cela, cet esprit zen et cool
s’est généralisé et perdure. On le voit dans la
marche de Mary, la domestique
de mon landlord, dans les trous des tôles de Brother et dans le
mode de vivre
des WASP d’ici.
Un peu avant de partir pour l’Afrique
du Sud, j’ai
rencontré
un prêtre défroqué noir qui habite Lausanne. Il m’a
annoncé que je verrai
rapidement ce que les gens de l’hémisphère sud ont et qui
fait défaut à ceux du
nord. J’y suis allé, j’ai vu.
À notre retour à Jo’burg,
ma coach
me recommande de trouver
l’occasion de reprendre bien congé de Myglove.
Je secoue la tête :
— Nous l’avons déjà fait.
C’est
même pour cela que je suis
venu avec toi lui ramener ses casseroles.
— C’est
vrai…
— Ça c’est mal passé,
ça
suffit comme ça.
— Mais, on ne peut pas laisser une
relation mal
terminée.
— On ne peut pas ? J’en ai
déjà
eues plusieurs. J’ai
déjà eu des relations mal terminées. Des bien
terminées. Et des biens qui
continuent.
Ma coach est déboussolée :
— Il faut pourtant toujours trouver une
issue
positive !
— Non, non ! C’était une
relation
négative, cela le
restera, c’est très bien comme ça. Une relation
négative, c’est aussi enrichissant.
Le visage de ma coach s’illumine :
— Oh !
Olivier you are brilliant ! Tu as raison, une relation
négative
assumée comme telle, vue comme ça, tu as parfaitement
raison, une relation
négative c’est tout aussi positif ! Brilliant,
brilliant !
Elle en bat des mains. Moi je suis
désemparé. Certes, j’ai
tendu la perche, mais je me suis fait voler ma négativité.
En définitive, cette
pensée positive
est la troisième
mamelle des Sud-Africains. Chez ma coach, c’est sa colonne
vertébrale, sa
respiration et sa méditation. Grâce à cette
structure de pensée, lorsque j’ai
lui ai exprimé ma déprime pendant la première
synthèse que nous avons fait
ensemble, elle a su accepter mes récriminations — en en
approuvant certaines,
en me donnant plus d’une fois raison, en me félicitant pour la
finesse de mon
observation — pour les utiliser ensuite comme le moteur d’une nouvelle
orientation dans un projet commun. Combien cela est différent
des mondes
genevois et des mondes silligiens qui m’ont nourri — et que je
reproduis malgré
moi dans mes modes de faire, de dire et d’être !
La pensée positive
imprègne ma
coach, mais c’est aussi un
outil professionnel qu’elle a perfectionné dans des cours. Lors
de la partie
plus périple de mon séjour, j’ai eu l’occasion de
fréquenter l’environnement
des ambassades, un milieu que je ne connaissais pas, que j’imaginais
guindé et
feutré. J’ai été plutôt agréablement
surpris. Par exemple, l’homme qui m’a
accueilli au Mozambique ainsi que sa femme ont très vite
livré des choses
étonnamment intimes, quelquefois même un peu choquantes,
mais personnelles et
touchantes. J’ai été légèrement
déçu quand lui m’a dit que, dans le cadre de
son boulot, il avait suivi des cours de gestion des émotions. Le
management des
émotions ! Cela m’a fait repenser à ce banquier qui,
parce qu’il allait
gérer le portefeuille d’une nouvelle cliente, s’était
proposé de se présenter
un peu plus. Pour ce faire, il avait appris à celle-ci que son
épouse à lui
s’était suicidée — le suicide de sa femme pour asseoir
une clientèle, qu’elles
sont jolies les banques de chez nous ! Pourtant, chez le couple de
l’ambassade, dont la femme n’a certainement pas suivi ce genre de
cours, j’ai
senti qu’il y avait autre chose. Chez eux transparaissait une belle
vérité. Un
état d’esprit certainement encouragé par une ouverture
que les oiseaux de
passage, la distance et le sud — le sud de l’Afrique,
l’hémisphère sud —
favorisent.
Chez Myglove, la pensée positive
est
devenue un étendard
qu’elle manie comme un sumo dans un magasin de porcelaine.
Pour servir cette pensée
positive, la
totalement speedée
ex-future de mon landlord s’est faite professeur de yoga.
Cette pensée positive, si elle a
beaucoup
amusé Lucia, m’a
un peu effaré. Pour me rassurer, j’ai cherché la
complicité de mon landlord,
informaticien à l’esprit plus scientifique, quelquefois cynique,
possiblement
matérialiste.
Mais il l’a défendue :
— J’espère bien que j’ai une
pensée
positive, s’est-il
écrié. Que peut-on avoir d’autre !
J’ai mentionné le scepticisme
des Anciens,
le doute existentialiste,
voire le culte du morbide de certains, j’ai évoqué
Baudelaire et les poètes
maudits. Pour lui, c’était chinois et valeurs absurdes.
Pourtant, sur nos murs,
no future s’écrie en anglais !
E : Lausanne, le 5 juin
S : 06.06.08
V : 06.06.08
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Genève, 2-3 mai, Lausanne 1 – 16 mai
Les premiers jours — surtout que je
suis tout
bronzé alors
que, conséquemment à un mois d’avril terriblement
pluvieux, les gens d’ici sont
aussi blancs que les femmes entrevues une fois aux Îles
Sorlingues —, tout le
monde veut savoir comment c’était là-bas. J’essaie de
raconter. Grand pays.
Rude. Mégapole, quartiers dispersés, foudre et
forêt. Bidonville. Zen et méditation.
Pensée positive, haine, violence. Oiseaux, grands fauves,
grandes disparités.
Je parle, mais je m’interromps. Ce que je dis n’est pas vrai, ce que je
dis ne
rend pas bien compte de la vie là-bas. La vie là-bas
c’est aussi plein d’autres
choses, des gens. Je m’arrête et je demande alors des nouvelles
d’ici.
Mais je ne sais pas pourquoi, sans
doute mon teint
bronzé
est-il envahissant, la conversation repart sur le monde. Chaque fois,
mon
locuteur constate que le monde va mal. Pour preuve que le monde va mal,
il cite
le documentaire très sombre qu’il vient de voir, la veille, sur
telle ou telle
chaîne. Un, je crois, sur le Nigeria, un autre sur les
délocalisations en
France. La vie vue à travers la petite lucarne. La vie ici,
c’est la télé qui
l’étalonne avec son écran trop lumineux, mon bronzage
l’obscurcit.
Et puis là, quelques jours plus
tard, il
est 17 heures, je
descends vers la gare. Il y a du monde dans la rue, un monde que je
regarde et
que j’observe tout en le croisant, des gens divers, variés,
bariolés, même
l’air souriant. Je me dis alors que Lausanne est somme toute une ville
cosmopolite où il fait bon vivre. Diable ! où donc
voudrais-je
vivre ?
E : Dans le train vers Montreux, le 16 mai -
01.06.08
S : 01.06.08
V : 01.06.08
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L’éponge est rentrée,
elle s’est
fixée sur son vieux
caillou, une méchante boîte en plastique gris couverte de
puces — ou le
contraire. Déjà les eaux troubles de l’écran lui
donnent un peu d’urticaire,
les radicaux libres, les ions négatifs, et l’UDC locale grignotant sa toute jeune
pensée positive. Mais elle
bois, avale, pompe,
rote et chie, enfin trie pour ne garder dans sa spongieuse structure
que la
substantifique moelle. Pour l’instant, elle demeure toute innocente et
incertaine des petits qu’avec cette moelle elle engendrera.
Mais elle a confiance, elle est sage et
elle se
souvient. Il
y a dix-sept ans, elle, l’éponge, et Cécile, sa fille
cadette, sont parties
ensemble pour une petite escapade à New York. Voulant se rendre
au zoo, ces deux
visiteurs se sont égarés dans le Bronx — juste dix
petites minutes nécessaires
pour passer d’une station de métro à une autre
immédiatement à côté. Eh bien,
il y a un an, moi l’éponge, j’ai écrit le manuscrit d’un
nouveau roman qui a
comme seul cadre ce tout petit bout du Bronx. Plus exactement, le
souvenir
éphémère et précis que j’en garde.
Alors j’ai confiance. D’ici quinze ans,
dans un
temps
inversé par rapport aux objectifs
de ma
requête, le Johannesburg de ma résidence
d’artiste, jouant au phénix, renaîtra de ses cendres.
Si Dieu me prête vie.
En attendant, Le Caire, Manaus, Chicago
ou
Iquitos ?
E : Lausanne, le 5 juin
S : 06.06.08
V : 06.06.08
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Remerciements
Pour que tout ce que je raconte ait pu
avoir lieu,
il a
fallu un concours de circonstances et, surtout, des gens que je
remercie.
D’abord Daniel Frank, qui a fait germer l’idée. Puis Pro
Helvetia qui l’a
acceptée. Puis son antenne au Cap qui lui a donné corps
là-bas. Ensuite, et
tout spécialement, ma coach — elle demeure dans mon
souvenir comme une
amie indispensable. Puis l’attaché de l’ambassade de Maputo qui
a eu l’idée de
me faire venir au Mozambique et qui m’a si bien accueilli, celui de
Madagascar
qui a pris le relais. Enfin, tous les gens au contact de qui je me suis
enrichi. Même Myglove, tant je sais qu’elle n’est pas pour
grand-chose dans
l’irrationnel rejet qui m’habite encore. Que peut-elle des cadavres
ectoplasmiques qui, pour protester de Dieu sait quoi, ont secoué
tous les
balais entassés dans mon placard, ces balais dont les minons
(c.f. helvétisme)
font le lit de
mes romans ?
E : Lausanne, le 5 juin
S : 06.06.08
V : 06.06.08
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Ces notes sont
classées par ordre alphabétique :
ANC
est l’acronyme
de African National Congress ou Congrès national africain, le
parti majoritaire
en Afrique du Sud.
Lien
Wikipédia : http ://fr.wikipedia.org/wiki/African_National_Congress
Antananarivo
À
l’indépendance en
1960, les Malgaches ont rebaptisé Tananarive en Antananarivo. Je
respecte ce
mode de dire puisque tout le monde dit bien Antisrabe pour Antisrabe,
et que
tous les noms de localité que j’ai ouïs commencent par
« an ».
« An » signifie
« à », à Tananarive. Cela
n’apparaît pas
comme très économique, la langue malgache paraît
généreuse, les mots font
toujours de nombreuses syllabes, les noms propres encore plus. Je ne
suis jamais
arrivé à dire non merci dans la langue locale, ce qui
pourtant aurait été fort
utile et plus plaisant pour décliner tout ce que les mendiants
et mendiantes
proposaient autour de l’hôtel.
Notons
au passage
que, en Afrique du Sud, les plaques minéralogiques du Gauteng se
terminent toutes
par GP, ce qui veut dire «Gauteng Province». Il en va de
même pour les autres régions
d’Afrique du Sud : LP, MP, ZP etc. Soyons nonchalants, faisons fi de
l’avarice !
Big five
Les
cinq gros, concept
mythique même s’il nous a fallu plusieurs jours pour le cerner
correctement
— il était pourtant l’objet de la première page de
notre petit guide du
parc, et il décore les sacs africains que j’ai achetés
pour organiser mon bagage.
Les cinq gros ce sont donc le rhinocéros, le léopard,
l’éléphant, le buffle et
le lion. À la réflexion, j’imagine que le critère
qui a prévalu à leur choix ne
relève pas de leur volume mais reste essentiellement
cynégétique, l’homme
demeurant toujours un loup pour les autres animaux comme pour
lui-même.
Boulingrin
L’autre
jour, un jeune étudiant en lettres d’ici, m’a rappelé le
mot
« boulingrin », un de ces mots qui a fait l’aller
et retour après que
les Anglais nous ai parlé de leur green pour jouer aux boules.
Le Petit Robert
dit que Boulingrin vient de l’anglais, vers 1680, Bowling-green
« gazon pour jouer aux boules ».
Hadadah
Aïe !
Trop
tard, je découvre que mes ennemis s’appellent
« Hadadahs » et non
« Hadidahs » !
Tout
savoir sur les
Hadidas (en anglais) :
http://en.wikipedia.org/wiki/Hadada_Ibis (20/06/2008)
Hailé
Sélassié Ier,
(né Täfäri Mäkwännen le 23 juillet 1892
à Ejersa Goro en Éthiopie et décédé
le
27 août 1975 à Addis-Abeba, Éthiopie), fut le
dernier empereur d’Éthiopie de
1930 à 1936 et de 1941 à 1974. Il est
considéré par la plupart des Rastas comme
étant le « dirigeant légal de la Terre
« (Earth’s rightful ruler) et
de surcroît le Messie, en raison de son ascendance qui, selon la
tradition
chrétienne orthodoxe éthiopienne, remonterait jusqu’aux
rois Salomon et David.
(Wikipédia)
Voir
aussi Rastafari.
Helvétisme
Il
arrive que
certains mots locaux soient inégalables, je les ai
maintenus :
bouronner
couver ( pour un feu )
minons
( m pl )
pour moutons ou
chatons que Le Peit Robert défini comme de petits amas de
poussière
d'aspect cotonneux qui s'accumulent sous les meubles.
royaumer
( se )
avoir la vie facile
C.f. Dictionnaire romand
Mesures
chronométriques (effectuée le 8.02.2008) : Midi
solaires, soleil plein nord, devrait être à 12h.30 chrono
et la maison de mon
landlord orientée nord-sud par ses coins, la piscine de mon
landlord et
Melville étant au nord, ma chambre à coucher aussi.
En hiver,
il est 11
à Johannesburg quand il est midi en
Suisse. Avec l’heure d’été il n’y a plus de
décalage.
Le
Mozambique a deux
heures d’avance sur l’Afrique du Sud.
Madagascar
a deux
heures d’avance sur l’Afrique du Sud.
Intervention
09/02/2008 Johannesburg,
écrivains zimbabwéens
Film
27/02/2008 Alexandra,
radio FM 89.1
Slam*
27/02/2008 Soweto,
poetry session, publique
Slam
27/02/2008 Alexandra,
poetry session, publique
Slam
28/02/2008 Johannesburg
University, étudiants en français
Films et
romans, en anglais
13/03/2008 Pretoria,
Alliance française, publique
Films et romans
18/03/2008 Maputo,
CCFM**, séminaire pédagogique
Films et romans
18/03/2008 Maputo,
CCFM, publique
Films
et romans, avec interprète
18/03/2008 Maputo,
École française, lycéens
Films
et romans
24/03/2008 Nampula,
Parc Coca-cola, publique
Films
24/03/2008 Nampula,
uni, séminaire pédagogique
Films
et romans
27/03/2008 Beira,
CCFM, publique
Films
24/03/2008 Beira,
uni, séminaire pédagogique
Films
et romans
01/04/2008 Antananarivo,
Alliance française, publique
Films
02/04/2008 Antsirabe,
Alliance française, publique
Films
04/04/2008 Antananarivo,
Alliance française, cinéastes
Discussion
*
Slam
> www.oliviersillig.ch/512.html
**
CCFM = Centre Culturel franco-mozambicain
L’inhumation
d’ " El
Negro de Banyoles ",
interview du conservateur du musée :
www.afrik.com/article1524.html
Kazerm
Nom de la
forteresse
dans mon roman Bzjeurd
ainsi que
d’un roman
inédit.
homonyme.
Lapin Duracell
« John
demande à Bruno : Je ne sais pas si vous
connaissez cette pub au cinéma. Une publicité pour une
pile censément meilleure
que les autres. On y voit de stupides petits lapins blancs en batterie.
Frénétiquement ils agitent leurs baguettes, chacun sur
son tambour. Un à un,
ils s’épuisent. Sauf celui qui est équipé de la
pile en question. Lui, il ne
s’arrête jamais. La mienne de pile est plate. »
Mondial
En 2002,
la Suisse a
présenté une nouvelle Exposition nationale,
répartie en différents lieux, appelés Arteplages,
dont celui d’Yverdon. Outre
un merveilleux nuage, une vaste boîte de nuit, genre
après-guerre mais créée de
toutes pièces, nous a proposé plusieurs concerts de
musiques du monde,
magnifiques et mémorables. En fond de scène
étaient projetées des vidéos enregistrées
par deux cameras fixes, sur une durée de temps réel, dans
les rues des pays
invités, Roumanie, Zanzibar, Indes, etc.
•
En
Afrique du Sud :
100
Rand = de 14.65 CHF à 12.94
(pour la correspondance, j’ai toujours divisé par 6, alors qu’il
fallait
diviser de 6.8 à 7.75, disons 7).
•
Au
Mozambique : Metical p. Meticai
100
Meticai = 4.20 CHF
(correspondance en divisant approximativement les prix par 20)
Escondidinho
(hôtel chic et
débonnaire) : 1350 M/nuit : 13.50*4.20= 56.7 CHF
•
À
Madagascar :
1000
Aryaris (ou 5000 Francs
Malgaches) = 60 centimes de CHF.
N.B
Sur les billets, les deux
monnaies sont indiquées. Les gens parlent quelquefois en
Aryaris, quelquefois
en francs malgaches. De part et d’autre, il est possible de faire le
naïf et
jouer avec. Par exemple en s’informant à l’avance du prix de la
course en taxi
privé : Vous parlez en francs malgaches, bien sûr ?
Négus
« Négus »
est un mot d’origine amharique qui
signifie « Roi «. (Wikipédia)
Voir aussi
Rastafari.
Néologisme
Je trouve
en
général prétentieux et inutiles de créer
des néologismes.
J’en ai maintenu quelques-uns, quand, après la hâte de
l’écriture, ils me
semblent évidents ou éphémèrement
éclairants. Ils mourront de leur mort
naturelle :
brouillonage
sens
évident
arbrutiste
de
« Art brut » et « Musée de
l’Art Brut » à Lausanne, un des
plus beaux musées que je connais.
On n'est
pas adulte
tant qu'on ne pense pas avec nostalgie à
son enfance.
Antonio Tabucchi, le petit
navire :
« On
n'est pas
adulte tant qu'on ne pense pas avec nostalgie à son enfance,
même si celle-ci a
été une enfance pleine de pierres. Elle apparaît
alors comme une planète perdue
dans le temps, inaccessible et encore présente, telle une photo
où l'on serait
représenté mais dont on serait définitivement
sorti. Et l'on s'aperçoit qu'être
adulte, c'est seulement avoir désappris à être
enfant. »
Objectif de ma requête
Le dossier
à
remplir pour solliciter une résidence d’artiste
devait contenir une brève déclaration sur les buts du
séjour. Avant même de
débarquer, au vu du programme que me concoctait ma coach,
j’avais compris que
n’arriverais pas à concrétiser tels quels mes objectifs.
Après une période de
flottement, je me suis fixé sur le fond, cette éponge qui
préside à l’intitulé
du blog. À moins que ce blog soit, en lui-même, devenu la
concrétisation
partielle de cet objectif ?
Quant au
croquis
j’explique dans le blog (c.f. Nouvelles
brèves / Mine plombée) pourquoi ils ont
été
si rares.
Extrait du
dossier :
Motivation
écrite de la
candidature
une
brève déclaration
sur les buts du séjour (max. 1800 signes)
Écriture
romanesque
Il y a quelques
années, je suis allé, assez brièvement, à
Lyon, une ville que je ne connaissais pas, pour y écrire un
roman. Il devrait
paraître fin 2007.
L’envie est de
récidiver, mais en m’immergeant plus longtemps
dans des mondes plus différents. Sans idées
préconçues, mais en m’imprégnant de
l’endroit et en m’enrichissant au contact des gens du lieu et des
artistes
locaux. Le roman aura pour cadre la ville et le pays où je me
trouverai, ils
feront partie du sujet du livre. Quant à son thème, je
laisserai la petite voix
intérieure, toujours un peu mystérieuse et
secrète, guider ma plume.
Mes romans, ceux
publiés et les autres, sont toujours la
somme de mon vécu et de mon imaginaire; ils s’alimentent l’un
l’autre. Les expériences
résonnent en moi enco-re longtemps après. Je saurai les
mettre à profit.
Croquis
Parallèlement, je
reprendrai mes cahiers de croquis, comme
ceux que j’ai faits en Afrique en 1999. En passant volontiers, in vivo
et dans
l’immédiat, à la couleur, et à des plus grands
formats.
26.01.2007
Palais de la reine
Mercredi
13 mai. Je
viens d’apprendre que la dite reine a fait sauter sur ses genoux un
oncle
éloigné qui, enfant, surpris par sa couleur, l’appelait
la dame caramel. Ce se
passait quelque part au-dessus de Montreux, au début du
vingtième siècle.
Parmi
les adeptes
du mouvement Rastafari, un mouvement spirituel qui s’est
développée dans les
années 1930 en Jamaïque sous l’influence du mouvement
« Back to Africa
« (Retour vers l’Afrique) de Marcus Garvey et des
prêches de Leonard Percival
Howell, Hailé Sélassié est considéré
comme un messie noir qui mènera la
diaspora et les peuples africains vers la liberté. Beaucoup de
Rastas pensent
que Sélassié est encore vivant et que la mise en
scène médiatique de sa mort
fait partie d’un complot visant à discréditer leur
spiritualité. D’autres
affirment que Jah, c’est-à-dire Dieu, est toujours vivant, quand
bien même la
présence terrestre de Sélassié ne serait plus
visible.
Un
discours
prononcé par Hailé Sélassié aux Nations
unies en 1963 est devenu une des
chansons cultes de Bob Marley : War, sur l’album Rastaman Vibration.
L’empereur
parlait essentiellement de paix et d’espoir, de douleur
également mais toujours
de non-violence. HailéSélassié, chrétien
pratiquant, a relativisé les croyances
du Rastafari le proclamant comme messie. Une visite d’État en
Jamaïque en 1966,
où Sélassié fut salué par une foule
très nombreuse dès son arrivée à
l’aéroport, marqua profondément le monarque. Après
sa visite, l’empereur confia
à un clerc éthiopien, l’Abuna Yesehaq : « Il y
a un problème en Jamaïque...
Veuillez aider ces personnes. Ils comprennent mal, ils ne comprennent
pas notre
culture... Ils ont besoin d’une Église établie et vous
êtes désigné pour y
aller «. L’Église éthiopienne orthodoxe s’installa
alors en Jamaïque pour
convertir les rastas au christianisme tewahedo.
Liens
: fr.wikipedia.org/wiki/Haillé Sélassié_Ier
Voir
aussi Hailé
Sélassié.
RDP
Signifie
« Reconstruction and Development Program »
Voir
rubrique Une
petite ville perdue de l’est profond
Références littéraires
Nadine
Gordimer
Un
caprice de la Nature, lu en mars avril, à lire absolument.
J.-M.
Coetzee
Michael
K, sa vie, son temps, lu en février, à lire.
J.M. Coetzee
Scènes
de la vie d’un jeune garçon, en février, à lire.
Brink
Au
delà du silence, lu en février.
Mia Couto
Terre
somnambule, lu en mars.
Karel
Schoeman
En un
étrange pays, 1991, lu en mars, à éviter.
Lewis Desoto
Les
larmes viendront plus tard, abandonné en mars.
Nelson
Mandela
Un long
chemin vers la liberté, lecture en cours
Repères spatiaux
Juste
au-dessus de
mon flat — disons à dix minutes à
pied, direction sud-est — au sommet de la colline, entre Auckland
Park et
Fordsburg, se dresse une haute et fine tour surmontée d’une
sphère où son
enseigne lumineuse est éclairée. C’est la tour
« Suntek », en
principe là comme relais de télécommunications,
visible d’un peu partout, elle
me sert de repères d’ouest pour Johannesburg. Presqu’à
l’opposé, vers Yeoville,
une autre tour de télécommunication me sert de
repère d’est.
Résidence d’artiste
Ce blog
donne
ça et là des indications sur ce qu’est une
résidence
d’artiste. Entre autres dans la rubrique Remerciements.
Au vu des moyens financiers accordés à son antenne de Cap
Town par Pro Helvetia, la
résidence proprement dite
a duré du 1 février au 1 avril — au 5 avril en
tenant compte des
extensions mozambicaines et malgaches. La dernière partie de mon
séjour, le tourisme
en Afrique du Sud, est une entreprise personnelle, planifiée et
assumée par ma
fille et moi. Néanmoins, de manière évidente,
cette dernière partie me semble
faire partie intégrante de ma résidence d’artiste. C’est
aussi le cas de tout
le travail actuel, en aval sur ce blog.
Si rage noire
Poème.
Texte
intégral dans
www.oliviersillig.ch/chanson/Si
rage noire.html.
Acronyme
pour Union
des Démocrates du Centre, partir xénophobe
qui semble avoir récemment dépassé le sommet de la
vague. Christophe Blocher,
éphémère Conseiller fédéral, en est
toujours le leader charismatique.
Acronyme de
White Anglo-Saxon Protestant
(->fr.wikipedia.org/wiki/WASP)
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