Le café, un
café
perdu, inattendu, insoupçonné, comme une perle dans un
creux du désert,
était vide. Aveuglé par la lumière du dehors, j’ai
d’abord été frappé
par le silence puis j’ai entendu du bruit au fond. Plutôt que
d’appeler, je me suis avancé et je t’ai vu te mouvoir,
derrière la
longue table avec sa toile cirée. Tu étais en tablier
à damier, fermé.
Tu avais les hanches larges, elles ondoyaient.
Peut-être ai-je entraperçu un de tes
pieds nus sur la
serpillière. Mais avant tout, c’est ton odeur qui m’a retenu,
une odeur
de transpiration, celle de l’instant, et une autre plus ancienne qui
avait séché dans les plis du sarrau et que
l’humidité de maintenant
réveillait, forte, acre, rude et douce, sans être sure.
Elle couvrait
la mienne, une sueur du dehors, les heures de marches alignées
sur le
causse.
Tu t’es retournée, pas parce que tu venais de
m’entendre mais comme si tu t’attendais depuis toujours à me
trouver à
cette place. Ma sueur ?
Au moment de me demander ce que je désirais
consommer,
tu t’es interrompue. L’entrée de la cuisine se trouvant dans
l’alignement du café, je devais être à contre jour.
Tu t’es passé
l’avant-bras, que tu avais nu, sur le visage, comme si tu voulais
t’essuyer le front, mais ce n’était pas pour ça ; tu
étais éblouie, et
moi étonné. Et je t’ai vu sourire, un sourire bien blanc,
carnassier.
Puis tu t’es tenue à la table, les paumes des mains à
plat, les doigts
agrippés à l’épaisseur du plan,
légèrement penchée en avant. Ta
poitrine, couverte d’une fine rosée, et ta respiration,
silencieuse, au
lieu de se calmer, s’accéléraient alors que ta petite
croix en or
allait se perdre entre tes seins.
Je n’ai pas répondu à ton silence. Je
me suis approché.
Un rayon de lumière poussiéreuse, un verre plutôt
qu’une lucarne
au-dessus de l’évier, effleurait ton visage. Il y avait un
essuie-mains, un torchon de cuisine, une grosse toile grège
entrecoupée
d’une ligne rouge, je l’ai pris et je t’ai essuyé la tempe. Tu
t’es
accrochée à mon épaule, j’ai attrapé ta
main et je l’ai élevée dans le
jour en même temps que j’ai plongé, en le laissant
dévaler le long de
ton bras, mon nez vers ton aisselle ; elle n’était pas
épilée, j’étais
ivre. Tu t’es tournée un peu plus, j’ai ouvert les premiers
boutons de
ton tablier, tu étais nue dessous et tes seins ont jailli, avec
leurs
aréoles énormes et sombres sur ta peau très
blanche. Ta main est passée
sur ma joue, elle a fait crisser une barbe de plusieurs jours.
Tu as pris le risque de parler. Tu avais assez
d’assurance pour briser le silence. Tu as dit :
— On dirait une gauloise bien sèche qui
s’enflamme, comme celles que fumait mon père.
Mes yeux ont ri, tes dents aussi. J’ai malaxé
tes
cheveux, d’une main. De l’autre, j’ai remonté le bas de ton
tablier.
J’ai senti sous mes doigts ta culotte blanche que j’ai
déchirée avec,
je pense, une infinie douceur, puis je t’ai poussée sur la
table, sur
la toile cirée, mais en te retenant par la nuque pour qu’il n’y
ait ni
violence, ni vitesse, ni vertige. Je t’ai écarté les
cuisses. Tout en
caressant l’une d’elles, j’ai fait tomber mon pantalon. Je portais une
chemise légère en coton à deux sous, dans les
écossais bleus ; je l’ai
gardée. Je suis resté presque immobile, toi aussi, mais
les ailes de
mon nez papillonnaient puis se sont posées sur ton sexe, suivies
de mes
doigts qui ont farfouillé dans la touffe de poils sombre sur les
carreaux de la toile cirée. Je me suis redressé et je
t’ai pénétrée.
Sans tergiversation mais sans rudesse. Toi, tu as glissé tes
doigts
dans ma bouche. Nos souffles asynchrones étaient courts et le
parfum de
nos sueurs se mêlait au savon noir que tu avais abandonné
sur le sol et
au musc qui se répandait. Tu as eu envie que je te morde dans le
gras
du pouce pour couvrir tes cris, avec moi qui bramais. Nous sommes
restés comme ça puis je me suis retiré. Tu t’es
assise. Nos deux
visages étaient très proches, nous ne nous étions
jamais embrassés. Tu
as ri en silence, moi aussi encore un peu. Tu allais parler mais tu
t’es ravisée. J’ai cru un instant que tu pensais me demander de
l’argent, le prix d’une passe ; je n’aurais pas aimé, ça
avait été un
partage. Mais la question que tu voulais poser, tu y as renoncé,
parce
que ma route était encore longue et qu’il était trop
tôt ; la journée
n’était pas assez avancée pour que je m’arrête
là. Tu t’es reprise. Tu
as ramassé une carafe d’eau embuée dans le vieux frigo en
bois. J’ai vu
que sur la table, sur les carreaux de la toile cirée, il y avait
un peu
de sperme, d’humeur et de sang, sans doute tes règles
n’étaient pas
loin. Il allait falloir que tu recommences tes nettoyages. Sur un
plateau rond en aluminium, tu as mis un grand verre et, après
m’avoir
interrogé des yeux, une bouteille de menthe à l’eau. Tu
m’as dit
d’aller à côté, où tu m’as servi.
J’ai vidé la carafe, en deux temps,
tranquillement,
puis j’ai posé une pièce de dix francs, et je suis parti.
J’ai marché
tout l’après-midi. Porté par ton odeur.
***