Olivier Sillig
Tragi-comédie
en alexandrins, en 3 actes
Texte complet (.pdf)
Auteur |
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Genre |
Théâtre, tragi-comédie en 3 actes |
Durée |
168 minutes |
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H-page |
Sommaire :
Une annonce parue dans le journal Le Temps, le
6 avril
2000.
Bien que reprise dans le corps du texte, cette annonce devrait figurer en exergue du spectacle.
BREVES (Le Temps,
6.4.00)
Médicament
anti-sida: cinq femmes décèdent
Cinq
femmes
sud-africaines sont mortes lors d'un test en cours de la Nevirapine,
médicament
anti-sida. Le test, supervisé par le Conseil de contrôle des
médicaments (MCG),
est effectué sur 510 femmes enceintes séropositives. Deux femmes sont
mortes
d'hépatite, tandis qu'un lien entre l'usage de la Nevirapine et trois
autres
décès est probable". (AFP)
Malgré le thème, c'est une tragi-comédie: se référant à la définition classique de la comédie, dont elle respecte les règles, la pièce finit par un mariage.
L’action se déroule en l'an 2000, en Afrique Occidentale, au cœur d’un bidonville qui s’est spontanément développé sur les talus de la voie de chemin de fer, à la périphérie d'une ville importante. Les Européens viennent d’y implanter un magnifique hôpital blanc, en dur. Il domine les baraques de tôles et de terre.
Le décor est partagé en trois plans, plus ou moins réels ou virtuels:
Comédiens Noirs:
Comédiens Blancs:
Joseph (émergeant peu à peu du tas de sacs de jute ou de cartons sous lequel il dormait)
Quelle horreur! Le train! Aujourd'hui? Quel boucan!
Toujours plus infernal et à l'aube! Débarquant,
Avec deux jours d'avance ou bien cinq de retard
Il interrompt mes rêves et me met en pétard.
Tiens voilà qui est étrange: aucun mouvement de fuite,
Pas d'précipitation, aucune course poursuite.
Le bidonville s'rait-il entièrement décimé?
Ou, encore dans l'cirage, aurais-je mésestimé
La provenance de ces bruits et de tout ce tintouin?
Allons mon cher Joseph, du calme, faisons le point:
Si ce n'est pas le train, il s'agit, ben voyons!
De Van Farma, bien sûr, et d'ses maudits camions!
Le Gorille (penché au-dessus de la terrasse et armé)
Eh! Dégage, va-nu-pieds! Si tu veux pas qu'j'décharge
Une volée de pruneaux!
Joseph
Mais t'es complètement barge!
La rue nous appartient. C'est mon lit, ma maison,
J'y habitais déjà quand, perdant la raison,
Ta mère a eu l'idée, stupide, de t'mettre bas!
Le Gorille
Déguerpis, sale merdeux! Et vite ou je t'abats!
Joseph
C'est bon, Messire, j'y vais. Avant y avait toujours
Du beau monde en terrasse, c'était un peu ma cour,
Des gens très raffinés qui goûtaient ma chronique
Tandis que j'dois maintenant m'inventer un public,
Me parler à moi-même plutôt que d'faire l'guignol
Et subir les railleries de ces vilains mariols.
Mieux être sublime tout seul qu'pour un parterre de gueux.
Alfa (arrivant derrière Joseph, bras dessus, bras dessous avec Fanta qui s'arrondit)
J'dirais plutôt balcon, et un mot plus rugueux,
Mais qui s'associe mieux à c't'équipe de barbouzes!
Joseph
J'ai cru à un vieux couple, un homme et son épouse,
Or c'est mes tourtereaux. Que personne ne ricane:
Alfa, en galant homme, tu portes le jerrican!
S'il est vide à l'aller, il s'ra plein au retour!
L'eau d'la journée est, certes, un bien précieux mais lourd,
Une charge que volontiers on abandonne aux femmes…
Alfa
Qu'insinues-tu coquin?
Joseph
Fanta est une jeune femme,
Elle a un amoureux. Se pourrait-il qu'elle porte?…
Fanta
Mais où veux-tu en venir? Se pourrait-il que je porte?…
Joseph
Non, rien, rien, rien du tout. Et je ne mets, si j'ose,
Cette cambrure des reins que sur l'compte d'une lordose.
Fanta
L'insolent personnage!
Joseph
Ne te fâche pas ma belle
Et chaque jour qu'Alfa fait… Que Dieu fait, t'es plus belle!
Donc, rendons-lui grâce pour ton profil de déesse
Et la mise en valeur de ton cul de négresse!
Fanta
Alfa! Ne dis-tu rien! Tu tolères, il me semble,
Qu'on me manque de respect!
Alfa
Non, et je rage, je tremble!
Et je vais de ce pas châtier le téméraire
Pour cet hommage en forme pas assez littéraires
À celles, épanouies, de ma belle amoureuse,
Et lui faire regretter ses paroles audacieuses!
Petit jeu de course poursuite entre Alfa et Joseph.
Le couple sort, Joseph revient.
Joseph
Ils sont choux ces deux-là. Ils font vraiment plaisir
Et l'enfant à venir sera l'fruit du désir.
J'espère qu'ils auront su, en f'sant preuve de prudence,
Donner, au bon moment, un coup de main à une chance
Que d'autres n'ont pas eue.
Fatima apparaît, un panier sous le bras.
Comme cette femme qui passe
Avec son lot d'poissons et qui devrait, hélas,
Déjà être grand-mère. Regardez, j'la salue.
Il salue Fatima.
Fatima! Mais elle va. On la dirait perdue
Dans une conversation de propos complotés.
On sent presqu'une présence qui marche à ses côtés.
Mais ça lui fait du bien. Son huile chante à nouveau.
Quand elle sert ses clients, assise sur l'caniveau,
Ses yeux qui r'flètent parfois encore quelques nuages
Se posent sur Ibrahim et elle reprend courage.
Ici, il pleut souvent, mais jamais plus d'une heure:
Les nuages s'en vont et revient le bonheur.
Enfin, il va et vient, au rythme qui est le sien,
Sans se soucier d'savoir, si c'est aussi le mien.
Jean (arrivant derrière Joseph)
Pardon, j'ai pas compris, Joseph, ce qu'tu disais?
Joseph
C'est vous? Bonjour Docteur. Ah! Ce que je disais?
Comme d'hab je parlais seul, je m'faisais des réflexions.
Jean
Me f'ras-tu partager le sujet d'ces réflexions?
De r'prendre un peu de temps, te r'voir me donne l'envie.
Joseph
L'sujet d'mes réflexions? Le bonheur et la vie.
Quel programme n'est-ce pas?
Jean
Chaqu'un a son travail.
C'est peut-être le tien. Mais partage ces trouvailles.
Joseph
Ce n'est pas une trouvaille. Il s'agit du chemin.
Jean
Du chemin?
Joseph
Du chemin: la vie comme un chemin.
Jean
Ah, j'vois, en Africain tu parles par métaphore.
Joseph
Attendez, écoutez, c'est peut-être un peu fort,
Il s'agit du buveur de bière d'Gorom-Gorom.
Jean
Attends, dis-moi d'abord, qu'est-ce donc Gorom-Gorom?
Ça semble assez joli, ça sonne comme un moteur.
Joseph
C'est une ville du Sahel, j'y suis allé, Docteur.
Plus d'dix milles habitants, sans électricité —
Ici, on a la rue. Tout au bout de la cité
Eux ont planté un bar aux confins du désert,
Or il se trouve que c'est l'seul endroit où l'on sert
De l'alcool aux clients qui sont, bien sûr, chrétiens,
Un groupe justement auquel j'appartiens…
Jean
D'où le buveur de bière?
Joseph
D'où le buveur de bière,
Qui chaque soir, en partant d'un pas plus ou moins fier
Sur le sol inégal, tout circonstanciel
Concluait, sentencieux, l'index pointé au ciel:
N'oublions surtout pas qu'le ch'min est caillouteux
Puis il disparaissait plus chanc'lant que boiteux.
Jean
S'il parlait de la vie, le bonhomme a raison.
Caillouteux semble même plus que jamais d'saison.
Ça n'est plus un chemin, pour moi, c'est un pierrier.
Joseph
Un pierrier?
Jean
D'mes montagnes, un truc où vous n'iriez,
Jamais spontanément mais où il faut que j'aille
Contre vents et marées, et qu'j'y'aille vaille que vaille.
Le type chez qui je m'rends est tout au bout d'sa route.
Même si je le trouvais encore en vie, sans doute
Je ne l'ramen'rais pas avec au dispensaire.
Il n'y a plus la place, et puis à quoi ça sert…
Porte-toi bien, sage ami. Mon chemin est boueux.
Joseph (tout seul, en regardant partir le docteur)
Je suis mieux sous mes sacs, ma peau de miséreux,
Que dans celle du docteur. Et lui, dans son sillage,
Charrie aussi une chose qui s'accroche avec rage,
De jour comme de nuit, immatérielle et sombre.
Pour chaqu'un d'entre nous, rien ne pèse moins qu'une ombre,
C'est aussi vrai pour lui, mais cette chose est trop lourde;
Comme il n'est pas du genre à s'raconter des bourdes
Il sait bien qui elle est, et les ruses qu'elle déploie.
Moi j'en viens à r'douter que pour finir il ploie.
Et les malades affluent, c'est l'effet boule de neige…
Ibrahim (arrivant derrière Joseph, avec un seau vide)
Qu'est-ce que tu racontes, qu'est-ce que c'est: boule de neige?
Joseph
Une boule de neige? Mon Dieu! T'expliquer ce que c'est?
Ibrahim
Bien sûr! Tu causes d'un truc, je veux savoir!…
Joseph
Ben, c'est…
Plus blanc que le coton, plus pesant que de l'eau,
Plus froid… Comment dire ça… que chez nous il fait chaud.
Ibrahim
Ça c'est super, j'en veux! Il faut qu'tu m'en rapportes.
Joseph
Arrête! C'est pas le genre de machins qu'on importe.
Ça fond!
Ibrahim
Ça fond?
Joseph
Ça fond! D'en rapporter, trésor,
Serait plus difficile que de trouver de l'or,
Sous les sabots d'un âne ou des médicaments
Bons marchés pour enfin lutter efficacement
Contre cette saloperie…
Les propos de Joseph sont couverts par un boucan croissant.
Ibrahim (qui crie)
Qu'est-c'tu dis? …operie?
Joseph (en criant encore)
Contre cette saloperie! Contre cette saloperie!
Saloperie d'camions! Tout ça pour du diamant!
Mais dis-moi, Ibrahim, ç'a quelle tête le diamant?
Ibrahim
Des tout petits machins gros comme du verre cassé
Que les belles aiment bien se faire au doigt passer.
Pourquoi?
Joseph
Pourquoi? Voilà: ce que nous aimerions,
C'est comprendre la présence de tous ces gros camions
Pour transporter des trucs sommes toutes microscopiques.
Il serait certain'ment un peu moins utopique
De penser qu'ils trafiquent, non pas dans le diamant,
Mais là, la tête me tourne, elle tourne même salement,
Mais dans un truc bien pire: du min'rai d'uranium!
Et là tu vas d'mander ce que c'est l'uranium!
Ibrahim
En fait, Joseph, c'est quoi? C'est très très compliqué?
Un malade (arrivant derrière eux)
Excusez d'vous distraire… Pourriez-vous m'indiquer…
Joseph (d'abord en aparté)
C'est facile, je devine: le chemin du cimetière?
Vous voudriez qu'j'vous montre la route du dispensaire?
Tenez, j'vous accompagne… c'est juste à quelques pas.
Ils partent.
Ibrahim (en sortant de son côté)
Pour l'uranium, tintin, il ne m'expliqu'ra pas.
Et la corvée de l'eau c'est moi qui m'la coltine,
Lamoussa n'est plus là pour cette vilaine routine.
Mais maint'nant qu'elle va mieux, maman devrait me faire
Une nouvelle petite sœur voir même un petit frère.
Sauf que j'veux pas la perdre. Faut qu'elle fasse attention.
Pour avoir des enfants, ça marche, les précautions?
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