L’HEBDO / 7.09.2011
|
|
Lien : http://www.hebdo.ch/sillig_genial_toucheatout_119365_.html
Livre Sillig, génial touche-à-tout Par
Julien Burri - Mis en ligne le 06.09.2011 à 16:24 Avec «Skoda», le Vaudois Olivier
Sillig livre une fable saisissante sur la guerre. Pour
Olivier Sillig, chaque publication équivaut à un parcours du combattant. Il a
écrit Skoda, son dernier livre paru, il y a dix ans. On peine à croire que
les éditeurs ne se soient pas disputé ce récit dur et sensuel, qui
s’imprime durablement dans la mémoire. Le parisien Buchet-Chastel,
fleuron de l’empire éditorial de Vera Michalski,
ne s’y est pas trompé, qui le publie cet automne. Qu’importe,
Olivier Sillig a l’habitude d’attendre: entre trois et dix-huit
ans, selon les livres. La faute à ses bifurcations dans les genres
littéraires (historique, SF, érotique, ou les trois en même temps) qui
désarçonnent les éditeurs. Sans compter que l’homme, inclassable, est
aussi cinéaste, dessinateur, et qu’il crée des meubles! Anticonformiste.
En 1995, cet ancien informaticien publie son premier livre Bzjeurd, après
soixante refus et sept ans d’errance, chez l’éditeur de sciencefiction français L’Atalante. Ce roman
mystérieux et atmosphérique (on pense au Désert des Tartares de Buzzati) a,
depuis, été repris dans la collection Folio SF de Gallimard. Cinq livres ont
suivi, publiés en France et en Suisse, que ce soit chez le Vaudois Bernard Campiche ou chez H&O, éditeur spécialisé dans la
littérature et les mangas gay. On
l’aura compris, Olivier Sillig refuse de «s’enfermer dans un
rôle». Pour la même raison, ce père de famille aujourd’hui âgé de 60
ans est «devenu gay entre 1999 et 2005», par boutade et par provocation. En
2011, il se dit assagi. Les femmes continuent de le troubler, de manière plus
amoureuse, moins physique que les garçons. Ses conquêtes suivent les mêmes
chemins sinueux que ses publications. «Aujourd’hui, je suis plus
contemplatif, moins prédateur. Je suis un regardeur. J’absorbe, comme une
éponge.» Il
aime la liberté, la surprise et la vitesse. «Je ne fais plus de cinéma,
c’est trop long! Je préfère l’écriture. Avec les mots, en cinq
minutes je construis un château fort.» Il écrit d’une traite, de
préférence sur des îles quasi désertes (Skoda a été couché sur le papier dans
la presqu’île de Giens, près de Toulon). Quand
il commence, il connaît le titre de son futur livre, son épaisseur, et le
point de départ de l’histoire. Le reste, il le découvre au fur et à
mesure. Connaître la fin d’une histoire avant de l’écrire suffit
à le décourager. Paternel.
Son talent de conteur, il le doit à ses filles. Quand elles avaient 5 et 7
ans, il a revisité pour elles, «à sa sauce» Les mille et une nuits. Et
inventé une Introduction à l’histoire de l’humanité, dont elles
demandaient impatiemment la suite chaque soir. Ce
n’est pas un hasard si son dernier livre parle de paternité. Skoda
raconte comment un jeune homme de 20 ans, Stjepan, recueille un bébé dans un
paysage apocalyptique qui évoque les Balkans dévastés par la guerre.
Rarement, dans la littérature, un garçon aura été décrit de façon aussi
maternelle. «J’ai commencé à écrire après avoir vu Le cercle de craie
caucasien de Brecht, dans la mise en scène de Benno Besson.» La
pièce, qui raconte l’histoire d’un enfant abandonné et recueilli
par une servante, le marque. Puis, à la télé, Olivier Sillig voit des pubs
pour une marque de voiture. Il a trouvé son titre. «Skoda veut dire
“dégât” en tchèque. Et je déteste les voitures!» C’est donc
dans la carcasse d’une voiture détruite par un obus, au milieu des
cadavres, que Stjepan, son personnage, recueillera un bébé qu’il
baptisera Skoda. Afin d’obtenir du lait pour l’enfant, il
acceptera de se prostituer. Et avec un sac en plastique de fortune, il se confectionnera
un «sein» pour l’allaiter. Ce
livre très émouvant donne à ressentir les corps, les bruits, les odeurs, sans
pathos. Sillig n’a jamais été aussi bon que dans cette forme épurée. La
folie de la guerre y est donnée à voir par des images saisissantes, comme le
final, très cinématographique. On
pense au film préféré de l’auteur, Soleil trompeur du Russe Nikita
Mikhalkov. Ou au best-seller La route, de Cormac
McCarthy (qu’Olivier Sillig n’avait pas lu au moment de la
rédaction de Skoda). Là encore, un homme et un enfant traversaient un monde
en ruine… Dix
ans après l’écriture de Skoda, la paternité continue de travailler
Olivier Sillig, devenu entre-temps grand-père. «J’ai eu trois
sœurs, deux filles, et maintenant deux petites-filles, ça suffit!» Il
espère que son livre touchera les lectrices. «Elles aiment les hommes
maternels. Elles aimeront mon héros. Contrairement à la plupart des hommes,
j’adore les bébés.» Et de conclure, par une ultime provocation: «A 3
ans, en revanche, il faudrait les piquer!» Souhaitons à Skoda de faire
beaucoup, beaucoup de dégâts. «Skoda».
D’Olivier Sillig. Buchet-Chastel, 101 p.
|
V: 19.04.2014 (19.04.2013)