Olivier Sillig

Je vous écris d'un jardin


Version remaniée pour un concours dans le cadre de "la Fureur de Lire", Genève 2004:

Monsieur le Président Directeur Général,
 
Je vous écris d’un jardin. D’un drôle de jardin, ma ville. Hier matin, samedi, après les courses chez vous, j’ai astiqué ma salle de bain, puis je suis descendu au marché.
Il faisait beau. Le printemps expliquait sans doute l’odeur champêtre généralisée, qui s’étalait des primeurs à la boucherie, des épices à la poissonnerie. J’ai rencontré un ami, nous sommes allés boire trois décis, le vin sentait la terre, un humus doucereux comme de la tourbe de cimetière. Plus tard, j’ai mangé une croûte au fromage qui fleurait le green plutôt que l’alpage. Dans l’après-midi, j’ai fait le baisemain à une dame qui avait jardiné à l’anti-limace. Le soir, le boeuf de mon filet avait la saveur du tofu. Plus tard, je me suis couché en charmante compagnie à qui j’ai délicatement caressé le sexe. Quand j’ai approché mes lèvres pour lui rendre un intime hommage, j’ai cru plonger le nez dans un parterre de champignons. Enfin, j’identifiais l’odeur qui me poursuivait. C’était celle de la chanterelle, mais une chanterelle artificielle et synthétique. J’ai voulu me laver. Hélas, mes chromes distillaient aussi l’effluve. Comme mes doigts, ils étaient restés imprégnés du parfum de l’échantillon gratuit de vos « nouvelles lingettes de nettoyage pour les traces de calcaire » (sic) que l’on m’avait offert, au matin, dans votre succursale locale.
Au fil de temps, j’ai abandonné votre produit à vaisselle, rapporté une lessive au faux savon de Marseille, jeté à la poubelle un produit pour les vitres et cherché une dernière droguerie où l’ammoniac sente l’ammoniac, l’alcool, l’alcool et le savon, le savon.
Le soir, je pars dans la quête impossible de partenaires qui sentent encore l’humain, afin de partager des plaisirs que vous nous empoisonnez.
 
Veuillez recevoir, Monsieur le Président, mes plus humbles doléances. 
               
Olivier Sillig
Lettre originale au directeur de la Migros d'alors :

Monsieur Anton Scherrer
Direction Migros            
Case Postale Migros       
CH-8031 Zurich            

Lausanne, le dimanche 16 mai 2004.
Cher Monsieur,
Hier matin, samedi, « Migros » m’a offert un échantillon gratuit de lingettes de nettoyage pour les traces de calcaire « Potz ».
Rentré chez moi je les ai essayées ; mes chromes ripolinés brillaient.
Puis je suis parti au marché. Il faisait beau, c’était le printemps, il flottait une odeur champêtre, un peu étrange, aussi dans la zone des fromages comme vers les roulottes de boucherie et l’étal de poissonnerie.
J’ai rencontré un ami, nous sommes allés boire trois décis. Le vin sentait la terre, un humus un peu doucereux, pas la tourbe de cimetière mais presque.
Plus tard j’ai mangé une croûte au fromage, un fromage qui fleurait trop le pâturage.
Dans l’après-midi j’ai fait le baisemain à une dame qui avait jardiné et abusé d’engrais.
Le soir, mon filet de bœuf semblait végétarien, comme fait de légumes lyophilisés.
Plus tard je me suis couché en charmante compagnie à qui j’ai délicatement caressé le sexe. Quand j’ai approché mes lèvres pour lui rendre un intime hommage, je me suis cru dans un bosquet, le nez dans un parterre de champignons.
Toute ma journée avait senti, et exclusivement senti, la chanterelle artificielle et synthétique. Je n’ai pas pu aller me laver, mes chromes distillaient encore.
 
Au fil de temps j’ai abandonné le « Handy », rapporté une lessive au faux savon de Marseille, jeté à la poubelle un produit pour les vitres et cherché difficilement une droguerie ou l’ammoniac sente l’ammoniac, l’alcool, l’alcool et le savon, le savon.
Je passe mes soirées dans la quête difficile et rare de partenaires qui sentent encore l’humain. Ceci afin de croître et de multiplier ou, plus simplement, de partager des plaisirs que vous nous empoissonner. Bravo !
         
                                                                                     Olivier Sillig
 
P.S.
Je joins un échantillon au cas où vous souhaiteriez partager une part de mes expériences.       


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