Tout commence fort mal…
Une couverture hideuse illustrée d’une photo purement et simplement «
empruntée » au premier disque de Tears for Fears, « The hurting » (1983)
et un titre évoquant plus un quelconque mauvais documentaire animalier
dominical qu’autre chose…
Puis, les premières pages. Passé un mauvais prologue en forme de « note de
l’éditeur » (sic) nous rappelant une mauvaise littérature fantastique
française des années 70’, on enchaîne sur une narration à peine digne
d’un synopsis bâclé et prétentieux où l’absence de verbe semble
être le comble du raffinement littéraire.
Puis… miracle ! Olivier Sillig réussit contre toute attente à nous
installer au cœur de cette histoire abracadabrante, située en
l’an mil au milieu de forêts sombres et impénétrables, et nous raconte
sans nous épargner aucun détail, l’histoire de Wolfgang, dit le Loup
Rouge, chef de meute brutal aux instincts primaires et sanguinaires.
A peine le temps de comprendre que nous sommes sortis du cadre romanesque
traditionnel, et nous voilà littéralement subjugués, à en dévorer les pages
les unes après les autres sans plus pouvoir s’arrêter.
Il s’agit clairement d’un conte.
Un conte cruel et sanguinaire, rugueux tellement sa narration est parfois
étonnamment réaliste, dans la droite lignée de toute une mythologie nordique,
fait de violences, de meurtres, de viols, d’inceste, de chairs à vif et
sanguinolentes, etc. et qui ne semble pas s’encombrer de cette
symbolique psychanalytique parfois indigente…
Donc, un conte pour adultes pourrait-on dire…
Sauf que c’est un plaisir indescriptible que de se laisser infantiliser
et guider par Olivier Sillig. L’état de grâce est tout proche.
L’émerveillement intact. La féerie omniprésente.
Dans un final éblouissant, il peut même nous parler d’une grossesse qui
dure 3 ans parce que la mère a promis au père de l’attendre pour
l’accouchement ou d’un mourrant qui
écrit de son propre sang l’histoire complète de sa vie sur les murs
d’un couvent en ruines.
Peu importe, il a su nous conquérir et gagner notre confiance. On le suivra
jusqu’au bout, doutant même à peine de la réalité et de la véracité de
ces faits qui nous sont ici rapportés !
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L’histoire de Wolfgang, mi-homme, mi-loup.
A peine nés, Wolfgang et sa sœur jumelle Luisa sont orphelins puis
rapidement séparés lorsque Wolfgang s’en va vivre avec les loups.
Il rejoindra ensuite, à l’âge de sept ans, une bande de pilleurs dont
il deviendra d’ailleurs par la suite le redoutable et incontestable
leader.
L’auteur nous emmène à une vitesse étonnante, d’un village pillé
à un autre, d’un meurtre à un autre, d’un viol à un autre, tout
cela sur un ton d’une étonnante légèreté.
Entre réel et irréel, souvent, très je me suis lassé.
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Un essai d’interprétation, qui n’engage que
son auteure ! A ne lire peut-être qu’après avoir lu le livre ?
Il faudrait le lui demander. A lui. Mais le sait-il lui-même, ce qui
s’est passé dans son esprit - corps et âme - lorsqu’il a écrit ce
livre ? Je l’ai entendu en parler si laconiquement, presque
maladroitement, alors qu’on l’interrogeait sur les ondes ! Par
timidité, par pudeur ? Parce que le livre, une fois coupé le cordon le
reliant à son auteur, doit faire son chemin tout seul, parce que le lecteur
doit se sentir libre de sa lecture ? Il affirmait n’avoir rien
prémédité, rien concocté. On aurait dit qu’il n’avait rien à en
dire et c’en était déroutant, presque décevant. Ce qu’il a écrit
était peut-être un besoin dont il n’avait pas entièrement conscience ?
Un cri enfoui profondément en lui, qu’il n’a soudain plus pu
retenir, qui lui a échappé, l’aurait traversé sans son avis pour se
coucher sur le papier ? L’auteure admirative des lignes ci-dessous, qui
attribue de multiples sens à cette magnifique fiction, est-ce qu’elle
invente son propre roman à partir du sien ? Et si !
elle lui dit ce qu’elle a vu que lui n’a (ou n’aurait ?)
pas vu, ou si elle a vu des choses qui n’y figuraient pas, comment
va-t-il réagir ? Qui publie accepte le risque d’être mis à nu, ou mal
interprété ...
Précisons d’emblée : nous ne dirons rien des scènes qui dans ce livre
nous ont le plus émue, afin d’en laisser la surprise aux futurs
lecteurs - mais peut-être que leur préférence ira à d’autres composants
du roman. Qu’ils sachent cependant que certains passages sont
d’une force et d’une beauté à vous couper le souffle.
(...)
Le roman est traversé de couleurs et de températures revenant à la manière du
leitmotiv : blanc de la neige, rouge du feu, des yeux, des cheveux, noir du
ciel, des armures, des bannières ou vert de la forêt ; froid glacial et
brûlure purificatrice du feu. Couleurs tranchées, dont la juxtaposition
augmente l’intensité du sens. La nature participe activement,
féériquement, oniriquement, mythiquement au récit.
Le temps n’est pas celui de la vie normale : traverser une forêt peut
prendre plusieurs années. Le temps, symbolique, est celui nécessaire à la
pénitence, à l’initiation, à la purification des hommes, à leur lent
cheminement vers l’amour.
Complexe par les genres abordés, le récit, progressif dans sa construction,
est riche en rebondissements inattendus, génère un fort suspense. Il commence
et s’achève sur la même phrase en langue moyen-âgeuse,
qui est le début du récit retrouvé sur les murs du couvent. Mais si
l’auteur espère que des bribes de l’histoire seront retrouvées
mille ans plus tard, le récit suit une progression constante jusqu’à
atteindre un sommet, certes fragile. L’enfant-loup, muet, va apprendre
à écrire, à aimer, à devenir un homme. Et si la femme, à l’exception de
Clara, est peu valorisée par l’auteur dans le cours du récit, elle aura
la part belle vers la fin, osant dire en face à Wolfgang puis au duc
qu’ils ne sont que de sinistres tueurs, ce qui lui vaudra la mort mais
mettra fin à la guerre. Grâce à son intervention courageuse et révoltée, elle
fera accéder des êtres bestiaux au repentir, à l’amour et à la
tendresse. L’épopée culmine avec une image émouvante, celle d’un
homme autrefois san!
guinaire devenu vieux et tendant la main à un
enfant capable de lui pardonner des crimes odieux.(...)
L’écriture n’est pas celle d’un récit, ni d’un roman,
mais utilise un langage épique et surtout poétique. Langage parlé, faisant,
mais à sa manière, penser à celui de Ramuz ; elliptique, calqué sur la pensée
même, « on line » ; faisant penser plus encore à celui d’Agota Kristof. Les jumeaux du Grand Cahier
s’imposent pour dénoncer les horreurs de la guerre et des occupations
de ne dire que des faits : on ne peut pas accorder de confiance aux
sentiments.
La simplicité du langage est parfaitement conforme à la nature des
personnages ainsi qu’au sujet traité : mythe de l’origine du
monde, cruauté essentielle de la vie, personnages primitifs, naissance
espérée d’une humanité meilleure. Le roman est caractérisé par des
répétitions lancinantes dans l’espace court de phrases courtes ou dans l’espace
plus vaste des paragraphes et des chapitres. (...)
Voici, pour terminer ce compte-rendu, une citation qui permet
d’assigner à la cruauté sa juste place dans le roman : « L’homme
en noir fixe toujours l’enfant. Il pense que le couvent tout entier résonne
des battements de son cœur qui s’est tout à coup réveillé ». (p.
175). Quant à nous, laissons ce livre résonner dans nos cœurs. Laissons
le cheminer librement dans nos âmes, conformément à la nature poétique dont
il a été volontairement doté par l’auteur. Laissons-le agir en nous,
faire son œuvre à l’instar des contes de fées, des mythes, des
épopées, des cosmogonies, genres dont il participe. Peut-être
n’aurions-nous pas dû essayer de l’analyser ? Peut-être
aurions-nous dû garder pour nous notre plaisir, afin que le lecteur trouve
celui qui lui revient en propre.
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