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Olivier Sillig 

Asmara

Illustration: Olivier Sillig: Croquis 2003                        

Illustration Olivier sillig
Un soir, il m’avait hélé aux abords d’un bar gay. Il était avec un autre, on était entré tous les trois. On se connaissait de vue, on s’était repérés dans des boîtes. En quelques minutes, il m’avait fait lui dire ce qu’il me plaisait en lui. Sa peau, sa couleur, et quelque chose d’indicible.
J’avais dit indicible en italien, Asmara est Érythréen, avec une grand-mère Sicilienne :
— Indissibile.
— Eh bien, dis-le ! avait-il insisté.
— Eh bien, justement, c’est indicible.
Il avait compris. Il m’avait demandé mes goûts en matière de sexe. Comme je ne répondais pas grand-chose, il m’avait tout de suite dit les siens. Volontiers sucer. Surtout des grosses couilles. Je m’excusai de ne pas vraiment savoir comment étaient les miennes. Il m’a aussi dit qu’il était versatile.
— Versatile ?
— Oui, baiser et être baisé, l’un et l’autre. Ça te convient comme programme ?
— Oui. Pourquoi pas tout de suite ? avais-je ajouté, étonné d’être si direct et entreprenant.
— Non, non, j’ai eu un week-end bien rempli. Et demain, je travaille tôt.
— Alors, une fois, fais-moi signe.
— Ok.
— Mais il te faut mon numéro.
— Donne.
Je le lui ai donné, il l’a enregistré sur son portable.
J’ai dis, car sans ça mon numéro ne servait pas à grand-chose :
— Je m’appelle Olivier.
— Ok.
Il a répété Olivier mais sans l’inscrire.
— Et toi ?
— Asmara. Allez, nous on s’en va. Ciao.
Ils avaient réglé leurs consommations et ils étaient sortis.
Je n’avais pas été étonné qu’il ne me rappelle pas.
C’était il y a trois mois.
 
Mardi, je croise un type dans un magasin d’électronique. Je ne le reconnais pas tout de suite. Il me semble plus grand. Et moins beau à la lumière du jour. Il me salue, on se serre la main.
Je dis :
— Tu ne m’as jamais rappelé ?
— C’est vrai, je n’avais plus ton numéro.
— On peut se voir maintenant.
Se voir, ça peut même vouloir dire boire un pot.
— Pas maintenant, plus tard. Redonne-moi ton numéro.
Il l’enregistre sur son portable.
On se recroise dans les rayonnages.
— C’est quel bus pour aller chez toi ?
— Quel bus ? Je ris : J’habite à deux pas.
— O.K. Ciao.
Je rentre. Je repart faire des courses en périphérie, convaincu, et comme à l’accoutumé soulagé, qu’il n’appellera pas.
Vers cinq heures, le téléphone sonne.
— Salut Olivier, c’est Asmara. C’est où chez toi ?
— Tu es où ? Attends, je viens te chercher.
Pas le temps de prendre une douche. Je le trouve devant la banque. En montant chez moi, il me parle de ses problèmes d’achats d’un nouveau téléphone.
— Tu bois quelque chose ?
J’énumère ce que j’ai, il veut bien du thé froid. Je m’assieds à côté de lui sur le canapé du salon.
Il avale une gorgée de thé, puis déboutonne ma chemise et défait ma ceinture.
Il dit :
— J’espère que personne ne nous voit.
Je tire les rideaux. Quelques instants plus tard, il me suce les couilles. Je ne lui demande pas s’il les trouve assez grosses.
On se lève. Il a une chemise. Et dessous, un beau marcel blanc.
— Les premières fois, j’ai un peu de peine à l’enlever, parce que j’ai des cicatrices.
Il a une longue couture sur le ventre.
— La guerre.
Il a vingt-quatre ans. Il est venu ici il y a sept ans.
— Tu es beau.
C’est vrai que nu, il est long et fin, on dirait une gazelle.
— Merci.
C’est la deuxième fois qu’il me remercie, j’ai déjà dû lui dire qu’il était beau, j’y reviendrai.
Je tire les rideaux de ma chambre, sur la fenêtre grande ouverte, tant pis pour les voisins, on ne peut pas tout prévoir, et nous tombons sur le lit. Il me demande si j’ai du Popper.
Je suis surpris :
— Non, mais j’ai de jolis préservatifs.
— Et du gel ?
— Et du gel.
— Et du gel, c’est bien.
J’ai transpiré, j’aurais dû prendre une douche, il dit que cela ne le gêne pas.
Il nous faut un moment pour trouver une position qui lui convienne. Au bas du dos, il a une sorte de trou cicatrisé, peut-être la marque d’un trou de balle, un vrai.  
Nous besognons rudement.
En cours, il crie :
— Encule-moi, encule-moi !
Ahanements bruyants, jouissance rapide de part et d’autre, agréable pour moi.
Il retire lui-même mon préservatif, se lève, me demande un linge, disparaît dans la salle de bain, revient, s’habille en partie, s’assied sur le lit, s’intéresse à ma lampe. Je lui explique comment je l’ai faite. Il me demande l’heure. Il constate qu’il a encore le temps de passer au fitness. Il se lève.
— J’ai un peu mal, parce que ça fait longtemps que je n’avais plus fait l’amour comme ça. Il faudra que je mette une crème. Aller, ciao.
— Tu veux que je te raccompagne ? Tu trouveras le chemin ?
Il sourit :
— Oui, bien sûr.
— Parce qu’il y en a qui se perdent. Tu me donnes ton numéro de téléphone ?
Il me le dicte.
— Ciao.
— Ciao Asmara, merci.
Il n’est pas six heures, il est déjà loin. Drôle d’idée. Mais pas désagréable.
Plus tard je me dis que si, l’autre fois, il m’a cherché, et si aujourd’hui il est venu, c’est peut-être qu’il apprécie de se savoir beau dans mon regard. Et désiré. Peut-être est-ce suffisant. Pourquoi pas ?
  

***

 

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V: V: 12.04.12 master -> texte édité /  O: 18.09.07  C: 23.09.2005