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Olivier Sillig 

Asile

Illustration: Olivier Sillig: Nu accroupi sous un projecteur,_tech. mixte, Lausanne 1988     .

Olivier Sillig: Nu accroupi sous un projecteur,_tech. mixte, Lausanne 1988La lune diffuse à travers les nuages. Parmi les flaques et leurs cercles concentriques, entre les arbres calcinés, sur le sol charbonneux qui brille comme de l’asphalte, six hommes vont à la queue leu leu. Ils marchent la tête baissée pour éviter les gouttières qui leur descendent le long du dos. Hier, à l’abri d’un rocher, ils ont abandonné leur officier. C’était ça ou eux tous, lui compris. Anesthésié par l’eau et le froid, il n’aura pas souffert, il n’était plus conscient ; personne ne le pleurera.

La section est maintenant réduite à ces six hommes. Indifférents, concentrés à mettre leurs pieds dans les traces qui les précèdent, ils ne remarquent tout d’abord pas le changement du paysage. Un arbre, puis deux, dressés et verts, puis un bosquet, un bois dans lequel la petite colonne s’enfonce. Ce n’en devient pas plus agréable car la progression est plus difficile, la pluie moins régulière et moins prévisible. Après quelques minutes, ils découvrent une bâtisse, encore debout, au centre d’une clairière en pente douce. Il s’agit d’une maison en bois, avec un vrai toit. Ils s’en approchent, sans marquer ni arrêt ni hésitation. Le verre des fenêtres a été soufflés. Sinon la construction est intacte. Ils entrent. Malgré l’obscurité, la pièce apparaît vaste et sèche, elle semble habitable.

— Il y a même une cheminée.

Avec, sous l’âtre, des bûches rangées, du petit bois et du papier, un journal vieux de dix jours seulement. Les briquets fonctionnant toujours, allumer le feu est un jeu d’enfant. Sa clarté les aveugle. C’est si agréable qu’ils restent longtemps accroupis ensemble à regarder les flammes au-delà de leur haleine et de la vapeur de leur parka qui fume. Les gants sont les premiers vêtements qu’ils retirent. Ils partagent des sourires furtifs de contentement. Un commence, les autres suivent ; ils se déshabillent entièrement, en disposant leurs vêtements presque en bon ordre sur une longue table derrière eux. Puis ils reviennent s’agglutiner autour du foyer pour se gorger de la chaleur et de la lumière dansante qui viennent caresser et dorer leur peau délavée. Ils goûtent d’être là, tous les six, vivants, survivants. La faim et d’autres contingences pratiques ne se réveillent que peu à peu. L’un d’entre eux revient en riant. Il ramène une conserve, deux kilos de haricots en sauce.

— Il y a tout ce qu’on veut à côté !

Il met la boîte contre le feu.

— Attends ! Ouvre-là, sinon elle va péter.

On trouve un ouvre-boîte, un bocal de cornichon, même un litre de bière, entamée mais buvable. La pièce de derrière est une cuisine. On ramène aussi des bols et des cuillères mais les six hommes restent près du feu pour manger. Ils dénichent un ersatz de café. Le réduit attenant est rempli de provisions d’épicerie. Ils installent une corde à lessive pour étendre leurs habits parallèlement à la cheminée.

À l’extérieur, immédiatement à gauche de l’entrée, une galerie, un balcon en bois, court le long de l’aile plus basse qui se dessine en prolongement de la partie centrale. La lune est proche. Milivoj, qui a enfilé ses godasses mais qui est resté nu plutôt que de remettre des habits mouillés, est parti en exploration. Des morceaux de verre sont restés accrochés aux cadres des fenêtres et des portes-fenêtres. La première chambre est un dortoir de quelques lits avec des formes allongées. À l’odeur, une puanteur, sournoise parce qu’elle ne prend pas tout de suite à la gorge, on sait qu’il s’agit de cadavres. Les pièces suivantes sont identiques mais désertes. La dernière le paraît aussi, jusqu’à ce que la lune se découvre. Sur le lit le plus proche de la fenêtre, un corps est accroupi contre un montant. L’odeur de la pièce est plus vive, plus familière, plus triviale. La forme a les yeux ouverts et fixes, mais ils cillent.

— Dis donc, tu es vivant, toi !

Les yeux papillonnent un instant, mais la forme ne bouge pas.

— Attends, je revins.

Milivoj croise deux de ses camarades qui ramassent des couvertures dans la seconde chambre. Désignant la première pièce, ils disent :

— C’est dégueulasse, ils sont tous crevés. Après aussi ?

Milivoj ne répond rien. Il trouve du bouillon dans la cuisine, le fais chauffer, en remplit un bol et repart. Il dégote aussi une lanterne sourde et une bougie.

 

L’homme n’a pas bougé d’un poil. Milivoj approche la lampe. Il roule toujours des yeux, ses pupilles se sont dilatées, mais il semble aussi indifférent à la lumière qu’au reste. D’abord sans un mot, Milivoj pose le bol su le rebord de la fenêtre et attrape une couverture sur le lit d’à côté pour ne pas trop se salir.

— Salut. Je me mets là. Ça ne te dérange pas ? Je t’ai préparé quelque chose de chaud.

Sauf les yeux, l’autre reste immobile.

— Tu pues. Pourtant il semble que ça fait un moment que tu ne t’es plus chié dessus, ça a séché. Tiens !

Milivoj remplit une cuillère de bouillon. Il s’arrête à quelques centimètres de la bouche du vieux qui ne sourcille pas. Il approche la cuillère contre les lèvres, elles sont minces, pincées et sèches, blanches comme si elles étaient couvertes de sel. Tout à coup elles bougent. Milivoj se fait surprendre, le liquide coule sur le poitrail maigre de l’homme qui porte les hardes d’un pyjama complètement ouvert sur le devant. L’homme ne réagit ni à l’humidité ni à la chaleur.

— Eh bien, dis donc, tu es maladroit ! Mais tu es plutôt sage. Allez, on recommence !

Quand la cuillère arrive à un centimètre de la bouche, cette fois les lèvres s’agitent comme pour téter. Lentement, elles engloutissent le breuvage.

— Bien ! C’est bon ? Tu t’enfiches ? On dit merci. On recommence ? On recommence.

À force de patience, les cuillérées s’enchaînent.

Le vieux sent plus l’urine que la merde. A partir de la cinquième cuillère, sa main droite, qu’il tient tout contre son pied, s’agite un peu. Les doigts s’activent comme s’ils voulaient non pas gratter la peau décharnée, mais la retirer comme un morceau de tissu ou une pelure d’oignon pour accéder à ce qu’il y a dessous, en l’occurrence les multiples osselets de la plante du pied, les tendons et les muscles atrophiés.

— À ce que je vois, tu récupères, mais pas trop vite. Enfin, tu es tranquille, c’est toujours ça. Tranquille mais pas bavard !

Quand le vieux en a assez — ce qu’il signifie en ressoudant les lèvres — Milivoj lui essuie la bouche du revers de la main. L’infirme étant décidément trop sale, il renonce à le déplacer sur un autre lit. Il essaie de le coucher, mais l’autre reste crispé dans cette position qu’il tient peut-être depuis des jours. Milivoj l’enveloppe dans une couverture. L’homme se remet à téter à vide. Quand Milivoj se déplace dans la pièce, et quand il s’en va avec la lanterne sourde, les yeux le suivent, mais le mouvement des iris reste désordonné et aléatoire.

— Dors bien, P’tit vieux. À demain. Je reviendrai demain. Ne bouge pas.

Ne bouge pas. Milivoj rit de sa propre plaisanterie.

Il emmène une couverture pour sa nuit.

 

Dans la pièce principale, allongés sur les bancs et les tables, les autres dorment déjà, ils ronflent et ils rêvent. La chaleur est humide, étouffante et réconfortante, la pluie n’est plus qu’un rappel qui pianote sur l’avant-toit.

Quand Milivoj se réveille, un des six est en train de pétrir de la pâte. Au début, le pain ne sera pas bon, il faut quelques jours pour que le levain s’élabore.

Secs, les habits ne puent pas, les jours de pluie les ont lessivés.

L’humeur est bonne, la tablée ressemble à un petit-déjeuner, avec du lait condensé, du sucre, même du miel et des biscuits secs.

— Ne manque que le beurre.

L’odeur insidieuse d’à côté ne se remarque que peu à peu. Elle est gênante, maintenant que l’on sait de quoi il s’agit.

— Qu’est-ce qu’on va en faire ?

— Il faut s’en débarrasser.

— On peut les pousser un peu plus loin.

— Les brûler.

— Faudrait de l’essence et je ne crois pas qu’il y en ait.

— Quand il pleuvra un peu moins, on creusera une fosse. Ça ne sera pas trop difficile. Il doit bien y avoir une pelle.

— On a déjà fait ça, dans d’autres conditions !

Un revient de la cuisine :

— Il y a un robinet au-dessus du fourneau, donc il doit y avoir de l’eau. Je vais aller voir.

— On pourra faire chauffer de l’eau et se laver.

Peu après l’eau coule à la cuisine.

L’autre revient du dehors :

— Il y a une fontaine, le tuyau a lâché, je l’ai plus ou moins remis en place. Ça teindra. Pour le temps qu’on en a besoin.

Les autres s’étonnent enfin de voir Milivoj ressortir avec un bol fumant et un biscuit sec :

— Tu fais quoi ?

— J’ai trouvé un vieux dans la dernière pièce. Vivant. Plus ou moins. En tous cas il l’était cette nuit. J’ai promis de lui apporter son petit-déjeuner.

— C’est qui ?

— Ça j’en sais rien. Il ne m’a pas dit. Pour l’instant, il ne parle pas.

— Si tu veux un coup de main, propose un des soldats. Il ajoute, provoquant des rires mous : Pour les faire parler, on s’y connaît !

Le vieux est réveillé. Ses yeux n’ont guère l’air plus vif. De l’index, Milivoj lui soulève les lèvres. Il a encore ses dents, mais Milivoj préfère écraser son biscuit dans le café au lait. D’abord il essaie de le faire boire directement au bol puis il revient à la cuillère. De temps à autres, il s’interrompt et essaie d’amorcer la conversation :

— Alors, le vieux, t’es qui ?

Les mouvements des pupilles n’ont aucune valeur de réponse, ils ne signifient rien.

— Non ? Et ici, c’est quoi ? Et tes copains, c’est qui ? Non plus ? Vous étiez tout seuls ? Ou bien les autres ont déserté et vous ont abandonnés ?

Frappé du parallèle, Milivoj relève pour lui-même :

— Comme on a fait avec le lieutenant. Laissés crever ? Non ? T’es pas bavard !

Suite au bouillon de la nuit, le vieux à recommencer à se compisser.

— Et tu pues ! On va se laver.

Milivoj fouille les placards. Ils sont vides. Mais, dans la pièce précédente, il trouve des pyjamas à rayures, identiques à la guenille du vieux, mais propres et pliés. Il en ramène un qu’il dépose sur le lit d’à côté.

— Tu touches pas. Je reviens.

Les pupilles de l’autre s’affolent.

— En tous cas, on peut pas dire que tu bouges trop.

Ça fera salement mal quand il s’agira de déplier tout ça.

Il a cessé de pleuvoir. Les autres ont commencé à s’occuper des cadavres.

— C’est mieux de régler ça maintenant, avant de nous refaire une beauté.

— Je vous aide ?

— Non, Tu t’occupes du vivant ; nous, on s’occupe des morts.

— Merci. Je ne sais pas s’il va tenir.

Désignant la fosse :

— Tu veux qu’on prévoie une place pour lui ?

— Bonne idée, c’est gentil.

 

Milivoj revient avec un seau rempli d’eau chaude, un torchon, un morceau de savon et du drap qu’il a trouvé à côté.

— Bonne nouvelle, on va se laver !

Il pose le tout entre les lits, s’approche du vieux, lui passe deux doigts dans les cheveux qui sont sec et poisseux.

— Va y avoir du boulot. Allons-y !

Milivoj attrape la main gauche cramponnée autour des genoux. Elle refuse de les lâcher. Le tout est ankylosé, mais aussi le vieux résiste.

Milivoj le gronde :

— Allez, ne fais pas l’idiot !

Il tire plus fort, le bras finit par venir. Il attrape la jambe, la fait pivoter, la déploie. L’autre ébauche un cri, rauque, comme un couac de corneille enrouée, replie son genou, referme sa main, s’y cramponne farouchement. La droite, celle qui s’énerve à éplucher le pied, vient en renfort. À part le râle, et les yeux toujours mobiles, le vieux reste inexpressif.

Milivoj recommence, s’escrime. En vain. L’infirme geint.

— Idiot ! Maintenant arrête ! Regarde-moi ! Je suis bientôt aussi dégueulasse que toi ! Arrête, arrête, arrête !

Nouvelle tentative. L’homme réussit encore à se regrouper.

— Arrête, nom de dieu !

Milivoj lui envoie une baffe du revers de la main sur le front. La nuque de l’homme cogne contre la tête de lit métallique, il garde sa position.

— Tu vas voir !

Milivoj le frappe. Deux gifles, à la volée. Il le rattrape pour qu’il ne tombe pas d’un bloc.

— Tu vas voir ! Prends ça !

Il le frappe plusieurs fois puis il le laisse tomber. L’homme se déploie en arrivant sur le sol.

Milivoj enfonce ses doigts dans les tendons de la nuque. Avec un bras sous les aisselles, il le lève. L’autre, qui n’est pas lourd, crie comme un souriceau aveugle.

Milivoj hurle :

— Tu vois, c’est ça qui fait mal, pas mes baffes ! À ton âge, tu aurais dû faire de la gymnastique tous les jours au lieu de rester dans cette position idiote ! Ne tombe pas !

Il le retient appuyé contre le montant du lit voisin. Il arrache les lambeaux de pyjama, quelquefois collés par les escarres. Le vieux est nu, décharné, la peau forme des plaques rouges, blanches ou bleues, avec des traînées de merde sèche et des croûtes brunes.

— Tiens ! Tu as encore du poil !

Il a une toison blanche autour du sexe.

— Peut-être es-tu moins vieux que tu n’en as l’air.

Milivoj approche le seau. Avec le torchon, il asperge le vieux qui se laisse faire. Puis il le savonne et frotte. L’autre pousse ses petits cris de souriceau.

— C’est comme ça. C’est ta faute !

Pendant que Milivoj lui lave les jambes, le vieux commence à se balancer du haut du corps.

Milivoj, se redressant, remarque que l’autre pleure, qu’il se balance et qu’il pleure.

Milivoj lui tapote les joues :

— C’est bien, tu reviens à la vie.

Alors que Milivoj attrape un drap pour l’essuyer, le vieux tombe sur le sol, de tout son long, sans mettre les mains.

Milivoj est énervé mais il se contrôle parce que là, c’est sa faute :

— J’ai été maladroit. Allez ! On se remet debout.

Il le relève. Il l’essuie de nouveau, puis il le fait asseoir sur le lit d’en face et lui enfile laborieusement le pyjama, d’abord le haut, puis le bas.

— Voilà, tu es tout beau.

Il le couche sur le côté. Le vieux se pelotonne en chien de fusil.

— Sois sage, je te prépare un lit.

Milivoj s’occupe du lit. Quand il jette un œil sur son protégé, une grande tache de merde liquide est en train de se répandre dans le pantalon.

Milivoj se redresse et va vers la porte. Sans se soucier de savoir s’il parle assez fort, il dit :

— T’es trop con, tu peux crever !

Et il s’en va.

 

L’humeur du groupe est bonne. Milivoj reste le plus morose. La journée passe entre toilette, lessive, cuisine et aménagement. Personne n’interroge Milivoj sur le survivant. À la nuit, il retourne le voir. Il le retrouve comme la veille, dans le premier lit près de la fenêtre ; le vieux a donc bougé, puis il a repris sa position, les genoux regroupés derrière son bras gauche, la main droite qui épluche la peau du pied. Milivoj soupire et rejoint les autres.

Avec les moyens du bord, un des six a préparé un excellent souper, auquel ne manque que l’alcool.

Après, Milivoj fait chauffer de l’eau.

— À quoi tu joues encore ?

Milivoj répond par un geste derrière lui.

— Ton vieux ?

— Ouais.

— Toujours vivant ?

— Ouais.

Du riz blanc bien salé dans son eau, c’est ce qui peut le mieux convenir pour ce qu’à le vieux. Milivoj repart avec le bol et la cuillère. C’est la becquetée, comme la veille, mais cette fois Milivoj ne parle pas. Sans rien bouger que les lèvres et les yeux, l’autre finit par tout descendre. Quand Milivoj s’en va, il a déjà repris son balancement.

Au matin, Milivoj décide un nouveau toilettage. Le vieux se balance et se laisse faire, docile, sauf qu’il geint et pleure.

Par moment Milivoj l’encourage :

— C’est bien.

Un peu plus tard, alors que le vieux est dans un pyjama propre dans un lit propre, il lui demande :

— Alors ? Qui tu es ?

Silence, les yeux papillonnent, fixés sur Milivoj mais vides.

— Et cette baraque, c’est quoi ?

Il ne répond rien.

— Non ? Et les autres, tes copains, c’étaient qui ? Non plus !

Milivoj s’accroupit, les deux visages sont tout proches, la barbe du vieux ne pousse plus.

— Et tu t’appelles comment ?

De l’index il lui tapote le sternum. Effrayé, l’autre geint.

Milivoj articule :

— Comment tu t’appelles ? Moi, c’est Milivoj. Milivoj. Toi non ? Tu n’as pas de nom ? On t’en trouvera un ! Je vais y réfléchir.

Milivoj ramasse les draps salopés et le matelas de crin. Il jette le tout par-dessus le balcon.

Il revient un instant pour des recommandations :

— Sois sage !

Il rejoint les autres dont la principale occupation est la cuisine. Au café — à l’ersatz de café — on évoque le monde extérieur, le reste du monde. L’avenir. Certains parlent déjà d’aller voir plus loin, les autres ne disent rien.

Le soir, quand Milivoj retourne vers son protégé, l’odeur avertit qu’il s’est à nouveau conchié. Milivoj soupire mais le nourrit sans rien dire. Avant de partir, il lui redemande comment il s’appelle. C’est comme si l’autre ne l’entendait pas. Milivoj est pourtant convaincu qu’il n’est pas sourd.

— Moi, c’est Milivoj. Bonne nuit. Il ajoute : Vieux dégueulasse !

Bonne nuit vieux dégueulasse.

Au matin, quand il arrive avec le café et quelque chose qui ressemble de plus en plus à du pain, le vieux est par terre, le cul à l’air, sans bas de pyjama. Milivoj l’observe avant d’entrer, qui se traîne à quatre pattes jusqu’au fond de la pièce puis, toujours à quatre pattes, revient vers la fenêtre. Il a fait ce va-et-vient plusieurs fois. C’est tout un cirque pour arriver à l’asseoir.

Milivoj trouve qu’il y a quelques signes de progrès :

— Mais tu es toujours aussi dégueulasse.

Il le fait boire, d’abord à la cuillère puis directement au bol. Il lui enfile des bectées de mie de pain que l’autre ingurgite en tétant et en bavant un peu, puis il tente une expérience. Il lui glisse un morceau de mie dans la main qui chiffonne. Le mouvement des doigts l’éparpille. Il faut recommencer avec de la croûte.

— Tiens, prends. Reste tranquille !

Il le force à porter le morceau à la bouche, il retient la main contre les lèvres. L’autre salive d’abord, puis entrouvre la bouche et petit à petit tète le pain. Ensuite Milivoj le fait boire, il prépare un autre bout de pain et guide la main mais l’autre se débrouille.

— Bien ! Sois sage ! Reste cul nu puisque ça t’amuse, reprends ta gymnastique, ça a l’air de te faire du bien et ça te dérouillera les articulations. Ton pote Milivoj te salue. Tu t’appelles ? Non, toujours pas ? T’en fais pas, au besoin je t’en trouverai un.

 

Au repas de midi l’idée d’un départ se précise. Ils ont tous l’air d’accord.

Milivoj demande :

— Et avec mon vieux, on fait quoi ?

Celui qui est debout en train de débarrasser la table vient poser un pistolet dans son étui sur la table :

— En principe, on ne fait pas de prisonnier.

Milivoj ouvre l’étui, sort l’arme, regarde si elle est chargée, tend le bras, vise le sol, repose l’arme sur la table et demande :

— Et c’est à moi de le faire ?

Les autres rient :

— C’est ton prisonnier, c’est toi qui t’en charges.

Milivoj remet l’arme dans l’étui et va la raccrocher à la corde à lessive. Il se rassied. La discussion reprend, le projet devient sérieux. Milivoj reste silencieux.

 

L’après-midi se passe en préparatifs. Choix de bouffe, répartition des sacs. Le soir, on essaie d’établir une route, où on se trouve, dans quelle direction partir, à quel moment on rejoindra peut-être les troupes. On vérifie le matériel, on a trouvé de quoi graisser les chaussures. Milivoj s’absente.

Le vieux est pareil à lui-même, il mange, tète, se balance, promène ses yeux fous. Il pue. Dès qu’il le peut, il reprend son va-et-vient à quatre pattes.

Au réveil, le dernier à bouger, c’est Milivoj. Il est aussi le dernier à s’habiller. Il ne remplit pas son sac.

— Et alors ?

— Hein ? Rien.

— Tu fais quoi ?

— Eh bien, rien.

Maintenant Milivoj s’adresse à tous, mais sans parler plus fort :

— Les gars, je ne pars pas.

— Hein ? Quoi ? Tu es fou ! Dépêche !

— Non, je ne pars pas. Milivoj fait un mouvement vers l’aile des chambres : Y a l’autre.

— Tu es fou ? Allez, grouille-toi !

— Tu fais quoi ? Tu désertes ? Si le lieutenant était là, il te ferait fusiller.

— Mais il n’est plus là, constate Milivoj.

— Heureusement, souligne un autre.

— Tu l’as dit, confirme Milivoj. Vous n’avez pas besoin de moi, qu’est-ce que ça peut vous foutre ?

— On n’a pas besoin de lui, qu’est-ce que ça peut nous foutre. On part, il reste, un point c’est tout.

— Si ça se trouve, l’ennemi quand il débarquera lui mettra une balle dans la peau.

Celui qui parle se tourne vers Milivoj :

— Dommage pour toi. Si ça se trouve, ils descendront aussi ton protégé. C’est toi qui sais. On y va ?

Chacun boucle son sac. Le premier part sur la galerie ; quand les autres sortent, il les appelle :

— Venez, ça vaut le coup d’œil !

Ils rejoignent leur copain vers la dernière chambre. C’est la première fois qu’ils y vont.

Les commentaires fusent :

— Dégueulasse ! À quatre pattes ! Il pue, le cochon !

— Eh, Milivoj ! Il est chouette ton copain !

L’un d’eux passe la main à l’intérieur et fait susucre.

— Attention, il mord peut-être !

— Mais non. Allez viens ! Viens Médor !

Un autre lui dit :

— Occupe-toi bien de Milivoj !

Ils rient. Mais pas beaucoup, parce qu’ils ont vraiment de la peine à comprendre Milivoj, à qui ils serrent la main.

Il pleut.

Milivoj leur crie :

— Bonne route !

— Salut Milivoj !

— Salue Médor aussi !

Les voix et les rires s’amenuisent. Ils s’évanouissent entre les arbres verts. Tout en les regardant disparaître, Milivoj rejoint la chambre du vieux.

Dos aux fenêtres, il l’interpelle :

— Eh ! Ils m’ont dit de bien te saluer, Médor.

Il se retourne. Le vieux est assis tout près, par terre, contre le premier lit. Ses yeux sont presque stables, presque posés sur lui.

Milivoj ouvre le cadre vide de la porte :

— Allez, viens !

L’autre ne bouge pas.

— Tu vois, on t’a trouvé un nom. Médor. Allez, Médor, viens !

Le vieux ne bouge pas. Il est complètement nu.

Milivoj l’attrape, les doigts enfoncés dans les tendons du cou. Il le tire dehors. L’autre bloque les jambes mais se laisse traîner.

— Tu as compris ? Ils sont partis. Partis, partis !

Milivoj le laisse. Du bout de la galerie, il le rappelle :

— Tu vois, ils sont partis. Il va falloir s’organiser.

 

Au lieu de rentrer, Milivoj reste à écouter la pluie, sur le toit, sur les arbres alentour, tout ce qui constitue le silence maintenant qu’il est seul. Seul avec Médor. Qu’est-ce qui lui a pris ? Pourquoi est-il resté ? Fatigue ? Confort ? Paresse ? Besoin d’isolement ? Le vieux n’est-il qu’un prétexte, un alibi, ou offre-t-il une différence insolite qui vient rompre la monotonie uniforme des soldats ? Plus présent qu’eux par la stature de son absence ? Milivoj s’est-il laissé magnétisé par ce qui se passe, ou ne se passe pas, dans la tête de ce chien fou ? Des chiens, Milivoj n’en a jamais eu, jamais il ne s’est demandé à quoi diable ils pouvaient penser.

— Je vais peut-être l’apprendre avec Médor.

S’organiser, cela commence par tirer un vrai lit dans la pièce principale, supprimer quelques tables, prendre ses aises, surveiller le levain, puis sortir se reposer. La pluie a cédé la place à un soleil palot. Le vieux, toujours à quatre pattes sur les genoux, parcourt le balcon. Milivoj lui jette un reste de pain. Le vieux le remarque peut-être mais ne s’en occupe pas. Milivoj part explorer les alentours. Les autres ont-ils acquis un poids soudainement centrifuge ?

Il retrouve le vieux accroupi sur ses fesses qui suce le pain qu’il tient d’une main. Concentré, ses mouvements parasites ont diminué.

— Quand tu seras propre, je te ferai une couche à l’intérieur.

Le vieux s’en moque, ses pupilles reprennent leur incessant va-et-vient.

 

Quand on est soldat, on est jeune, quand on est jeune on a des besoins pressants. Quand on est soldat, souvent les femmes manquent, alors on se masturbe. Le plus simple, c’est clandestinement, sous les couvertures, perdu dans la symphonie des dortoirs. Les douches de campement manquent d’intimité et la masturbation collective n’est ni très bien vue, ni très prisée ou valorisée, même si des rumeurs circulent. Ici, Milivoj est seul. Il se fait chauffer de l’eau ; il y a quelques pommeaux de douche mais il a le temps de s’offrir ce luxe. Il se déshabille. En attendant que l’eau du fourneau soit à la bonne température, il joue avec son sexe, se caresse, et se brode des images, délicatement parce qu’il veut tenir jusqu’à ce qu’il soit sous la douche. Il s’interrompt pour tirer l’eau, la tempère et l’amène. Ensuite il se reprend, et se termine agréablement. Ça fait du bien. Après, il se savonne, se rince et s’essuie. Il reste à poil. Il lui vient l’idée de passer le vieux aussi à la douche. Il va le pêcher dehors. Il faut toujours le traîner par le collet ; quand il fait comme ça, il a vraiment l’air d’un chien qui freine des quatre fers. Il le douche d’abord à l’eau froide. Le vieux glapit. Puis il le savonne vigoureusement. Il va tirer le reste d’eau chaude et asperge le vieux qui s’est recroquevillé contre un coin des murs recouvert de peinture hydrophobe. Milivoj s’accroupit et l’essuie lentement, avec douceur. Le vieux semble un peu moins noué, sa respiration se fait plus profonde, ses yeux plus calmes, ses mains aussi. Mais Milivoj ne se fait pas d’illusion, sous peu il se conchiera à nouveau. Donc, pas de pyjama et dehors. Milivoj pense que, s’il lui vient l’envie, il saura retrouver sa chambre.

Milivoj se rhabille et se prépare un repas. Comme le soleil s’est maintenu, il s’assied sur les marches pour manger. Le vieux n’est pas loin. On pourrait facilement les prendre pour un berger et son chien.

 

La douche, la branlette et le toilettage du vieux deviennent quotidiens. Milivoj ne fait pas grand chose d’autre. Il passe son temps assis sur le bacon à profiter du climat qui devient plus clément. Il lui arrive de faire participer le vieux à ses pensées, en l’interpellant sans attendre de réponses. Il lui demande des nouvelles des cinq autres, des affaires du monde, du pays, de l’air du temps. Il lui arrive de partager, à sens unique, quelques souvenir d’avant. S’il s’agissait d’un vrai chien, il pourrait lui lancer un bâton et s’amuser à se le faire rapporter ; avec le vieux, cela ne vaut la peine d’essayer.

Le vieux, sans doute grâce à la douche qui le calme et lui donne une certaine notion du confort, se met à allez dehors, à un endroit précis, pour faire ses besoins. Péniblement il s’accroupit même sur les pieds arrière, les mains contre les planches de la façade.

— Tu deviens plus chat que chien, mon ami.

Certains aliments, il arrive à les manger seul, en les tenant dans une main. Les choses solides comme le pain. Un jour, bientôt, il n’y aura plus de farine.

En matière de sexe, chez un gaillard bien trempé, et de surcroît célibataire, les rituels sont lassants. Le vieux étant à peu près propre, Milivoj le laisse aller et venir, à l’intérieur comme à l’extérieur, toujours à quatre pattes et nu. Milivoj a établi qu’il était plus rationnel de le laver avant sa propre douche. Le regard du vieux est si vide que sa présence ne le gêne pas. Là, il est tourné vers la porte — elle donne sur la cuisine —, en arrêt, comme à l’affût, stupidement immobile. Milivoj se caresse. Il regarde ses mains, habiles mais qui ne ressemblent toujours qu’à des mains. Le vieux est à quelques mètres, les fesses en l’air, propre, les escarres se sont résorbées. Une devise très répandue chez les militaires — elle justifie que les armées en campagnes ne soient pas regardantes — affirme qu’un trou est un trou. Sa variante, plus claire ou plus ambiguë, elle, dit qu’un cul est un cul. Ils sont seuls, pour longtemps, et un cul est un cul. Milivoj se savonne le sexe, s’approche du vieux, l’attrape par la nuque, cette fois sans lui planter les doigts entre les tendons, plutôt caressant.

— Bouge pas. Installe-toi mieux.

Il le force à plus se regrouper, il l’amène gentiment à abaisser ses épaules. Il se met lui-même à genoux, les jambes écartées. Son sexe est savonneux. Un cul est un cul. Il le pénètre. Le vieux, comme en toute autre chose, ne réagit guère. Milivoj s’active lentement, profondément. L’autre geint, mais comme il le fait souvent. Milivoj a un sourire timide qui se voile quand il vient. Les spasmes lui semblent plus intenses et meilleurs qu’avec ses mains. Sans tout de suite se retirer, il caresse le dos du vieux. Ses mains passent sous son ventre creux. Elles découvrent le sexe de l’infirme, il est en légère érection.

Milivoj se penche vers ses oreilles :

— Alors ? Ça te plaît aussi ? murmure-t-il avec un rire discret.

Alors il branle le vieux dont le sexe durcit un tantinet et éjacule assez rapidement. Quelques gouttes laborieuses, que Milivoj sent sous ses doigts.

Milivoj termine sa douche. Le vieux ne bouge pas jusqu’à ce que Milivoj passe dans la cuisine et qu’alors il le suive.

 

Milivoj répète l’expérience deux ou trois fois. Une fois, le vieux se cabre, ça fait mal à Milivoj qui s’excite :

— Tranquille, Médor ! C’est bientôt fini.

Juste après il se penche sur ses oreilles :

— Voilà ta récompense.

Comme les autres fois ses mains rejoignent le sexe du vieux.

Pourtant, c’est ça qui le décourage rapidement. Un trou est un trou, c’est plus réaliste mais ça limite les images et la fantaisie. Et quand il s’agit presque d’un chien, l’envie passe vite.

Le vieux change. Il est bientôt propre. Milivoj lui offre un pyjama et lui aménage une couche, un matelas qu’il met au pied de son lit. Le vieux est plus calme, il arrive que ses yeux s’immobilisent, même qu’ils se fixent ou suivent quelque chose en mouvement. À d’autre occasion que pour ses besoins, il essaie maintenant de s’asseoir, principalement sur son matelas. Milivoj décide de l’aider, de lui apprendre. Il éloigne une chaise de la table.

— Regarde.

Milivoj se met par terre, dans la même position que le vieux, rampe jusqu’à la chaise, l’attrape, s’y cramponne et se lève, à la force des bras. Il s’assied tout en se tenant. Il n’est pas satisfait. À part peut-être bébé, il n’a jamais réfléchi à comment on fait pour s’asseoir.

— Non, ce n’est pas comme ça !

Milivoj refait la démonstration. Toujours insatisfait, il place la chaise à une distance étudiée de la table qu’il utilise pour s’aider à se lever et s’installer sur la chaise.

Ensuite il pousse gentiment le vieux jusqu’au bon endroit, se met à son niveau, lui fait répéter les premiers gestes, poser les mains, avec une patience qui le surprend lui-même. Ils y emploient tout l’après-midi, le vieux ne rechigne pas, il a compris l’enjeu de l’exercice, mais il n’a pas encore capable de le faire seul.

— On reprendra demain.

Au lever, Milivoj s’arrête sur le visage du vieux. Au fond des yeux palpite une nuance de décision, voire d’impatience.

— Viens, on va jouer avec la chaise.

Plutôt pour tester l’impatience du vieux, Milivoj lui fait une nouvelle démonstration. Puis il l’aide, tout en se rendant compte que le vieux y réussirait tout seul. Pendant la nuit, qui porte conseil, il a intériorisé les gestes. Le vieux y arrive.

— Bravo !

Milivoj l’embrasse sur le sommet de la tête puis s’assied à côté de lui. Le vieux est repris d’un tremblement. Milivoj entend un liquide qui s’écoule, le vieux s’est compissé.

— C’est pas grave, c’est l’émotion ! Les pyjamas, ce n’est pas ça qui manque. Je me demande ce que c’était que cet endroit. Tu sais toi ? Non, toujours pas. Même si tu arrives déjà à t’asseoir.

C’est ce à quoi le vieux utilise sa journée. Pour le plaisir.

Dans un magazine de cinéma, Milivoj a lu une fois un article sur l’effet Koulachov. Un même portrait intercalé parmi des images sinistres ou allègres est perçu comme triste ou joyeux. Qu’importe, dans celui du vieux Milivoj croit déceler l’ombre d’un sourire.

Les jours suivant, le vieux passe tout son temps à s’asseoir, et à se lever. Il s’essaie à quelques pas. Milivoj l’aide. Ensemble, il y arrive mais il est encore trop faible pour se débrouiller seul.

Depuis que le vieux s’assied, Milivoj lui parle plus. Il lui arrive de raconter avant la guerre. Milivoj travaillait alors pour la compagnie du gaz. Il relevait les compteurs chez les particuliers.

— Quelquefois ça offrait de jolie situation. De bonheur, de bonheur le matin. Des femmes au saut du lit. Seules. Bon, on en rajoute beaucoup, ce n’est pas souvent qu’il se passait quelque chose. Mais enfin…

On ne choisit pas son âge ni la date des guerres. Il y en a qui y échappent, lui pas. À cause de leur lieutenant, ils ont frais de drôles de trucs.

— Pas jolis jolis ! Tel maître, tel chien.

Milivoj s’interrompt, interloqué :

— Ne le prends pas mal ! Je ne dis pas ça pour toi. Le lieutenant était une ordure, ça a déteint sur la section. Ce n’est pas ça qui nous a protégés. Ni nous, ni lui. Quand on est arrivé ici, on n’était plus que six. Qui sait s’ils sont encore en vie ? Et ici, vous étiez nombreux ?

Le vieux secoue la tête de gauche à droite, ce qui est une ébauche de réponse même si cela signifie plutôt qu’il ne sait pas ou, plus probablement, qu’il ne se souvient pas.

Quelquefois, la nuit, le vieux grimpe sur le lit et vient se pelotonner contre Milivoj. Milivoj le laisse ou le repousse, selon l’humeur du moment. Plus volontiers pendant la sieste.

Maintenant le vieux marche, mais en se tenant aux meubles. Certaines fois cette marche est compulsive, d’autres elle est volontaire, dirigée, intentionnelle. Pour prendre du pain, boire, faire ses besoins, chercher Milivoj, venir s’asseoir près de lui, dehors, sur l’escalier. Il lui arrive de fixer Milivoj dans l’attente que celui-ci parle, raconte — un regard qui exprime des intentions. Ses yeux sont en général maîtrisés. Par moment, il n’y a plus que sa main qui, lorsqu’elle est inoccupée, continue sans cesse à chercher d’inexistantes peluches.

 

Le vieux, c’est comme si tout à coup il avait décroché. Ou plutôt raccroché, avec la vie ou quelque chose qui lui ressemble. Tout suit. Deux jours plus tard, ils sont à table, ils ont fini de manger — le vieux se débrouille seul, assez proprement, il utilise la cuillère et le couteau, mais il a encore de la peine avec la fourchette —, Milivoj raconte une histoire de renard rusé. Pour être plus clair, il s’amuse tant bien que mal à dessiner l’animal, ce qui plaît au vieux. Pendant que Milivoj fait la vaisselle, le vieux attrape le crayon et se met à griffonner sur la feuille où Milivoj a esquissé son renard. Milivoj l’observe du coin de l’œil. Au bruit et à l’attitude appliquée du vieux, à sa façon de tenir son crayon, il est clair qu’il n’est pas simplement en train de gribouiller mais qu’il essaye d’écrire ou d’imiter l’écriture. Milivoj n’intervient pas tant que le vieux n’a pas terminé. Après, le vieux est très excité. Sa main épluche frénétiquement la table.

Sur le papier, en très gros, d’une écriture malhabile et tremblante, il a écrit un nom, en lettres majuscules : Dragan, suivi du signe : n’est pas égal — Milivoj le connaît, il figure sur certains formulaires du gaz. N’est pas égal. Puis, Milivoj en a le souffle coupé : Médor. Médor, en majuscule, avec l’accent à la bonne place. Dragan n’est pas Médor.

Milivoj balbutie :

— Bien sûr, Dragan n’est pas un chien !

Le vieux rit. Il rit sans se pisser dessus.

Il rit, il sourit et se désigne maladroitement :

— Dragan.

Il parle ! Plus étonnant encore, parce que ça fait si longtemps que Milivoj ne l’a pas entendu qu’il l’a presque oublié lui-même, Milivoj l’entend dire, cette fois en le pointant lui :

— Milivoj.

Ceci alors que, en présence du vieux, ce nom n’a pas dû être prononcé plus de deux fois. À moins que Milivoj, se soit quelquefois interpellé tout seul pour meubler le silence.

Ils rient tous les deux, aussi étonnés l’un que l’autre. Milivoj est sur le point de l’embrasser sur la tête, comme il l’a parfois fait, mais quelque chose le retient, une gêne soudaine.

 Il se lève :

— On va fêter ça.

— Hein ? Milivoj et Dragan ! crie le vieux d’une voix éraillée.

— Oui, Milivoj et Dragan, toi et moi !

Milivoj fait un pas vers la réserve :

— Mais avec quoi ? Il n’y a pas une goutte d’alcool dans cette maison !

Le vieux, Dragan, dit lentement :

— Ça… ne… fait… rien.

Le reste de la journée, il est très attentif mais silencieux. Milivoj, qui est intimidé, curieux et impatient, ne parle guère plus ni ne le sollicite.

Le moment du coucher présente un léger flottement. Avant de s’étendre, le vieux, Dragan, reste un certain temps debout, interloqué, à comparer les deux matelas, le sien sur le sol et celui de Milivoj sur le lit où Milivoj est déjà allongé.

 Quelques jours auparavant, une nuit avait suffit au vieux pour mémoriser la séquence des gestes nécessaires à se lever et s’asseoir sur une chaise. Milivoj pressent que quelque chose d’identique va se produire.

Au matin le vieux est debout avant lui. Il fait les cents pas, mais cela n’a rien de compulsif, il s’agit d’impatience :

— Bonjour Milivoj. Qu’est-ce…. Son parler est un peu hésitant, avec des arrêts entre les mots. Qu’est-ce que je fais là ?

— Hein ? Bonjour Dragan. Qu’est ce que vous… qu’est ce que tu fais là ? Je me le suis souvent demandé. Je ne sais pas.

— Et toi ?

— Moi, qu’est ce que je fais là ? Tu ne te souviens pas ? Je suis soldat. Je suis arrivé ici avec ce qui restait de la section.

— Ah oui ! C’est vrai. Tu me l’as… ra… raconté. Et alors, moi, pourquoi je suis ici ? Je me suis….

Le vieux cherche, il fait un geste qui indique quelque chose, ou quelqu’un, qui tombe.

Milivoj l’encourage :

— Tu t’es ?...

— Comment dit-on… Évanoui ! Oui, évanoui. J’ai peut-être été malade. Malade ? Peut-être.

Milivoj se lève, au passage il le tapote affectueuse dans le dos :

— On va quand même déjeuner. Assieds-toi, Dragan, je prépare ça.

Depuis la réserve Milivoj crie :

— Bientôt on n’aura plus de farine. Après, on sera obligé de partir.

Il vient s’asseoir et il ajoute :

— Et on n’a toujours pas de beurre. Bonjour Dragan.

— Bonjour Milivoj.

— Alors comme ça, tu parles ?

Dragan a l’air étonné :

— Avant je ne parlais pas ? Il tend l’oreille comme pour mieux s’entendre : Avant je ne parlais pas. C’est probable.

Au café — toujours l’ersatz, qui touche à sa fin —, parce que Milivoj l’interroge, Dragan le vieux se raconte à son tour, avec une difficulté et une lenteur qui vont s’amenuisant.

Avant la guerre, il était professeur de littérature anglaise :

— Tu as entendu parlé de Shakespeare ?

— Shakespeare ?

— Roméo et Juliette ?

— Les deux amoureux ? Oui, ceux-là, je les connais.

À partir de la guerre, Dragan a travaillé pour une administration — sans préciser laquelle. Il se souvient avoir été hospitalisé deux fois. Dans un triste état dont, déjà, il avait brusquement émergé. Il ne se rappelle pas ce que les médecins lui ont expliqué après coup. Était-ce déjà ici ? Il ne se sais plus rien, ni quand, ni pourquoi, ni comment il a débarqué dans cette baraque, il ignore même où elle se situe.

— Dommage, dit Milivoj. Cela aurait été utile.

 

Dragan prend plaisir à parler, et Milivoj est content de l’écouter.

Assez tôt, Dragan remarque :

— Non seulement je parle, mais j’ai faim.

— Je peux déjà faire à manger, si tu veux ?

— Volontiers.

Dragan croise les bras, les doigts de sa main droite pianotent sur l’autre. Milivoj prépare de la bouillie de lentilles. Il s’installe en face de Dragan.

Entre deux bouchées, Dragan demande :

— C’est ça qu’on mange depuis qu’on est ici ?

— Plus ou moins. Ça devient limité, les provisions diminuent. Pourquoi, c’est pas bon ?

— Oui, oui, répond Dragan évasif.

— En tous cas, tu as bel appétit. Tu as encore faim ?

Dragan regarde autour de lui sur la table. Il reste du pain.

— Non, non, ça ira.

Milivoj amène le café.

Dragan le goûte :

— C’est du café, ça ?

Comme Milivoj ne répond rien, il ajoute, philosophant :

— C’est la guerre.

Après, il dit qu’il est fatigué, qu’il veut faire la sieste.

— Toi, pas ?

— Je vais d’abord ranger. Vas-y déjà.

Dragan s’approche des lits.

— C’est un peu bas pour moi. Il a un petit rire : Maintenant que… Il marque une hésitation et se ravise : Maintenant que je ne suis plus un légume.

— Je peux aller te chercher un lit à côté.

— C’est une idée.

Milivoj est sur le point de sortir. Dragan le retient :

— Si on doit partir bientôt, est-ce que ça vaut la peine ?

Il dit ça tout en restant debout.

— Si tu veux, prends mon lit, propose alors Milivoj.

— Oui, si tu veux. Merci.

Mais Dragan ne bouge pas. Jusqu’à ce que Milivoj prenne son oreiller et sa couverture et les transfère de lit.

— Attends. Dragan l’interrompt : Elle est dégueulasse ma couverture. Il n’y en a pas d’autres ?

— Je peux aller voir à côté. Il doit en rester une ou deux à peu près potables.

— C’est gentil, merci. Prends-moi aussi un oreiller.

Le soir en se couchant, Dragan regrette qu’il n’y ai pas de drap.

Au lever, Milivoj met de l’eau pour la douche :

— Si tu veux, vas-y d’abord.

Dragan est assis sur le lit. Il secoue la tête :

— Non merci, pas besoins. Vas-y seulement.

Le temps est beau. Dès qu’il fait assez chaud, le vieux professeur va s’asseoir sur les marches du balcon, là où Milivoj — le berger — passait le gros de son temps. Milivoj donne un coup de balais et prépare pour midi.

— Pas de légumes ?

— Des légumes frais ? Tu rigoles, tu voudrais qu’on fasse comment ?

Dragan ne répond rien, mais au café il dit :

— Dans les bois, là dehors, on trouve certainement des baies, des fraises, des framboises ou des mûres.

Milivoj réexplique qu’au-delà d’un petit périmètre, tout est brûlé, qu’ici n’est qu’un îlot mystérieusement épargné.

Après la sieste, quand il va s’installer sur le balcon, Dragan revient sur le sujet :

— Si j’étais plus en forme, j’irais tout de même voir si je trouve des petits fruits. C’est bon pour la santé. Si on doit partir, il faut que je sois solide.

— Je vais aller voir, si tu veux.

— Oui, c’est une bonne idée. Dragan conseille : Il te faut un récipient.

Milivoj trouve un petit bidon en métal.

Dragan le salue depuis l’escalier :

— Bonne chasse.

Au bout d’une heure, Milivoj revient tout content. Il exhibe le résultat de sa cueillette à son coéquipier.

— Tu vois ! dit Dragan triomphant.

Il plonge la main, en retire une petite poignée, la mange :

— C’est bon ! Avec du sucre, ce sera encre mieux. Avec de la crème bien sûr…

Le soir ils se contentent de sucre. Dragan s’enquiert de savoir si Milivoj trouve ça bon.

— Oui, très, répond docilement Milivoj.

Dragan garde un instant le silence, il croise les mains — sa main droite joue des doigts à la surface de l’autre, et dit, comme en continuation de la réponse de Milivoj :

— Merci Dragan !

— Oui, c’est ça. C’était une bonne idée, merci Dragan.

Alors que Milivoj lave les plats, Dragan demande assez fort :

— Et avant, tu faisais quoi ?

— Je te l’ai dit, je travaillais pour la compagnie du gaz !

— Mais non, idiot ! Avant, quand j’étais… un légume.

— Rien.

Milivoj tire l’eau au fourneau puis revient sur la question :

— Je m’occupais de toi. Il se reprend : J’exagère. Je ne faisais pas grand-chose. Dès que le temps me le permettait, je m’installais sur le balcon. De temps à autre je te racontais ce qui me passait par la tête.

— Mon Dieu ! Dragan l’observe perplexe au travers de la porte : C’est mieux maintenant, n’est-ce pas ?

Ils rient tous les deux.

— Bien sûr, je suis content, dit Milivoj qui vient se rasseoir.

Dragan acquiesce :

— Je suis content que tu sois content.

— Moi aussi. Mais il faut qu’on pense à partir. Il n’y a plus grand-chose. Je t’aiderai.

— Je peux marcher. Il faudra aller loin ?

— C’est ça le problème, je n’en sais fichtre rien. Aucune idée de la direction. En tous cas, par où on est arrivé, il n’y a rien sur plusieurs jours.

— Bon, on se débrouillera bien. On part quand ?

— Je peux faire un dernier pain demain et préparer des provisions, organiser les sacs.

— Je n’en ai pas. Et peut-être que…

 — Le mien devrait suffire.

Le matin suivant, Dragan ne veut toujours pas prendre de douche.

— Tu sais après, on n’aura plus l’occasion avant longtemps.

— Peut-être cet après-midi. Vas-y.

 

Alors que Milivoj est sous la douche, Dragan passe en pyjama — il est toute la journée en pyjama, il faudra lui trouver quelque chose pour la route. Un instant il observe Milivoj, nu, en tain de se rincer à l’eau chaude. Il fait demi-tour, mais juste avant de sortir il amorce un imperceptible mouvement des fesses qui n’aurait rien d’obscène s’il ne bafouillait pas en même temps, faiblement mais Milivoj l’entend :

— Tranquille Milivoj ! C’est bientôt fini.

Après, Milivoj traîne avant de rejoindre la pièce principale. Il évite le balcon. Ils se préparent pour le lendemain sans guère discuter et mangent en silence ; ils ont trouvé des chaussures et une veste à peu près imperméable pour Dragan

Ils partent à l’aube. Dragan avec un bâton. Le sac de Milivoj est très plein, ils ont emportent des couvertures, de la nourriture et de l’eau. Dragan est surpris en découvrant les arbres calcinés. Le sol est toujours aussi noir et crisse sous leurs pas. Ils sont loin.

Moins d’une heure après, ils tombent sur une patrouille. Ils sont faits prisonniers et assez rapidement séparés

 

Milivoj est emmené seul, en camion, un fourgon cellulaire. Le transport est assez long, il est aussitôt mis à l’isolement. À la rumeur extérieure, il sait qu’il est en ville. Laquelle ? Il l’ignore. Et Dragan ? Milivoj est persuadé qu’il s’agit d’un malentendu, qu’ils seront relâchés bientôt, dès que les autres auront été entendus ou que les témoignages, le sien et celui du vieux auront été recoupés. Au pire, après quelques jours d’arrêt disciplinaire. Pourtant, quand enfin on vient le chercher, il est déjà en tain de perdre la notion du temps.

Les interrogatoires serrés et musclés se suivent alors à un rythme rapproché. Chaque fois, on lui fait répéter son histoire. La fin du lieutenant, le reste de la section, la baraque et le départ des autres. Quand on lui demande pourquoi il est resté, il dit que c’est à cause de Dragan.

— Pourquoi ! Qu’est-ce qui vous permettait de penser que c’était un militaire ?

Rien. Milivoj n’a jamais pensé qu’il s’agissait d’un militaire, mais il s’abstient de le dire.

Il essaie de savoir pour les autres — il n’a pas eu à donner leurs noms, ils étaient connus. Si on les a retrouvés ? S’ils ont pu témoigner ?

On lui oppose un mur :

— Ce n’est pas d’eux qu’on s’occupe, c’est de vous !

— Et Dragan ?

— Lui non plus, ce n’est pas votre affaire !

— Ni la sienne ! ajoute un type en civile qui se tient en retrait et intervient très peu.

Milivoj comprend qu’à son sujet on parle de désertion. Il semble que c’est grave. Dans sa cellule, il a le temps d’y penser. Il n’avait jamais considéré cela sous cet angle. C’est pourtant vrai, il s’agit peut-être d’une forme de désertion. Après cinq séances, les interrogatoires cessent. Milivoj regrette de n’avoir aucune nouvelle de Dragan.

Une lucarne oblongue fermée par un unique barreau horizontal au sommet du mur de sa cellule lui donne une notion du temps. Ainsi que le trafic, par moment intense dans ce périmètre. Ce matin, ce n’est pas son jour de douche et le gardien qui vient le chercher lui est inconnu. C’est un type gros et baraqué, sans doute bientôt à la retraite et qui le fait passer devant et le suit dans le local des douches — ce que les autres ne font en principe pas. Il referme la porte à clé derrière lui et regarde Milivoj se déshabiller.

— Dépêche-toi ! Tiens, voilà du savon.

L’eau est chaude, la douche agréable.

— La serviette, s’il vous plaît, demande Milivoj.

— Non. Viens, je vais t’essuyer.

— Pardon ?

— Viens !

Milivoj est étonné et réticent. La serviette est plus grande que d’habitude, plus profonde. Le gros gardien l’essuie énergiquement mais avec une douceur enveloppante. Sa respiration est bruyante, comme s’il s’agissait d’un effort.

En même temps, il répète sans arrêt comme s’il parlait à un enfant un peu simple ou à un petit animal. :

— Bien… bien… bien… Tourne-toi. Bien… bien… là... Écarte-toi un peu, bien… bien…

Milivoj est mal à l’aise.

Le gardien tire le tabouret au centre du local de douche.

— Mets-toi là. Non, pas comme ça. À genoux, à côté. Pas ici.

Il l’attrape et le pousse jusqu’à ce que Milivoj soit dans l’axe de la porte. Son guichet coulissant est ouvert.

— Pose tes épaules. Pas comme ça ! Tu mets tes bras autours des pieds du tabouret. Tu veux que je t’aide ! Écarte les jambes, lève les fesses. Lève les fesses ! Encore. Reprenant son ton encourageant : Là ! Bien… bien… bien ! Maintenant la tête sur le côté.

Une grosse main l’attrape et qui lui écrase la joue sur le bois.

— Bien… Comme ça ! Bien… Bouge pas !

Peut-être s’agit-il d’une fouille rapprochée ? Comme tout le monde, Milivoj sait que des prisonniers cachent quelquefois des trucs dans leur anus. Mais il entend un ceinturon qui s’ouvre, un pantalon qu’on dégrafe et qui tombe. Une poigne se referme sur son cou. Le sexe du gardien le pénètre et le rudoie. Ça fait mal et ce n’est pas du tout agréable. Pourtant la verge de Milivoj durcit, c’est mécanique. Les coups du gros sont lourds, son souffle est épais. Soudain Milivoj est saisit par les cheveux et sa tête redressée vers le haut, presque comme si elle était séparée du corps. Milivoj voit le judas. Derrière, il y a des yeux. Qui l’observent.

Le gardien se cabre avec des secousses rapprochées. Milivoj sent son haleine au niveau des oreilles :

— Maintenant je vais te faire une petite gâterie !

Aussitôt la grosse main, lourde et râpeuse, se referme sur le sexe de Milivoj et le branle brusquement. Les yeux derrière le judas papillonnent, s’affolent, redeviennent fixes et s’affolent encore comme s’ils n’étaient plus maîtrisés.

Milivoj éjacule, l’autre lui tord la nuque sur le côté puis le lâche.

— Rhabille-toi !

Milivoj se relève. Le judas est vide.

 

Un matin, au lieu de la douche, c’est une délégation officielle qui débarque dans la cellule. Celui que Milivoj pensait être un policier en civil et qui n’était presque jamais intervenu durant les interrogatoires, lui lit la sentence. Il est condamné. Pour désertion. L’exécution aura lieu le lendemain. Dans la cour de la caserne.

Quand on vient le chercher, c’est la fin de l’après-midi. Dehors, le soleil est jaune et bas, Milivoj cligne des yeux, ébloui par une lumière qu’il n’a plus vue depuis longtemps. Il est le dernier amené. On l’attache au poteau le plus proche. Il n’arrive pas à discerner assez les autres condamnés pour pouvoir les identifier, voire les reconnaître. La foule, pas très nombreuse, assez compacte et rangée, est constituée essentiellement d’hommes, en uniforme ou en civil. Il y a tout de même quelques femmes. Milivoj aperçoit un ou deux enfants étonnés, auxquels il ose adresser un léger sourire.

Un officier en uniforme rend publiques les sentences. À part une condamnation pour mutilation volontaire, les autres le sont pour désertion. Milivoj écoute attentivement les noms ; il ne s’agit pas de ses cinq compagnons de section. Et il n’y a pas de Dragan. Milivoj est soulagé, même s’il était déjà convaincu que le vieux ne ferait pas partie du lot. Un prêtre passe. Milivoj veut-il se confesser ? Il hésite mais refuse. Il n’a pas non plus de dernière volonté. Le prêtre lui donne la bénédiction. Un militaire vient lui bander les yeux.

L’officier crie des ordres. Des pas précipités. Les clous des chaussures grattent le macadam. Le peloton se met en ligne.

Alors que le public se fait rapidement silencieux, une voix, qui n’était pourtant précédée d’aucun gémissement, aucun crissement de griffes sur le sol, aucune fourrure secouée et aucune laisse agitée, dit, très basse, sévère mais forte, légèrement haletante :

— Tranquille Médor ! C’est bientôt fini.

Immédiatement après s’entend le bruit des fusils que l’on arme.

— En joue !

Milivoj a peut-être fait quelque chose de faux. Peut-être aurait-il dû partir avec le reste de sa section. Peut-être n’aurait-il pas dû explorer le bout de la galerie. Peut-être aurait-il dû ne pas intervenir. Et avec le vieux, il n’avait pas fait tout juste.

— Feu !

 

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