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Olivier Sillig 

La Chaîne
Illustration: Olivier Sillig: L'Aurochs et son abécédaire, crayons, 1992   .Crayon, 1992
Je savais qu'elle avait envie d'une chaîne. Elle me l'avait laissé discrètement entendre à l'approche de son anniversaire. Quelques jours avant celui-ci, je descendis en ville et entrai dans la première bijouterie proposant des chaînes en vitrine.
— Bonjour, Mademoiselle, je cherche un tour de cou, un collier, une chaîne ou une chaînette, plutôt en argent.
La vendeuse était grande, jeune et élégante, son habillement en harmonie avec la marchandise vendue en ces lieux.
— Mais certainement, Monsieur.
Elle se baissa pour choisir, parmi les tiroirs que je voyais aller et venir à l'intérieur de la vitrine-bar délimitant son espace du mien, celui qui lui semblait convenir pour un premier choix.
Sur le plateau de velours bordeaux, elle me présenta toutes sortes de tour de cou, en or, en or blanc ou en argent. La plupart avaient une structure de chaîne trop baroque à mon goût, sauf un qui pouvait peut-être convenir.
— Vous permettez ?
— Mais oui, Monsieur.
Je pris le tour de cou en question et le manipulai pour voir sa construction et son aspect. Je le posai sur mon bras afin d’imaginer l'allure qu'il aurait sur la peau, mais mon avant-bras velu n’est pas l’idéal pour ce genre d’essai. En plus cela ne me permettait pas d’apprécier la longueur du collier, chose que je jugeais très importante.
— Excusez... Pourriez-vous, peut-être, l'essayer ? Je voudrais voir comment il va comme tour de cou.
— Mais bien sûr, Monsieur.
Avec une habilité toute professionnelle et féminine, elle le posa à l’aveugle puis se redressa légèrement pour que je puisse juger de l'effet.
Je clignai des yeux pour prendre du recul. Je n'étais pas convaincu.
— Vous n'auriez pas quelque chose d'un petit peu plus long ?
— Mais bien sûr, Monsieur.
Elle choisit un autre présentoir qu'elle déposa sur la surface vitrée. Les chaînes étaient identiques aux précédentes mais plus longues. Je montrai celle de même facture que le tour de cou.
— Voulez-vous que je l’essaie ?
— Volontiers.
La jeune femme portait un chemisier clair, couleur tabac. Elle écarta le revers de son col pour mettre la chaîne en évidence.
— C'est peut-être encore juste un peu juste.
Ma façon de dire nous fit rire.
— Il faudrait la même en plus longue.
— Monsieur a raison.
Changement de tiroir, nouvel essai qui la contraint à ouvrir un bouton de sa chemise. La chaîne était bien en valeur sur sa gorge. Aurait-elle une chaîne plus longue ?
— Je crois que oui. Celle-là ?
— Vous... vous allez l’essayer ?
Elle me sourit de son gentil sourire poli, déboutonna un rang de plus, mit la chaîne qu'elle arrangea afin que je puisse la voir au mieux. Elle rentrait certainement de vacances dans les mers du Sud, passées allongée sur des plages ensoleillées et désertes. Son bronzage était parfaitement naturel, il n'y avait aucune marque blanche à la naissance de ses seins, là où l'extrémité de la chaîne était maintenant douillettement nichée. C'était vraiment très joli. J'étais hésitant mais la chaîne ne m'emballait pas, ses maillons torsadés étaient trop lourds. Pourtant c'était très plaisant à regarder. Et ça serait encore mieux une taille au-dessus. Il fallait le demander. Pourquoi pas ?
— Et plus longue ?
Quelquefois une certaine rudesse masque ma timidité. Sans le moins du monde se formaliser, la jeune femme me sourit, l'air réellement désolé :
— Je regrette, Monsieur, nous n'avons rien de plus long.
À mon tour d’être désolé. En fait, ce n'était pas ce que je cherchais et la bijouterie n'avait rien à me proposer qui me convienne vraiment. La vendeuse, très fine, l'avait compris :
— Vous ne trouvez pas votre bonheur, n’est ce pas ?
— Non, c'est dommage…
— Je regrette vraiment pour vous, Monsieur. Peut-être ailleurs ?
Vraiment, ils étaient très aimables dans cette boutique.
— Peut-être. En tous cas je vous remercie. Au revoir, Mademoiselle.
— Au revoir, Monsieur, bonne chance.
Elle me raccompagna à la porte avec gentillesse.

Dans la bijouterie suivante j'expliquai à nouveau ce que je cherchais. La femme qui me servait tira aussitôt un présentoir — tous les tiroirs de toutes les bijouteries sont-ils toujours en velours bordeaux ? — sur lequel, parmi d’autres, un très joli tour de cou, avec un chaînage original en même temps que très simple.
— Pourriez-vous l’essayer, s'il vous plaît ?
Jusque là je n'avais regardé que les colliers. C'était un très joli tour de cou. Pour l’installer, la vendeuse écarta un peu le col de son corsage rose. C'était une vendeuse sympathique et soignée mais elle avait une soixantaine d'années, je n'ai pas demandé à voir de modèle plus long, celui-ci me plaisait, elle m’a dit le prix, j'ai payé et je suis sorti.
***

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V:28.12.03 (28.12.03-10.06.91)