Onze
heures du soir, dimanche, un quartier au repos, une rue rectiligne, une
rangée d'entrepôts relookés et branchés:
galeries, caves
et loft. Soudain, interrompant une pénombre plutôt soft, la griffe d'une
discothèque, en carrés rouges, éclate sur le
pavé humide: juste un tag écarlate. Les mômes qui racolent
pour
se payer leur dope dans la rue limitant cet espace interlope ne s'en
approchent
guère: ici, pas de clients. Ces hommes, les
premiers, timides ou méfiants, solitaires ou par paires, ou
alors deux lesbiennes plutôt exubérantes, c'est bien ici
qu'ils viennent. Cette nuit comme chaque
dimanche, la boîte fait soirée gay. Un carton blanc
annonce
de la house reggae, le DJ antillais est arrivé de Londres, il
paraît
que là-bas, tout le marché s'effondre.
Il y a un portier,
il filtre les entrées à vue: tendance, et non: couleurs
ou teintes bistrées. Au vestiaire obligé, la dame pipi,
un
homme, mignon, souriant, recueille manteaux, propos et sommes. Dans la
salle
en sous-sol, une ambiance assez sombre. Éparses, belles,
élégantes, se détachant de l'ombre en bordure de
l'espace, deux ou trois silhouettes sur fond de lumière rouge et
d'étoiles violettes perforées dans les fûts de la
ventilation. Il neige, miroirs, éclats, en
lente révolution et strobe atténué. Un filet de
musique. Les platines tournoient, encore automatiques. Lentes ondes de
vagues, pour l'heure les plus douces, pas encore syncopées mais
déjà de la house.
Première étape le bar, y commence l'osmose. Des cylindres
de lumière sur le zinc mat exposent dans des timbales
givrées au chrome transpirant des drinks embués, des
glaçons irisés, et des cocktails fluo. Quelques
épaules se touchent, les contacts
s'établissent, équivoques, un peu louches. Un vieux beau
encore
leste au regard assez triste s'éclate à lui tout seul,
à
bouger sur la piste. Il est descendu tôt, il partira
bientôt.
Un autre est planté là, en veste de moto observant le
danseur
pour tromper son ennui, la fenêtre du possible c'est onze heures
et
minuit, son copain jurassien ne viendra pas plus tard. Souvent alors le
type,
très dépité, repart. Des couples
éphémères
— rencontres à la sauvette dans un lit inconnu ou volées
aux
toilettes — se croisent furtivement. Ils s'évitent et s'ignorent
ou s'arrêtent, se sourient et se saluent encore. La scène
enfin
s'anime, la musique s'amplifie, des rôles s'établissent,
plutôt
homme, plutôt fille. De jeunes garçons en noir soulignent
leur
pâleur de chaînes de corail ou de perles de couleur,
visages
adolescents, imberbes, veloutés. D'autres en colliers de chiens,
quelquefois
même cloutés, marcels blancs, baraqués, biceps
imposants résultat de fitness ou d'anabolisants. Des hommes trop
excités,
de vie, de sexe, de coke, d'angoisse ou de plaisir, s'effleurent,
s'entrechoquent.
Les projecteurs dessinent des formes un peu plus rondes: un couple de
femmes
châtain dans la fumée des blondes.
Sur le sperme perlé
des bouches de vapeurs, un grand éclat tout blanc, un instant de
stupeur, révèle, provocante, la figure mutine d'un
Argentin aux anges
d'être devenu Argentine.
©Olivier Sillig, textes et images, tous
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V:16.03.04
(27.03.03) C:03.2003